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Avec et au-delà de Marx : Repenser une théorie critique

du capitalisme-patriarcat pour le XXIe siècle

Bibliographie d'introduction à la Critique de la valeur-dissociation

(Wert-abspaltungskritik).

*

La Critique de la valeur (en allemand Wertkritik), puis à partir des années 2000, la Critique de la valeur-dissociation (Wert-Abspaltungskritik), est un courant théorique marxien d'origine allemande apparu dans les années 1980, qui élabore une critique radicale de la société capitaliste-patriarcale au-delà du point de vue marxiste traditionnel, du post-structuralisme, du féminisme matérialiste et des concepts tronqués de racisme que l'on retrouve dans les courants tant postcoloniaux, décoloniaux, intersectionnels que centrés sur la « biologie raciale ». La Critique de la valeur-dissociation se fonde sur une réinterprétation de la critique chez Marx du capitalisme en s'appuyant sur cet auteur tout en en dépassant ses limites - le matérialisme historique identifié à un résultat de l'idéologie bourgeoise. Le capitalisme est alors compris à la fois dans son essence 1.) à travers ses catégories fondamentales telles que la « valeur », la « marchandise » et le « travail », 2.) comme une « contradiction en procès » indiquant qu'il ne se déploie qu'au travers de sa crise structurelle et l'épuisement de ses contre-tendances sous la forme d'un processus d'auto-destruction aveugle tant économique, qu'écologique et social 3.) au-delà même du périmètre de l'ancienne critique de l'économie politique, comme une forme de patriarcat producteur de marchandises, au travers de la mise en évidence d'un rapport asymétrique fondamental entre les sexes spécifique à la forme de vie capitaliste, la « dissociation ». 

En attendant la parution courant 2024 du livre de Ernst Schmitter, L'Economie comme impasse. Une introduction à la Critique de la valeur-dissociation, qui constituera le premier ouvrage en langue française d'approche initiale de ce courant, nous proposons ci-dessous un guide de lecture. 

Dix textes de référence pour une introduction

1. Le Manifeste contre le travail du groupe Krisis (Crise & Critique, 2020 ; une réédition augmentée et préfacée par Alastair Hemmens).

2. Quelques points essentiels de la critique de la valeur par Anselm Jappe, appendice à La Société autophage (La Découverte, 2017) [certainement le résumé le plus concis de nombreuses thèses]

3. Théorie marxienne et critique du travail, qui constitue l'introduction à Ne travaillez jamais d'Alastair Hemmens (Editions Crise & Critique, 2019)

4. Théorie de Marx, crise et dépassement du capitalisme. A propos de la situation de la critique sociale radicale (Entretien avec Robert Kurz)

5. L'entretien de Roswitha Scholz avec Clara Navaro Ruiz, Valeur-dissociation, sexe et crise du capitalisme

6. Le côté obscur du capital. Masculinité et féminité comme pilier de la modernité par Johannes Vogele

7. Contre la critique tronquée du capitalisme par Johannes Vogele et Paul Braun 

8. L'anticapitalisme aujourd'hui, c'est quoi ? De l'anticapitalisme tronqué à une nouvelle critique sociale à gauche, par Clément Homs

9. Révolution contre le travail ? La critique de la valeur et le dépassement du capitalisme, par Anselm Jappe

10. « We Gotta Get Out Of This Place (On doit se barrer d'ici !) » (Entretien d'Anselm Jappe avec Alastair Hemmens)

Histoire du courant de la Critique de la valeur-dissociation

- Une « Histoire de la critique de la valeur à travers les écrits de Robert Kurz », par Anselm Jappe (paru dans l'ouvrage coordonné par Eric Martin et Maxime Ouellet, La Tyrannie de la valeur, Ecosociété, 2014) ;

- Une histoire plus générale de la critique de la valeur-dissociation à été présentée par Clément Homs dans « Les Chiens de rue de la théorie critique. Les origines de la revue Krisis : protagonistes et préhistoire de la Critique de la valeur-dissociation (1966-1992) » dans le n°5 de la revue Jaggernaut (Crise & Critique, 2023).

Bibliographie thématique pour approfondir (non exhaustive)

Pour ce qui est du « noyau » et de l’originalité de la Critique de la valeur-dissociation, on pourrait distinguer quatre niveaux essentiels de rupture avec l’ancienne théorie marxiste-traditionnelle du capital et l’anticapitalisme tronqué de gauche.

