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La Gauche pro-Hamas et Andreas Malm,
en nouveau petit soldat tout vert au service des islamistes
Une enquête sur les écrits et activités d’Andreas Malm en Suède et ailleurs depuis le début des années 2000
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Clément Homs
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Parmi ceux qui ont lu les livres d’Andreas Malm – théoriquement médiocres, son incapacité à reconnaître la nature capitaliste de l’URSS l’ayant mal préparé à analyser le capitalisme en général, qu’il ne conçoit que de manière tronquée – sur la catastrophe écologique et la lutte pour le climat, peu de monde, en dehors de la Suède et des éditions La Fabrique (qui ont opportunément omis ces informations dans leur dossier de presse), sait qu’il fait depuis longtemps l’éloge vibrant de mouvements islamistes tels que le Hezbollah, le Djihad islamique et le Hamas. Cela lui a valu d’être évincé par plusieurs secteurs de la gauche révolutionnaire et antifasciste suédoise.
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Il ne faut probablement pas chercher une critique de l’organisation islamiste palestinienne du Hamas et de sa politique chez ce « penseur majeur de l’écologie » (dixit le conducator Mélenchon) qu’est Andreas Malm, aux côtés duquel certains animateurs des Soulèvements de la Terre n’hésitent plus désormais à s’afficher lors de leurs événements promotionnels ‒ comme ce 27 mars 2023 à Paris. Notre « Lénine de l’écologie » pour le XXIe siècle qui a développé une politique climatique profondément autoritaire, utilisant la phraséologie marxiste (absolument traditionnelle) pour masquer sa promotion des nouvelles directives du collectivisme écologique, du solutionnisme technologique et de la survie planifiée par l’État, est en effet symptomatique de cet état de décomposition réflexive de certains secteurs de la gauche et de l’«‘‘anti-impérialisme’’ des imbéciles » (Leila Al-Shami) qui en est l’une des caractéristiques[1]. Parmi ceux qui ont lu ses livres – théoriquement médiocres, son incapacité à reconnaître la nature capitaliste de l’URSS l’ayant mal préparé à analyser le capitalisme en général, qu’il ne conçoit que de manière tronquée – sur la catastrophe écologique et la lutte pour le climat, peu de monde, en dehors de la Suède et des éditions La Fabrique (qui ont opportunément omis ces informations dans leur dossier de presse), sait qu’il fait depuis longtemps l’éloge vibrant de mouvements islamistes tels que le Hezbollah, le Djihad islamique et le Hamas. Cela lui a valu d’être évincé par plusieurs secteurs de la gauche révolutionnaire et antifasciste suédoise.
1.
Très jeune, Malm avait déjà une propension particulière à s’affubler d’un bandeau vert sur le front. Dans une déclaration parue alors qu’il avait 23 ans, dans le journal du SUF (le syndicat de la jeunesse syndicaliste suédoise) [2], il exigeait de ses camarades gauchistes qu’ils remettent en question le droit à l’existence d’Israël. Il affirmait également, de manière insidieuse, que les sionistes n’avaient rien fait pour empêcher la Shoah, sous-entendant qu’ils cherchaient à en tirer profit. En 2002, il proclamait encore la condamnation unilatérale du nationalisme sioniste comme étant « incompatible avec le syndicalisme », représentant « la forme la plus grossière du racisme » et une « trahison de classe »[3]. Ces déclarations furent le premier pas sur une pente glissante israélophobe, sur laquelle il lui serait bien difficile de s’arrêter.
Sa collusion avec les islamistes remonte à notre connaissance à 2006, au moins sur le plan des sources écrites. Alors que la guerre entre Israël et le Hezbollah avait débuté le 12 juillet, le journal suédois Arbetaren (lié à un groupuscule anarcho-syndicaliste), n’avait pas tardé à se ranger du côté du Hezbollah, sous la plume de Malm qui rédigera l’ensemble des éditoriaux de l’époque[4]. Déniant l’existence d’un « socialisme » laïque au Moyen-Orient dans la tradition de l’intellectuel syrien Sadik Jalal Al-Azm, il considère que seule la gauche européenne est liée au socialisme séculier, et qu’il faut maintenant passer outre les idées religieuses fondamentalistes et patriarcales du Hezbollah ou son projet de création d’un État islamique pour s’allier ouvertement avec l’islam politique – il ne sera pas le premier à « gauche » à défendre cette alliance, nous y reviendrons. Parmi les arguments mis en avant, Malm soutient que la seule force qui « a une chance d’infliger une défaite à l’ennemi » (sic) devrait être soutenue par la gauche, cette dernière devant « se ranger sous le commandement du Hezbollah ».
