On pourra également se reporter aux résumés du précédent numéro de la revue (n°9 - mars 2012).
La limite interne du capital et l’affaiblissement progressif du marxisme
Ce texte est constitué par la première partie d’un fragment tiré des écrits inédits de Robert Kurz, et qui date du printemps 2010. Robert Kurz avait pris la décision de transformer son projet original d’un ouvrage de grande ampleur, Tote Arbeit [Travail mort], en une série de livres. Geld ohne Wert [Argent sans valeur] fut le seul qu’il a pu mener à terme. Krise und Kritik [Crise et critique] aurait été un deuxième livre de cette série, mais il n’en subsiste que quelques parties. Son texte est conçu comme une propédeutique à la théorie des crises et à la critique catégorielle, et il examine l’état actuel de la vive discussion qui a lieu dans le marxisme résiduel et le post-marxisme au sujet de la crise économique qui a effectivement éclaté. Ce qui est étudié dans les quatre première sections, c’est la signification de la théorie des crises dans l’histoire du marxisme, l’ignorance sur les crises résultant de l’absence d’une dimension historique de l’analyse, la tentative d’éviter la « théorie de l’effondrement » en la remplaçant par une mythologisation, et la substitution du thème de la fin du capitalisme par celui de l’apocalypse. Les parties suivantes de ce fragment seront publiées dans le numéro 11 de Exit !
Un examen critique au débat sur le « marxisme-mysticisme » entre Ingo Elbe et les « théologiens marxistes ».
Ce texte a deux objectifs. D’abord, il constitue une intervention après coup dans le débat actuel qui s’est tenu essentiellement entre Ingo Elbe, l’un des représentants de ce qui se présente comme la « neue Marxlektüre [la Nouvelle lecture de Marx] », et quelques auteurs « anti-allemands » rassemblés autour de la revue Prodomo. L’enjeu de cette confrontation, c’est le statut de la théorie critique, entre mode de connaissance formel et moment négatif-spéculatif. Dans l’un comme dans l’autre cas, on peut faire le lien avec l’Ecole de Francfort et ce lien est effectivement revendiqué par les protagonistes. On constate cependant dans le débat que cette prétention peut aboutir à des résultats très différents et à maints égards contradictoires. Elmar Flatschard voudrait montrer que chacune des parties en présence, celle d’un « chipotage universitaire » vide de tout projet d’émancipation (qui s’oppose à Elbe) et celle d’un « marxisme mystique » aux traits quasi-religieux (qui s’oppose au groupe Prodomo) a d’une certaine manière une certaine pertinence, mais qu’à d’autres égards, elle est aussi dans l’erreur. Entre ces deux positions, il faut en chercher une troisième, et c’est le projet de l’auteur, ce que l’on peut considérer comme son second objectif, celui de constituer, au delà d’une intervention dans le débat en question, une position qui soit autonome. L’enjeu ici, ce n’est rien de moins que l’(auto)légitimation de la Théorie critique, et par là celle de la théorie de la dissociation-valeur, présentée comme une approche négative-dialectique et comme position autonome entre « science » et « point de vue (historique) ». Ainsi, on développe dans cet article l’idée que la Théorie critique est un accès à la méthode scientifique et aussi, sous maints aspects, qu’elle est apparemment limitée par ses modes formels de connaissance mais qu’elle les dépasse, et qu’elle incorpore le moment spéculatif matérialiste. Celui-ci ne s’engage pas dans la voie de la formalisation scientifique, mais prend en charge, non seulement le noyau dialectique de la théorie, mais aussi celui des rapports « abstraits-réels » du patriarcat producteur de marchandises. Il reste à observer qu’on ne peut pas considérer qu’est close cette confrontation dans une discussion qui concerne la théorie de la science ainsi que la théorie de la société. Et ceci, que ce soit au vu de la position de l’auteur, comme de la discussion qui continue dans le cadre de la revue Exit ! et qui voit se confronter des points de vue divergents à maints égards.
