Critique de L'insurrection qui vient
du Comité invisible
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(mais aussi de Tiqqun, L'Appel, Ruptures, A nos amis...)
Dans ce texte écrit au cours de l’été 2008, il ne sera pas question de l’ « affaire des neuf de Tarnac », de leur paradoxale défense et de la propagande qui a voulu faire croire à la résurgence d’un supposé « terrorisme » qualifié d’« ultra-gauche » ou d’« anarcho-autonome » [1], par l’Etat.
Ce texte comprend surtout la critique de tous les soubassements philosophiques et pseudo-théoriques des différents écrits de la mouvance autour de « Tiqqun » (tomes 1 et 2), « L'Appel », « L'insurrection qui vient », « Ruptures », Kamo et le dernier en date « A nos amis » (La Fabrique, 2014) qui n'est que l'éternelle répétition des mêmes présupposés.
Ce texte comprend 4 parties :
- Remontrance et incantation d'une nouvelle « conscience de soi »
- Esprit es-tu là ? Théorie de la commune, de la libération et du retour de l'être
- Communes pour l'insurrection : la question de la fascination pour le désastre et la violence
- La catastrophe comme aubaine : un insurrectionnalisme messianique
Voir le Fichier : NotessurlinsurrectionquivientTiqqunComiteinvisibleAppel.pdf
L'insurrection qui vient... Après son titre accrocheur, ce livre se remarque par son style désabusé, carbonisé, presque dépressif. L’existence contemporaine y est décrite avec un désenchantement qui exalte la vérité. Ce qui est énoncé à ce sujet devient évidence. A moins que ce soit l’évidence même mise sur le papier. C’est ce que du moins pensent les « rédacteurs » : « ils se sont contentés de mettre un peu d’ordre dans les lieux communs de l’époque, dans ce qui se murmure aux tables des bars, derrière la porte close des chambres à coucher ». Et il est vrai que nous sommes décontenancés à la lecture de cet ouvrage, tant ce qui est énoncé est ressenti par tous – mais rarement avoué. Outre l’analyse et les propositions directement transposées des thèses défendues par l’ex-groupe Tiqqun [2] depuis 1999 (éclatement en 2001), et développées également dans divers textes pas forcément des mêmes personnes (l’Appel et la brochure Rupture [3]), les anecdotes nous permettent de nous arrêter sur des faits dont on ne perçoit même plus le grotesque, le scandaleux, ou la force de résistance. Utile, soit. Mais aussi poétique et historique : ce livre suscite dans un premier temps un certain attrait car rarement l’époque contemporaine avait été mieux « sentie ». Nous ne ferons pas de résumé, parce que ce livre ne se résume pas : il se lit d’une traite, d’un souffle.
Le constat du désastre s’élabore autour de six cercles :
1) D’abord la quête identitaire et la généralisation d’une angoisse diffuse (« Pour qui refuse de se gérer, la ‘‘ dépression ’’ n’est pas un état, mais un passage, un au revoir, un pas de côté vers une désaffiliation politique »).
2) Tout le divertissement et la désagrégation des rapports sociaux, de la figure du bouc-émissaire qu’est l’immigré à l’éclatement des liens intimes, en passant par l’école républicaine (« ‘‘ Devenir autonome ’’, cela pourrait vouloir dire, aussi bien : apprendre à se battre dans la rue, à s’accaparer des maisons vides, à ne pas travailler, à s’aimer follement et à voler dans les magasins »).
3) Le travail-marchandise (« Nous admettons la nécessité de trouver de l’argent, qu’importent les moyens, parce qu’il est présentement impossible de s’en passer, non la nécessité de travailler »).
4) Le monde urbain, source d’isolement et lieu du contrôle (« Le premier geste pour que quelque chose puisse surgir au milieu de la métropole, pour que s’ouvrent d’autres possibles, c’est d’arrêter son perpetuum mobile »).
5) L’économie (« Ce n’est pas l’économie qui est en crise, c’est l’économie qui est la crise ; ce n’est pas le travail qui manque, c’est le travail qui est en trop »).
6) L’environnement et le risque pour les espèces, dont l’humain, de disparaître (« Là où les gestionnaires s’interrogent platoniquement sur comment renverser la vapeur ‘‘ sans casser la baraque ’’, nous ne voyons d’autre option réaliste que de ‘‘ casser la baraque ’’ au plus tôt, et de tirer parti, d’ici là, de chaque effondrement du système pour gagner en force »).
7) La civilisation, parce qu’il ne s’agit pas d’une société en crise, mais de l’effondrement d’une forme de civilisation globale et suicidaire (« Décider la mort de la civilisation, prendre en main comment cela arrive : seule la décision nous délestera du cadavre »).
Par contre nous discuterons essentiellement trois points, des propositions qui engagent un débat, tellement le livre se veut programmatique. Les critiques faites ici ne peuvent apparaître comme un point de vue totalement externe à la perspective générale proposée dans ce livre sur le plan du moins de la constitution de « communes », bien au contraire. Partout aujourd’hui la jeunesse radicale part désormais loin du magma urbain et de la cocotte minute marchande pour tenter de produire ailleurs ses propres rapports individuels. Ce qui peut créer ici la distance d’un débat critique, est alors essentiellement la conception de cette « commune » et l’ontologie qui l’a sous-tend, comme la perspective strictement insurrectionnaliste qu’elle dessert, et la nature de la libération qui y est ici proposée.
1. Remontrance et incantation d’une nouvelle « conscience de soi ».
La proposition essentielle dans ce livre est celle de créer des « communes ». A priori, c’est là un mot à la résonance historique plutôt sympathique. Mais c’est aussi un point qu’il faut approfondir afin de ramener directement les analyses trop brièvement évoquées dans L’insurrection qui vient (IQV) - réflexions qui pourrait-on dire n’ont pas leur principe d’intelligibilité dans ce livre -, aux textes plus théoriques publiés par l’ex-groupe Tiqqun. Car au travers plutôt d’une écriture du vécu et de l’anecdote, voire aphoristique, on ne peut s’empêcher de penser que les textes de l’Appel et de L’IQV cherchent davantage à « faire mouche » que les textes précédents de cette même mouvance qui jusque là n'avaient réussi qu'à donner le frisson au milieu radical chic postmoderne.
Le rapport de Tiqqun (et ses proches) à la « communauté qui vient » (titre d'un livre de leur idole, Agamben) est très fort, il est déjà central et posé de manière très fouillée par ces auteurs qui s'inscrivent dans une sensibilité intellectuelle clairement post-moderne dans ses références (Heidegger d’abord, Guattari, Foucault, Deleuze, Lyotard, Agamben ensuite et surtout) [4]. La thèse de fond s’énonce comme suit : le « Spectacle » (on ne parle pas ici de sa compréhension superficielle par les Tiqqunistes qui est réductrice et n'a aucun rapport avec le fétichisme de la marchandise tel que décrit par Marx ce qui est pourtant très explicité chez Debord avec son concept de spectacle) produit un type d’aliénation où les individus sont sans individualités. Ces individus sont alors des Blooms (M. Bloom est le personnage principal du livre de James Joyce, Ulysse) [5]. Les Blooms sont les dépossédés, spectateurs de leur propre vie, impuissants à avoir la moindre action sur leur propre monde qui ne leur appartient plus. Cette aliénation est comprise comme un é-videmment complet, total : « y'a pas d'hommes, il n'y a que des Blooms qui font semblant d'être des hommes » écrivent-ils. Cette aliénation couvre toutes les sphères de la vie quotidienne dans « le monde de la marchandise » : perte de l'expérience fondamentale de la vie comblée par la recherche forcenée « d'expériences » ou d'aventures de l'extrême (sexuelles, sportives, professionnelles, artistiques, etc.) (Tiqqun, n°1, p.27) ; « fétichisme de la petite différence » qui se révèle comme la « tragi-comédie de la séparation : plus les hommes sont isolés, plus ils se ressemblent, plus ils se détestent et plus ils s'isolent ». Intériorisant la domination, privé de toute substantialité humaine, le Bloom se réfugie dans des identités particulières substitutives : « Français, exclu, artiste, homosexuel, breton, citoyen, raciste, musulman, bouddhiste, ou chômeur, tout est bon qui lui permet de beugler sur un mode ou sur un autre, les yeux papillotant d'émotion, un miraculeux ’’JE SUIS ’’ » (ibid., p.30, voir aussi dans ce registre le « Premier cercle. I am what I am », dans L’IQV). Mais d’où vient en particulier cette aliénation ? C’est là que la singularité de Tiqqun est intellectuellement très marquée, il faut brièvement revenir à l’ontologie heideggerienne pour les comprendre car c'est leur principale influence sur le fond (Ivan Segré, proche du Comité invisible et ayant porté chez eux la thématique talmudique du Tiqqun, est un heideggerien fanatique) [6].