Pour justifier une telle alliance contre-nature avec les courants islamistes, Malm est prêt à toutes les hallucinations et à débiter tous les mensonges possibles, en considérant que « le mouvement [du Hezbollah] a atténué son khomeinisme originel et, au milieu des années 1990, il était à peu près aussi intéressé par la transformation du Liban en un État islamique que le PAS l’était à l’époque par le transfert des moyens de production dans les mains de la majorité de la population. Le Hezbollah s’est de plus en plus détaché des régimes syrien et iranien »[5] ! Et l’impudent n’en est plus à une charlatanerie près et peut se permettre de rajouter : « Cette sécularisation et cette libanisation du Hezbollah sont bien documentées et totalement incontestées par les chercheurs »[6]. Démontrant son irresponsabilité intellectuelle, face aux réactions vives et à la volée de bois vert que ne cesseront de susciter ses éditoriaux en Suède, Malm continuera de s’enfoncer dans l’adhésion aveugle à l’alter-réalité qu’il se construit tout seul, et décrochera définitivement de la recherche de la vérité et de la réflexion critique, pour préférer le confort de ses illusions :
« La vision d’une République islamique a été reléguée à un fanion poussiéreux en haut de l’étagère, sans aucune pertinence pratique pour les politiques du Hezbollah. […] Dans le contexte plus large du Moyen-Orient d’aujourd’hui, le rôle progressiste du Hezbollah est peut-être encore plus évident : il intervient dans la formation sociale de la région d’une manière qui la bouleverse. Les dictateurs réactionnaires, de Riyad à Amman, sont terrifiés par l’impulsion électrique que la résistance libanaise envoie d’en bas »[7].
Malm peut dès lors dérouler et soutenir que « être un socialiste conséquent ne signifie pas que je doive préserver ma pureté en refusant tout contact avec quiconque n’est pas en faveur des droits des homosexuels, des droits des travailleurs, du féminisme, de la lutte contre le changement climatique, etc. ».
2.
Cependant, Malm est loin d’être un cas à part, en qualifiant le Hezbollah de « mouvement social » qui « porte l’honneur avec lui tout au long de son histoire »[8] ou encore en affirmant que tout compte fait « les mouvements religieux peuvent jouer et ont souvent joué un rôle progressiste »[9]. Il ne dit pas autre chose que Judith Butler dans le même contexte en 2006 ‒ « Je pense que comprendre le Hamas et le Hezbollah en tant que mouvements sociaux progressistes de gauche, faisant partie d’une gauche mondiale est extrêmement important ». On sait pourtant que le Hamas entretient des relations étroites avec l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie, et que les deux groupes sont des ramifications de la même organisation islamiste : les Frères musulmans. Lorsque les militaires turcs sont entrés en Syrie pour écraser l’autonomie kurde à Rojava, ils ont été acclamés par le Hamas (qui, bien sûr, ne veut pas voir d’expériences laïques, vaguement socialistes ou féministes dans la région).
En 2007, J. Butler organise un séminaire autour de l’affaire des caricatures danoises avec S. Mahmood et Talal Asad, deux anthropologues pro-islamistes de la religion, avec lesquels elle partage quelques thèses. Un séminaire qui formera la base de leur livre collectif « Is Critic Secular. Blasphemy, injury and free speech » (2009), traduit en français et publié juste après les attentats de Charlie Hebdo sous le titre « La Critique est-elle laïque? » (2015), dont l’ambition est d’invalider le « séculier », la séparation de la religion et de l’État, ce soi-disant « particularisme occidentalocentré » qui se serait mué en nouvelle religion laïciste/universaliste. Talal Asad, figure phare de l’anthropologie religieuse aux Etats-Unis, connaisseur de la tradition savante islamique et de la philosophie occidentale qu’il manipule pour asseoir le rigorisme pratique de la première, est le fils de Muhammad Asad, précurseur de l’islamisme frériste contemporain avec Iqbal et Mawdudi, et proche du Centre Islamique de Genève de Said Ramadan[10].
3.
