La lutte contre le travail
est une lutte
antipolitique
« Qui aspire à l’appropriation émancipatrice de l’ensemble du système social et à sa transformation peut difficilement ignorer l’instance qui, jusqu’à présent, en organise les conditions générales. Il est impossible de se révolter contre l’expropriation des potentiels sociaux sans se trouver confrontés à l’État. Car l’État ne gère pas seulement à peu près la moitié de la richesse sociale : il garantit aussi la subordination de tous les potentiels sociaux aux impératifs de la valorisation. De même que les ennemis du travail ne peuvent ignorer l’État et la politique, de même ils refuseront de jouer le jeu de l’État et de la politique.
Puisque la fin du travail est aussi la fin de la politique, un mouvement politique pour le dépassement du travail serait une contradiction dans les termes. Les ennemis du travail font valoir des revendications face à l’État, mais ils ne constituent pas un parti politique et ils n’en constitueront jamais un. Le but de la politique ne peut être que la conquête de l’appareil d’État pour perpétuer la société de travail. Les ennemis du travail ne veulent donc pas s’emparer des commandes du pouvoir, mais les détruire. Leur lutte n’est pas politique, elle est antipolitique.
Puisque à l’époque moderne l’État et la politique se confondent avec le système coercitif du travail, ils doivent disparaître avec lui. Tout le verbiage à propos d’une renaissance de la politique n’est que la tentative désespérée de ramener la critique de l’horreur économique à une action étatique positive. Mais l’auto-organisation et l’autodétermination sont le contraire même de l’État et de la politique. La conquête de libres espaces socio-économiques et culturels ne s’effectue pas par les voies détournées de la politique, voies hiérarchiques ou fausses, mais par la constitution d’une contre-société.
La liberté ne consiste pas à se faire broyer par le marché ni régir par l’État, mais à organiser le lien social soi-même - sans l’entremise d’appareils aliénés. Par conséquent, les ennemis du travail ont à trouver de nouvelles formes de mouvement social et à créer des têtes de pont pour reproduire la vie au-delà du travail. Il s’agit de lier les formes d’une pratique de contre-société au refus offensif du travail.
Les puissances dominantes peuvent bien nous considérer comme des fous parce que nous voulons rompre avec leur système coercitif irrationnel ! Nous n’avons à y perdre que la perspective d’une catastrophe vers laquelle ils nous conduisent. Au-delà du travail, nous avons un monde à gagner ».
Extrait de Krisis (Norbert Trenkle, Ernst Lohoff et Robert Kurz),
Manifeste contre le travail,
1999.
DOSSIER POUR LES ELECTIONS REGIONALES :
- La politique n'est pas la solution, par Anselm Jappe
- Pour une critique de l'Etat et du politique dans la modernité capitaliste : Quatre thèses, par Clément Homs
- De l'homme considéré comme un être pour le vote, par Gérard Briche
- Not in my name !, par Anselm Jappe
- Critique de la nation, de l'Etat, du droit, de la politique et de la démocratie, par Robert Kurz
- Pour en finir avec la notion de peuple, par Paul Braun
- L'avenir d'une illusion : l'identité nationale, par Gérard Briche
- « La fin de la politique », par Robert Kurz (à paraître dans la revue Cités, PUF, n°64, janvier 2016)
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Mort à la démocratie
Extrait du livre de Léon de Mattis, Mort à la démocratie, Altiplano, 2007 :
« Mort à la démocratie ! » : ce slogan, tagué sur les murs de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris durant le mouvement contre le CPE, a été pris par la majorité des médias comme la preuve de la folie irresponsable de ceux qui occupaient les lieux. C’était toucher là à un tabou. La démocratie, comme le capitalisme d’ailleurs, est devenue l’horizon indépassable de notre époque. Tout discours qui tendrait à la remettre en cause est disqualifié d’avance : on ne veut tout simplement même plus l’entendre.
La démocratie, pourtant, a surtout fait jusqu’à présent la preuve de son échec. Le monde qu’elle domine est toujours un monde de soumission, de privations et de pauvreté. Le droit de vote est censé assumer à lui seul l’expression de la volonté populaire : mais croit-on encore que quoi que ce soit puisse changer grâce à des élections ?