Chez Heidegger le nazi en effet, dans Sein und Zeit, le Dasein (l’être-là) est dit être « toujours mien », se rapportant donc à l’individu. Quand toutefois elle est prise en considération, l’essence de cette « mienneté », c’est-à-dire de « l’ipséité » (le même dans le changement), est réduite au procès d’auto-extériorisation dans lequel le Dasein se découvre livré à la « clairière » du monde pour y mourir. Or pour Heidegger c’est ce cocon originaire de « fusion » entre l’homme et le monde qui a été brisé au Vème siècle avant J.-C. avec le geste métaphysique de Platon contre les philosophes pré-socratiques. Désormais l’homme est dissocié de l’objet à connaître pour en connaître la vérité (premier geste fondateur pour Heidegger de la pensée scientifique et technique). On entre là dans la grande phase de « l’oubli de l’être », où l’ensemble du monde devient pensé par cette métaphysique et y est « arraisonné » avec le ravage écologique qui en découle. Cette métaphysique, c’est la pensée occidentale, une « conscience de soi » qui donc ne se rapporte plus au monde. Suivant Heidegger le nazi, c’est à la reconquête consciente de l’unité perdue de l’être que s’attache Tiqqun, notamment au travers d’une incarnation de l’ontologie heideggerienne dans l’histoire : l’origine perdue écrivent-ils, est alors celle de « l’être communautaire » des individus. Car pour eux, les modes communautaires d'être au monde des anciennes sociétés primitives ou passées étaient bien une expérience du « Commun originaire », où pour Heidegger l’on vivait et pensait dans une forme d’appartenance totale à l’être sans séparation (cette expérience humaine fondamentale était « non consciente » ou seulement consciente au niveau aphoristique chez les penseurs présocratiques). Le Bloom, lui est cet être sans appartenance, totalement vidé de son « être communautaire ». C’est l’individu qui dit « I am what I am » (JE = JE), qui n’a plus son être dans le monde de son origine. L’individu se croît, se pense, se vit comme une monade atomisée alors qu’il ne l’est pas. C’est donc cette essence communautaire de l’individu qui va être développée dans la « commune » de lutte. L'avènement du « Tiqqun » comme restauration de l’être en sa demeure (dans les textes de la Kabbale dite lourianique - une tendance hérétique tardive fortement messianique -, Tiqqun est le terme qui désigne « la restauration de l'harmonie cosmique » par la médiation de certaines prières mystiques [7]) sera alors l'œuvre commune des Blooms devenus conscients d'eux-mêmes et membres du « Parti imaginaire » que l’on attend comme le Messie « qui vient ». Mais ce faisant, Tiqqun fait disparaître toute ipséité à l’individualité, et pousse le pas vers une mystique holiste. Dans un style toujours heideggerien, « il n’y a de communauté que dans les rapports singuliers. Il n’y a jamais la communauté, il y a de la communauté, qui circule. La communauté ne désigne jamais un ensemble de corps conçus indépendamment de leur monde, mais une certaine nature des rapports entre ces corps et de ces corps avec leur monde. La communauté, dès qu’elle veut s’incarner en un sujet isolable, en une réalité distincte, dès qu’elle veut matérialiser la séparation entre un dehors et son dedans, se confronte à sa propre impossibilité. Ce point d’impossibilité, c’est la communion. La totale présence à soi de la communauté, la communion, coïncide avec la dissipation de toute communauté dans les rapports singuliers, avec son absence tangible » [8].
Nous avons là pourtant une simple et classique critique morale de l’individualisme et la solution libératoire sera toute aussi morale, sur le mode d’une « rhétorique de la remontrance » [9]. Face à la conscience de soi propagée par le « I am what I am » où l’on se représente son contenu hors du Soi communautaire, c’est-à-dire hors de cette « expérience intérieure à la communauté », il faut arrêter de se représenter son essence comme un « I am what I am », il faudrait se représenter et penser les choses autrement [10], il faudrait modifier sa conscience de soi pour prôner notamment la « commune » qui est re-théorisée à l’aune de la thèse de « l’oubli de l’être ». On voit là, la nature du concept d’aliénation, c’est d’abord un « concept idéologique », « c’est le concept selon lequel l’aliénation consiste en une représentation, dans un acte de pensée » [11]. On voit bien la genèse de cette « conscience de soi » aliénée, quand on lit, « I am what I am, donc, non un simple mensonge, une simple campagne de publicité, mais une campagne militaire, un cri de guerre dirigé contre tout ce qu’il y a entre les êtres » (soulignés par les rédacteurs). Le monde (et l’économie, cf. « L’économie comme magie noire », Tiqqun n°1) n’est pour eux qu’une « interprétation » qu’il faudrait se contenter de réfuter.
2. Esprit es-tu là ? Théorie de la « commune », de la libération et du rappel de l’être.
La sortie de la métaphysique de l’oubli de l’être débouche logiquement sur la création de nos fameuses « communes » (qui sont finalement à la fois effectuation et moyen de la libération de la métaphysique du « I am what I am ») et se pense alors comme suit. Pour les Tiqqun en effet, nous sommes dans un moment historique crucial (un « événement » au sens de Foucault, c’est-à-dire une rupture entre deux épistémès) permettant un passage réalisant ce dépassement de la métaphysique. Parce que le Spectacle lui fait faire l'expérience de la plus totale séparation d'avec « la communauté » (de ce « Commun originaire »), parce qu’il est un « ravage méthodique, depuis des siècles, de tout ce qui n’est pas lui : familiarités de quartier, de métier, de village, de lutte, de parenté, attachement à des lieux, à des êtres, à des saisons, à des façons de faire et de parler » (L’IQV, p. 31), le Bloom en « s'ouvrant à la communauté s'abolit comme Bloom, se détache de son détachement et retrouve le chemin de l'être » (Tiqqun, n°1, p.44). L’ouverture à la « communauté » est donc l’antidote à « l’oubli de l’être » heideggerien (ils reprennent là, G. Agamben, La communauté qui vient, philosophe proche des Tiqquns et qu’ils connaissent bien). Dans son combat « à hauteur de mort » contre le règne total de la Séparation, le Bloom fait « l'expérience de la communauté la plus profonde » car la « conscience de soi (…) est une expérience intérieure de la communauté » qui incite à « déserter cette société et à trouver les hommes », ceux qui forment « le Parti Imaginaire » (voir, le passage « Se trouver » dans L’insurrection qui vient).
