Le capital automate
de Tom Thomas
(éditions Jubarte, nov. 2017)
Tom Thomas est l'auteur de nombreux ouvrages stimulants comme par exemple Démanteler le capital ou être broyés (éditions Page 2, 2011), Etatisme contre libéralisme, c'est toujours le capitalisme (2011), La montée des extrêmes (2014). Le site Démystification est dédié à son oeuvre. On ne perd jamais son temps.
Terminant son dernier livre (87 pages seulement) qui vient de sortir ce mois de novembre dans les bas-fonds de la production théorique « underground », aux éditions Jubarte, et que l'on ne peut se procurer qu'en un seul point de vente en France (à la librairie Le point du jour à Paris mais aussi par correspondance), il faut dire et redire du bien de ce livre écrit dans un style simple, direct et clair. Un livre qui trouvera par ses qualités un autre public que celui du seul « milieu théoricien ».
Si déjà dans ses livres précédents, Tom Thomas défendait une théorie de la crise en termes de désubstantialisation de la valorisation similaire par bien des aspects a ce qu'a développé le courant de la « critique de la valeur » et dont on a maintenant une présentation détaillée dans le livre de Lohoff et Trenkle, La Grande dévalorisation (2014), avec Le capital automate Thomas laisse très clairement derrière lui des pans entiers d'un marxisme traditionnel qui a trop longtemps charrié une compréhension tronquée et incomplète du capitalisme en termes de domination de classe. Une compréhension se focalisant sur la seule question de l’exploitation du surtravail, c'est-à-dire en oubliant, en écartant ou en mésinterprétant grandement, des pans entiers de l'oeuvre de la maturité de Marx, notamment la question du fétichisme (et ses différents niveaux), question qui n'a jamais été comprise ou traitée de manière approfondie dans le vieux marxisme traditionnel.
Le point faible essentiel reste peut-être le premier chapitre, où Tom Thomas ne vient pas toucher à la critique du travail en tant quel, en tant qu'activité sociale historiquement spécifique aux formations sociales capitalistes. On trouvera alors dans ce chapitre une conception il nous semble tronquée de la double nature du travail, où le travail concret n'est transformé en travail abstrait que « post-festum », dans l'échange, et semble donc être théorisé comme extérieur et transhistorique. L'inversion réelle constituée par la constitution fétichiste de l'être social sous le capitalisme, touche plutôt directement l'activité du travail. Le côté concret du travail ne préexiste pas à son côté abstrait, il se convertit plutôt en mode d'apparition (forme phénoménale) de son côté abstrait. C'est là que réside tout le secret de la socialisation par l'abstraction. Et c'est là que réside tout le scandale ! Cela signifie que tout travail concret, quelle que soit sa nature, n'existe et ne vaut socialement qu'en tant que partie aliquote du travail abstrait socialement nécessaire. Toute la socialisation, et n'importe quelle forme prise par le travail concret, n'existent que comme telle. On ne peut pas faire reposer, à notre avis, une critique du capitalisme, en opposant le bon côté « concret » au mauvais côté « abstrait » du travail et donc de tout le procès de production. Dans la même veine, le travail privé est comme opposé par Tom Thomas au travail social, parce qu'il est compris de manière extérieure.
Cependant, le point fort du livre, à partir surtout des chapitres 2 et 3, est de prendre clairement la mesure au sein de la théorie de Marx, de la forme de domination abstraite, anonyme et coercitive qui caractérise le capitalisme, quand Marx théorise le capital comme une structure automate que nous constituons de force ou de gré dans la praxis même, mais sans le savoir (comme dit Marx, « dans notre dos »). Ici Tom Thomas donne vraiment l'impression autant dans sa compréhension de la logique de la valorisation que dans les conséquences qu'il en tire en termes de luttes révolutionnaires (renverser les « fonctionnaires » du capital n'est pas le niveau en dernière instance de la rupture ontologique avec la réalité sociale capitaliste ; il ne faut pas lutter contre les effets mais contre les causes, etc. cf. le très instructif chapitre 3), qu'il passe du paradigme unilatéralement fondé sur la seule critique de l'exploitation du surtravail, au paradigme beaucoup plus large et profond d'une critique catégorielle du fétichisme réel qui constitue l'être social sous le capitalisme (et rappelons ici pour le lecteur rapide, que la compréhension du rapport-capital comme « sujet automate » ne s'oppose par chez Marx à la centralité de l'exploitation du surtravail pour l'accumulation). Cette forme abstraite de domination n’est pas fantomatique, un simple niveau idéologique et réprésentationnel, mais bien réelle. Selon Marx, la domination sous le capitalisme ne peut pas être adéquatement comprise en termes de domination de classe ou, plus généralement, de domination concrète de groupements sociaux ou d’appareils étatiques et/ou économiques. Tom Thomas prend ici en compte des pans entiers de l'oeuvre marxienne de la maturité qui sont de manière dominante laissés de côté ou mésinterprétés (cf. Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise ; Postone, Temps, travail et domination sociale, etc.).
De ci de là, on pourrait critiquer quelques autres éléments. Comme le fait qu'il sépare encore historiquement et logiquement « production marchande simple » et capitalisme ou qu'il parle encore de « révolution politique » sans rien dire - ou pas suffisamment - de la critique des formes politiques modernes (ce que l'auteur aborde cependant dans d'autres ouvrages) ; ou encore quand il parle de la nécessité d'un « nouveau parti communiste » (p. 67) et quand il fait du développement des forces productives (disons clairement de l'automation du procès de production) permettant l'abondance de la « richesse matérielle » et l'augmentation du temps libre, des préalables « objectifs » (parmi d'autres) à la lutte vraiment révolutionnaire. Tom Thomas reste ici on pourrait le penser, dans le schéma de la « mission civilisatrice » du capitalisme, permettant une abondance qui permettrait de trouver la liberté après avoir capitalistiquement dépassé une nécessité conçue à tort comme transhistorique. On peut y voir une contradiction encore non démêlée chez Tom Thomas, et le fait qu'il ne pousse pas la critique de l'économie politique au-delà d'une critique normative et historique du capitalisme du point de vue du travail et de la production, ce qui reste indéniablement un manque dans le livre.
Malgré ces quelques points de discussion, et d'autres sur lesquels on ne s'étendra pas, il faut encore dire tout le bien de ce livre de Tom Thomas extraordinairement bien écrit, dans le fond comme dans la forme.
Hasdrubal Barca
Introduction
Chapitre 1. Commentaires sur les notions de travail abstrait et travail complexe
Chapitre 2. L'autovalorisation de la valeur et son moyen : le capital
Chapitre 3. Combattre le capital et /ou combattre les capitalistes
Chapitre 4. Déterminisme et volonté
Chapitre 5. En résumé : travail abstrait et lutte des classes
Postface : A propos du populisme. Un commentaire des élections de 2017 en France
Le livre est disponible à la LIBRAIRIE LE POINT DU JOUR, 58 rue Gay-Lussac - 75005 Paris
On peut le commander en France en écrivant à cette librairie (8 euro + 2,90 (poste) = 10,90 euro ) à l'adresse suivante : librairie-lpj@wanadoo.fr