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Présentation du numéro 1 de la revue

Jaggernaut. Crise et critique de la société capitaliste-patriarcale,

éditions Crise & Critique, 2019.

Disponible en librairie le 26 avril 2019

N°1, 16 €, 430 pages

ISBN : 978-2-490831-00-5

Diffusion et distribution : Hobo-diffusion et Makassar

(Nous soutenir à travers notre offre d'abonnement)

Pour les envois du numéro à l'étranger, nous pouvons vous faire l'exemplaire à 16 euros frais de port compris (pour l'Europe, le Brésil, le Canada, l'Afrique), nous contacter : criseetcritique@gmail.com

Résumés des articles

   Jaggernaut proposera un numéro annuel comportant un dossier thématique et une rubrique « Varia », où l’on pourra lire des articles et des entretiens prenant des angles à chaque fois différents.

Editorial, Make Critical Theory Great Again (collectif Jaggernaut). 

DOSSIER

   Un « spectre » hante la politique contemporaine après la crise mondiale de 2008 : le spectre du populisme global comme séquence idéologique du capitalisme de crise. Cependant ce terme de populisme reste particulièrement vague et confus, et quand il se trouve revendiqué, le champ transversal du populisme, qui en connaît une version de gauche et une version de droite (quand dans certaines circonstances, celles-ci ne fusionnent pas), reste un milieu antagonique où le peuple est disputé. Pour autant, ce qu’il faut saisir comme « populisme productif » dénonce les maux du capitalisme sans jamais produire une analyse de leurs causes structurelles, les remplaçant par la dénonciation de complots organisés par des minorités rapaces : l’opposition entre « ceux d’en bas » et « ceux d’en haut » devenant la figure première de la compréhension des maux du capitalisme et le principal motif d’opposition. Ce premier numéro comprend un dossier de quatre textes relatifs à certaines dimensions centrales de ce nouveau cycle des luttes sociales et de subjectivisation des souffrances sociales saisies sous les traits du « populisme productif ». Plus encore, la relation entre le populisme productif et l’anticapitalisme tronqué y est tout du long interrogée et critiquée. Car l’anticapitalisme tronqué qui identifie le capitalisme à la domination exercée par une petite couche de la population – les propriétaires des moyens de production – sur une majorité de travailleurs qui n’appartiennent qu’extérieurement, et sous la contrainte, à ce système, ne perçoit pas que le capitalisme est un rapport social, auquel tout le monde participe, même si c’est avec des rôles et des rétributions très différents. Ces articles ont été rassemblés et rédigés avant l’apparition en France du mouvement des « Gilets jaunes ». Ils ne se veulent pas une analyse détaillée de ce mouvement qu’il serait impossible de ramener à une tendance unitaire et homogène. Si ce mouvement désigne des souffrances radicales, qui appellent à une transformation radicale, certaines de ses traductions peuvent être cependant saisies au travers des analyses critiques du « populisme productif » proposées dans ce dossier, et nous reviendrons sur ce mouvement social plus spécifiquement dans le prochain numéro.  

Lutte sans classes. Pourquoi le prolétariat ne ressuscite pas dans le processus capitaliste de crise

Norbert Trenkle

   Dans Lutte sans classes. Pourquoi le prolétariat ne ressuscite pas dans le processus capitaliste de crise, article paru en 2006 dans Krisis, Norbert Trenkle questionne la pertinence du concept de « lutte des classes » dans le contexte de la société marchande postmoderne. Il poursuit la démythologisation de la lutte des classes, commencée avec la publication de « Le Fétiche de la lutte de classes. Thèses au sujet de la démystification du marxisme » de Kurz et Lohoff dès 1989, qui critique la tendance marxiste traditionnelle à confondre le concept empirique et dérivé de « classe » avec une catégorie de base du capitalisme. La lutte des classes ne serait ainsi qu'un moment dans le développement du capitalisme global, qui s'insère dans l'immanence du procès de valorisation, sans le dépasser au sens strict. En 2006, Trenkle indique que la polarisation sociale croissante semble autoriser le « retour » du concept de « lutte des classes », mais que cette apparence doit être démystifiée. Plus qu'un retour à la « lutte des classes », on assisterait en effet davantage à un processus général de déclassement :

  • Les individus intérioriseraient l'opposition entre gestion et production, en étant davantage assignés à des fonctions de surveillance et de contrôle.
  • L'exigence de flexibilité interdirait toujours plus l'identification à une fonction déterminée.
  • Les hiérarchies entre travailleurs s'intensifieraient.
  • Dans le procès de crise, une masse croissante de « superflus » se développerait.

