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Préface d'Anselm Jappe et Johannes Vogele
pour L'Effondrement de la modernisation. De l'écroulement du socialisme de caserne à la crise du marché mondial
de Robert Kurz
Paru en librairie aux Editions Crise & Critique ce mois d'avril 2021
Ce livre a été publié en septembre 1991 en Allemagne. Il eut immédiatement un grand écho. Le mur de Berlin était tombé depuis presque deux ans, l’Allemagne était « réunifiée » depuis près d’un an, mais l’Union soviétique, toujours en proie à des convulsions, n’était pas formellement dissoute. La rédaction du Kollaps coïncide avec ces temps si riches en changements. Hans Magnus Enzensberger, important intellectuel allemand doué d’une grande intuition, le publia dans sa prestigieuse collection « Die andere Bibliothek » chez l’éditeur Eichborn. Le désenchantement rapide en Allemagne quant aux espérances de nouveaux miracles économiques fut probablement la cause du fait que la diffusion de ce livre atteignit rapidement les vingt mille exemplaires, et qu’il fut qualifié par l’influent journal Frankfurter Rundschau de « plus discutée des publications récentes ». On le traduisit rapidement au Brésil où il déclencha une passion pour la critique de la valeur.
Trente ans après sa parution, on peut le lire de plusieurs points de vue. On y trouve l’analyse de l’état du monde dans un moment charnière, une analyse qui étonne encore par sa perspicacité et son audace. Son sujet principal est l’écroulement du « socialisme réel » dans les pays de l’Est – un événement qui, pour une large part des lecteurs d’aujourd’hui, se situe avant leur naissance ou dans leur petite enfance : une histoire lointaine. L’effondrement du bloc soviétique fut partout perçu – à droite, à gauche, et même chez beaucoup de ses anciens adversaires d’extrême gauche – comme la preuve de la victoire finale du modèle occidental, et donc de la démocratie et de l’économie de marché, ordinairement pour s’en réjouir, parfois pour s’en désoler. Robert Kurz, au contraire, ne livrait pas seulement une explication marxiste de la faillite inévitable du « socialisme réel » bien différente des analyses courantes proposées à gauche, mais affirmait aussi crânement que la fin de l’URSS n’était qu’une étape de l’écroulement mondial de la société marchande, dont les pays « socialistes » ne constituaient qu’une branche mineure. On note aujourd’hui la justesse des vues de Kurz quand il annonçait que la fin de l’URSS n’ouvrirait pas une période de prospérité globale et de paix universelle, voire de « fin de l’histoire » heureuse, mais allait plutôt signifier l’entrée dans une époque plus troublée qu’auparavant : l’effondrement global du système capitaliste. Bien sûr, toutes les prévisions de Kurz ne se sont pas avérées exactes, et l’effondrement n’a pas avancé aussi vite qu’il le prévoyait. Cependant, ces erreurs d’appréciation devraient rétrospectivement peser peu, au regard de la justesse de sa thèse essentielle. Le capitalisme, qu’il soit étatique ou fondé sur le marché, s’empêtre partout dans une crise irréversible qui est la conséquence de l’épuisement structurel de son mécanisme de base : la transformation du travail en valeur pour accumuler du capital dans un procès tautologique sans fin.
Ce livre constitue également un document important sur l’histoire de la critique de la valeur – il est à la fois son acte de naissance et un bon résumé de certaines de ses thèses centrales. La revue Marxistische Kritik fut fondée en 1987 à Nuremberg en Allemagne par un petit cercle de personnes sans attaches universitaires ou institutionnelles, qui venaient de différentes sensibilités de la gauche radicale marxiste. Elle gardait d’abord un caractère plutôt confidentiel, même après avoir changé son nom en Krisis – ce qui n’empêchait pas qu’un travail théorique fondamental s’y accomplissait, qui comportait notamment la rupture avec la doxa marxiste à propos du travail et de la lutte de classes, toujours au nom d’un retour à l’œuvre de Marx même. Une reformulation de la critique marxienne de l’économie s’y faisait jour, dans le sens d’une critique catégorielle, une critique des catégories de base, négatives et destructrices, des sociétés capitalistes – travail, valeur, argent, marchandise ‒ et une nouvelle critique du fétichisme. C’est dans ce contexte que Robert Kurz, l’auteur le plus prolifique du groupe, se mit à rédiger un livre entier sur le changement d’époque, dans un style plus accessible que les articles qu’il publiait dans Krisis. Ce livre, c’était Der Kollaps der Modernisierung.