A. Avec et au-delà de Marx : les grandes lignes d'une réinterprétation de la critique du capitalisme chez Marx.

Le premier niveau porte sur la critique marxienne de l’économie politique. La rupture sera de passer d’un paradigme qualifié de marxiste traditionnel centré sur la critique de la seule exploitation comprise au travers d’un paradigme sociologiste et subjectiviste de la domination sous le capitalisme et une affirmation positive des catégories de base capitalistes qui se trouvent être naturalisées et ontologisées, à un paradigme centré cette fois sur une critique des catégories et formes sociales capitalistes, sur la base d’une compréhension renouvelée de la critique de la domination sous le capitalisme sur le plan du fétichisme de la marchandise. L’exploitation, les classes et la domination de classes se trouvent réinterprétées à partir du méta-niveau plus fondamental d’un concept de domination abstrait et impersonnel élaboré par Marx mais encore inapparent dans les différents courants du marxisme traditionnel. On passe ici d’une critique « phénoménologique » du travail, à une critique catégorielle du travail.

Le groupe allemand Exit ! a présenté son projet de refondation théorique d'une critique du capitalisme dans « Avec Marx, au-delà de Marx : Une critique du capitalisme pour le XXIe siècle », paru en français dans le n°5 de la revue Jaggernaut (Crise & Critique, 2023). Concernant la différence centrale entre critique phénoménologique du travail et critique catégorielle du travail, et une vaste et minutieuse histoire de la critique du travail chez plusieurs auteurs en France (Fourier, Lafargue, les Surréalistes, le situationnisme, les années 1970-1990), voir Alastair Hemmens, Ne travaillez jamais. La critique du travail en France de Charles Fourier à Guy Debord ,(Crise & Critique, 2019.

Pour une présentation exhaustive des différents thèmes de la critique marxienne de la valeur (sans toutefois la question de la critique de la valeur-dissociation), voir Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise. Pour une critique de la valeur (La Découverte, 2017) ; on peut aussi se référer au livre de Robert Kurz qui constituera la première synthèse d'étape de la critique de la valeur, au début des années 1990, L'Effondrement de la modernisation. De l'écroulement du socialisme de caserne à la crise du marché mondial (Crise & Critique, 2021). Il propose les premiers fondements de la critique fondamentale de la valeur, et une interprétation du processus de modernisation de rattrapage aux XIXe et XXe siècles, notamment la nature de l'URSS, sa crise, et l'échec de la modernisation dans les années 1970-1990 dans de nombreuses périphéries du système-monde capitaliste. Ce livre diffusé à plus de 25 000 exemplaires en Allemagne constitue aussi la première présentation de la théorie de la crise comme limite absolue du capital. 

Sur le commentaire et l'interprétation de Marx, mais aussi pour disposer de l'ensemble de passages du Marx ésotérique touchant à l'essence du capitalisme par-delà ses formes phénoménales historiques changeantes, voir Robert Kurz, Lire Marx. Les textes les plus importants de Karl Marx pour le XXIe siècle commentés par Kurz (Paris, Editions les Balustres, 2013).

Deux concepts différents de travail abstrait, une catégorie centrale de la critique de l'économie politique de Marx, sont théorisés dans le courant de la critique de la valeur : Pour les fondements de la théorie kurzienne du travail abstrait comme substance du capital, mais aussi la théorie de la crise, auxquels se réfèrent les groupes Exit !, Wertkritik & Krisentheorie, Fractura, Labor (Brésil) ou des auteurs comme Anselm Japppe, Benoît Bohy-Bunel, Alastair Hemmens, Sandrine Aumercier, etc., voir Robert Kurz, La Substance du capital, Paris, L'Echappée, 2019, notamment les premiers chapitres de l'ouvrage et le dernier « Le concept quantitatif de travail abstrait et le reproche de "naturalisme" ». Le concept postonien de travail abstrait comme fonction socialement médiantisante du travail, auquel se réfèrent les auteurs dans le contexte de l'actuel groupe Krisis, est développé dans Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale. Une réinterprétation de la théorie critique de Marx (Mille et une nuits, 2009). On retrouvera également cette approche dans le recueil de Postone, Marx par-delà la marxisme (Crise & Critique, 2023). 

Pour des critiques aux différentes familles composants l'anticapitalisme tronqué, on pourra voir pour une critique du marxisme traditionnel qui hypostasie les classes sociales sans les médiatiser par les catégories de base du capitalisme, l'ouvrage Robert Kurz et Ernst Lohoff, Le Fétiche de la lutte des classes. Thèses pour une démythologisation du marxisme (Crise & Critique, 2021), qui comprend également le texte "Le manifeste du parti communiste au prisme du double", peut être un utile complément à ces lectures. De manière plus générale et approfondie, voir Robert Kurz, Gris est l'arbre de la vie, verte est la théorie. Le problème de la pratique comme éternelle critique tronquée du capitalisme et l'histoire des gauches (Crise & Critique, 2022).

