(Hans Baluschek, Arbeitstadt, 1920)
La critique radicale du travail,
et son incompatibilité structurelle avec le principe spectaculaire
*
Benoit Bohy-Bunel
I. La légitimité théorique et pratique de la critique radicale du travail
Dans la philosophie de Hegel (dialectique du maître et du serviteur), dans la philosophie kantienne (Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique), et plus tard dans la philosophie arendtienne (La crise de la culture, Condition de l'homme moderne), pour ne citer que les trois apports les plus importants dans la philosophie moderne du travail, le concept de « travail » est confondu avec une pure et simple « métabolisation avec la nature », c'est-à-dire : avec l'acte de transformer les matériaux bruts présents dans la nature en vue de la survie.
Or, cette essentialisation de la catégorie du travail, définie dès lors comme catégorie « transhistorique », on la retrouve d’abord dans les discours idéologiques des économistes « bourgeois », qui auront tout à intérêt à naturaliser les formes structurantes du système capitaliste, pour entretenir le préjugé selon lequel il serait indépassable. En effet, dans leur contexte « théorique », présenter le travail comme une dimension « archaïque » ou « originelle » de la vie humaine « en général », comme une « activité » propre à l'être humain « en général », comme une composante originelle de toute survie humaine « en général », est une façon insidieuse de présenter la société marchande moderne, qui aura fait de ce « travail » son principe de synthèse totalisant, comme l'accomplissement logique du « destin » de l'homme.
Certes, leur illusion n'est pas sans antécédents : outre les philosophies kantiennes et hégéliennes, ils ont pour eux, en arrière-fond, l'éthique protestante du travail, grande entreprise théologico-politique d'ontologisation du travail, mais aussi et surtout, plus en amont, le mythe biblique du péché originel condamnant l'homme à « travailler » ; on parlera aussi du « travail » de l'enfantement, du point de vue d'Eve.
Cela étant, cette tradition « éminente » ne devrait pas nous effrayer : de fait, le travail, ou plutôt, l'idée abstraite de « travail en général », conditionnant des effets concrets dans la réalité de la production capitaliste, est historiquement déterminée, et ne saurait prétendre au statut de structure universelle et anhistorique. La catégorie du travail « tout court », du travail « sans phrase », est : contingente, relative, propre à une modernité marchande, et elle doit être dépassée, et abolie, du moins dans la mesure où elle induit systématiquement une aliénation réifiant et mutilant les vies et consciences humaines qualitatives.
Montrons brièvement ce fait.
A travers la critique marxienne de la valeur (Ière section du Capital, Livre 1), il apparaît que la marchandise, le bien ou le service marchand, se dédouble en deux dimensions, dimensions qui s’associent à une même réalité (l’accumulation capitaliste), mais qu'il est possible de séparer par abstraction : la marchandise est, d'une part, valeur d'usage, concrète, elle possède, comme chose matérielle, une utilité concrète dans la vie de tous les jours, et elle est, d'autre part, valeur, abstraite, elle contient, de façon idéale, non matérielle, la substance commune des marchandises qui les rend commensurables, et, de là, échangeables entre elles. Une telle dualité dans la façon d'envisager les produits du travail implique une autre dualité, concernant le travail lui-même : la marchandise comme valeur d'usage est produite par du travail concret, par du travail particulier et individuel, renvoyant à une activité qualitative déterminée, avec ses gestes et ses tâches spécifiques, et le fait que la marchandise possède une « valeur », au sens économique, dépend de la faculté du travail à être rendu abstrait, à devenir une pure durée quantitativement déterminée, dépourvue de toute qualité et de toute spécificité ; on parlera de « temps de travail socialement nécessaire », ou de standard de productivité moyen, qui sera donc, comme norme idéale, à la source de la « valeur » des biens et services marchands. Il y a donc une opposition interne au travail producteur de marchandises lui-même, puisqu’il se dédouble en travail concret et en travail abstrait, opposition qui dérive de cette autre opposition primordiale : opposition entre valeur d'usage et « valeur » (économique) des marchandises.