Ces tendances postmodernes font qu'il sera toujours plus illusoire de déterminer une « classe des travailleurs », qu'elle soit « en soi » (déterminée par des conditions objectives) ou « pour soi » (consciente d'elle-même). Trenkle critique les marxistes traditionnels d'aujourd'hui qui, pour tenter de sauver le concept de « classe des travailleurs », produisent des pensées confuses : ainsi, Frank Deppe, un marxiste traditionnel, passe sans transition de la notion de travailleur productif (producteur de survaleur) à celle de travailleur salarié, pour affirmer l'existence d'une classe révolutionnaire, susceptible de transcender la « fragmentation du prolétariat ». Selon Trenkle, la lutte des classes put jouer un rôle déterminant historiquement, lorsqu'un prolétariat ouvrier développa des pratiques et une conscience collectives d'ampleur, en particulier lors de la phase ascendante du capitalisme industriel. Néanmoins, il s'agit aussi de démythologiser cette lutte des classes historique, en rappelant qu'elle ne constitua pas une remise en cause radicale des catégories de base du capitalisme. En outre, cette forme historique dérivée ne peut plus être plaquée sur la réalité sociale contemporaine. Les luttes émancipatrices existent, selon Trenkle (par exemple, certains mouvements autonomes des Piqueteros), mais il ne s'agit plus de les penser avec l'ancien schéma de la lutte des classes.

Populistes et parasites. Sur la logique des populismes productifs

Mark Loeffler  

   Populistes et parasites. Sur la logique des populismes productifs est un article paru en 2015 dans le recueil dirigé par John Abromeit, Transformations of Populism in Europe and the Americas aux éditions Bloomsbury Academic à Londres. L'essai de cet historien américain proche des travaux de Moishe Postone, aborde les dimensions « productives » du discours populiste. Il se concentre en particulier sur la manière dont le « peuple » a été défini comme « producteur », et a été opposé à l'argent et à la finance, saisis comme les ennemis « parasites » légitimes. Dans la suite d'un virage théorique partant de définitions du populisme expliqué par la classe et la modernisation pour aller vers des approches fondées sur le contenu discursif du populisme, il cherche à développer des perspectives critiques sur ces types de populisme productif. Il explore d'abord les exemples de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne, qui illustrent bien la place de la monnaie transnationale dans ces discours. Loeffler soutient que cette monnaie, à son tour, aide à préciser les types d'approches théoriques qui seraient nécessaires pour expliquer pourquoi les populismes productifs sont devenus significatifs et convaincants historiquement. Pour commencer à développer une telle approche, il se tourne d'abord vers les récents échanges sur le populisme entre Ernesto Laclau et Slavoj Žižek. Pour Loeffler, les interventions de Laclau ont été d'une importance fondamentale pour problématiser le réductionnisme matérialiste marquant les approches précédentes du populisme. Cependant, Loeffler soutient également que cet échange met en lumière certaines des limites de l'analyse de Laclau, en particulier en ce qui concerne le développement d'approches critiques du populisme et la mise en évidence des conditions historiques d’émergence de discours politico-économiques populistes. Loeffler commence alors à esquisser une approche plus adéquate des discours du populisme productif. Il s'appuie sur une lecture de la critique marxienne de l'économie politique qui se démarque du réductionnisme matérialiste, également fondé sur les classes, du marxisme traditionnel. Il soutient que la meilleure façon de comprendre l’apparence de vraisemblance historique généralisée du discours populiste productif sur la finance est de rétablir sa relation avec les formes de pratiques sociales historiquement déterminées qui sont constitutives de la société capitaliste, et qui ont tendance à apparaître de telle façon qu’elles obscurcissent la dynamique fondamentale du capitalisme.