B. Au-delà de la Critique de la valeur, la Critique de la valeur-dissociation : Asymétrie de genre et capitalisme comme patriarcat producteur de marchandises

Le deuxième niveau de rupture, est de ne pas se contenter d’un seul renouvellement de la critique marxienne de l’économie politique et de saisir d’une nouvelle manière le lien interne entre capitalisme et patriarcat moderne. Ce niveau de réflexion niveau est travaillé à l’origine par Roswitha Scholz au travers du théorème de la « valeur-dissociation ». L’idée de base sera de ne pas faire du patriarcat moderne, une contradiction secondaire et dérivée du fonctionnement du capitalisme, mais au contraire de penser le capitalisme comme une forme sociale déterminée par une dissociation sexuelle historiquement spécifique, entre le « masculin » et le « féminin ». Pour ce qui est développé sous le nom de Critique de la valeur-dissociation par Roswitha Scholz, Kurz et le projet théorique d'Exit !, on peut utilement se référer sur la critique de la dissociation aux textes suivants :

Un résumé de la Critique de la valeur-dissociation est disponible sur la Page Wikipédia à l'entrée Roswitha Scholz

Le recueil de Roswitha Scholz Le Sexe du capitalisme. "Masculinité" et "féminité" comme piliers du patriarcat producteur de marchandises (Crise & Critique, 2019) rassemble en un seul volume les textes les plus importants de Roswitha Scholz sur la critique de la valeur-dissociation et le patriarcat producteur de marchandises. On y retrouvera autant les développements les plus théoriques et méthodologiques que les analyses concrètes des fondements et évolutions du patriarcat spécifique de la forme-valeur

Roswitha Scholz, Simone de Beauvoir aujourd'hui. Quelques annotations critiques sur une auteure classique du féminisme, Lormont, Bord de l'eau, 2014.

C. Théorie et analyse de la crise du capitalisme

Le troisième niveau de rupture est la reformulation sous une forme inédite, de la théorie marxienne de la crise. En effet, la théorie de la crise de Marx est généralement associée à la loi de la baisse tendancielle du taux de profit présentée dans le troisième volume du Capital. Selon Marx, la composition organique croissante du capital (le fait que le capital variable croît en termes absolus, mais diminue relativement du fait de la croissance plus rapide du capital constant) se traduit par la baisse du taux général de profit, qui sape la reproduction du capital. Le courant de la critique de la valeur va montrer au contraire, qu’il existe une « première version » de la théorie de la crise de Marx, esquissée surtout dans les Grundrisse, qui attribue la crise séculière de l’économie capitaliste au déclin absolu du travail vivant et, par conséquent, à la chute non pas seulement du taux de profit moyen, mais de la masse sociale de survaleur produite ; pour les auteurs autour de la critique de la valeur, seule cette « première version » de la théorie de la crise est adéquate à la compréhension de la crise globale structurelle contemporaine comme la réalisation d’une limite interne absolue (la chute de la masse de valeur à cause de la concurrence technologique) et d'une limite externe (la crise climatique globale et la barbarisation générale des rapports humains à presque tous les niveaux de la vie sociale et privée). On pourra voir les titres suivants :

Robert Kurz, La Montée aux cieux de l'argent. Limites structurelles à la valorisation du capital, capitalisme de casino et crise financière globale (Crise & Critique, 2023). 

Ernst Lohoff et Norbert Trenkle, La Grande dévalorisation. Pourquoi la spéculation et la dette de l'Etat ne sont pas les causes de la crise (Post-éditions, 2014).

Robert Kurz, La Substance du capital (L'Echappée, 2019). 

Robert Kurz, Vies et mort du capitalisme (Lignes, 2011) est un recueil qui comprend de nombreux articles de presse et entretiens sur la situation de crise post-crise de 2008. Ce recueil réunit une trentaine d’articles et d’entretiens relevant plutôt de l’analyse concrète de l’actualité. Les textes datent de 2007-2010 et couvrent surtout la période marquée par la crise du capitalisme qui a éclaté en 2008.

Anselm Jappe, Crédit à mort. La décomposition du capitalisme et ses critiques (Lignes, 2011.

Le n°2 de la revue Jaggernaut rassemble des textes de fond sur la théorie de la crise, Crises, champagne et bain de sang, Albi, Crise & Critique, 2020.

Le n°5 de la revue Jaggernaut rassemble un dossier d'articles exposant le débat, au sein du courant de la critique de la valeur et du marxisme, sur l'analyse et la théorie de la crise. 