Dans la société marchande, la finalité de la dite « production », sera imposée par les capitalistes, visant d’abord des « profits », visant d’abord la conservation de la « valeur » dans la circulation, par son augmentation (A-M-A’) : le salarié ne sera donc pas le déterminant des finalités productives, en ce qu'il ne sera qu'un « mal nécessaire », un « pur moyen », au sein de ce procès de valorisation, et le consommateur ne sera que le dernier chaînon de ce procès, totalement passif, se contentant de ce qui lui est « rendu disponible ». Cette finalité abstraite et fétichisée, dès lors, ce spectacle de la valeur, « qui ne se couche jamais, sur l’empire de la passivité moderne », n'est pas la création consciente et contrôlée de biens d'usage possédant une qualité ou une « vertu » sociale réelle, mais plutôt, l'accumulation d’un temps de travail quantitativement déterminé, d’un « travail abstrait », dont la manifestation matérielle, tangible et mondaine, est : l'argent.
Une telle accumulation est rendue possible par le fait qu'il existe un « facteur de production », une « marchandise », « éminente », rendant possible l’augmentation de la « valeur » économique dans le procès même de la circulation : précisément, la force de travail. En effet, la plus-value, ou survaleur, n’existe que dans la mesure où le travail vivant, actualisant cette force de travail, est exploité : l’individu travaillant reçoit une quantité de valeurs (un salaire) qui lui permettra de « reproduire » sa force de travail, de survivre pour travailler, mais il produira lui-même, pour le capitaliste, plus de « valeur » que celle qu’il reçoit.
Le profit signifie donc bien le vol, au sens strict, ou la gratuité imposée, d’une portion déterminée du temps de travail salarié.
Pour résumer, le système capitaliste invente, construit, en s’appuyant sur une anthropologie théologico-politique moderne (protestantisme), la catégorie de travail « en général », de travail tout court, dans la mesure où il a besoin d'une détermination abstraite du travail, non seulement pour rendre échangeables entre elles les marchandises produites (moyen de la valorisation), mais aussi et surtout parce que cela même qu'il accumule, qu'il vise dans son augmentation constante, qui donne aussi un sens à l’exploitation en tant que telle, c'est le travail abstrait (finalité dernière de la production).
De fait, sans travail « en général », sans travail « tout court », point de « valeur » économique, on le comprendra maintenant aisément : car c'est lui qui, comme norme idéale se matérialisant, rend pensable et possible l'accumulation de la valeur, du capital, et la détermination du « profit ».
Examinons brièvement les systèmes précapitalistes, esclavagistes ou féodaux, pour montrer, de façon plus précise encore, en quoi le travail « tout court » est bien une catégorie capitaliste, historiquement déterminée, qui n’existe pas en tant que telle dans d’autres types de sociétés. Dans les sociétés précapitalistes, comme le montre Marx dans le chapitre 1 du Capital, l'activité productive et reproductive est sociale, elle matérialise des objets qui s'échangent, qui possèdent une utilité sociale, mais dans la mesure où elle est concrète et déterminée, et dans la mesure où il existe des rapports personnalisés, concrets, entre les agents qui dirigent la production et ceux qui la réalisent, rapports qui ne gomment donc pas la spécificité et la qualité particulière de la tâche effectuée. Certes, l'échange n'est pas égalitaire : on dira, bien évidemment, que le seigneur domine et soumet, voire « exploite », le serf, ou que le maître soumet l’esclave, ce qui fait que, structurellement, de tels systèmes n’ont rien de « positif » qu’il s’agirait de « réhabiliter » aujourd’hui. Mais la finalité des activités productives, néanmoins, dans ces contextes, n’exclut pas les qualités et le caractère déterminé, concret, de ce qui est produit. La médiation monétaire, encore marginale, non structurelle, fonctionne alors comme un pur moyen, moyen pour échanger les marchandises et fixer leur prix (M-A-M), mais jamais comme une fin en soi, l'argent comme fin en soi étant le propre du capitalisme (A-M-A’), argent téléologique par lequel précisément, le capitalisme déploie, selon une spécificité impersonnelle qui lui appartient fondamentalement, ses catégories abstraites totalisantes et totalitaires (marchandise, valeur, travail abstrait).
Dans les sociétés précapitalistes, jamais l'idée de penser socialement la « synthèse » de deux activités aussi différentes, par exemple, que le fait de fabriquer du pain d'un côté, et le fait de composer un morceau de musique de l'autre, pour les subsumer finalement sous un seul et même concept, le travail « en général », jamais cette idée n'aurait pu germer dans les esprits, ni même donc, produire des effets réels dans la production et dans la circulation des biens. Il n'y a, pour ces sociétés, que des activités spécifiques, concrètes, utiles, a priori incommensurable entre elles.