Sur ces fondements d’une reformulation de la critique marxienne de l’économie politique, l’ouvrage offre une contre-histoire de l’instauration du capitalisme dans les périphéries, notamment au XXe siècle. L’analyse en particulier de la révolution d’Octobre 1917 et du bloc soviétique donnée par Kurz était bien différente de toutes celles produites par la gauche radicale tout au long de son existence. Comme le dit Kurz en 2006 dans un entretien intitulé « Le Kollaps 15 ans plus tard »[1], celles-ci n’avaient presque jamais mis en discussion le caractère prétendument socialiste et post-capitaliste de l’Union soviétique. Les rares théoriciens qui parlaient de « capitalisme d’État » ne dépassaient pas le concept sociologiste et réducteur de « bureaucratisation ». En identifiant de manière superficielle le capitalisme avec les seules classes dominantes, ils ne thématisaient que la critique de la « survaleur » dans un sens superficiel et sociologique, au sens de son « appropriation » par la « classe capitaliste », et en URSS, par l’« État-parti ». Ce n’était jamais, plus fondamentalement, la forme-valeur fonctionnant en boucle et de façon fétichiste en s’enroulant autour de cette substance du capital qu’est l’abstraction-travail, ni l’instauration de son monde dans les sociétés du bloc soviétique sous la forme d’une « accumulation primitive », qui étaient dénoncées, mais uniquement sa « distribution inégale » au profit désormais non plus de la classe bourgeoise mais de la nouvelle classe bureaucratique. À la différence d’un Trotsky qui n’avait pas de concept véritable de capitalisme, la bureaucratie constituait, aux yeux de Kurz, une conséquence, et non la cause, de la répression étatique vouée à généraliser le travail abstrait dans des sociétés réfractaires.
Plus fondamentalement encore, selon Kurz, la différence entre l’économie planifiée et l’économie de marché n’était que relative, alors que leur base commune, à savoir le « travail abstrait », pesait bien davantage. Un travail abstrait qui ne vise pas à produire des valeurs d’usage mais uniquement de la survaleur et l’accroissement de l’argent comme « fin tautologique », par-delà de tous les besoins réels. Le capitalisme s’est formé à partir du XVIe siècle (période d’« accumulation primitive ») en traversant les phases alternées d’un interventionnisme d’État souvent brutal et d’une autorégulation du marché. Une fois établis les premiers capitalismes nationaux, il est devenu toujours plus difficile pour de nouveaux arrivants de s’insérer dans le marché mondial. La révolution russe de 1917, indépendamment de la volonté de ses chefs, n’avait pas – et ne pouvait pas avoir, selon Kurz – comme horizon le « communisme », mais une « modernisation de rattrapage », c’est-à-dire une version accélérée de l’installation des formes sociales de bases du capitalisme, notamment en réagençant les vieilles structures sociales prémodernes pour y imposer la socialisation des individus par le travail ; ce n’est pas un hasard si Lénine voyait dans l’économie allemande de la Première Guerre mondiale, et plus spécifiquement dans le service postal allemand, un modèle à suivre. Les catégories de base de la production capitaliste telles que la valeur, l’argent, les salaires, les prix, n’ont jamais été abolies en URSS ; on a plutôt assisté à une répétition accélérée, et pour cette raison d’autant plus brutale, de l’« accumulation primitive » et des révolutions bourgeoises occidentales. Quand, à partir des années 1960 et 1970, la conscience occidentale s’est mise à être saisie d’horreur face au « totalitarisme », elle ne découvrait en réalité qu’une image concentrée de son propre passé. Il ne s’agissait pas de faire une révolution pour dépasser le capitalisme, comme le proclamait l’idéologie, mais, tout au contraire, de transformer une société paysanne pré-moderne en une société capitaliste. Des millions de personnes furent intégrées de façon répressive dans le système du travail abstrait. Après la Russie et ses satellites européens, de nombreux pays du Sud et de l’Est du monde qui étaient restés en arrière dans l’ascension globale du capitalisme ont tenté de la même manière de réaliser leur « modernisation de rattrapage » pendant la période des indépendances.
