La planification décentralisée : Marx avec Hayek ?
Sandrine Aumercier
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Il est commun à la gauche de parler de planification (généralement lyriquement affublée des adjectifs « sociale », « écologique », « démocratique », etc.) tout en honnissant la « planification centralisée » soviétique. La proposition de « planification », notamment celle de « planification écologique » étant dans toutes les bouches, de Mélenchon à Macron [1], on devrait s’arrêter dessus. Prononcée par des auteurs écosocialistes et autres « socialistes radicaux », la planification devient « décentralisée », et prend des allures magiques, comme si elle devenait capable de résoudre toutes les contradictions de la situation présente par sa seule force d’invocation.
Faute de pouvoir parcourir toute l’étendue de ces questions, je n’entrerai pas cette fois dans le détail des vieux débats socialistes et anarchistes sur l’auto-organisation, ni dans l’histoire de la planification économique capitaliste (dont celle par exemple des soixante années d’exercice du Commissariat général du Plan transformé en 2006 en Centre d´Analyse Stratégique), qui devraient constituer cependant, en arrière-plan, des dimensions indispensables de cette réflexion et qui feront de ma part l’objet de lectures et de compte-rendus ultérieurs.
Il faut remarquer d’abord que ce qui est présenté parfois comme des tentatives actuelles ou historiques de « planification décentralisée » s’insère en fin de compte toujours dans le cadre d’une structure capitaliste et étatiste qui devrait au minimum rendre ces expériences suspectes en tant que modèles de réussite (même si elles peuvent s’avérer intéressantes du point de vue de la critique qu’elles essayent de performer) ; cette objection s’applique notamment au Chiapas ou au Rojava un peu trop montés en épingle par une extrême-gauche avide d’expériences alternatives [2]. De fait, nous n’avons pas le sens de ce que serait une autonomie politique, si l’on tient compte du fait que même les populations tribales — certaines relativement isolées — étudiées par les anthropologues ne sont pas indemnes de leur contact avec l’observateur occidental ni de ses catégories mentales. L’idéalisation de telles communautés n’est jamais très éloignée de poncifs réactionnaires projetant sur d’autres sociétés une autarcie et une autosuffisance fantasmées sur le mode de la monade moderne : au contraire, les guerres, les échanges commerciaux de toutes sortes (certains intercontinentaux), les règles de parentés complexes et exogames ainsi que les migrations forment la trame de l’histoire de l’humanité et interdisent de concevoir l’autonomie politique sur le mode du repli identitaire. Ce qui n’interdit pas de réfléchir aux conditions requises pour une autodétermination politique effective.
Quant à la « planification décentralisée », cet oxymore conceptuel est directement issu du centralisme de l´État-nation, dont l’intégration sociale se confond avec les impératifs de l’économie et nécessite toujours aussi une bureaucratie capable de décentralisation et de déconcentration « capillaire » : l’idée de planification décentralisée, bien que présentée comme une rupture par ses défenseurs, contient déjà en soi les deux dimensions modernes et inséparables de l´État-nation. La décentralisation y est définie par un transfert de compétences administratives de l´État vers les collectivités locales ou les établissements publics et suppose donc intrinsèquement la centralisation. En France, pays historiquement très centralisé, elle est explorée et mise en œuvre depuis des décennies. Centralisation et décentralisation sont ainsi les deux faces d’une même pièce, dont l’un des deux aspects est plus ou moins accusé selon la formation historique particulière d’un État-nation. De même, la planification intégrale et la dérégulation intégrale de l’économie constituent deux scénarios-limites également impraticables et se trouvent donc toujours mélangés en réalité dans des proportions variables propres à un moment historique du capitalisme ainsi qu’aux particularités historiques d’un État.
En ce sens, on pourrait dire que centralisation et décentralisation politiques d’une part, planification et libéralisation économiques d’autre part, constituent quatre paramètres à géométrie variable de tous les États modernes. La notion de « planification décentralisée » me paraît chercher à réunir les deux extrêmes de ce « carré » sans jamais remettre en question ni leur forme commune intrinsèquement capitaliste ni ses impasses (quelle que soit la forme composite mise en œuvre).