Ces sociétés précapitalistes seront essentiellement synthétisées, non pas par « l’économie », le « secteur productif », ou le « travail abstrait », mais par des formes religieuses et patriarcales archaïques, définissant une complexité qui nous échappe aujourd’hui nécessairement. Rétroprojeter nos catégories modernes sur ces sociétés prémodernes, quoi qu’il en soit, relèvera toujours d’un anachronisme illégitime, d’abord épistémologiquement. Politiquement, ceux qui opéreront cette rétroprojection, tendront à diffuser l’illusion selon laquelle les structures spécifiques modernes de la domination seraient indépassables, car transhistoriques : pour une raison politique, donc, il faudra bien dénoncer un biais épistémologique pernicieux qui prolifère aujourd’hui un peu partout (même et surtout chez certains « marxistes » orthodoxes qui, avec un certain Marx « exotérique », ne questionnerons plus leur anthropologie protestante, ni donc leur soumission aux évaluations transcendantales du capitalisme en tant que tel).
Après ces explications, on pourrait admettre davantage le fait que le travail « en général » n'est pas le « propre de l'homme ». Autrement dit, Hegel, Kant, Arendt, le protestantisme, le mythe du péché originel, et même un certain Marx « exotérique », « engelsien » (Manifeste communiste), ou encore Jeune-hégélien (Manuscrits de 44), qui tendent à essentialiser "le" travail, ne feront en fait pas référence au travail proprement dit, qui émerge spécifiquement au sein de la modernité capitaliste, mais plutôt à la création humaine des conditions de la vie humaine, qui demeure a prioriplurielle, spécifique, concrète, hétérogène, et qualitative, et qui ne sera ramenée à l’unité intelligible conceptuelle et abstraite que de façon mutilante, réductrice, mensongère, et finalement aliénante.
On entend toutefois, déjà, se formuler, une certaine « objection » : le concept de « travail », et sa réalité même, pourrait-on nous dire, s'inscrirait dans une tradition millénaire ; il serait associé en effet, étymologiquement, au tripalium latin, instrument de torture romain à trois pieux. Mais cette façon dite « originelle » d'envisager ledit « travail » ne relève ici pas encore de la notion de « travail en général », de « travail tout court », définie comme projet synthétique et total, matériel et abstrait, de société, soit de cette notion-même dont on dit qu'elle est historiquement déterminée, proprement moderne, contingente, et donc dépassable, en fait comme en droit.
Pour le dire autrement, le capitalisme apporte au tripalium romain sa consécration a posteriori, il le révèle dans sa potentialité la plus propre : représenter une pure dépense d'énergie indifférenciée, dont la seule caractéristique concrète est la douleur, l'humiliation, la déshumanisation, et la soumission continuelle à des fétiches non humains, ou à leurs gestionnaires inconscients et inconséquents.
II Le caractère inaudible de la critique radicale du travail au sein du spectacle
A priori, la critique radicale du travail n’est pas formulée par des « terroristes » avides de sang, ni par des utopistes totalement inconséquents. Elle est une critique fondée théoriquement (Ière section du Capital) et éthiquement (critique de la misère, de l’aliénation et de l’exploitation, au niveau global, engageant des formes de résistances non meurtrières, comme le sabotage, l’occupation, le blocage, la grève générale et reconductible, ou la désimplication au travail).
Mais son développement, complexe, suppose peut-être trop de temps et d’écoute active, trop de réflexion et de remises en cause d’une doxa politiquement admise, pour s’insérer dans des organes de diffusion médiatique massive.
