Les destinées du marxisme. Lire Marx au 21e siècle
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Robert Kurz
Le texte suivant, « Les destinées du marxisme. Lire Marx au 21e siècle » a été publié en français dans l'ouvrage de Robert Kurz (1943-2012), Lire Marx (éditions La balustrade, Paris, 2002, réédité en 2013). R. Kurz y retrace l'évolution des marxismes au XIXe et XXe siècles, au travers d'un panorama original et percutant des marxismes du mouvement ouvrier comme de la pensée post-moderne. Au-delà du Marx exotérique (c'est-à-dire le Marx positiviste, théoricien de la modernisation de rattrapage et favorable au développement soit disant nécessaire du capitalisme, etc.), aujourd'hui mélangé par la gauche du capital avec l'idéologie keynésienne de l'économie politique, Robert Kurz pointe dans le texte la partie encore utile chez Marx : le Marx qui au-delà des différentes configurations historiques du capitalisme touche à l'essence de ce dernier, c'est-à-dire à la critique catégorielle des formes de base de la société capitaliste (le travail, la valeur, l'argent et la marchandise) qui constituent une forme de vie et de production sociales historiquement spécifiques à la seule modernité.
Plan du texte :
- Marx et l'adieu postmoderne à la " grande théorie "
- Après le siècle du mouvement ouvrier
- Le décalage chronologique interne du capitalisme
- Le mouvement ouvrier dans la " modernisation de rattrapage " du XIXe siècle
- Le Marx exotérique et le Marx ésotérique
- Marx et le mouvement ouvrier : rien d'un mariage d'amour
- Le marxisme et la " modernisation de rattrapage " au XXe siècle
- Le saucissonnage du marxisme durant la guerre froide
- Le mouvement de Mai 68 : rameau tardif du Marx exotérique
- L'immense embarras qui suit la fin du marxisme
- L'invocation aux morts marxistes
- La crise catégorielle et la zone taboue de la modernité
- La dimension muette du fétichisme et le grand bond de l'histoire
- La tricherie du postmoderne où la modernité a le dernier mot
Voir le Fichier : Les_destinees_du_marxisme_Lire_Marx_au_21e_siecle_par_Robert_KURZ.pdf
Extrait :
Ceux que l’on dit morts, vivent plus longtemps. Le Karl Marx théoricien critique et influent a été tenu pour mort plus d’une fois, et chaque fois il a échappé à la mort historique et théorique. Il y a une simple raison à cela : la théorie marxienne ne pourra reposer en paix qu’avec son objet, le mode de production capitaliste. Ce système social est « objectivement » cynique, il est tellement impudent dans les comportements qu’il exige des être humains, il produit en même temps qu’une richesse obscène et écœurante une telle masse de pauvreté et il est marqué dans sa dynamique aveugle d’un tel potentiel de catastrophes que son existence, forcément, ne cesse de faire naître les motifs et les idées d’une critique radicale. Et l’essentiel de cette critique est justement la théorie critique de ce Karl Marx qui, il y a presque 150 ans, a superbement analysé dans ses grands traits la logique destructrice du processus d’accumulation capitaliste.
Mais comme pour toute pensée théorique qui dépasse la date limite d’un certain esprit du siècle, l’œuvre de Marx doit également être soumise à de nouvelles analyses qui permettent de découvrir de nouveaux aspects et réfutent d’anciennes interprétations – non seulement des interprétations, mais également certains éléments de cette théorie liés à une époque. Tout théoricien a pensé plus de choses qu’il ne savait lui-même et une théorie sans contradictions ne pourrait sérieusement être appelée une théorie. Ainsi, non seulement certains livres, mais aussi de grandes théories ont leur destin. On voit toujours se développer, entre une théorie et ses critiques, ses disciples comme ses adversaires, un rapport de tension dans lequel la contradiction interne de la théorie trouve toute sa dimension, faisant ainsi progresser la connaissance.
Marx et l’adieu postmoderne à la « grande théorie »
Au lieu de se reconfronter au problème du caractère historique du processus de la théorie de la société à la fin du XXe siècle, la soi-disant pensée postmoderne voudrait simplement immobiliser la dialectique de la formation théorique, de la réception et de la critique. La théorie de Marx précisément n’est plus vérifiée à l’aide de ses contenus, ni analysée dans ses conditions historiques et par là-même développée, mais elle est repoussée a priori en tant que prétendue « grande théorie ». Cette fausse modestie qui ne regarde plus l’ensemble des formes capitalistes de la socialisation en tant que tel, mais qui se contente de le refouler, s’abaisse sous le niveau de la réflexion de la théorie sociale. La politique de l’autruche d’une pensée si consciemment réduite et désarmée ne voit pas qu’on ne peut séparer de leur objet social réel la problématique de ce que l’on appelle grandes théories et grandes notions. La prétention de vouloir saisir l’ensemble est véritablement provoqué par la réalité sociale. L’ensemble négatif du capitalisme ne cesse pas d’opérer dans son existence réelle, sous prétexte qu’il est ignoré en tant que notion et que nous n’avons plus à regarder : « la totalité ne vous oublie pas », ironisait à juste titre le théoricien anglais de la littérature Terry Eagleton.
La critique postmoderne de la grande théorie, accueillie avec reconnaissance par de nombreux anciens marxistes en tant que forme de raisonnement prétendument à décharge, ne renvoie pas tant à une pensée affirmative et apologétique au sens traditionnel, qu’au désespoir d’une critique de la société qui, bouleversée, recule devant une tâche qui dépasse son entendement actuel. Il s’agit d’une manœuvre d’évitement qui ne peut qu’avoir un caractère provisoire ; la pensée critique est implacablement ramenée à l’obstacle qu’elle doit surmonter. Et, apparemment, cet obstacle est surtout difficile à franchir parce que la pensée marxiste connue jusqu’ici doit, là aussi, sauter par-dessus son ombre. Cette métaphore quelque peu étrange pourrait être remplacée par une autre ; le marxisme conserve un cadavre dont il doit se débarrasser. En d’autres termes : la contradiction entre la théorie marxiste et sa réception par l’ancien mouvement ouvrier, de même que les contradictions au sein de la théorie marxiste même, à la fin du XXe siècle, ont mûri au point que cette théorie ne puisse plus être réactivée et réactualisée, comme cela se faisait jusqu’à présent.
Quelques extraits de " Lire Marx " de Robert Kurz :
- Crise et critique de la société du travail (extrait de " Lire Marx ")
- Ils ne le savent pas mais ils le font : le mode de production capitaliste est une fin en soi irrationnelle (extrait de " Lire Marx ")
- Critique de la nation, de l'Etat, de la politique, du droit et de la démocatie (extrait de " Lire Marx ").
- Saignant et purulent par tous ses pores : le vilain capitalisme et sa barbarie. (extrait de " Lire Marx ")
- La véritable barrière du capital est le capital lui-même. Le mécanisme et la tendance historique des crises du capitalisme (extrait de " Lire Marx)
- Chasse autour du globe. La mondialisation et la fusionite du capital (extrait de " Lire Marx ")
- La mère de toutes les extravagances et la portée des jeunes loups de la Bourse : le capital porteur d'intérêts, la bulle de la spéculation et la crise de la monnaie (extrait de " Lire Marx " )