Pour la théorie économique traditionnelle, la « planification décentralisée » signifie non pas l’opposition conceptuelle et le prétendu dépassement des deux grands modèles idéologiques de l’après-guerre, mais bien les procédures de combinaison optimale des deux du point de vue de leur articulation fonctionnelle. Voici ce qu’écrit Pierre Picard en 1979 : l’objet de la planification décentralisée est, dit-il, d’étudier « d’un point de vue formalisé, comment peuvent être organisés les échanges d’information entre l’autorité centrale (Bureau du Plan) et les unités décentralisées (entreprises, branches, etc.) afin de construire un plan jugé optimal au regard d’un critère déterminé [3]. » Il importe pour la suite de citer de manière extensive la définition introductive donnée par cet auteur : « Le concept de décentralisation en économie renvoie à deux significations distinctes et complémentaires, selon que la décentralisation concerne la détention de l’information ou le pouvoir de décision. D’un point de vue informationnel, un système économique est décentralisé dans la mesure où l’information sur les paramètres conditionnant les prises de décision est dispersée entre les différents éléments de ce système. Dans cette optique, un système économique sera d’autant plus centralisé qu’un de ses éléments particuliers — l’autorité centrale dans le cas d’une économie planifiée — peut obtenir de l’information sur les paramètres de décision des autres éléments — les entreprises, les branches, les régions. D’un point de vue décisionnel, la décentralisation correspond à l’autonomie laissée aux différents éléments du système quant aux prises de décision effectives. (…) Aussi bien sous l’aspect informationnel que décisionnel, la littérature économique a opposé traditionnellement le plan et le marché comme représentant respectivement les systèmes économiques centralisé et décentralisé. Le système du marché, entendu ici comme modèle de concurrence pure et parfaite dans une économie où règne la propriété privée des moyens de production, postule en effet d’une part une décentralisation totale de l’information sur les préférences des consommateurs et les capacités de production des entreprises, et d’autre part une autonomie des agents quant à leurs prises de décision. A l’inverse, le système du plan, considéré sous sa forme la plus extrême, prétend organiser une centralisation totale de l’information économique au niveau de l’autorité centrale qui sera ensuite seule responsable de la prise de décision. Une telle opposition apparaît cependant comme schématique : les formes de centralisation informationnelle et décisionnelle se sont en effet multipliées dans les économies de marché ; de même, un certain degré de décentralisation est apparu indispensable dans la gestion de toute économie planifiée [4]. » La planification décentralisée ainsi comprise se déroule donc explicitement à l’intérieur de la structure étatique et des procédures de transfert ou de délégation de compétences qu’elle met en œuvre soit en direction de ses propres collectivités, soit en direction d’acteurs privés sur le marché de la concurrence.
Je me contenterai de citer largement ci-après les éléments d’une contribution de l’économiste socialiste Pat Devine — parmi de nombreuses autres qui devraient être ultérieurement examinées, allant de l’économie participaliste de Michael Albert et Robin Hahnel au « socialisme Amazon » (du nom de la célèbre plateforme de livraison) de Daniel E. Saros en passant par la trilogie de Hardt et Negri — qui prétend solutionner l’aporie de la planification et surmonter l’échec du « socialisme réel », tout en affirmant éhontément un caractère post-capitaliste.
L’approche de Pat Devine se veut à équidistance du modèle soviétique et du modèle capitaliste, voire affirme en surmonter les antagonismes en produisant un nouveau modèle, une sorte de « troisième voie », qui serait utilisable dans une perspective de dépassement du capitalisme. Or, comme on le verra, elle semble plutôt rencontrer par une porte d’entrée prétendument autonomiste les préoccupations même du capitalisme néolibéral. Ma question est de déterminer à partir de telles lectures si une « planification décentralisée » est possible en dehors du cadre fonctionnel de l´État et de « l’économie de marché ». Cette question assume son caractère tendancieux, en ceci qu’il s’agit de savoir si une théorie critique de l´État et du capitalisme peut invoquer impunément une « planification décentralisée » sans s’expliquer sur sa vision, notamment dans son rapport aux technologies numériques ainsi qu’à la « conscience » des acteurs — deux dimensions qui s’avèrent régulièrement invoquées pour secourir la faiblesse du modèle de base, mais qui méritent aussi un examen sérieux de leurs postulats. La première question, celle du cadre politico-économique où est censée s’organiser la planification décentralisée en implique donc une seconde, qui m’importe davantage, à savoir celle des subterfuges théoriques de certains auteurs pour faire tenir ensemble un présupposé prétendument post-capitaliste avec un modèle rénové de « planification décentralisée » qui se contente de mettre le réseau technologique mondial et la subjectivité (hypostasiés l’un en face de l’autre) en lieu et place des deux acteurs principaux de la décentralisation à l’ancienne manière (à savoir l´État et le marché). En actualisant conjointement le thème de la souveraineté populaire (comprise sur le mode participatif) et les procédures de décision et d’information, fluidifiées par les réseaux de communication, on semble s’avancer avec un nouveau modèle. Il n’a pourtant de nouveau que le dosage respectif des quatre paramètres énoncés plus haut et la magnification subjectiviste de l’intéressement populaire aux procédures de décision, aussi vieille que le capitalisme lui-même.