D. Critique de l'individu abstrait, de la forme-sujet moderne et des Lumières bourgeoises

La critique de la valeur, et les contributions de Robert Kurz en particulier, ont privilégié pendant une longue période l’analyse du versant économique de la crise du capitalisme et ses conséquences politiques, ainsi que la confrontation avec l’œuvre de Marx lui-même et celle de ses interprètes. L’introduction des concepts d'individualité abstraite sous le capitalisme, de « forme-sujet » et de « valeur-dissociation » dans l’arsenal de la critique de la valeur a ensuite élargi les horizons à la question du sujet moderne, de la subjectivation, du traitement idéologique des contradictions capitalistes et des idéologies sous le capitalisme qui n'ont rien d'une superstructure.

Robert Kurz, Raison sanglante. Essais pour une critique émancipatrice de la modernité et des Lumières bourgeoises, Albi, Crise & Critique, 2021.

Robert Kurz, Gris est l'arbre de la vie, verte est la théorie. Le problème de la pratique comme éternelle critique tronquée du capitalisme et l'histoire des gauches (Crise & Critique, 2022). 

Anselm Jappe, La société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction (La Découverte, 2017).

Sandrine Aumercier et Frank Grohmann, Quel sujet pour la théorie critique ? Aiguiser Marx et Freud l'un par l'autre (à paraître, Crise & Critique, 2024). 

E. Penser la nature exacte de la catastrophe écologique

Claus Peter Ortlieb, Au pied du mur. De l'origine commune des crises écologique et économique

Anselm Jappe, Le Double Marx face à la crise écologique

Le n°4 de la revue Jaggernaut a été consacré à l'analyse des différentes dimensions de la crise écologique, voir Tout brûle déjà Règne de la valeur et destruction du monde (Crise & Critique, 2022). 

Sandrine Aumercier, Le Mur énergétique du capital. Contribution au problème des critères de dépassement du capitalisme du point de vue de la critique des technologies (Crise & Critique, 2021). 

E. Théorie critique de l'Etat et de la politique

Anselm Jappe, La politique n'est pas la solution

Robert Kurz, La Fin de la politique

Robert Kurz, Impérialisme d'exclusion et état d'exception, Paris, Editions Divergences, 2018.

Robert Kurz, L'Etat n'est pas le sauveur suprême. Thèses pour une théorie critique de l'Etat (Crise & Critique, 2022). 

F. Guy Debord, le situationnisme et la critique de la valeur-dissociation

Anselm Jappe, Guy Debord. Essai, Paris, La Découverte, 2017.

Anselm Jappe, L'Avant-garde inacceptable. Réflexions sur Guy Debord, Paris, Léo Scheer, 2004.

Anselm Jappe, Un complot permanent contre le monde entier. Essais sur Guy Debord, Paris, L'Echappée, 2023. 

G. Au prisme de l'actualité

Robert Kurz, Avis aux naufragés. Chroniques de la crise, Paris, Lignes, 2005. Ce premier recueil comprend une dizaine d’articles de presse de Kurz publiés entre 1998 et 2004 relevant de l’analyse concrète de la crise du capitalisme à cette période marquée par la crise asiatique de 1997, du krach de la Bulle Internet du début des années 2000, ainsi que des idéologies de crise correspondantes axée sur la finance et le populisme.

Robert Kurz, La démocratie balistique. La gauche à l'épreuve des guerres d'ordre mondial, Paris, Mille et une nuits, 2006.

Groupe Krisis, L'Exhumation des dieux. Islamisme et capitalisme, Albi, Crise & Critique, 2021.

Robert Kurz, L'industrie culturelle au XXIe siècle. De l'actualité du concept d'Adorno et Horkheimer, Albi, Crise & Critique, 2020.

Robert Kurz et Anselm Jappe, Les Habits neufs de l'Empire. Remarques sur Hardt, Negri et Ruffin, Paris, Lignes, 2004.

Le premier numéro de la revue Jaggernaut analyse plusieurs idéologies de crise accompagnant les subjectivités du capitalisme contemporaine : Anticapitalisme tronqué et populisme transversal (Albi, Crise & Critique, 2019).

De virus illustribus. Crise du coronavirus et épuisement structurel du capitalisme, par Anselm Jappe, Sandrine Aumercier, Clément Homs et Gabriel Zacarias, Albi, Crise & Critique, 2020.

Fabio Pitta, Le Brésil dans la crise du capital au XXIe siècle. Bulle des matières premières, capital fictif et critique de la valeur-dissociation (Crise & Critique, 2021).

Anselm Jappe, Béton, arme de construction massive du capitalisme, Paris, L'Echappée, 2020.

JustIn Monday, La Double nature du racisme. La race comme mythe de la société capitaliste en crise (Crise & Critique, 2023).

 

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