En Suède, les manifestations poreuses, rassemblant en 2006 cette extrême-gauche décomposée à la Malm et des éléments de l’islam politique, ont ensuite pris le relais. La première a rassemblé environ 2000 personnes. L’un des orateurs portait un t-shirt avec le logo du Hezbollah. À Stockholm, Göteborg et Malmö, des drapeaux du Hezbollah étaient présents. Dans toutes les manifestations organisées, des militants de gauche et des Iraniens en exil ont protesté en vain contre l’utilisation des drapeaux du Hezbollah. Les manifestations contre Israël n’ont pas rassemblé que des militants de gauche. À Göteborg, des néo-nazis ont manifesté contre Israël le 22 juillet. Le 24 juillet, une grande manifestation a eu lieu à Malmö, où des appels ont été lancés, tels que : « Apprenez-leur à utiliser des armes automatiques » ; « Apprenez-leur à tuer des Juifs » ; « Portez la guerre, portez la guerre à Tel Aviv ». Des membres du Vänsterpartiet (le « Parti de gauche », membre de l’Alliance nordique verte et de gauche) et de la Jeunesse communiste révolutionnaire étaient présents à la manifestation et n’ont rien fait pour arrêter les cris, ni pour empêcher l’utilisation des drapeaux du Hezbollah. Parmi les chants entendus lors de cette marche, « Cher, cher Nasrallah ‒ bombardez Tel Aviv »[11]. Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah perclus de son antisémitisme éradicateur, qui pas plus tard qu’en 2002, pensait que les Juifs lui rendraient service s’ils se réunissaient tous en Israël, lui évitant ainsi de les pourchasser à travers le monde…
4.
Andreas Malm et Arbetaren, qui cautionnaient toutes ces manifestations poreuses rassemblant propalestiniens sans boussole et islamistes, ont immédiatement essuyé une volée de critiques de soutiens des mouvements de libération nationale au Liban et en Palestine, notamment de la part de l’AFA-Stockholm (Antifascistisk Aktion), de divers groupes révolutionnaires et d’un ancien proche de Arbetaren, Rasmus Fleischer. Dans le journal Expressen, Fleischer va jusqu’à débattre avec Andreas Malm, attaque sa vision du Hezbollah en tant que « mouvement social progressiste » et soutient que la gauche doit s’attaquer à l’antisémitisme du Hezbollah. Azadeh Shokohi et d’autres militants de la gauche iranienne en exil en Suède prennent également Malm à partie, il peut être intéressant de citer plusieurs passages significatifs :
« Il y a vingt-sept ans, mes camarades et moi-même nous sommes tenus aux côtés du Hezbollah pour combattre l’impérialisme américain et le Shah d’Iran. Aujourd’hui encore, nous payons cette erreur historique. Ce qui m’a incité à poursuivre la lutte, c’est que nous, la gauche dans son ensemble, avons tiré les leçons de l’expérience des révolutionnaires iraniens et que cela ne se reproduira plus jamais. Cet été, j’ai assisté à deux manifestations et lu des articles, notamment dans Arbetaren, qui montraient que ce n’était pas le cas. J’étais naïf, la gauche est encore faible face à la propagande anti-impérialiste du Hezbollah. Le Hezbollah a détourné les manifestations organisées contre la guerre et pour la paix en juillet en Suède. Leurs drapeaux, photos et affiches étaient visibles, et des membres actifs du Hezbollah (par exemple, ceux qui ont poignardé l’un de nos camarades en 1988 à Sergels torg lors d’une manifestation contre le régime iranien) ainsi que le personnel de l’ambassade iranienne qui espionne et exécute les Iraniens exilés (par exemple, en Allemagne en 1992) étaient présents dans ces manifestations. […] M. Malm suggère que la gauche devrait soutenir les groupes du Hezbollah. Son seul argument est que le Hezbollah ‘‘est la force qui œuvre pour le résultat le plus souhaitable : la souveraineté et la liberté du Liban’’. Mes 30 années d’expérience dans les activités révolutionnaires m’ont appris que pour atteindre le but, il ne faut pas utiliser n’importe quel moyen. La liberté au Liban ne peut être obtenue en donnant le pouvoir politique au Hezbollah. Afin d’argumenter plus clairement, en particulier pour les plus jeunes, mais peut-être aussi pour les plus âgés qui ont oublié l’histoire, je voudrais revenir à la révolution iranienne de 1979. […] Le