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Contre la bêtise savante de Temps critiques

(A propos des frères Jacques, etc.)

*

Benoit Bohy-Bunel

 

   La critique de la valeur s'affirme, également, contre tout théoricien pseudo-critique qui oppose aujourd'hui, de façon binaire et simpliste, la critique des catégories logiques (valeur, travail abstrait, argent, marchandise) et la critique des formes empiriques que prennent ces catégories (salaires, exploitation, prix, inégalités), en supposant que la thématisation des premières empêche de penser les secondes, et en supposant donc qu'un point de vue mutilé et confus, bêtement descriptif, ou « pragmatique » de façon hébétée, serait le seul point de vue adapté (on songera à l'article indigent, dont les auteurs exhibent impudiquement leur propre étroitesse d'esprit : « Les impasses de La Grande dévalorisation », novembre 2016, par Jacques Guigou et Jacques Wajnsztejn). Pourtant, critique empirique et critique logique ne s'opposent pas, mais se complètent ; la formule A-M-A' indique très bien, synthétiquement, qu'on ne peut isoler l'un des deux aspects. En revanche, ceux qui (tels Guigou et Wajnsztejn) voudraient accorder un primat à l'empirique contingent se privent d'une critique unifiante et totalisante, et sont épistémologiquement ineptes (pour reprendre une idée hégélienne, ils proposent un ensemble d'idées éparpillées, une pure extension, privée de la force pour les rassembler). Leur façon de « donner des leçons » fait penser à la sottise du sot qui reproche à son interlocuteur d'être lui-même stupide, sous prétexte qu'il ne partagerait pas ses vues limitées et partielles.


   Difficile de communiquer avec une telle bêtise « savante » (d'autant plus bête qu'elle se dit savante, d'ailleurs). On notera au passage que ces théoriciens de « Temps critiques » semblent presque « valider » (s’ils parvenaient à être clairs) l'idéologie confusionniste d'un capitalisme devenu « cognitif », insistant donc davantage sur la composition « technique » du capital, et non plus sur sa composition organique. Ils se rapprochent ainsi davantage d'un Rifkin que d'un anticapitalisme strict. Ils peuvent nier l'existence d'une dévalorisation asymptotique de la valeur « réelle », et tenter d'imaginer les moyens de sauver le « soldat économie ». La critique de la valeur inscrit le capitalisme cognitif dans la dynamique négative qui lui correspond ; loin de nier son existence, elle le ramène au contraire à une compréhension plus profonde des crises systémiques du capitalisme, système qu'il ne s'agit donc plus de « sauver » ou de « réguler » superficiellement, mais qu'il s'agit bien d'abolir.


   L'économicisme « cognitiviste » et l'économicisme marxiste « orthodoxe », peuvent finalement cohabiter provisoirement, sans trop de difficulté, comme le montre le geste confus et bariolé de Guigou-Wajnsztejn. Dans un cas comme dans un autre, le capitalisme n'est pas vraiment mis en cause en tant que tel. L’erreur fondamentale de ces deux « théoriciens » est d’ordre épistémologique : ils reprochent à Trenkle et Lohoff de mobiliser les notions de « plus-value » et de « capital variable », sous prétexte que ces notions appartiendraient au Marx « exotérique » que Trenkle et Lohoff auraient « congédié ». Mais ici ils ne savent tout simplement pas lire : le Marx « exotérique » ne concerne pas l’empiricité « en général », mais bien les déterminations empiriques contingentes et dépassées, descriptives, que Marx a saisies en son temps. En revanche, l’empiricité transcendantale de la plus-value, c’est-à-dire telle qu’elle est rattachée à sa base catégorielle (travail abstrait, marchandise, valeur, argent), appartient bien au Marx « ésotérique », si bien que Trenkle et Lohoff ont absolument raison, et ne subvertissent pas leur cadre épistémologique, lorsqu’ils évoquent survaleur et composition organique du capital. Au contraire, ces derniers comprennent beaucoup mieux que les frères Jacques le fait de l’exploitation, puisqu’ils le rattachent à sa condition transcendantale de possibilité, à sa détermination structurelle, par laquelle il évolue d’une certaine manière irréversible au sein de la modernité capitaliste, et par laquelle cette modernité trouve son unité. Les théoriciens de Temps critiques confondent tout et seraient prêt à dire qu’il y a « plusieurs capitalismes » segmentés, et ne saisissent plus l’unité catégorielle du phénomène moderne… C’est que la question de l’empiricité transcendantale du Marx « ésotérique » leur échappe complètement, et qu’ils prétendent régler avec suffisance des problèmes trop compliqués pour eux.

 

Illustration ; Michel Politzer, La parabole des aveugles

 

Voir aussi : 

- Le double Marx (Robert Kurz)

- Les vases vides font toujours beaucoup de bruit. A propos de certaines incompréhensions au sujet du Marx exotérique et du Marx ésotérique (Clément Homs)

 

Tag(s) : #Critiques-répliques (auteurs - livres - films)
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