Avec le lien ci-dessous, une conférence (mp3) de Franck Fiscbach au colloque " le travail ou l’expérience de la nécessité ", organisé à La Maison des sciences de l’homme Ange-Guepin (MSH), à l’initiative de l’Université de Nantes, les vendredi 9 et samedi 10 octobre 2009, à l’occasion du centenaire de la philosophe Simone Weil. Fischbach à contre-pied de l'intitulé du colloque et de la pensée naturalisante de Simone Weil, dresse un petit panel réflexif sur la libération-abolition du travail, le "marxisme traditionnel", etc. - Moishe Postone, dont Fischbach répète ici les apports essentiels de sa démonstration, est cité quelques fois. Fischbach s'était déjà beaucoup référé à Postone dans son texte " Comment le capital capture le temps " dans Relire Marx, PUF, 2009, un recueil de textes de différents auteurs qu'il avait coordonné. Fischbach avait d'ailleurs traduit pour ce recueil le texte de Postone, Théorie critique et réflexivité historique.
Ecouter la conférence de Franck Fischbach, Marx et le travail : libérer le travail ou libérer du travail
Sur le même sujet, on peut voir aussi ce texte d'Anselm Jappe, Avec Marx, contre le travail.
Je trouve que cette conférence de Fischbach est une bonne critique de la critique de Simone Weil faite à Marx. Quand elle parle de Marx, il faut plutôt entendre les marxismes qui n'ont fait qu'élaborer une dimension (bien réelle) des écrits de Marx (le Marx exotérique dirait Robert Kurz). Pour le Marx ésotérique, c'est-à-dire une certaine argumentation moins connue que l'on retrouve (imparfaite) dans Marx, et pas du tout dans les marxismes, on voit comme le dit Fischbach que la solution pour Marx n'est pas du tout le développement des forces productives, cela n'abolira pas la forme sociale même qu'est le travail.
Fischbach montre bien aussi l'étape supplémentaire des Grundrisse et du Capital, où Marx laisse de côté sa définition première du travail comme être générique de l'homme (Manuscrits de 1844 et Idéologie allemande), pour lui préférer une nouvelle réflexion sur le travail plus fondamentale et plus historiquement spécifique à la modernité.
La question n'est plus de libérer le travail d'un cadre de rapports sociaux extérieur à lui (le marché, les rapports marchands, la propriété privée...), rapports qui seraient eux spécifiquement capitalistes à la différence de l'éternel travail, qui lui resterait transhistorique car relevant de l'ontologie, comme on l'entend dans le marxisme traditionnel et dominant. Or il y a une rupture (Fischbach dit qu'il y a " superposition " des deux discours), le travail n'est plus un socle naturel qui aurait existé de tous temps et en tous lieux, comme si le travail relevait de l'éternel métabolisme homme-nature. Le travail tel qu'il le conçoit désormais, n'est plus l'être générique de l'homme comme Marx avait pu le dire dans les Manuscrits de 1844 et dans L'idéologie allemande. Une nouvelle définition du travail se fait jour dans le Marx de la maturité comme l'a montré Moishe Postone. dans Temps, travail et domination sociale.
Le travail est alors considéré déjà en soi à un moment historique donné (la société capitaliste) comme une médiation sociale générale, seul le travail est une sorte de fonction de reliance abstraite entre les individus séparés que nous sommes mais formant pourtant au travers de cette reliance abstraite une continuum social extérieurement à toute relation de visage à visage, car nous relevons désormais d'une totalité sociale abstraite à laquelle nous appartenons d'un point de vue général et concret. Le travail aujourd'hui et pas dans les sociétés passées, est alors socialement constitutif, il y a une centralité sociale du travail du fait qu'il est porteur dans les sociétés capitalistes (seulement) d'une fonction de socialisation médiatisante. Le travail dans son double caractère, concret et abstrait, est un principe de synthèse sociale. Ainsi, les rapports sociaux ne sont pas des cadres extérieurs au travail qui serait lui un invariant anthropologique, du type métabolisme transhistorique homme-nature. De nombreuses études historiques et anthropologiques montrent qu'il n'y a que dans les sociétés modernes que le travail est le vecteur de l'ensemble des médiations sociales, que le travail a une fonction de médiation, où les individus que nous sommes dès que nous taffons et consommons ne sont plus que médiatisés par le travail et son double caractère, concret et abstrait. Le livre de l'historien Jacques Le Goff, L'argent et le moyen âge, montre très bien l'encastrement des différentes sphères de la vie aujourd'hui séparées (y compris donc l'économique) au sein de relations sociales qui les déterminents et les précèdent (notamment l'importance de la religion qui subsume l'ensemble de la vie).
Pour abolir la société marchande, sortir de l'économie, comme Fischbach le raconte, il ne suffit pas de passer de la médiation sociale déguisée (fétichiste) qu'est aujourd'hui le travail, à une prise de conscience de cette fonction de médiation qu'a le travail, par exemple au travers de l'organisation planifiée de la médiation-travail ou à une quelconque " réappropriation du travail " et du " sens du travail " comme le pensent les anarchistes, les communistes libertaires... Donner une forme de médiation ouverte et explicite au travail, n'enlèverait en rien au travail sa force abstrative en tant qu'auto-médiation sociale et ce qui place l'abstraction au coeur de la société capitaliste faisant du travail une activité tautologique et un moloch boulimique. Il faut plutôt abolir la médiation sociale qu'est le travail en lui-même dans son existence réelle, qu'elle soit déguisée ou explicite (consciente, planifiée), il faut abolir la forme dominante de la médiation sociale qu'est le travail. La question chez Postone, n'est clairement plus de contrôler enfin consciemment le travail et les totalisations abstraites qui se constituent autour de lui, ce n'est plus la question de libérer le travail du capital, mais plus en amont de se libérer du travail comme activité déjà en soi capitaliste. Bien sûr, si on comprend qu'il ne faut pas confondre le métabolisme homme-nature avec ce qu'est le travail comme invention historiquement spécifique aux sociétés capitalistes de la modernité, on comprendra qu'il faudra toujours fabriquer des maisons, se nourrir, etc, mais pas au travers de cette médiation sociale terriblement mutilante qu'est le travail. Sortir du capitalisme, c'est sortir du travail, mais ce n'est en rien l'espèce d'éloge de la paresse d'un Paul Lafargue qui au contraire en tant que marxiste était un des grands apologistes de l'ontologie du travail et de l'automation machinique organisée par la tyrannie technologique.
Voir intégralité du " Manifeste contre le travail " du groupe Krisis.
Voir les textes de la " Présentation de la critique de la valeur (wertkritik) ".