Comment on s’y prend pour poser concrètement ces vues libératoires qui peuvent apparaître très intellectuelles à beaucoup ? L’ouvrage appuie d’abord et justement sur une critique des « milieux » militants qui « sont tout particulièrement à fuir » parce qu’ils nous ôtent l’énergie de faire la révolution du fait qu’ils ressassent inlassablement leurs échecs historiques et l’amertume qu’ils en conçoivent (« leurs usure, comme l’excès de leur impuissance, les ont rendus inaptes à saisir les possibilités du présent »). Sans cette base sociale des « milieux » (à une autre époque on disait le « militantisme, stade suprême de l’aliénation » [12]) où les militants conçoivent toujours leur action comme une remise à plus tard de l’existence pour mieux verser dans d’éternelles réclamations en ne cessant par exemple aujourd’hui d’appeler l’Etat au secours (en opposant l’Etat ou la politique au marché), le Comité invisible s’adresse alors à ces « singularités quelconques » que sont les Blooms, pour en venir finalement à proposer une conception de la création de « communes » entre ces êtres é-vidés (« dans chaque usine, dans chaque rue, dans chaque village, dans chaque école . Enfin le règne des comités de base ! », in IQV). Il faut que ce peuple bloomesque se réapproprie localement le pouvoir, tout en se méfiant des organisations et en retrouvant « le goût de la palabre ». « Une commune se forme à chaque fois que quelques-uns, affranchis de la camisole individuelle, se prennent à ne compter que sur eux-mêmes et à mesurer leur force à la réalité ». Ou encore « La commune, c’est ce qui se passe quand des êtres se trouvent, s’entendent et décident de cheminer ensemble. La commune, c’est peut-être ce qui se décide au moment où il serait d’usage de se séparer. C’est la joie de la rencontre qui survit à son étouffement de rigueur. C’est ce qui fait qu’on se dit ‘‘ nous ’’, et que c’est un événement ». Ces communes en quelque sorte sont aussi « auto-instituantes » (« Toute commune veut être à elle-même sa propre base »), mais elles ne se substitueraient pas aux institutions instituées, car leur destin nous le verrons, est la plénitude de l’insurrection purificatrice. Elles seraient en tout cas tout autre que des organisations et collectifs définis par un dedans et un dehors, une ligne idéologique, des objectifs et une hiérarchie.
Tout passerait dans ces communes « par la densité des liens en leur sein. Non par les personnes qui les composent, mais par l’esprit qui les anime ». Cet « esprit » qui relève pour les individus d’une nouvelle « conscience de soi » communautaire, c’est comme si on en faisait une personne morale et agissante, et vers laquelle les incantations libératoires vont être proférer. Cette « conscience de soi » collective qui forme un « esprit » s’apparente quelque peu, on pourrait dire, au « Nima » (l’acquis culturel) qui meut le groupe en question dans la constitution d’un « Bolo » [13], à l’« ambiance » dans la « tribu » de M. Maffesoli (même si celle-ci pour les rédacteurs serait plutôt du côté de la « communauté terrible »), ou encore à la « culture hippie » (sans parler de ses dimensions spiritualistes) qui était souvent la raison agissante de la « commune hippie » [14]. Dans cette vision de la « commune » il y aurait comme une préexistence dans l’ordre ontologique, de « l’esprit » - comme « conscience de soi intérieure à l’être communautaire » et s’incarnant dans des « relations » -, sur les individus. Identifier un groupe, une « commune » ou un « Bolo » à un « esprit » que l’on identifie comme le lieu de vérité ontologique de cet ensemble et des membres qui le constitue, c’est peut-être d’abord avoir la possibilité de contrôler et de déterminer au regard de cet « esprit », les individus qui y sont rassemblés. Il peut ainsi sembler que c’est là encore une de ces réalités abstraites (la « Nation », la « Société », les « Structures », le « Social », les « Rapports sociaux », les « Dispositifs », « l’Etat », « On », etc.) qui servent à l’évanouissement de notre propre liberté instituante et de notre capacité concrète d’agir, parce qu’elles sont des réalités ayant consistance et être par soi, dominant l’individu et le déterminant. Le Grand Fleuve ontologique de cet « esprit » de l’ « être communautaire » primitif de la « commune » et son invocation militante perpétuelle, peut rapidement ne savoir que faire de la nature des roues qu’il entraîne dans son mouvement, puisque dans cette conception de la « commune » c’est lui qui leur transmet sa force et détermine leur nature, leur identité et leur fonction de rouage au regard de ce Grand Fleuve.
3. Communes pour l’insurrection : la question de la fascination pour le désastre et la violence.
La perspective libératoire développée dans L’insurrection qui vient doit être elle aussi renvoyée aux textes préexistants. Avec les Tiqquns, « l’appropriation de l’oubli de l’être », c’est-à-dire la libération de nous, les Blooms, ne se pose plus comme chez Heidegger sur un plan métaphysique (après l’expérience du néant, on se réconcilie dans l’être dans une « pensée remémoratrice » d’ordre physico-mythico-poétique), mais pratique. Ils ont en effet cherché à « inscrire la logique de son accomplissement au sein même de l’histoire dans un style purement hégélien » [15]. Il faut ainsi que quelque chose se soit réalisé complètement jusqu’à la nausée, pour voir surgir son dépassement : c’est là la structure de l’insurrection qui vient. On lit ainsi que « la métaphysique marchande est la métaphysique qui nie toute métaphysique et d’abord elle-même comme métaphysique » (Tiqqun, n°1). C’est donc par le développement total de la société marchande, que le désert se répandra dans la totalité de l’existant. Permettant l’expérience du néant cela engendre la reconnaissance de l’oubli de l’être communautaire, et donc le réveil, le sursaut, l’arrivée du « Tiqqun ».
Le Bloom joue là un rôle essentiel dans ce schéma : « nous voyons apparaître un type d’homme dont la radicalité dans l’aliénation précise l’intensité de l’attente eschatologique » (Théorie du Bloom), car c’est finalement « par l’expérience absolue de son aliénation écrivent P. Garrone et D. Caboret, [qu’] il se rend capable de se réapproprier son essence métaphysique et donc de se supprimer comme Bloom ». Cependant dans cette vision les individus sont entièrement réduits à des Blooms, ils ne sont plus ontologiquement que des exemplaires du Spectacle et de la biopolitique, ces derniers constitueraient en quelque sorte la substance (vide) de leurs membres. Rien ne subsiste du sujet. Forcément dans cette conception où l’aliénation est totale, le monde ne peut être que renversé dans sa destruction totale, et le Bloom doit être happé par son être-vers-la-mort. C’est là dans un geste libératoire et purificateur, le moment et le rôle de l’insurrection. Pourtant la perspective est simplement l’opposition d’une vision du monde à une nouvelle vision du monde qui doivent dans l’insurrection et dans la constitution des « communes », s’intervertir. Très marqué par la dialectique nihiliste du prophète kabbaliste Jacob Franck [16] (« Je ne suis pas venu dans ce monde pour votre élévation, mais pour vous précipiter au fond de l’abîme »), c’est-à-dire de l’accomplissement du néant pour voir arriver son dépassement, c’est également toute la conception des « communes » et de « l’insurrection qui vient » qui en est tributaire. L’insurrection est alors la figure finale de cette dialectique : « car le désastre est l’issue du désastre » (Théorie du Bloom, n°1) ou encore « Le Parti imaginaire revendique la totalité de ce qui en pensées, en paroles ou en acte conspire à la destruction de l’ordre présent. Le désastre est son fait » (Thèses sur le Parti imaginaire). Ainsi, pour ce Bloom agrégé avec d’autres en « communes », « de toute évidence, il n’a pas d’autre fin que de dévaster ce monde, c’est même là son destin, mais il ne le dira jamais. Car sa stratégie est de produire le désastre, et autour de lui le silence » (Thèses sur le Parti imaginaire, n°1). C’est là semble-t-il la proposition d’une révolution portée par le simple désir de vengeance et un goût prononcé pour le morbide, l’insurrection semble sans but, sans finalité, sans son propre dépassement, elle est à elle-même son propre but, et cela suffirait. Non seulement le réalisme catastrophile d’une telle situation peut paraître douteux mais dans son hypothèse, on pourrait penser que ce ne peut être là qu’un changement de pouvoir, et non une transformation véritable du monde qui sape la « domination réelle » (Marx) du capital sur le travail. Cette fascination du présent vu sous le plus mauvais jour, sans concessions ni nuances, explique peut-être que le Comité invisible reste dans le moment révolutionnaire violent, dans l’instant insurrectionnel sans se risquer à proposer des pistes pour ce que pourrait être un monde post-révolutionnaire. Jamais les « communes » semblent être imaginées comme un moment post-révolutionnaire. D’ailleurs, cette violence si on la détache de toute sa justification nihiliste propre à Tiqqun, nous sommes bien conscients qu’elle sera peut-être nécessaire. Mais plutôt que d’être fascinés par cette dernière – dans un désir de vengeance plutôt qu’un désir de vivre ?- c’est à regret que nous serons prêts à y recourir au moment opportun.
