Ci-dessous l'enregistrement audio du débat à Bruxelles le 19 octobre 2012 entre Anselm Jappe et l'altercapitaliste-redistributionniste Bernard Friot. Le thème de la soirée organisée par les Amis du Monde Diplomatique-Bruxelles étant : Après l'économie de marché ?
Ecouter le débat Jappe-Friot
Il s'agit ici de faire passer par dessus-bord la superficialité de l'analyse de la crise que l'on retrouve chez tous les économistes de gauche qui sont soit marxistes traditionnels, régulationnistes ou keynésiens, et dont les élucubrations se retrouvent à longueur de colonnes dans Le Monde Diplomatique, Libération, Alternatives Economiques, la Revue des Livres, L'Humanité, Politis, Alternative Libertaire, etc. Pour toute la radicalité bourgeoise de gauche, des économistes attérés à Frédéric Lordon, en passant par Paul Jorion, Bernard Friot, Bernard Marris, Jean-Marie Harribey, Michel Aglietta ou Cédric Durand, les problèmes de la crise sont toujours définis quasi spontanément en fonction de la logique intériorisée du système dominant, c'est-à-dire toujours en termes d'une redistribution des catégories capitalistes à chaque fois transhistoricisées par ces auteurs. Pour le populiste Friot, bien sûr, dans sa déclaration d'amour au capitalisme, il s'agit toujours de débarasser le capitalisme (comme le pensaient déjà les nazis dans les années 1930 en parlant du « capital-rapace »), de ses méchants spéculateurs, de ses horribles banquiers et de ses rapaces actionnaires, afin de libérer les gentils-travailleurs véritables créateurs de valeur. On critique le méchant capital-financier au nom du bon-capital pourvoyeur d'emplois et de marchandises : c'est là l'utopie du gentil-capitalisme qui fonctionnerait pour tout le monde, l'espoir d'une gestion alternative d'un capitalisme enfin à visage humain. Sortir du capitalisme, aujourd'hui comme demain, ne sera pourtant jamais le fait de redistribuer autrement la valeur, c'est-à-dire l'argent sous la forme du salaire (socialisé ou pas) ou des retraites. Etatisme contre néolibéralisme, c'est toujours le capitalisme !
Afin de dépasser la fausse conscience de cet anticapitalisme tronqué de la gauche, on retrouvera dans l'intervention de Jappe une présentation de quelques éléments de base propres au courant allemand de la critique de la valeur, notamment une présentation de la critique des catégories/formes capitalistes que sont le travail, la valeur, l'argent, la marchandise, le rapport-capital comme « Sujet automate » (Marx) et l'Etat. Pour comprendre la crise actuelle il s'agit désormais de véritablement changer le cadre de pensée, de commencer à redéfinir complètement les traits fondamentaux du noyau du capitalisme comme jamais la gauche n'a su le saisir depuis deux siècles.
On trouvera une analyse critique des propositions de Friot sur le site Tant qu'il y aura de l'argent : Faut-il faire frire Bernard Friot ? (et son salaire socialisé) et une critique de l'idée (sans rire) du « caractère anticapitaliste des institutions de socialisation du salaire » (Friot) et de la sécurité sociale, dans le texte suivant qui critiquait sur ces mêmes points un ouvrage de Denis Baba.
Pour des pistes et perspectives révolutionnaires sur lesquelles ouvre la critique de la valeur, sans vouloir en aucune façon proposer le ridicule de solutions "clé-en-main" ou de "mesures communistes" (la théorie critique n'est pas un distributeur automatique de produits-révolutionnaires avec son service après-vente), ou peut consulter utilement les textes de ces deux dossiers : Que faire ? Quoi Faire ? ainsi que Au-delà de la lutte des classes. On pourra se reporter également au n°4 de la revue Sortir de l'économie, notamment au texte Au-delà de la "Centrale" de François Partant. Une critique du scénario de l'archipellisation dans un cadre autogestionnaire. Sans partager pour autant de nombreux présupposés marxistes traditionnels du communisateur Bruno Astarian, il est également recommandable de prendre connaissance de la 3ème partie de son texte Activité de crise et communisation tout comme de ses brochures sur le mouvement argentin des piqueteros après 2001.
Clément Homs
Anselm Jappe, philosophe, auteur de plusieurs ouvrages sur la pensée de Guy Debord, se rapproche au début des années 1990 de la revue Krisis et de ses auteurs, Robert Kurz, Peter Klein, Ernst Lohoff, Norbert Trenkle, etc., qui cherchent à refonder, hors de tout académisme universitaire et sans révérence à un courant théorique passé, une critique de l'économie politique sur de nouvelles bases. Ce courant de la " critique de la valeur " autour du groupe Krisis dès les années 1990, puis autour de la revue Exit ! à partir de 2004, est connu aujourd'hui sur plusieurs continents pour avoir développé une théorie et une analyse de la crise interne du capitalisme, au-delà des rares théoriciens marxistes de la crise qui comme Rosa Luxemburg ou Henryk Grossmann étaient encore restés, malgré leurs mérites, au milieu du gué.
Anselm Jappe dirige en 2012-2016 un séminaire sur la critique de la valeur ouvert au public : voir ici.