Mais tandis que l’URSS réussissait dans la période stalinienne à répéter l’accumulation extensive de la période initiale du capitalisme, elle se révéla incapable de passer aux stades ultérieurs, où l’accumulation se devait d’être intensive ‒ et le problème se répéta avec les nouveaux pays indépendants des années 1950 et 1960. La suspension de la dynamique interne de la valeur en a exaspéré jusqu’à l’absurde les côtés négatifs, comme le décrochement total de la création de valeur par rapport aux besoins. C’est ainsi que l’URSS au bout de quelques années a de nouveaux pris du retard, et c’est seulement grâce à une autarcie contrainte qu’elle put résister encore quelques décennies à la compétition internationale.
À l’encontre de la conviction alors très répandue selon laquelle il était suffisant de remplacer un modèle économique « erroné » ‒ le socialisme ‒ par un modèle « juste » ‒ l’économie de marché ‒ pour arriver partout à la même prospérité qu’en Occident, Kurz affirma encore que l’économie de marché n’est pas extensible à volonté : elle est au contraire une bête condamnée à se dévorer elle-même. Toute augmentation de productivité dans les centres les plus avancés invalide la production de valeur dans les pays qui ne peuvent tenir le rythme ; dans le même temps, aucune autarcie n’est plus possible. Dans cette course se sont d’abord effondrées les économies du tiers-monde, puis celles de l’Est, alors que se met en place une lutte finale entre les pays occidentaux eux-mêmes.
À la charnière de ces époques, Kurz réaffirme avec force la théorie marxienne de la crise. C’est parce qu’il y voit l’outil le plus adéquat pour comprendre le réel qu’il la reformule. Il va ainsi remettre en avant le Marx oublié de la crise fondamentale, qui depuis la théorie tronquée de l’effondrement d’Henryk Grossmann ou celle de Rosa Luxemburg avait été refoulé et même diabolisé[2]. Kurz décrit ainsi dans le détail les apories qui minent la base même des deux nouvelles « locomotives » de l’économie mondiale durant les années 1980 et 1990, l’Allemagne et le Japon, qui constituaient avec le reste de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du nord la « Triade » capitaliste. Il ne s’agit pas d’une crise conjoncturelle, mais du dernier sursaut d’un modèle de production fondé sur le travail abstrait dans lequel le très haut niveau de productivité se trouve dans une opposition toujours plus criante avec sa subordination à l’automouvement de l’argent. Le scénario par lequel Kurz conclut est apocalyptique : une partie toujours plus importante de l’humanité, tout particulièrement dans les périphéries effondrées en Amérique du Sud, en Afrique ou au Moyen-Orient, n’est même plus exploitée, mais se voit coupée de tout lien avec l’économie et la civilisation. De ses réactions désespérées naissent des guerres civiles, un néo-nationalisme ethnique, un fondamentalisme religieux (pas seulement islamique) et d’effrayants potentiels de retour à la barbarie. Le livre de Kurz dépasse alors largement le cadre de la seule compréhension du passé et peut nous aider à mieux comprendre le présent : la crise globale de la société marchande a confirmé pour l’essentiel pendant les dernières décennies les prévisions de Kurz – seulement avec beaucoup plus de « moments retardateurs » et de pauses. Le plus important de ces « moments retardateurs » qui expliquent pourquoi l’effondrement n’a pas continué au rythme prévu par Kurz, est l’expansion de la sphère financière au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer. La croissance colossale des dettes, autant publiques que privées, n’a nullement résolu les problèmes du capitalisme ; elle n’a fait que reporter l’éclatement des bulles spéculatives, qui donnera lieu à l’écroulement de l’économie dite « réelle ». Kurz ne s’est jamais lassé de le souligner. Il faut cependant admettre que la capacité de la société marchande à prolonger sa vie sous perfusion est étonnante.