Pat Devine a proposé dès la fin des années 80 un modèle qui prétendra par la suite (et de manière significative pour notre propos) combiner les apports du modèle soviétique de planification administrative et les idées libérales de l’école autrichienne (!). Un article de Devine paru en 2002 dans un recueil consacré à différentes conceptions et discussions sur la planification socialiste, reprend et approfondit ses anciennes propositions à la lumière des critiques qui lui ont été adressées [5]. Se référant — sans vergogne — à Marx, cet auteur affirme : « Une société autonome est une société dans laquelle ceux qui sont affectés par une activité participent de manière égale à la prise de décision relative à cette activité, proportionnellement à la mesure dans laquelle ils sont affectés par celle-ci. Pour que cette participation soit réelle, et non simplement formelle, il faut un accès égal aux ressources nécessaires à une participation efficace. En plus de l’abolition de la division de classe entre ceux qui possèdent les moyens de production et ceux qui ne les possèdent pas, et de l’exploitation et de l’oppression découlant de cette relation, l’abolition de la division sociale du travail, et de l’antithèse entre le travail intellectuel et le travail physique, est également nécessaire [6]. » L’auteur poursuit : « Le socialisme peut donc être considéré comme les transformations sociales nécessaires pour que les gens puissent contrôler leur vie et prendre des décisions éclairées et efficaces sur la façon dont ils veulent vivre. L’autodétermination comporte à la fois un aspect objectif et un aspect subjectif, ou, peut-être plus exactement, un aspect externe et un aspect interne. Elle implique la capacité de prendre des décisions efficaces concernant le cadre externe dans lequel nous vivons. Elle implique également que nous soyons conscients des déterminants de notre vie intérieure, de notre subjectivité, afin que nous puissions, collectivement et individuellement, façonner le cadre extérieur de manière à nous permettre de développer pleinement nos potentialités humaines. Une société socialiste a besoin d’un système économique qui favorise l’auto-activation et l’auto-développement de ses citoyens. Le modèle de planification démocratique participative décrit ci-dessous est conforme à cet objectif. Il est construit autour du concept de coordination négociée. Contrairement à la coordination par la coercition des forces du marché ou de l’État, la coordination négociée exige que les gens s’engagent consciemment dans leur interdépendance, avec les conséquences de leurs actions pour les autres. Elle encourage les gens à transcender leurs intérêts sectoriels ou partiels et à tenir compte de la situation des autres. Elle intègre également, je crois, une dynamique qui va à l’encontre de l’abolition de la division sociale du travail. En effet, son bon fonctionnement en dépend probablement [7]. »
Pat Devine appuie son modèle sur les débats de l’école autrichienne autour du calcul socialiste, qui mirent en évidence une contradiction insurmontable du calcul économique planifié en l’absence d’un système libre de formation des prix sur le marché, et par conséquent une impossibilité selon eux à faire advenir une société rationnelle par la planification. Devine croit pouvoir surmonter cette objection en invoquant la notion de « propriété sociale » qui, disons-le, contourne toutes les apories du thème de la « réappropriation des moyens de production » dans la pensée marxiste en les noyant dans une « réappropriation » qui n’est plus seulement juridique mais dont la dimension politique serait assurée par son caractère procédural : « Je définis la propriété sociale comme la propriété de ceux qui sont affectés par l’utilisation des actifs concernés et qui y ont un intérêt. La propriété sociale n’est pas seulement, à mon avis, un principe socialiste fondamental, elle est aussi plus efficace que la propriété privée, étatique ou de la main-d’œuvre. Cela est dû au fait qu’elle permet de faire appel aux connaissances tacites de toutes les personnes concernées dans le processus de négociation de ce qu’il convient de faire pour promouvoir l’intérêt social dans un contexte particulier. (…) Les décisions devraient être prises au niveau le plus local, le plus décentralisé possible, de façon que tous ceux qui sont affectés par l’utilisation des actifs concernés, et seulement eux, participent au processus de prise de décision concernant ces actifs. Cela signifie qu’un processus de coordination négocié aurait lieu à tous les niveaux, du local au mondial, en fonction des caractéristiques de l’activité en question [8]. » Il s’agit d’un processus coordonné de décision politique prise à la base par les acteurs « concernés » qui seraient