Shah était le dictateur de l’Iran et gouvernait avec le soutien des États-Unis. La révolution était dirigée à la fois contre la dictature et l’impérialisme, et au fil du temps, le ton anti-impérialiste s’est renforcé. Les forces de la révolution étaient les jeunes (comme moi, âgé de 15 ans), les pauvres et les intellectuels. La gauche organisait ses propres manifestations, mais pour l’essentiel, nous marchions ‒ comme le souhaite Malm ‒ coude à coude avec le Hezbollah vers l’objectif. Nous voulions ‘‘la souveraineté et la liberté’’ pour l’Iran et étions en faveur de ‘‘la force qui œuvre pour le résultat le plus souhaitable’’. Certains groupes de gauche en Iran ont mis en garde contre une alliance avec le Hezbollah, mais leurs voix n’ont pas été entendues dans la frénésie du soutien soviétique et cubain à Khomeiny et d’une large faction de la gauche iranienne saluant la lutte anti-impérialiste de l’Imam. Ces quelques groupes de gauche ont été qualifiés d’antirévolutionnaires et leurs membres ont été exécutés par milliers. Ils ont affirmé qu’une alliance avec le Hezbollah et un soutien à ce dernier signifiaient que nous faisions le jeu du Hezbollah. Si nous soutenons le Hezbollah, il gagnera le pouvoir politique, puis il nous massacrera tous et imposera une dictature religieuse. Peu de gens ont cru en eux à l’époque, mais c’est exactement ce qui s’est passé. […] Nous, la gauche, en particulier dans les pays du Moyen-Orient où la gauche est morcelée et faible, devons former notre propre front socialiste et consacrer nos ressources à son renforcement. Nous devons dénoncer le Hezbollah et tous les autres groupes rétrogrades, patriarcaux et fondamentalistes. Nous devons former une alternative socialiste pour les millions de personnes au Moyen-Orient qui, en l’absence d’autres alternatives, soutiennent le Hezbollah » [12].
5.
Il ne s’agit pas de dire que Malm partage les idées politiques des islamistes. En réalité, il incarne simplement la résurgence d’un certain type d’« anti-impérialisme » campiste et tronqué, à la fois nationaliste et étatique, entièrement aligné sur « l’idéologie nationaliste arabe » (analysée par Abdallah Laroui), et que la pointe la plus avancée de la critique sociale des années 68 – l’Internationale Situationniste et l’« Outre-gauche » (selon l’expression de Lola Miesseroff[13]) – dénonçait déjà à l’époque. Dans ce cas, l’« anti-impérialisme » consiste à donner la priorité absolue, dans le champ de la « contre-pratique immanente »[14], à la « lutte de libération nationale » dans certaines situations, au détriment de choses comme la « colonisation de la vie quotidienne » par les formes sociales capitalistes de la marchandise, de la valeur, du travail abstrait, de la nation et de l’État, la lutte des classes, la lutte anti-patriarcale ou la lutte révolutionnaire. Pour les Palestiniens, cela signifie que toute libération véritablement émancipatrice, à l’exception de la « libération nationale », doit être mise en attente jusqu’à ce que le peuple, uni autour d’un mouvement armé, ait remporté sa victoire sur Israël. D’ici là, le pouvoir du Hamas à Gaza (imposé à l’issue d’une guerre civile inter-palestinienne contre des forces laïques) ne doit pas être remis en question. Peu importe, pour l’instant, que des femmes de Gaza soient confinées chez elles, que les homosexuels soient exécutés ou que les socialistes et opposants soient torturés par les forces de sécurité du Hamas. Les Gazaouis sont réifiés et subordonnés à un objectif plus large, inscrit dans le plan « anti-impérialiste » et l’idéologie nationaliste arabe d’exclusion, derrière lesquels se rangent Malm et les « antisionistes » pathologiques de gauche : détruire Israël. L’anti-impérialisme tronqué de ce type a tendance à sélectionner quelques conflits armés, qui sont désignés comme les « principales contradictions » de l’ordre mondial dominant. On attend alors de chacun qu’il prenne position en faveur de l’un des belligérants. Quiconque ne chante pas les louanges du Hamas est soupçonné d’être pro-israélien, autrement dit, dans le codage israélophobe de l’« antisionisme », un ennemi de toute l’humanité jusqu’à la fin des temps.
6.