C’est ici que les descriptions évidentes mais sans nuances faites de notre monde dans L’insurrection qui vient prennent tout leur sens. Le style de l’écriture comme les descriptions suivent le parti pris de montrer au travers d’anecdotes ou de ressentis une somme de choses mauvaises, qui auraient pour résultat implicite de comprendre que tout est mauvais et détestable dans son entièreté. Il suffirait de se rendre compte de cela en buvant jusqu’à la lie la coupe de la désolation, pour effectuer la prise de conscience de ce déploiement total dans le Bloom du vécu du néant, et permettre ainsi au Tiqqun d’arriver. Cependant en prenant l’exact opposé de l’optimisme béat du progressisme servile et de la publicité souriante, on renvoie encore la compréhension de l’économie comme une simple abstraction, une croyance, une interprétation - « l’économie considérée comme magie noire » (Tiqqun, n°1) -, dont il faudrait simplement se défaire et réfuter. Or, rien n’est dit de cette dépendance matérielle obligée à l’économie, où malgré le frelatage automatisé du goût et du contenu des valeurs d’usage, les individus-rouages qui y participent semblent encore trouver des facilités, des avantages et même des satisfactions qu’il serait inutile de nier au vu de la profondeur enracinée de la dépossession. En contrepartie de l’aliénation économique, l’économie reste capable de nous construire un certain « confort » ambivalent et contre-productif [17], du moins de réaliser (plus ou moins, selon l’achèvement de l’économie et l’empoisonnement qui est sa réalité) notre subsistance automatisée sous plastiques et kits de construction IKEA. Plus encore, dans ce nouveau cynisme où au regard de la crise écologique et sanitaire, l’économie ne promet plus rien mais trépigne en nous disant que finalement « c’est ainsi », ce sont encore ces multiples satisfactions et facilités qui nous assoupissent et nous réduisent à de la servilité volontaire envers elle. Ainsi malgré l’aveu bureaucratique des gestionnaires de la crise d’un empêchement dernier à une restructuration complète de la société, les populations ne perdent pas confiance dans les institutions de la vie dominante comme avait pu le penser Illich. A l’intérieur de la crise, on ne voit toujours pas venir « l’inversion radicale des institutions » qui était espérée dans La convivialité, mais au contraire les technocrates et les « partis politiques alternatifs » qui conduisent ou veulent conduire le troupeau au-delà du seuil de d’auto-destruction. C’est là un fait essentiel qui entraîne que toute volonté de noircir le tableau jusqu’à la nausée, frappe tout simplement à côté de l’économie réellement existante. C’est parce qu’ancrée dans nos vies, parce que l’irréalité de sa « métaphysique réelle » (R. Kurz) surgit sur le substrat de son fondement méta-économique réel (qui la sous-tend et dont elle se sert, en l’exploitant – de moins en moins - dans le surtravail), que l’économie est très forte et nous tétanise d’agir alors que sa crise est là dans son évidence, sous nos yeux. Le problème central n’est donc pas un statut de « croyance » à une économie perçue comme une métaphysique, une vue du monde, qu’il faudrait nier en dressant le tableau le plus noir possible. C’est là aussi que le livre peut être seulement distrayant. S’« il faut organiser le pessimisme » disait Walter Benjamin (Sens unique), cela ne nous semble pas suffisant.
Commune et insurrection sont intimement liées. On lit que « la commune est l’unité élémentaire de la réalité partisane. Une montée insurrectionnelle n’est peut-être rien d’autre qu’une multiplication de communes, leur liaison et leur articulation ». Car cette appropriation du pouvoir par le peuple qui est prônée, doit être associée à une lutte vis-à-vis du pouvoir en place, dans la ligne chez Tiqqun de la résurrection de la « lutte armée » en vue de la « guerre civile » fonctionnant sur une « opacité offensive » : cela passe par le blocage physique de l’économie (abandon du travail, fraudes, pillage, sabotage, manifs sauvages, etc.) et parce que le pouvoir en place ne se laissera pas faire, l’insurrection se fera contre les forces de l’ordre, et est conditionnée par leur anéantissement (harceler la police, résister à la répression, détruire les fichiers informatiques, s’armer tout en rendant superflu l’usage des armes ce qui est une thèse centrale chez eux [18]).
Ainsi dans le Parti imaginaire, à côté des Blooms happés par leur être-vers-la-mort qui ravagent le monde par des actes destructifs (tueries, suicides, attentats, etc. [19]), et des membres conscients du groupe Tiqqun qui dans la figure du missionnaire donnent sens et valeur à des pratiques qui a priori en seraient dépourvues, l’enjeu véritable de L’IQV est de créer une nouvelle force à ce Parti en proposant un schéma aux autonomes, aux anarchistes, aux bandes d’ami-e-s qui se constituent à la campagne, en leur proposant de constituer des « communes ». La voile de la stratégie mondiale du Parti imaginaire est alors totalement déployée avec la dernière pierre apportée par ce livre : tout le monde est en place, en rang et bien aligné. L’IQV apparaît alors comme un manuel pour cette « minorité de corps [qui] doivent y prendre la guerre pour objet exclusif de leur existence. Ils seront les guerriers » (« Ceci n’est pas un programme »). Alors chez ce Bloom nihiliste, « rien n’est plus émouvant ; parce que cette absence de soi n’est pas un simple manque, un défaut d’intimité avec soi-même, mais au contraire une positivité ». Positivité qui serait « qu’il veut humaniser sa vocation à la mort ». Nous sommes là au noyau théorique de cette fascination pour la violence et cette dialectique du désastre. Cependant loin d’appuyer sur une critique de la « virilité classique » du guerrier, de chercher à le critiquer et à le contenir [20], l’écriture souvent forte et lyrique de ce livre, appelle à tout soumettre à ce moment de l’insurrection, et l’affrontement avec toute la fascination qui s’y rattache y est présenté comme lumière et plénitude.