Certains dits « marxistes », ou critiques du « néolibéralisme », à gauche ou à l’extrême gauche, du NPA, de Lutte ouvrière, du PCF, ou du Front de gauche, de Podemos ou de Syriza, keynésiens, trotskistes, maoïstes, léninistes, ou staliniens, s’ils accèdent à la diffusion médiatique massive (et cela n’est jamais trop difficile pour eux), ne remettront jamais en cause l’idée que le « travail » en tant que tel est une donnée indépassable : ils voudront réformer radicalement les conditions de travail, ou collectiviser les instruments de travail (ils appellent cela « révolution », ou « Grand soir »), mais ils ne remettront jamais en question leur dette impensée à l’égard de l’ontologie protestante, ou bourgeoise (le « travaillisme », le « biologisme », ou le « productivisme »). Le Marx de la « critique du programme de Gotha » réfutera radicalement leur conception formelle-bourgeoise de la « rétribution » « égalitaire », mais ils ne s’en préoccupent guère : le nom de Marx n’est qu’un « rempart » pour eux, un « signifiant » ramené à la simplicité phatique, et non une fidélité à un texte complexe, qui sera d’ailleurs, dans les marges de l’histoire, plus que ce seul texte isolé. « L’oisif ira loger ailleurs », pourront-ils affirmer, flattant éventuellement, de façon paternaliste, cette « France qui se lève tôt » (un populisme que Sarkozy, d’ailleurs, ne renie pas).
Ce travaillisme, ou cette idée de travail « à défendre » (et surtout pas à abolir), est bien évidemment l’idéologie dominante, également, dans les sphères néo-libérales, ou sociales-libérales, « républicaines » ou fascistes, du PS au FN, en passant par les « Républicains ».
Un consensus non thématisé, qui traverse tout le champ politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, s’affirme dès lors dans ce spectacle de la politique politicienne, qui détient le monopole de la « critique » et de l’analyse « économique » et « sociale ». Ce consensus est donc bien ce « travaillisme », au sens catégoriel du terme, soit l’idée que le capitalisme en tant que tel, fondamentalement compris, n’aura jamais à être questionné en son être, puisqu’il serait éternel, et dès lors indépassable.
Celui qui critique radicalement le travail « tout court » aujourd’hui passe aussi bien souvent pour un pur et simple abruti, qui ne prendrait pas en compte les nécessités élémentaires liées à la survie humaine ou à la condition humaine. Il produirait un discours absurde au sens strict. Mais ce n’est pas lui qui sera en tort, pourtant, même s’il se doit d’être le plus clair possible. C’est bien plutôt la réussite d’un projet de société total, qui aura su réduire toutes les activités « sociales » en général à une seule détermination abstraite (« le » « travail »), qui s’affirme dans cette manière dont le critique « anti-travail » est a priori discrédité, non seulement par ses adversaires « libéraux », mais aussi par certains autres « anticapitalistes » qui devraient être ses « alliés » (« marxistes » « collectivistes », « anarchistes » prônant l’autogestion des « marchandises » pour les « travailleurs », etc.).
Contre ces simplifications abusives, il faudra rappeler des données de base :
1) La critique du travail ne prône pas, à la suite de Lafargue, de façon simpliste et naïve, un « droit à la paresse » généralisé. Elle considère au contraire que la paresse véritable, subie et réductrice, se situe dans la spécialisation toujours plus poussée induite par la catégorie du travail « tout court », puisque l’individu « au travail » ici, parcellisé et disloqué, objectivement et subjectivement, ne développera, obsessionnellement, qu’une seule de ses virtualités subjectives, au détriment de toutes les autres (créatives, théoriques, pragmatiques, etc.). Une société qui n’est plus régie par l’abstraction du « travail tout court » permettra à chaque individu un épanouissement complet dans son activité qui sera vertueuse socialement, activité qui ne créera plus une « rupture » qualitative par rapport aux autres temps de la vie (études, créations, amitiés, etc.), et qui n’exclura plus un développement de multiples virtualités, un accomplissement complet de soi.
2) La critique du travail ne vise pas un monde post-capitaliste qui serait « gouverné » par des technologies qui feraient « tout à notre place ». L’abolition stricte du droit formel qui garantit une propriété privée rendant possible l’exploitation, et qui donc suppose la détermination d’un travail abstrait comme « valeur » économique, induit un rapport radicalement modifié aux outils techniques, qui n’est plus passif ou contemplatif, mais actif et impliqué. Cette implication conditionne un soin nouveau à l’égard de la création matérielle, et même technique, des conditions de la vie, qui n’abolit pas le faire-œuvre en tant que tel, mais qui abolit son caractère contraignant et réifiant, dépossédant, en tant que tel.
3) La critique du travail n’abolit pas les efforts humains qualitativement déterminés, mais elle abolit « l’effort en soi », comme « valeur » négative et abstraite, comme zone de non-vie, de misère, et de suppression de la vie dans la vie.