Si ce livre contient les grands traits de la critique de la valeur, il marque également une étape intermédiaire. Les premiers fondateurs de la « critique de la valeur », dont Robert Kurz, décrivent volontiers leur propre évolution théorique comme un abandon graduel, parfois difficile, des dogmes du marxisme traditionnel. Un processus qui évoque une dialectique entre continuité et rupture. La critique de la valeur sera ainsi marquée par des avancées continuelles dans l’élaboration, le développement et la spécification de son approche théorique – Kurz évoquant encore en 2012 dans son dernier ouvrage, Argent sans valeur, « une révolution théorique inachevée ». L’Effondrement de la modernisation comprend ainsi diverses limites qui seront par la suite dépassées dans les écrits ultérieurs de Kurz. Ainsi, la critique du travail en tant que fondement de la société de la valeur, travail qui doit être aboli, et non valorisé, n’est pas encore achevée. À plusieurs reprises, Kurz suit encore le Marx exotérique dans sa double conception aporétique du travail[3] : d’abord celle, transhistorique, en tant qu’effort, « métabolisme avec la nature » ou nécessité naturelle, et ensuite, en tant que « travail moderne » créateur de (sur)valeur dans une perspective beaucoup plus restrictive, cantonnée au capitalisme. Cela le conduit parfois à des rétroprojections de concepts de la critique de l’économie politique sur des sociétés pré-capitalistes. Que ce soit la marchandise qui y aurait existé sous « forme de niche », ou la « valeur d’usage » qui y aurait encore constitué l’horizon du « travail »[4].
Kurz va même jusqu’à affirmer dès le premier chapitre que « parler de société de travail comme d’un concept ontologique serait une tautologie, parce que dans toute l’histoire jusqu’à nos jours, la socialité dans toutes ses formes dérivées n’a pu être qu’une telle société de travail. » Dans cette conception, le travail en tant qu’activité productive faisant face à la nécessité n’aurait, dans la modernité capitaliste, que changé de forme. Cela amène Kurz à employer sans état d’âme la fameuse idée d’une « mission civilisatrice » (Marx) du capital par le développement des forces productives qui, par leur enchevêtrement de plus en plus inextricable au niveau mondial, entreraient finalement en contradiction avec le principe de concurrence qui constitue le moteur de leur déchaînement. En fin d’ouvrage, il en vient même à parler d’un « communisme des choses » établi dans le dos des acteurs de la société capitaliste et qu’il s’agirait de libérer, de façon consciente, des contraintes destructives et obsolètes de la valorisation.
Les années qui suivirent la publication de L’Effondrement de la modernisation connurent des étapes consécutives de déblaiement de ce genre de débris hérités du marxisme traditionnel. Dans un souci d’approfondissement de la critique et de ses concepts, Kurz et le courant de la critique de valeur abattirent progressivement toutes les vaches sacrées du marxisme et des autres courants progressistes ou révolutionnaires. Dans l’entretien cité plus haut, Robert Kurz précise :
« La nouvelle théorie s’est d’abord concentrée sur un développement plus poussé de la critique de l’économie politique. La théorie de la crise et la critique du système de production des marchandises, y compris les formes de politique et de nation, étaient des contenus nouveaux, mais la réflexion sur ces contenus restait dans le cadre d’une conception traditionnelle de la théorie. Le caractère abstrait-universaliste de toute formation théorique dans le monde moderne, en tant que moment de son ontologie, n’a pas été considéré, tout comme le concept du sujet et le rapport moderne de genre qui lui est lié. Suivant le modèle de la philosophie hégélienne, la nouvelle approche a suivi une procédure de ‘‘dérivation logique’’, dans laquelle le rapport entre l’essence et l’apparence devait se résoudre comme une équation mathématique. Cette pensée abstraite et universaliste de toute théorie moderne enracinée dans la philosophie des Lumières s’est combinée à un attachement obstiné tout aussi irréfléchi à la métaphysique de l’histoire des Lumières : le système moderne de production de marchandises a été remis en question pour l’avenir sur la base de la théorie de la crise, mais pour le passé, il a continué à être compris comme un prétendu ‘‘progrès’’ au-delà de l’obscurité, de la naturalité et de l’animalité présumées du monde agraire pré-moderne. Dans le sillage de Marx, la théorie de la critique de la valeur a abordé le fétichisme de l’ère moderne supposée rationnelle d’une manière nouvelle ; cependant, comme Marx lui-même, elle a inscrit justement cette nouvelle découverte dans la philosophie idéologique de l’histoire de cette ‘‘fausse rationalité’’».