La qualité de l’écriture qui n’est pas le moindre des attraits de ce livre, est aussi un piège, une fascination peut s’exercer dès lors rapidement et faire perdre tout esprit critique. En manquant de prudence, ce livre risque de devenir une sorte de Bible du révolutionnaire-délinquant. D’ailleurs, si nous sommes d’accord pour affirmer que la résistance, c’est de la délinquance, nous refusons de retourner cette formule, et encore plus étendre cette résistance à tous les « actes gratuits » ou désespérés (avec l’épisode de décembre 2005, désormais le Bloom le plus pur c’est le casseur, et la « commune » la plus efficace, la bande de casseurs. Après les attentats de 2001 pensaient les Tiqqun, le Bloom idéal était alors le musulman acculé au terrorisme par l’occidentalisation…). Certes ce sont dans les périphéries où existent les plus grandes injustices et où persistent en même temps des liens communautaires, que se passent les velléités insurrectionnelles les plus grandes. Mais la figure du banlieusard en Nike et BMW ne doit pas être mystifiée. Combien sont-ils dans ces quartiers à vouloir transformer radicalement le monde ? Ce sont aussi pour certains des individus qui ont parfaitement intériorisé les normes dominantes et qui souhaitent arriver en haut, en faisant fi du fait que cela veut dire en laisser en bas. Par ailleurs, certains amalgames sont un peu rapides : comparer Bassora et la Seine-Saint-Denis demande sans doute quelques explications.
Face à cette nostalgie qui se fascine pour les années de plomb et toutes leurs bandes de luttes armées et pathologies criminelles comme la « Manson Family » - nostalgie qui pousse Tiqqun et ses proches jusqu’à y reconnaître leurs ancêtres [21] -, « il faut aussi résister à une tendance écrivent J. Guigou et J. Wajnsztejn, très présente chez les jeunes ‘‘ radicaux ’’, à vouloir réduire 68 à l’utilisation qui peut en être faîte aujourd’hui. C’est une tendance qui finalement se préoccupe peu de ce qui s’est passé et de l’interprétation située qu’on peut en faire, avec le recul. Il ne s’agit alors, dans une optique très activiste, que d’en reprendre quelques recettes et les appliquer. Pour ne prendre que quelques exemples (…), les réactions plus ou moins individuelles ou de groupe contre la police puiseraient leur modèle dans les batailles rangées contre la police dans les années 60-70, etc. Chaque fois, ce qui est oublié, c’est le contexte de lutte, le travail préparatoire des assemblées étudiants-ouvriers, l’insubordination ouvrière des jeunes prolétaires 0S, à la fois isolés parce que déracinés mais en même temps soudés par leur proximité de masse dans les grandes forteresses ouvrières (…) Mais aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le même registre puisque c’est la violence individuelle ou de mini groupes qui semblent chercher à provoquer l’ébranlement, sans attendre que cette violence viennent s’ancrer sur des bases plus solides. On est parfois assez proche des raisonnements de la RAF allemande sur la nécessité de créer des actes exemplaires en l’absence d’un réel mouvement de lutte radical (…) C’est parce qu’il n’ y a pas (encore) cette force collective (…), que l’acte exemplaire n’apparaît que comme un acte artificiel correspondant à la volonté plus ou moins spectaculaire de ‘‘ faire un coup ’’ ou d’exercer un rituel comme dans les tentatives maintes fois répétées d’occuper la Sorbonne » [22]. Pour l’heure, la violence que l’on pourrait opposer à la Méga-machinisation de nos vies, dévoile comme écrivait J. Ellul, ce qu’est devenue la politique, ici et maintenant : cette violence exprime la haine absolue du pouvoir absolu. Car si la puissance étatique tend vers l’absolu, les moyens pour la combattre ne peuvent plus rester relatifs. La « lutte armée » dans sa forme aveugle et les moyens démesurés des Etats ne sont plus que des frères ennemis, des formes immanentes à une même logique de totalisation.
4. La catastrophe comme aubaine : un insurrectionnalisme messianique
De plus si le livre développe une stratégie insurrectionnelle de « bandes » à la Mad Max, il cherche après avoir décrit une véritable ambiance de fin du monde sans nuances, à tirer parti de l’effondrement présent : « Attendre encore est une folie. La catastrophe n’est pas ce qui vient, mais ce qui est là », « c’est moins sur les crises ‘‘ naturelles ’’ qu’il faut compter que sur les crises sociales »). Pour cela il faut jouer la carte de la « multiplicité de groupes, de comités, de bandes pour organiser l’approvisionnement et l’autodéfense d’un quartier, voir d’une région en soulèvement ». La crise future rendant le système extrêmement vulnérable comme la montré par exemple l’épisode de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans [23], c’est alors une aubaine pour transformer le monde, elle est même présentée comme la dernière chance de révolution. Il y a désormais un recours systématique de la stratégie révolutionnaire dans sa projection dans le moment apocalyptique du déclin et de la chute de l’économie, il semble là qu’on cherche toujours à reproduire artificiellement dans l’ailleurs espéré d’une « uchronie », les affrontements qu’on désespère de voir surgir dans la société présente. Le moment de la crise catastrophique ou de la future crise sociale, est attendu alors comme le moment de la venue du Messie de l’insurrection, et tous s’y préparent. C’est toute cette vision apocalyptique au niveau écologique comme social, à l’évidence non interrogée, qui soutient la stratégie insurrectionnelle et les éléments de sa mise en place. Le cadre de l’insurrection est placé dans cette téléologie implacable, où l’avenir apocalyptique est dissimulé dans le présent, l’avenir ne résultant plus directement de l’immanence de nos actions présentes, délibérées ou involontaires. En ce sens, nous avons là un insurrectionnalisme de « crise », une nouvelle catastrophilie. On pourrait alors souscrire à cette remarque de R. Riesel et J. Semprun à propos de ce livre, écrivant que ses rédacteurs « qui se déclarent plus portés à l’organisation et à l’ ‘‘ expérimentation de masse ’’, voient dès maintenant dans la décomposition de toutes les formes sociales une ‘‘ aubaine ’’ : de même que pour Lénine l’usine formait l’armée des prolétaires, pour ces stratèges qui misent sur la reconstitution de solidarités inconditionnelles de type clanique, le chaos ‘‘ impérial ’’ moderne forme les bandes, cellules de base de leur parti imaginaire, qui s’agrégeront en ‘‘ communes ’’ pour aller vers l’insurrection » [24].
S’il n’est pas question d’opposer à ce catastrophisme messianique, un autre schéma hégélien (la matrice prolétarienne des stades successifs) qui attendrait de voir le train de la réalisation de quelque chose pour en connaître le dépassement, nous pensons que quel que soit en effet la mort lente de l’économie et ses derniers râles écologiques qui pourraient bien l’emporter avec eux, nous sommes nous-mêmes l’économie, et il y a forte chance que le spectacle de son écroulement, avec nous dessous, n’ait rien sur le moment de réjouissant ni ne donne l’envie de se révolter, au contraire... (pensons à ce qu'est devenu le mouvement anarchiste en août 1914). C’est bien parce que nous n’avons pas envie de crever nous aussi dessous, qu’une sécession – et d’abord avec le travail-marchandise – est et doit être pensée, construite et engagée concrètement, ici et maintenant. Mais trouver là une aubaine pour une insurrection, n’est guère réaliste ni enthousiasmant. Non seulement un ennemi quand il est blessé à mort est d’autant plus redoutable dans ses moyens de répression, mais on sait aussi que s’il sait détruire beaucoup de choses, il en construit aussi.
***
Requiem in pace
D’autres développements dans ce livre sont aussi très stimulants, notamment sur la constitution de communes en relative auto-suffisance pour construire des rapports individuels propres, notamment en groupe (pour faire cependant une « économie de guerre »…). La commune serait alors là pour « dissoudre la question des besoins. Elle veut briser, en même temps que toute dépendance économique, toute sujétion politique, et dégénère en milieu dès qu’elle perd le contact avec les vérités qui la fondent ». Pour se faire la commune viserait à s’organiser pour ne plus travailler dans le cadre du travail-marchandise. A côté d’une certaine autosuffisance relative de la commune, les rédacteurs acceptent alors toutes sortes de compléments : par exemple une « nécessaire disposition à la fraude », tandis que « la question du travail ne se pose qu’en fonction des autres revenus existants ».