En 2017, dans un article paru dans la revue britannique Salvage qui fit immédiatement polémique au moins dans le monde anglophone, Malm va récidiver cette fois-ci en apportant un soutien explicite aux dirigeants du Hamas et à son aile militaire, les Brigades al-Qassam, ainsi qu’au Djihad islamique et au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP, fondé par George Habache, une sorte d’« image palestinienne d’un Jabotinsky devenu gauchiste » comme l’indiquera Sadik Jalal Al-Azm)[15]. Ce texte est un éloge particulièrement dithyrambique du Hamas – qu’il reconnaît comme la tête du mouvement palestinien ‒ et de ses chefs. Malm déclare pour la première fois : « D’autres que les Arabes devraient éprouver du respect pour un personnage comme Mohammed Deif [qui est] le commandant des Brigades Izz ad-Din al-Qassam... ». Malm y souligne sa position, en se référant à une interview publiée dans le Journal of Palestine Studies, avec Ramadan Shallah, chef du Djihad islamique, autre organisation islamiste décrite comme « la deuxième force armée la plus importante de la résistance ». Malm met fortement l’accent sur l’idée de « résistance » dans son essai, affirmant de manière énigmatique que le muqawame[16] « n’est une source d’inspiration pour combattre d’autres types de catastrophes que parce qu’il est activement choisi ».
Il ne fait aucune distinction entre la violence contre les biens et les attaques contre les civils israéliens, ni entre l’autodéfense palestinienne contre les forces armées israéliennes et le choix délibéré de cibler les citoyens israéliens. Tout est dissous dans le soutien à ces organisations particulières et à leurs méthodes de « résistance » depuis l’échec des accords d’Oslo. Comme y insiste à juste titre Hamza Esmili, le Hamas et par conséquent son propagandiste suédois restent idéologiquement aveugles au fait que « la singularité du peuple juif historiquement persécuté établissant un État refuge après la Shoah le rend particulièrement peu réceptif à la stratégie de l’insécurité [du Hamas] […]. À l’inverse, celle-ci nourrit le sentiment de persécution qu’entretient la société israélienne en dépit de la réalité de sa puissance militaire et de sa domination politique, ce qui en retour y radicalise les affects fascisants » [17] et entretient la poussée constante de la radicalisation du Likoud et de son extrême-droite. Ce que Robert Kurz a théorisé dans Weltordnungskrieg, en miroir de la « barbarisation islamiste », comme relevant de la « barbarisation de la société israélienne », à l’intérieur du processus de crise global du capitalisme[18].
Malm met également en garde tous ceux qui se sentent mal à l’aise face à l’islamisme du Hamas et d’autres groupes. Dans son offre promotionnelle, il va jusqu’à conseiller aux critiques de réfléchir, « entre autres choses, à leur extraordinaire efficacité ‒ en particulier celle du Hamas ‒ dans l’éradication de toutes les tentatives de Daesh de s’implanter à Gaza ». Malm semble donc accepter que le Hamas nie le droit à l’existence d’Israël, tire des roquettes sur des civils israéliens et réprime la population palestinienne sous son autorité, parce qu’il est le rempart contre une organisation terroriste islamiste encore pire. L’éloge de Malm adressé aux dirigeants du Hamas est une gifle pour les habitants de Gaza, hommes et femmes, qui ont le courage de défier le régime du Hamas dans leur lutte pour de meilleures conditions de vie. Malm légitime une force réactionnaire et islamiste qui écrase sans cesse les manifestations sociales à Gaza. C’est une prise de position dans les luttes sociales ‒ favorable à la milice fondamentaliste et antisémite locale.