les propriétaires des moyens de production et décideraient des « priorités pour la société », le tout dans un cadre politique où lesdits « propriétaires sociaux » seraient représentés à toutes les échelles pour faire entendre leurs priorités et négocier les décisions stratégiques. L’auteur examine à partir de là des objections qui lui ont été soulevées quant au problème de la fixation des prix (qu’il propose de fixer à un niveau égal aux coûts de production !), ainsi que sur l’esprit d’innovation ou la durabilité écologique, toutes les « valeurs », en somme, que la planification participative propose de rapatrier dans le processus de décision sans interroger un instant la constitution et la dynamique propre de la création de valeur et de survaleur dans le capitalisme, plus contraignante que toutes les volontés particulières. Je ne m’appesantirai pas ici sur le détail de ces discussions internes.
Je fais simplement remarquer que ce modèle procédural de « planification décentralisée » suppose clairement une structure étatique et une économie de marché qui n’est post-capitaliste que sur la foi d’une déclaration du théoricien lui-même. L’important est que c’est le recours à la souveraineté de la procédure opérée soi-disant à la base par les intéressés qui vient pallier les impossibilités techniques évidentes de ce modèle. Comme toujours dans ce genre de cas, l’idéalisme subjectif bourgeois vient simplement à la rescousse d’une critique inexistante du fonctionnement objectif du capitalisme. A l’aide d’une contorsion théorique qui va jusqu’à réconcilier Marx avec Hayek, l’infrastructure de production capitaliste est ici transposée dans un monde idéal où des décideurs conscients et « autonomes » pourraient par exemple fixer des prix correspondant aux coûts de production, prix qui seraient non entachés de concurrence (laquelle n’a pas disparu mais serait contournée par le recours aux procédures de participation de tous les intéressés). On remplace ici la « main invisible » du marché par quelque chose qu’on pourrait appeler « l’accord neuronal » des producteurs, leur délibération ayant la propriété magique de faire disparaître les contradictions du capitalisme, bien qu’on conserve par ailleurs toutes les bases catégorielles de la production capitaliste : argent, État, production industrielle, etc. C’est ce qu’on pourrait appeler une abolition simplement mentale : le mot capitalisme identifié à la propriété des moyens de production doit être éliminé, mais le reste continue comme avant et on ne fait que tourner en rond (sans cesse renvoyé des mains vers la tête et vice versa) entre les polarisations réifiées de la division capitaliste du travail et de ses catégories morales objectivées. Ce que Devine appelle l’abolition de « l’antithèse entre le travail intellectuel et le travail physique » est en effet simplement remplacé par l’hypostase de l’instance décisionnelle interne de tous les travailleurs : l’antithèse est internalisée. La fonction de management n’est plus externalisée dans un responsable personnifié qui commande les autres, mais internalisée dans la tête de tous les « concernés ». Les travailleurs sont supposés détenir une conscience capable de se prononcer, à différents niveaux d’organisation, sur « ce qui les concerne », sans qu’on s’aperçoive que, de proche en proche, l’organisation planétaire de la production signifie nécessairement une déperdition de savoir et de responsabilité impossible à réintégrer dans le périmètre d’une expérience individuelle. En quoi suis-je en effet concerné(e) par le travail d’un mineur mauritanien dont les matières premières sont indispensables à mon usine régionale ou en quoi suis-je concerné(e) par les transporteurs qui les acheminent, si ce n’est un pur concernement abstrait sans rapport avec mes activités réelles ? Comment puis-je avoir la moindre idée du « juste prix » de ces marchandises, et qui plus est le déterminer par négociation sans faire intervenir aussi bien les rapports de domination (qui sont en fait potentialisés par le nombre des intermédiaires) que la domination abstraite de la forme-marchandise ? Comment puis-je négocier en permanence avec tous les intermédiaires d’un tel processus de production ? Comment puis-je accorder mes priorités « locales » avec les priorités « locales » tout aussi essentielles d’autres acteurs éloignés ? La foi aveugle en une « démocratie » directe, efficace et procédurale confine à la plus complète absurdité, en ceci qu’elle hypostasie l’instance subjective de délibération comme le lieu de dépassement des contradictions du capitalisme. Elle ne vise pas la fin des rapports de production matériels eux-mêmes, elle cherche au contraire à les sauver. Il s’agit de mettre de l’huile populiste dans les rouages capitalistes.