De plus parce que la question de la réappropriation des savoirs et savoir-faire pour l’autosuffisance relative est centrale pour eux aussi [25], il faut également prendre en compte qu’« un ensemble de savoirs et techniques n’attend que d’être pillé et arraché à son emballage moraliste, caillera ou écolo. Mais cet ensemble n’est encore qu’une partie de toutes les intuitions, de tous les savoir-faire, de cette ingéniosité propre aux bidonvilles qu’il nous faudra bien déployer ». « Il ne faut pas négliger tout ce qu’au passage certains métiers, formations ou postes bien placés procurent de connaissances utiles ». A ce sujet d’ailleurs, la perspective n’est également et heureusement pas puriste. Tout en continuant aujourd’hui à travailler pour de l’argent (communisation des salaires, temps auto-réduits, etc.), nous pourrions utiliser nos vacances non pas à des loisirs, mais à former d’autres personnes dès que l’on se sent capable de transmettre une pratique essentielle pour sortir de l’économie, mais aussi pour se former soi-même à l’autoconstruction en paille, techniques de combat, pratiques potagères, etc. Car « il s’agit de savoir se battre, crocheter des serrures, soigner des fractures aussi bien que des angines, construire un émetteur radio pirate, monter des cantines de rue, viser juste, mais aussi rassembler les savoirs épars et constituer une agronomie de guerre, comprendre la biologie du plancton, la composition des sols, étudier les associations de plantes et ainsi retrouver les intuitions perdues, tous les usages, tous les liens possibles avec notre milieu immédiat et les limites au-delà desquelles nous l’épuisons ».
C’est certes un ouvrage stimulant qui fera probablement date, notamment les parties détachées de toute la conception cathartique propre à l’ontologie heideggerienne, sur « les communes ». La perspective de la séparation, de la sécession, de l’exit, du « marronage », bref de la sortie de la société techno-marchande, est donc aussi la notre, mais ce n’est pas une sécession contre, c’est une sécession pour quelque chose qui ne soit pas seulement destructif, mais justement qui relève de ce qu’un auteur appelle, la « substruction » [26] (à la fois subversif et constructif). Un recul critique – et nous n’avons voulu ici qu’apporter notre pierre à une critique des textes de Tiqqun - vis-à-vis de cet ouvrage dans les milieux anarchistes, autonomes, conseillistes, marxiens ou écologistes, est nécessaire tellement l’opération de séduction semble bien menée. Un recul critique, parce que nous ne voulons ni d’une nouvelle idéologie ni d’une nouvelle religion.
Julien Vignet et Clément Homs,
été 2008.
[1] Historiquement, l’ « ultragauche » est formée des courants d’origine communiste (et non anarchiste) qui refusèrent très tôt la conception développée par Lénine et ses amis d’un parti d’avant-garde, seul apte à diriger le prolétariat vers sa libération, tout comme ils s’opposèrent à un parti social-démocrate cogérant la société avec le patronat et rejetèrent le parlementarisme. On a parlé d’ « ultra-gauche » au sujet de différents courants : la gauche germano-hollandaise, le conseillisme (Anton Pannekoek, Paul Mattick, Castoriadis, Lefort, le situationnisme quand il a repris la solution des conseils, même si l’IS développe des réflexions totalement autonomes) et le bordiguisme. Bourré d’erreurs et organisant souvent la confusion, le seul ouvrage qui comble un vide reste pourtant celui de C. Bourseiller, Histoire générale de l’ultra-gauche, Denoel, 2003. La mouvance « autonome » est elle aussi à distinguer de l’anarchisme et de l’ultra-gauche, voir les deux mémoires d’histoire de Sébastien Schifres, sur La mouvance autonome en France de 1976 à 1984 sur le site : < http://sebastien.schifres.free.fr/>
[2] L’insurrection qui vient s’annonce ainsi comme un ouvrage répétant et poursuivant notamment le texte « Ceci n’est pas un programme » : « Dans ces conditions, le passage des luttes sur les lieux de travail aux luttes sur le territoire, la recomposition d’un tissu éthique sur la base de la sécession, la question de la réappropriation des moyens de vivre, de lutter et de communiquer entre nous, forment un horizon inatteignable tant que ne sera pas admis le préalable existentiel de la separ/azione. Separ/azione signifie : nous n’avons rien à voir avec ce monde. Nous n’avons rien à lui dire, ni rien à lui faire comprendre. Nos actes de destruction, de sabotage, nous n’avons pas besoin de les faire suivre d’une explication dûment visée par la Raison humaine. Nous n’agissons pas en vertu d’un monde meilleur, alternatif, à venir, mais en vertu de ce que nous expérimentons d’ores et déjà, en vertu de l’irréconciliabilité radicale de l’Empire et de cette expérimentation, dont la guerre fait partie. Et lorsque à cette espèce de critique massive, les gens raisonnables, législateurs, les technocrates, les gouvernants demandent : ‘‘ Mais que voulez-vous donc ? ’’, notre réponse est : ‘‘ Nous ne sommes pas des citoyens. Nous n’adopterons jamais votre point de vue de la totalité, votre point de vue de la gestion. Nous refusons de jouer le jeu, c’est tout. Ce n’est pas à nous de vous dire à quelle sauce nous voulons être mangés. ’’ La principale source de notre paralysie, ce avec quoi nous devons rompre, c’est l’utopie de la communauté humaine, la perspective de la réconciliation finale et universelle », Tiqqun, vol. 2, 2001, p. 250.
[3] Le texte anonyme l’Appel est disponible sur : < http://1libertaire.free.fr/Appel01.html >; la brochure Rupture de Simon, 2006, sur : < http://1libertaire.free.fr/BrochureRupture.html >
[4] Comme seul le fondement de la thèse sur la proposition de la « communauté qui vient » nous intéresse, nous ne commentons pas les développements sur la « communauté terrible ».
[5] cf. Tiqqun, Théorie du bloom, La fabrique, 2004.
[6] Il faut ici renvoyer à la lecture de D. Caboret et P. Garrone, Avant-garde et mission…la tiqqounerie, 1999, disponible à l’adresse internet suivante : < http://laguerredelaliberte.free.fr/doc/tiqq.pdf >, qui développent la filiation à Heidegger, à la kabbale lourianique et aux nihilistes politiques. Parce qu’écrit en 1999 suite à la parution du n°1 de Tiqqun, ce texte n’aborde pas la critique d’une autre des sources du groupe qui apparaîtra très nettement en 2001 avec le n°2 de la revue : Michel Foucault. J.-M. Mandosio aborde ce côté-là de la critique de Tiqqun dans le chapitre « Longévité d’une imposture : Michel Foucault » de son livre D’or et de sable, éd. Encyclopédie des nuisances, 2008.
[7] « Une telle croyance confère à l'homme un pouvoir démesuré sur les entités cosmiques et sur la divinité elle-même » précise le Dictionnaire critique de l'ésotérisme, dir. Jean Servier, PUF.