Dans ce même article, comme ultérieurement dans son livre Pour la Palestine, comme pour la terre, Malm s’appuie tout particulièrement sur son analyse de la politique palestinienne pour donner des « conseils » au mouvement pour le climat. Il affirme que « la relation entre la Palestine et le changement climatique est cependant plus qu’une allégorie ou une analogie. Les combustibles fossiles font partie intégrante de la catastrophe depuis le tout début ». Les parallèles forment la base de sa conclusion : « Le mouvement national palestinien réclame le droit au retour, tel qu’il est inscrit dans la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies […]. Les Palestiniens vivant dans leur propre pays, comme avant 1948 ; la concentration de CO2 est revenue en dessous des niveaux de la fin des années 1980. […] De la rivière à la mer : les émissions de CO2 doivent d’abord être éradiquées, puis devenir négatives. » Malm assimile donc le programme particulier de destruction d’Israël qu’il partage avec l’extrême-droite islamiste palestinienne aux objectifs universels du mouvement climatique international[19]. C’est ce qui ressort clairement de ses demandes concernant le « droit au retour », le rétablissement des frontières d’avant 1948 et l’objectif d’une Palestine « du fleuve à la mer ». C’est cette politique qui, selon Malm, devrait inspirer la stratégie et la tactique du mouvement pour le climat. Son analyse spécifique du changement climatique est erronée en soi. Mais sa politique générale est tout à fait dans l’israélophobie antisémite ambiante. L’obsession idéologique pour ce conflit entre les nationalismes rivaux israélien et palestinien dans l’indifférence générale aux autres désastres du monde, est l’une des « tendances historiques objectives » (Adorno) qui traverse l’idéologie des sujets sous l’emprise de la marchandise. Israël, dont la population représente 0,12 % de la population mondiale, sert aujourd’hui à l’échelle mondiale, de surface de projection pour l’antisémitisme structurel du capitalisme, restructuré et recyclé sous une forme israélophobe démentielle, excitée par la présence de Juifs dans ce conflit. Ce traitement idéologique par l’exclusion et l’élimination n’est pas une exception ; il constitue le cœur même des idéologies de crise contemporaines sous diverses formes. Cependant, sous la forme de l’antisémitisme structurel à visage israélophobe, il constitue, à l’échelle mondiale de la colonisation de la vie quotidienne par les formes catégorielles du capital (marchandise, valeur, argent, travail, etc.), un produit idéologique spécifique et intrinsèque à la crise globale du capitalisme. La disparition envisagée de l’État pour les Juifs, qui représentent une infime partie de la population mondiale, est fantasmée comme une solution expiatoire à tous leurs maux sociaux et, désormais, sous la plume d’Andreas Malm, à tous les maux climatiques et écologiques de la société capitaliste mondiale. Avec Malm, l’éradication d’Israël devient intrinsèquement synonyme de lutte pour le climat et de sauvetage de la biodiversité sur la planète. On ne peut imaginer forme plus post-moderne d’antisémitisme au XXIe siècle que d’adapter l’anticapitalisme fétichisé décrit par Moishe Postone et quantité d’autres auteurs, aux nouvelles conditions de la crise généralisée du système-monde capitaliste. Quiconque défend Malm au sein du mouvement climatique ne peut ignorer cet épouvantable bagage politique.
7.
En 2021, lors d’un panel marxiste traditionnel intitulé « Red May » organisé depuis Seattle, Malm fera une nouvelle sortie en direction des islamistes du Hamas. Le programme comprenait une table ronde qui n’était pas censée porter sur Israël ou la Palestine, mais qui était intitulée : « Covid, climat, urgence chronique : les antinomies de l’État ». Le programme était basé sur l’article « L’état de la pandémie », écrit par le philosophe Alberto Toscano. Son point de départ est le contraste entre deux manières distinctes de comprendre l’État et ses capacités dans notre époque de catastrophes. On peut dire que ces deux conceptions de l’État sont issues de deux traditions marxistes différentes. Elles sont représentées par deux livres publiés en 2020 : d’une part, De Virus Illustribus d’Anselm Jappe et alii (publié en français, en italien et en portugais du Brésil, respectivement chez Crise & Critique, Ombre Corte et Elefante), d’autre part, La chauve-souris et le capital d’Andreas Malm. Les organisateurs avaient donc invité Toscano, Jappe et Malm à une table ronde diffusée sur Youtube. Tout d’abord, Toscano s’exprime pendant 20 minutes sur la théorie de l’État et de la crise. La parole est ensuite donnée à M. Malm, qui explique que dans la situation actuelle, il ne se sent pas capable de parler d’autre chose que de la situation en Palestine, et apostrophe ses interlocuteurs en leur demandant : « Comment exprimer notre admiration aux héros de la résistance à Gaza, dirigés par Mohammed Deif ? [commandant de la milice armée du Hamas] ». Jappe claquera la porte au nez à Malm et à l’animateur complice[20].
