Grandeur et limites
du romantisme révolutionnaire
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Anselm Jappe
(paru dans la Revue des Livres - RDL -, n°2, nov.-déc. 2011)
Le romantisme a longtemps été considéré, à gauche notamment, comme une critique réactionnaire de la modernité. On disqualifiait par là toutes les potentialités émancipatrices de cette tradition. a critique romantique des conséquences aliénantes de la production capitaliste sur la vie quotidienne ne constitue-t-elle pas pourtant une possible ressource pour la contestation théorique et politique du capitalisme ? Anselm Jappe se propose ici d'examiner le romantisme dans sa diversité et ses contradictions, d'en souligner la dimension critique, mais aussi l'ambivalence et les insuffisances, à travers la lecture de deux ouvrages de Michael Löwy et Robert Sayre, Esprits de feu. Figures du romantisme anticapitaliste (éditions du Sandre, 2010) et Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité (Payot, 1992).
Nous renvoyons également sur la question à Robert Kurz, qui a nettement radicalisé les hostilités avec l'ontologie idéologique bourgeoise de l'Aufklärung (de l'idéologie du progrès à la pensée rationaliste, en passant par la forme sujet construite par les Lumières). Une présentation de cette critique est disponible dans le texte de Kurz, « Sanglante raison. 20 thèses sur la prétendue Aufklärung et sur les " valeurs occidentales " » (publié dans la revue allemande Krisis, n°25, 2002) :
Extrait de la 1ère thèse de « Sanglante Raison » de Robert Kurz (traduction inédite, Gérard Briche) à propos des critiques romantiques de la modernité :
« Certes, il ne faut pas que la critique se laisse guider par la seule " colère viscérale " ; il faut aussi qu’elle soit intellectuellement légitimée de manière entièrement nouvelle. Même si elle utilise les concepts de la théorie, cela ne signifie pas un retour aux standards mêmes de l’Aufklärung : c’est au contraire la conséquence de la nécessité de détruire l’autojustification intellectuelle de l’Aufklärung. Il ne s’agit pas, à la manière rationaliste, de brider les affects au nom d’une raison abstraite et répressive (et donc au rebours du bien-être des individus) : il s’agit au contraire de briser la légitimation intellectuelle de cette auto-domestication moderne de l’être humain. En ce sens, on a besoin d’une anti-modernité radicale, émancipatrice, qui ne tombe pas dans le modèle trop connu d’une simple " Anti-Aufklärung " ou d’une simple anti-modernité, " réactionnaires " (elles-mêmes bourgeoises occidentales, idéalisant un certain passé ou " d’autres cultures "). Mais d’une anti-modernité qui au contraire fasse rupture avec toute l’histoire passée, qui est une histoire de rapports fétiches et de rapports de domination »
En Français, certains éléments de cette critique de la modernité comprise comme intrinsèquement capitaliste par la critique de la valeur, sont disponibles dans :
- Robert Kurz, « Démocratie balistique. La gauche à l'épreuve des guerres d'ordre mondial » (Mille et une nuits, 2006)
- Robert Kurz, Les Lumières de l'Aufklärung. La symbolique de la modernité et l'élimination de la nuit
- Norbert Trenkle, Négativité brisée. Remarques sur la critique de l'Aufklärung chez Adorno et Horkheimer.