L’hypostase des subjectivités souveraines et rationnelles est ainsi installée par un coup de force théorique à la place des deux niveaux traditionnels que sont l’État et le marché capitaliste entre lesquels se déplaçait jusqu’alors le curseur des procédures de planification. Cette opération purement intellectuelle n’analyse en aucun cas la transformation dans laquelle elle prend place et le maintien de la structure étatique et capitaliste qui est inclus dans son modèle et le rend donc inopérant en pratique en tant que dépassement du capitalisme. Le soi-disant dépassement s’avère alors correspondre plus prosaïquement aux conditions objectives du capital globalisé à l’ère de la troisième révolution industrielle et à l’affaiblissement de la capacité d’intervention des États (mais non à leur disparition), cependant que les sujets du capitalisme livrés à eux-mêmes se dressent alternativement contre l´État en s’appuyant sur les « réseaux » (qui sont en pratique des plateformes privées et monopolistiques) ou, au contraire, contre le « totalitarisme technologique » en invoquant l’intervention de l´État appelé par ailleurs à leur reverser une parcelle de « démocratie directe » (comme le veut pas exemple la proposition par Marine Le Pen d’un Référendum d´Initiative Citoyenne inspirée d’une revendication des Gilets jaunes). Ceci perpétue manifestement les vieilles oppositions idéologiques qui ont cimenté le capitalisme d’après-guerre, bien que ses formes phénoménales aient drastiquement évolué sous l’impact des technologies numériques et, conjointement, de l’aggravation de la crise fondamentale de la valorisation. Mais on peut d’ores et déjà élever une sérieuse objection à l’idée d’une « planification décentralisée » qui ne fait que reprendre sur la base de l’idéalisme subjectif les poncifs de la démocratie directe et ceux de la décision procédurale dans un système de production inchangé, miraculeusement rénové par la participation consciente des intéressés. Comment combiner les prétendus avantages de « l’autonomie » locale avec ceux de la division internationale du travail : on ne recule ici devant aucun syncrétisme théorique pour ne rien toucher aux impasses de la société industrielle.
Sandrine Aumercier, 20 avril 2022
[1] Emmanuel Macron a profité de l’entre-deux-tours de sélections présidentiels de 2022 pour reprendre le concept à Mélenchon et l’intégrer dans son programme sous la forme d’un Premier ministre « directement chargé de la planification écologique ».
[2] Voici ce que dit un auteur qui a analysé le cas du Rojava : « L’économie du Rojava est basée sur un mélange d’économie de guerre, de petit capitalisme et de production alimentaire de subsistance au sein duquel les coopératives mènent une existence de niche au lieu de représenter un nouveau système économique. » Cité dans Cihad Hammy, Thomas Jeffrey Miley, « Lessons from Rojava for The paradigm of Social Ecology », in Frontiers in Political Science, 10 janvier 2022.
En ligne : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpos.2021.815338/full
[3] Pierre Ricard, Procédures et modèles de planification décentralisée, Paris, Economica, 1979, p. 1.
[4] Ibid., p. 3-4.
[5] Pat Devine, « Participatory Planning Through Negociated Coordination », dans Science & Society, Vol. 66, n°1, Printemps 2002.
[6] Ibid., p. 72-73.
[7] Ibid., p. 73-74. Je souligne.
[8] Ibid., p. 74-75.