Le 7 décembre 2023, invité par un groupuscule étudiant à l’université de Stockholm, Malm devait récidiver dans des propos rapportés par Libération : « Derrière l’opération du 7 octobre se trouvait la résistance palestinienne. [...] Je pense que ce qui s’est passé le 7 octobre, avec l’opération Déluge d’al-Aqsa, était fondamentalement un acte de libération. […] La résistance armée qui se déroule à Gaza est héroïque. Je ne sais pas si vous avez vu ces vidéos avec un triangle rouge viral pointant vers les cibles avant les explosions. Je consomme ces vidéos comme une drogue. Je me les injecte dans les veines. Je les partage avec mes camarades les plus proches »[21]. La boucle de l’antisémitisme post-moderne à coloration israélophobe était désormais complètement scellée.
Clément Homs, 2025
[1] Leila Al-Shami, « L’‘‘anti-impérialisme’’ des imbéciles », 2018, disponible en français sur : < www.gaucheanticapitaliste.org/lanti-imperialisme-des-imbeciles/ >.
[2] Dans le numéro 51/2000 (en ligne).
[3] Andreas Malm, « Antisionism kan leda till antisemitism », dans Arbetaren 22/2002 (en ligne).
[4] Notamment Arbetaren 31/2006 (en ligne)..
[5] Andreas Malm, « Vem ska va¨nsten stödja ? », dans Arbetaren, 4 août 2006.
[6] Andreas Malm, « Vem ska va¨nsten stödja ? », op. cit.
[7] Andreas Malm, « Iran-kartan vilseleder vänstern », dans Arbetaren, 1er septembre 2006.
[8] Notamment Andreas Malm, Arbetaren 31/2006, op. cit. (en ligne).
[9] Andreas Malm, « Vem ska va¨nsten stödja ? », op. cit.
[10] Pour une critique de l’œuvre de Talal Asad et de ses adeptes (en France, Mohammed Amer Meziane et consorts), voir par exemple l’article critique de l’anthropologue Mehdi Ayachi, « L’islam comme tradition ? Thinking about Talal Asad », L’Homme, 250 | 2024, 5-24 : < https://journals.openedition.org/lhomme/48964 >.
[11] Voir Ilan Moss, « Anti-Semitic Incidents and Discourse in Europe During the Israël-Hezbollah War », Paris, European Jewish Congress, 2006, p. 44. .
[12] Azadeh Shokohi, « Stöd inte Hizbollah ! », dans Arbetaren, 25 août 2006, disponible en ligne : < https://www.arbetaren.se/2006/08/25/stod-inte-hizbollah/ >.
[13] Lola Miesseroff, Voyage en Outre-Gauche. Paroles de francs-tireurs des années 68, Paris, Libertalia, 2018.
[14] Robert Kurz, Gris est l’arbre de la vie, verte est la théorie, Albi, Crise & Critique, 2022.
[15] Andreas Malm, « The Walls of the Tank: On Palestinian Resistance », Salvage, 2017 (en ligne) ; Al-Azm, Sadik J., « Palestinian Zionism », in Die Welt Des Islams, vol. 28, no. 1/4, 1988, pp. 90–98. JSTOR, < https://doi.org/10.2307/1571166 >.
[16] Le nom complet du Hamas en arabe est Harakat al-Muqawame al-Islameyyeh (Mouvement de résistance islamique)
[17] Hamza Esmili, « Après la défaite. La nouvelle idéologie arabe », Les Temps qui restent, Numéro 3, Automne 2024 (disponible en ligne).
[18] Robert Kurz, chapitre 4, de Weltordnungskrieg, Berlin, Tiamat, 2003, voir notamment la section « Du sionisme au règne des ultras : la crise interne de la société israélienne ».
[19] Sur ce sujet voir également l’article de Sylvaine Bulle, « Andreas Malm et l’antisémitisme vert », disponible sur : < Andreas Malm et l’antisémitisme vert - K. Les Juifs, l’Europe, le XXIe siècle >.
[20] Chercheur dans le champ des antisemitism studies, Matthew Bolton a étudié récemment dans les détails cette altercation symptomatique, voir Matthew Bolton, dans le recueil à paraître, Idéologies assassines. Antisionisme et radicalisme israélien dans le chaos de la crise globale du capital, Albi, Crise & Critique, 2025.
[21] Intervention d’Andreas Malm le 7 décembre 2023, à l’université de Stockholm, dans le cadre d’une invitation par Teach Ins for Palestine et Stockholm Academics for Palestine (on retrouve facilement l’enregistrement vidéo sur internet).