Une critique des fondements théoriques d’une biopolitique de gauche
Ce texte examine les théories de gauche de la biopolitique moderne. Des concepts comme celui de champ d’expérience, en tout cas dans sa forme de gauche, sont issus des théorisations de Michel Foucault. Ce texte tente de montrer que ces théorisations, et justement chez Foucault, présentent un caractère contradictoire, en particulier en ce qui concerne leurs présupposés fondamentaux en théorie sociale et en philosophie. Ce caractère contradictoire, qui renvoie à une conception fondamentale post-marxiste et post-structuraliste de la société et de la réalité, est commun à nombre d’auteurs dans le champ de la biopolitique, et parmi eux à Giorgio Agamben, à Roberto Esposito et au tandem Michael Hardt / Antonio Negri, qui seront discutés de manière approfondie dans ce texte. Ceci dit, tous les auteurs cités – à commencer par Foucault qui a présenté une analyse complexe de la biopolitique moderne à un niveau que, de manière générale, les autres auteuRes dans le même domaine n’atteignent pas – ont analysé des aspects particuliers de la biopolitique spécifique à la modernité capitaliste, qui restent intéressants d’un point de vue phénoménologique. Mais ils n’ont pas su saisir comme telle la dialectique négative de la biopolitique du capitalisme, laquelle présente une fusion étroite entre l’administration humaine généralisée et le racisme. Pour cela, on a besoin d’une approche plus générale de la théorie de la société. Le texte conclut par une brève réflexion sur ce que suppose comme critique idéologique une critique théorique.
La signification aujourd’hui d’Adorno pour la constitution d’une théorie féministe
Bilan et perspectives d’une réception contradictoire
On montre dans cet essai que jusque dans la seconde moitié des années quatre-vingt, il a été possible à la théorie féministe d’aboutir à une critique des formes du patriarcat capitaliste. Au lieu de quoi, on est passé à un modèle de pensée attaché aux formes sociologiques. A ce sujet, Roswitha Scholz montre clairement l’importance qu’a Adorno pour la critique de la dissociation-valeur, même si son point de départ comme principe social fondamental est l’échange, et non la (sur-)valeur. Et ne parlons pas du rapport hiérarchique des sexes sous la forme de la dissociation-valeur, auquel Adorno n’accorde pas le rang d’une puissance de mise en forme conceptuelle fondamentale de la société, mais qu’il n’aborde que de manière descriptive et qu’il ne critique que de cette manière. Aussi Roswitha Scholz, pour constituer la critique de la dissociation-valeur, emprunte-t-elle à Adorno son refus d’une pensée enfermée dans une logique de l’identité, ce qui signifie entre autres qu’elle doit reconnaître diverses disparités sociales. Alors que cela fait partie du cœur de la critique de la dissociation-valeur, on ne peut tirer des contradictions de la logique de l’échange et de la valeur qu’une critique de la logique de l’identité, même si c’est au prix d’un effort. Ainsi, non seulement la critique de la dissociation-valeur tire Adorno au-delà de lui-même, mais elle va au-delà d’elle même. Elle doit se mettre elle-même en question, pour rendre justice à ce qu’elle est essentiellement. Ainsi, elle donne congé aux Lumières. Même si, d’une certaine manière, la critique de la dissociation-valeur s’appuie aussi sur celles-ci, elle n’exclut pas leur critique radicale. En effet, ce qui est exigé dans la critique de la dissociation-valeur, c’est d’aller radicalement au-delà de la pensée des Lumières, et même au-delà d’une dialectique négative d’Adorno, pour laisser ouverte la possibilité de formes non-capitalistes et non-patriarcales de pensée et d’existence– ce qui dans un premier temps n’est qu’une idée abstraite.
La misère des Lumières : antisémitisme / antisionisme, racisme et antitsiganisme chez Emmanuel Kant
Avec ce texte, Daniel Späth achève son analyse de critique idéologique de la philosophie de Kant. Le premier chapitre tire le bilan conceptuel de son passage du sexisme à l’antisémitisme et au racisme, et des différents niveaux de la transition qui l’ont mené à la raison transcendantale. Ainsi, l’identification par Kant du judaïsme avec la dimension abstraite (mal comprise) du capital est le résultat d’une contradiction immanente à la raison. Que ce soit au niveau d’une raison théorique ou au niveau du sujet pratique, celle-ci aboutit à un antisémitisme. Dans ce deuxième chapitre, on analyse en outre la manière dont la philosophie kantienne exprime une idéologie antisioniste, en dépit du fait que, comme on le sait, à la fin du XVIII° siècle, l’Etat d’Israël n’est nullement à l’ordre du jour politiquement. Le troisième chapitre examine le racisme kantien. De même que dans la critique de l’antisémitisme / antisionisme, on met en évidence le lien entre philosophie rationaliste et idéologie. Le racisme kantien est essentiellement un produit de la faculté de juger et de sa conceptualisation paradoxale. Le quatrième chapitre pour finir est consacré à la question de l’historicisation critique de Kant et à une évaluation de la puissance de pensée subjective qu’il incarne et qui est souvent mise en valeur.