[8] Tiqqun, « Introduction à la guerre civile », n°2, 2001. On dira là, dans cette conception philosophique déconstruisant « la » communauté pour la renvoyer dans le fondement supposé moins idéaliste des « rapports singuliers », que les auteurs de Tiqqun n’ont qu’opéré une translation de l’idéalisme, de la « communauté » vers les « rapports singuliers » (« rapports » devenus des tierces personnes morales et agissantes, c’est-à-dire en les invoquant, eux aussi, incantatoirement et de manière inlassable). A l’inverse, on pourrait penser que « la substance des relations dans lesquelles l’individu est pris écrit Michel Henry n’est jamais que sa propre substance, les rapports dans lesquels s’inscrit sa vie individuelle lui appartiennent, ce sont les rapports et les déterminations de cette vie elle-même. Je cite L’idéologie allemande : ‘‘ les conditions d’après lesquelles les individus sont en relations les uns avec les autres sont des conditions faisant partie de leur individualité, elles ne sont rien qui leur soit extérieur ’’. Et Marx ajoute quelques lignes plus loin : ‘‘ Ce sont les conditions de leur propre activité et elles sont produites par cette propre activité. ’’ Parce que les relations sociales sont intérieures à l’individu et ne désignent rien d’autre que certaines modalités de sa vie personnelle, l’idée d’une détermination [ontologique s’entend] de l’individu par le ‘‘ social ’’ apparaît immédiatement absurde. Elle présuppose l’abstraction du social, son hypostase hors de l’individu comme une réalité différente de lui et l’établissement alors d’une relation de causalité externe entre cette prétendue réalité sociale et l’individu lui-même. Toutes les déterminations subjectives individuelles et concrètes sont ainsi arrachées au lieu de leur réalité originelle, projetées dans le ciel du mythe où elles déploient dans l’abstraction une existence nouvelle et se proposent à nous à titre de ‘‘ conditions objectives’’ ». De plus chez Tiqqun (comme chez F. Guattari ou M. Foucault), cette insistance sur les « relations » ou les « rapports », est une vieille définition de la réalité dernière comme essence dialectique, où finalement la réalité dernière est entre les éléments reliésou rapportés entre eux.
Pour le Marx de M. Henry, « ce n’est jamais la contradiction, l’opposition qui est première, mais bien au contraire les termes entre lesquels la contradiction est dîte s’instituer, et ces termes eux-mêmes ne sont jamais des entités générales, des classes, des structures mais au contraire des réalités particulières, déterminées, singulières. Ce sont ces réalités particulières qui sont premières et tout ce qui se passe dans l’expérience, les heurts et les conflits qui s’y produisent, les équilibres plus ou moins durables qui s’y installent, ne sont jamais que les effets de ces réalités et de leurs déterminations propres, leur point de rencontre », M. Henry, Le socialisme selon Marx, Sulliver, 2008, « Introduction à la pensée de Marx », p. 10-11. « Mais ‘‘ s’éprouver soi-même ’’ à la manière d’une souffrance n’a rien à voir avec la tautologie morte du A=A du sujet formel et vide de l’idéalisme allemand ni avec le ‘‘ Je suis moi ’’ de Husserl. S’éprouver soi-même veut dire pour la souffrance [on pourrait dire de même avec la jouissance, comme dans l’orgasme] parvenir en soi, se charger de son contenu propre, se subir soi-même, se souffrir soi-même dans un souffrir plus fort que toute liberté », dans « Eux en moi : une phénoménologie », M. Henry De la phénoménologie, tome 1, PUF, 2003, p. 201.
[9] Article de Jacques Guigou, « Tiqqun ou une rhétorique de la remontrance », 2006, sur < http://1libertaire.free.fr/JGuigou01.html >. Une des premières actions prédicatrices du groupe étant par exemple un « sermon » sur la place de la Sorbonne (le texte du sermon est publié dans le n°1).
[10] P. Garrone et D. Caboret commentent cela quand ils écrivent qu’ « il est donc caractéristique qu’en dévoilant l’essence métaphysique du monde, elle [la Tiqqounnerie] ne peut le combattre qu’en tant que catégorie philosophique, c’est-à-dire en tant qu’adversaire de même condition qu’elle. Aussi, a-t-elle trouvé l’expression exacte pour qualifier son activité, lorsqu’elle affirme qu’elle lutte uniquement contre une ‘‘ interprétation ’’. Egarée dans ses périlleux exercices scolaires, elle ne peut annoncer aux hommes leur libération que sous la forme d’un postulat moral : troquer leur conscience actuelle contre la conscience véritable », c’est-à-dire l’absolutisation de la communauté comme essence en dernière instance de l’individu, op. cit. (nous soulignons).
[11] Cf. Michel Henry, Marx. Une philosophie de la réalité, tome 1, Gallimard, 1991 (1976).
[12] « Il y a une énorme contradiction entre ce qu’ils [les militants] prétendent désirer et la misère et l’inefficacité de ce qu’ils font (…) Bien qu’insatisfait, le militant reste incapable de reconnaître et d’affronter ses désirs. (…) Militer, ce n’est pas s’accrocher à la transformation de sa vie quotidienne, ce n’est pas se révolter directement contre ce qui opprime, c’est au contraire fuir ce terrain. Or ce terrain est le seul qui soit révolutionnaire pourvu que l’on sache que notre vie de tous les jours est colonisée par le capital et régie par les lois de la production marchande. (…) En militant, il donne du poids à son existence, sa vie retrouve un sens. Mais ce sens, il ne le trouve pas en lui-même dans la réalité de sa subjectivité, mais dans la soumission à des nécessités extérieures. De même que dans le travail il est soumis à un but et à des règles qui lui échappent, il obéit en militant aux « nécessités de l’histoire ». (…) L’activité du militant n’est pas le prolongement de ses désirs, c’est parce qu’elle obéit à une logique qui lui est extérieure (…) Leur solution n’avance jamais, parce que lorsque les militants se les posent, ils se les posent comme séparées de leur vie », dans Le militantisme, stade suprême de l’aliénation, vol. 1, 1972.
[13] P.M., Bolo’Bolo, L’éclat, 2003.
[14] Ainsi un auteur écrit à la suite de son périple dans plusieurs « communes hippies » en Californie en 1969 : « Je ne pouvais déceler aucun dénominateur commun. Aucune commune ne ressemblait à la précédente. La simple définition à laquelle j’avais pensé (vivre ensemble et partager un but commun) recouvrait des réalités si diverses qu’elle en arrivait à ne plus avoir aucun sens. L’objectif commun peut par exemple être seulement de s’amuser. Je découvris que ce que les gens faisaient, lisaient, croyaient, espéraient, c’est cela qui était le plus important, et c’était moins l’expression d’une vie en commun que d’une culture hippie. A partir de cette constatation, je commençai à y voir clair : les communes sont le résultat d’une culture (…) Les communes sont créées et soutenues par une culture. Elles sont créées et soutenues parce qu’elles sont un mécanisme du pouvoir collectif qui aide cette culture à survivre. C’est pourquoi les communes sont rarement ‘‘ la chose en elle-même ’’. Elles sont la manifestation d’une culture qui veut survivre », Bob Fitch, « Les communes et la culture hippies », revue Esprit, octobre 1970, p. 505.
[15] P. Garonne et D. Caboret, op. cit.
[16] « Il ne fait maintenant plus aucun mystère que Julien Coupat, par l’idée d’une mission à accomplir, est marqué jusqu’au ridicule par les sentences de Franck », P. Garrone, D. Caboret, op. cit.
[17] « Dans un certain sens, c’est l’industrialisation, plus que l’homme, qui a profité des progrès de la médecine : les gens sont devenus capables de travailler plus régulièrement dans des conditions plus déshumanisantes », Illich, La convivialité, Seuil, 1973, p. 16.
[18] Cette idée que le fait d’être armé peut rendre superflu d’utiliser les armes, est présentée comme une logique de dissuasion : « Lorsqu’en mars 1977, 100 000 personnes manifestent à Rome parmi lesquels 10 000 sont armées et qu’à l’issue d’une journée d’affrontements aucun policier ne reste sur le carreau quand cela eût été si facile de faire un massacre, on perçoit un peut mieux la différence qu’il y a entre l’armement et l’usage des armes. Être armé est un élément du rapport de force, le refus de demeurer abjectement à la merci de la police, une façon de s’arroger notre légitime impunité », dans « Ceci n’est pas un programme », op. cit., p. 254.