Le vote n’est pas une manière de s’exprimer. Le vote n’est pas une manière de donner son opinion. Le vote est, par excellence, le moyen de faire fermer sa gueule à ceux qui ont des choses à dire. C’est même l’argument le plus commun de ceux qui veulent que surtout rien de change. Cette loi a été votée. Ce gouvernement a été élu. Cette injustice est légale, légitime, votée, souveraine. Si vous n’êtes pas content, vous n’avez qu’à voter contre. Aux prochaines élections. Dans deux ans, trois ans, cinq ans. En attendant, il est illégal et illégitime de s’opposer à l’expulsion d’un sans-papiers : la « majorité » est pour qu’il s’en aille. Il est illégal et illégitime d’occuper un logement vide : la « majorité » est pour le respect du droit de propriété. Il est illégal et illégitime de bloquer une usine, une fac, un moyen de transport : la « majorité » est pour le respect du droit à travailler.
Ainsi donc, on ne devrait pas faire la grève, on ne devrait pas crier devant l’injustice, on ne devrait pas se révolter parce qu’ainsi on s’opposerait à la volonté du peuple et à la souveraineté démocratique.
Il faut donc être clair : cette majorité qui se serait affirmée dans les élections n’a en réalité jamais eu droit à la parole. On ne lui a pas laissé le choix d’avoir le choix. Chaque citoyen isolé et coupé quotidiennement de tous les choix possibles sur la direction de sa vie s’est vu accorder un dimanche, tous les deux ou trois ans, la possibilité de sélectionner un bout de papier et de le glisser dans une enveloppe : et ce serait le résultat de ce non-événement qui devrait nous interdire dans l’intervalle entre deux élections, c’est-à-dire tout le temps ou presque, de se révolter contre l’injustice ?
Ceux-là mêmes qui veulent nous interdire d’agir au nom du résultat de ces élections ne représentent rien ni personne, si ce n’est le pouvoir que l’État leur attribue dans l’intérêt de sa conservation. Quel rapport pourrait-il y avoir entre nous et eux ? Avec leur appétit des symboles puérils du pouvoir, leurs « Monsieur le Ministre », leurs voitures de fonction avec gyrophares, leurs glorioles de politiciens ? Aucun d’entre eux ne pense ou ne vit comme le commun des mortels, ne serait-ce que parce que pour réellement oser se prétendre le « représentant » du peuple, il faut déjà se considérer comme quelqu’un « d’exceptionnel », investi d’une « mission », bref il faut déjà avoir de soi-même et des autres une vision singulièrement déformée.
L’idée même de « représentation » est une escroquerie faramineuse. Personne ne peut représenter personne. Si quelqu’un parle à ma place, c’est qu’il m’a confisqué la parole. Le « responsable », comme le « porte-parole », n’ont pas lieu d’être. Tout le monde à une capacité égale à s’exprimer et personne n’a la légitimité pour discourir tandis que d’autres devraient se taire.
L’idéologie de la représentation vient tout droit de l’Ancien Régime. Elle est celle des Cours souveraines, des états et des corps intermédiaires, tous ces organismes qui exprimaient la montée en puissance de la bourgeoisie et de la noblesse de robe et qui cherchaient par ce biais à accroître leur puissance face au pouvoir royal. L’association de la représentation et de l’élection, qui nous paraît à présent si évidente, est récente : l’idéologie de la représentation l’a précédée. Avant d’être des représentants élus, les représentants étaient les représentants « naturels » d’un corps social conçu comme un tout organique.
Pour l’idéologie de la représentation, l’élu n’est pas un magistrat au service de ceux qui l’ont élu : il se substitue à ceux qui l’ont élu. L’Assemblée nationale, par exemple, devient le peuple et se trouve investie de toutes ses prérogatives à la place de celui-ci. C’est pour cette raison que les adeptes du parlementarisme récusent le mandat impératif, c’est-à-dire l’obligation, pour l’élu, de respecter les engagements qu’il a pris devant ses électeurs. Ce n’est en effet pas le programme qui a été élu, c’est l’homme : une fois ce lien mystique créé entre les électeurs et lui par le vote, lien qui était créé auparavant par l’idée d’une juste prééminence des élites, l’élu les remplace absolument.
L’Assemblée se voit alors accorder la légitimité nécessaire pour adopter des lois qui déplaisent pourtant visiblement à la majorité des citoyens du pays. L’image l’a emporté sur ce qu’elle est supposée représenter.