4) La critique du travail prône un monde où ce n’est plus la dimension indifférenciée, abstraite, non spécifique, des activités humaines, qui sont valorisées socialement, mais où c’est leur dimension qualitative et concrète qui compte, qui importe. Pour un capitaliste, qui vise simplement une quantité abstraite de « temps de travail », la distinction entre une bombe et un livre comme marchandises, par exemple, n’a de sens que selon ce point de vue quantitatif et désincarné ; ce capitaliste ne considère plus une seule seconde le fait que la première, comme valeur d’usage, détruit concrètement le monde et les vivants, là où la seconde enrichit potentiellement, comme bien réel, les subjectivités. Critiquer le travail comme abstraction, c’est critiquer, au sens strict, un aveuglement radical, au sein de nos sociétés marchandes, à l’égard de la dimension concrète et réelle des richesses sociales.
5) La critique du travail vise une égalité réelle et une émancipation réelle. Les outils techniques, mêmes transformés, ne permettront jamais aux individus de se libérer de la misère, et ne permettront jamais d’abolir les inégalités réelles face à l’accès aux ressources de base, tant que la valeur « économique », qui régule et rend possible la production au sens capitaliste, aura pour substance le travail abstrait. Car c’est par cette substance, ou norme idéale matérialisée, que l’exploitation devient absolument nécessaire, et que la précarisation qui l’accompagne se développe. L’abolition du travail abstrait, qui signifie aussi l’abolition d’un principe juridique-formel totalitaire, pourrait permettre aux humains de bénéficier d’une transmutation radicale des outils techniques, afin que ceux-ci ne dominent plus les individus pour les disloquer et les diviser, mais afin qu’ils puissent les émanciper davantage à l’égard du labeur astreignant, quels qu’ils soient.
Ces arguments ne sont pas, en eux-mêmes, complètement abscons, ou totalement « excessifs » : il n’est pas « excessif » de vouloir faire cesser, par exemple, la mise sur le même plan, des instruments de la destruction, et des outils de l’émancipation potentielle, pour abolir les premiers. Mais développer ces arguments dans un système spectaculaire dans lequel la politique politicienne rend vaine toute critique des racines du « projet » qu’elle soutient, est proprement impensable.
Légitimité théorique et pratique d’une critique radicale du capitalisme, et caractère inaudible de cette critique dans le spectacle, dans lequel pourtant tout « message » voulant se diffuser de façon « efficiente » semble « devoir » se manifester. Une tension s’annonce.
Mais cette tension n’est qu’apparente. Car à vrai dire, il ne sera jamais souhaitable d’inscrire ces démarches radicales dans le spectaculaire intégrant et intégré, qui les tourne à son avantage. Et cet isolement peut être aussi une manière stratégique d’avancer « masqué ». Dans les marges, dans les plis du spectacle (médias de lutte sur Internet, AG populaires, squats, etc.), d’autres forces critiques, peut-être, s’annoncent. Pour ne pas devenir des formes avant-gardistes, ces pratiques de résistance, savent, déjà, peut-être, déployer des actions sociales assez différenciées, pour s’insinuer graduellement (accueil des migrants, féminisme matérialiste, syndicalisme révolutionnaire, conseillisme, situationnisme, sabotage ponctuel et discret, etc.).
Dans un contexte où la catégorie du « travail », comme projet matériel, produit des suicides toujours plus fréquents, des burn out, des inégalités toujours plus fragrantes, des législations toujours plus scandaleuses (loi El Khomri, lois Hartz allemandes, Jobs act italien, loi Peeters belge, etc.), un chômage de masse, une misère, toujours plus criante, des formes d’exclusion, de racismes, de discriminations patriarcales toujours plus abjectes, des désastres écologiques irréversibles, il ne devrait pas être si difficile de radicaliser l’horizon de la critique. Mais cette radicalisation, hélas, reste difficile, dans les faits, car les discours conservateurs et idéologiques, les écrans de fumée, sont ce qui demeure le plus massivement « visible ».
La question de la diffusion demeure donc une question éthique et stratégique élémentaire, dans le contexte d’une lutte anticapitaliste qui se confronte systématiquement à la réalité du spectaculaire en tant que tel.