[19] Il y a une fascination devant la violence gratuite chez Tiqqun, qui n’est encore pas nouvelle : « Rien ne peut expliquer l’absence systématique de remords chez ces criminels (K. Kinkel par exemple), sinon le sentiment muet de participer à une grandiose œuvre de saccage. De toutes évidence, ces hommes en eux-mêmes insignifiants sont les agents d’une raison sévère, historique et transcendante qui réclame l’anéantissement de ce monde, c’est-à-dire l’accomplissementde son néant », (Thèses sur le parti imaginaire, n°1). « On trouvait déjà dans le n°1 de Tiqqun l’apologie des ‘‘ carnages, suicides et dérèglements divers ’’ (…). Tant Foucault [avec Pierre Rivière] que Tiqqun s’inscrivent dans une tradition littéraire bien française d’exaltation du crime dépourvu de mobile apparent, des fantasmes d’Andre Gide sur l’ ‘‘ acte gratuit ’’ (Les Caves du Vatican, 1914) aux spéculations de Maurice G. Dantec sur les tueurs en série (Les Racines du mal, 1995), en passant par la célèbre exhortation d’Andre Breton : « l’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule » (Manifeste du surréalisme, 1924) », dans Jean-Marc Mandosio, D’or et de sable, Encyclopédie des nuisances, 2008, p. 233 ; sur Tiqqun cf. p. 231-236. On lit aussi dans La théorie du Bloom, au sujet de Richard Durn : « La contradiction entre l'isolement, l'apathie, l'impuissance, l'insensibilité du Bloom d'un côté et de l'autre son cassant besoin de souveraineté ne peuvent qu'amener plus de ces gestes absurdes, meurtriers… ».
[20] « Dorénavant, la machine de guerre [pour faire la révolution] devra se défendre non seulement des attaques hostiles, mais aussi de la menace que sa minorité guerrière ne se sépare d’elle (…) Etablit un rapport majeur à la violence veut seulement dire, pour nous, établir un rapport majeur à la minorité des guerriers (…). Le guerrier n’est pas une figure de la plénitude (…). Le guerrier est une figure de l’amputation. Le guerrier est cet être qui n’accède au sentiment d’exister que dans le combat, dans l’affrontement avec l’Autre ; cet être qui ne parvient pas à se procurer par lui-même le sentiment d’exister. Rien n’est plus triste, au fond, que le spectacle de cette forme-de-vie qui, dans chaque situation, attendra du corps-à-corps le remède à son absence à soi (…) Le guerrier est une figure de l’inquiétude et du ravage. A force de n’être pas là, de n’être que pour-la-mort, son immanence est devenue misérable, et il le sait », dans « Ceci n’est pas un programme », op. cit., p. 254-255.
[21] « Là où le mouvement ouvrier avait depuis longtemps été liquidé, comme aux Etats-Unis ou en Allemagne, il y eut un passage immédiat de la révolte étudiante à la lutte armée, passage où l'assomption de pratiques et de tactiques propres au Parti Imaginaire fut souvent masquée par un vernis de discours socialiste voire tiers-mondiste. Ce fut en Allemagne, le mouvement du 2 juin, la Rote Armee Fraktion (RAF) ou les Rote Zellen, et aux Etats-Unis le Black Panther Party, les Weathermen, les Diggers ou la Manson Family, emblème d’un prodigieux mouvement de désertion intérieure », Tiqqun, n°2, « Parti imaginaire et mouvement ouvrier », p. 241.
[22] J. Guigou et J. Wajnsztejn, « Compléments à Mai 68 et le Mai rampant italien », juillet 2008, disponible à l’adresse : < http://membres.lycos.fr/tempscritiques/texte.php?ordre=34 >
[23] Ainsi, au sujet de l’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans, des insurrectionnalistes américains écrivent : « Nous sommes en train de vivre une des plus grandes perturbations de l’économie capitaliste et l’ordre social depuis peut-être les rébellions urbaines de Los Angeles qui ont secoué le pays en 1992. (…)Les autorités sont démoralisées : Un tiers de la police de la Nouvelle Orléans a déserté et le reste opère avec des véhicules, du carburant, des armes et des communications limités, les membres de l’armée s’interrogent de façon ouverte sur leurs interventions à la fois à la N.O. et en Irak, le maire de la N.O. s’est effondré en pleurs publiquement...La foi et la confiance en les autorités fédérales et d’état s’évaporent au fur et à mesure que les aides et ressources de sauvetage sont bizarrement absentes ou ailleurs. (…)Le dégoût du gouvernement, et peut-être même de l’idée de gouvernement, croît.Les actes illégaux sont de plus en plus défendus, appréciés. Beaucoup d’Américains ordinaires sont en train de casser leur routine légaliste en justifiant le pillage. Comme la définition du crime (et de la survie) se déplace, les agents du contrôle social commencent à faiblir. (…)Le système peut-il être surchargé jusqu’au point d’effondrement ? Comment pouvons-nous le mieux participer dans ces moments de crises ? (…) Si maintenant c’est le moment, alors que faire ? » Cf. la brochure Autour de la catastrophe Katrina à la Nouvelle-Orléans. De sa gestion par l’Etat et de l’organisation autonome et collective pour la survie : < http://infokiosques.net/spip.php?article444 >
[24] René Riesel et Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Encyclopédie des nuisances, 2008, p. 41-42.
[25] On notera d’ailleurs l’existence depuis 1971 de la collection « l’encyclopédie d’Utovie » entièrement tournée vers la transmission des savoirs et techniques pour l’autoconsommation, l’autoconstruction et l’autofabrication, et qui compte aujourd’hui plus d’une 70 petites brochures aux informations pratiques et précises. Cf. Le site : < www.utovie.com >. Dans un même registre le groupe d’autonomes parisiens « Hobolo » dispose de toute une bibliothèque bien fournie (voir sur le site infokiosque.net).
[26] « La Machine Travail Planétaire (MTP) doit être démantelée soigneusement car nous ne voulons pas mourir avec elle. N’oublions pas que nous sommes une partie de la Machine et qu’elle fait partie de nous-mêmes. Nous ne pouvons détruire que notre rapport à la Machine. ‘‘ Subversion ’’ signifie changement des rapports entre nous (les trois catégories de travailleurs) et face à la Machine (qui, à son tour, se présente à chaque catégorie de travailleurs comme un système globalisant). Il s’agit de subversion et non d’attaque, car nous sommes à l’intérieur de la Machine et c’est à partir de là que nous devons la bloquer. Nous ne nous présenterons pas comme un ennemi de l’extérieur. Il n’y aura pas de front, ni de quartier général, encore moins d’uniformes. Utilisée seule, la subversion n’est pas une solution, elle nous permet de paralyser un certain secteur de la Machine, de détruire une de ses fonctions, mais la Machine sera toujours capable de reconstruire une fonction isolée et de s’imposer de nouveau. Nous devons remplir chaque espace conquis par la subversion avec quelque chose de nouveau, quelque chose de constructif. Nous ne pouvons pas espérer éliminer d’abord la Machine et, une fois en place libre, établir BOLO’BOLO : nous arriverions toujours trop tard. Des éléments provisoires de BOLO’BOLO, des rameaux de sa structure doivent occuper tous les interstices libérés, les espaces abandonnés, les zones déjà conquises. Ils préfigurent ainsi les nouvelles relations. La construction doit être combinée avec la subversion pour former un processus unique : la substruction (ou con-ver-sion si l’on préfère). La construction ne doit jamais être un prétexte pour renoncer à la subversion. A son tour, la subversion isolée ne produit que feu de paille, des dates historiques et des héros, mais ne laisse pas de résultats sur le terrain. Construction et subversion prises isolément sont, l’une et l’autre, une manière de collaboration tacite ou explicite avec la Machine », P.M., Bolo’bolo, éditions L’éclat, 1998, p. 60.