L’idée d’une dialectique du progrès fut donc abandonnée et remplacée par l’exigence d’une radicale tabula rasa qui seule serait à même d’émanciper l’humanité de la domination capitaliste. Par paliers successifs, on va se défaire d’une compréhension transhistorique du travail[5], d’une vision même dialectique ou négative du progrès et des Lumières[6] et, partant, d’une pratique théorique androcentrique de la dérivation et de l’identité. Pourtant, ce parcours de délestage devait en même temps se méfier des sirènes du postmodernisme qui prenait son essor à la même période. Au contraire, il était urgent de critiquer simultanément le vieux concept totalisant hégélien et la nouvelle « différance » derridienne, le culte du progrès et celui d’une nostalgie malavisée et aux relents réactionnaires, le déterminisme historique et la fausse immédiateté (Adorno) anhistorique, le concept de totalité identique à elle-même et les identités fragmentées et flexibilisées, qui, finalement, ne peuvent à leur tour être ramenées à rien d’autre qu’elles-mêmes.
Et surtout, manquait encore la critique de la dimension patriarcale de la société marchande, qui quelques années plus tard devait devenir si importante et assumer enfin le nom de « critique de la valeur-dissociation » (Wert-Abspaltungskritik). En effet, la vieille critique de la valeur n’avait jusque-là pas quitté le terrain de la critique androcentrique, « oubliant » et obscurcissant l’autre côté de la reproduction de la société productrice de marchandises, nécessaire et infériorisé en même temps. Il fallait enfin se décider à voir en le capitalisme un patriarcat producteur de marchandises, et ne plus simplement envisager la domination patriarcale comme dérivée de l’auto-mouvement de la valeur. Considérer comme co-essentielle la partie dissociée et féminisée de la reproduction globale capitaliste ne pouvait pas s’envisager comme une politesse un peu paternaliste de la part de la « grande théorie » mais devait s’arracher par le conflit et la polémique, accompagnés de leur lot de fâcheries et de ruptures. C’est à partir de l’article « La valeur, c’est le mâle » de Roswitha Scholz en 1992 que cette brèche fut ouverte[7].
En revanche, dans cet ouvrage, la théorie de la crise a déjà trouvé sa forme presque complète : c’est la substitution croissante du travail vivant, seule source de la valeur et de la survaleur, par les technologies, qui fait « fondre » la substance de la valeur, y compris en Occident. Comme le remarque Kurz rétrospectivement, ce fut seulement avec L’Effondrement de la modernisation que les deux avancées principales de la critique de la valeur déjà élaborées purent être réunies systématiquement : la critique d’un « socialisme » fondé sur le travail abstrait et la production de marchandises, et la nouvelle théorie de la crise.
Du fait de l’ancienneté de ce texte, le lecteur se trouvera face à une double exigence : d’un côté il sera confronté à des faits vieux de trente ans, situés, comme nous l’avons mentionné plus haut, entre la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS. Il remarquera que l’on y parle de la première au passé et du second au futur. Il devra donc lire ce texte comme un document historique témoignant d’une étape sur le chemin d’une critique sociale qui n’eut jamais d’autre intention que de nuire à la société marchande.
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- Robert Kurz, « Der ʽʽKollaps der Modernisierungʼʼ‒ 15 Jahre später. Interview für die Zeitschrift ʽʽReportagemʼʼ, São Paulo (octobre 2004), disponible sur : < https://www.exit-online.org/link.php?tabelle=autoren&posnr=168 >.
[2]Voir Robert Kurz, La Substance du capital, Paris, L’Échappée, 2019.
[3] Voir Nuno Machado, « L’aporie du concept de travail chez Marx : une analyse chronologique », dans Jaggernaut, n°3, « Abolissons le travail ! », Albi, Crise & Critique, 2020 et Robert Kurz, La Substance du capital, op. cit.
[4] Sur les développements ultérieurs de Robert Kurz, on peut renvoyer à la recension d’Anselm Jappe du livre Geld ohne Wert, « Robert Kurz, voyage au cœur des ténèbres du capitalisme », paru dans La Revue des Livres (n°9, janvier 2013), également disponible sur : < www.palim-psao.fr >, et plus fondamentalement à La Substance du capital, op. cit.
[5]Robert Kurz, La Substance du capital, op. cit.
[6]Voir Robert Kurz, Raison sanglante. Essais pour une critique émancipatrice de la modernité capitaliste et des Lumières bourgeoises, Albi, Crise & Critique, 2021.
[7]Roswitha Scholz, « La valeur, c’est le mâle. Thèses sur la socialisation par la valeur et le rapport de genre », dans R. Scholz, Le Sexe du capitalisme. « Masculinité » et « féminité » comme piliers du patriarcat producteur de marchandises, Albi, Crise & Critique, 2019.