Chiens du peuple et du capital. Thèses sur les populismes productifs de construction et de crise dans la dynamique du capitalisme 

Clément Homs   

   Dans Chiens du peuple et du capital. Thèses sur les populismes productifs de construction et de crise dans la dynamique du capitalisme, Clément Homs s’attache à montrer que le passage, ces dernières décennies, de la lutte des classes à une lutte sans classes qui emprunte les traits du populisme transversal, prend à contre-pied autant le revival marxiste traditionnel déjà démonétisé que l’analyse démocrate bourgeoise. L’auteur s’attache alors à montrer que le populisme productif constitué autour de l’opposition binaire entre le peuple identifié aux « producteurs » vertueux et l’élite dépeinte comme « parasitaire » parce que improductive, est non seulement un mode de subjectivation récurrent tout au long de l’histoire du capitalisme mais relève également d’une force sociale réelle et spécifique aux formes de pratiques  sociales et de subjectivation liées au mode de production capitaliste. Considérant le caractère inopérant des compréhensions du populisme en termes simplement sociologiques, d’analyse de classe, de critique de l’« interclassisme », de démagogie ou de « revendication du monopole moral de la représentation du peuple », comme en termes de contenus discursifs à la sauce culturaliste postmoderne, l’auteur montre que ce genre de produit idéologique s’ancre, sur le plan de l’économie psychique de l’individu sous le capitalisme, dans la subsomption réelle de ce dernier sous la forme-sujet moderne au travers de son intégration répressive médiatisée par la constitution des méga-sujets collectifs (peuple, nation, classes, “races”) qui accompagnent l’ascension puis la décomposition lente de la civilisation capitaliste. En tenant compte de la subjectivation d'une critique fétichisée faite du point de vue du travail qui s'est toujours fondée dans la manière dont se donne à voir phénoménalement l’essence du capitalisme, il s’agit dès lors de produire dans le concept la logique objective de cette nouvelle subjectivation populiste transversale au sein de la vaste histoire de la constitution de ce sujet moderne désormais en crise, comme dans l'émergence sous-jacente depuis la crise de 2008 d'un anticapitalisme tronqué transversal. Une théorie critique du populisme productif fondée sur les niveaux de réflexion de la critique de la forme-sujet moderne développée depuis le début des années deux mille par la critique de la valeur-dissociation, pourrait développer une théorie des fonctions et des déterminations changeantes de ce super-héros collectif qu’est le « peuple » entre d’un côté, la naissance des premières formations sociales capitalistes et le rôle affirmatif-apologétique qu’y joue ce principe pseudo-concret dans la constitution initiale du sujet individuel moderne comme de la sphère politico-étatique sous le capitalisme, et de l’autre, tenir compte dans la phase de décomposition du capitalisme, de la dimension fondamentalement dynamique et désormais auto-destructrice de cette même subsomption réelle de l’individu sous la forme-sujet. Notre méga-sujet vient maintenant remplir d’autres fonctions en constituant le fondement d'une idéologie de crise réaffirmant de manière hystérique-irrationnelle le sujet moderne tournant désormais à vide. En raison de ces rôles changeants, l’auteur définira deux types d’agrégation du populisme. Le premier, un populisme productif de construction souvent tourné contre l’Ancien régime dans la phase d’ascension du capitalisme, où le peuple est à la fois le résultat homogénéisé sous le principe de l’abstraction, de la dissolution-réagencement des rapports sociaux non-modernes, et le présupposé de ceux qui veulent affirmer et faire advenir la nouvelle société capitaliste. Le deuxième, un populisme productif de crise, où la société civile bourgeoise, c’est-à-dire le peuple des « producteurs », et l’État des « producteurs », viendra dans la phase de décomposition du capitalisme s’auto-mobiliser pour un ultime sauvetage, pour cette fois-ci faire face au contexte global de crise dans lequel peuple et État des « producteurs » veulent finalement mieux s’affirmer. L’opposition contemporaine entre les « populistes » transversaux et les « antipopulistes » démocrates bourgeois relève finalement de cette forme d’affrontement interne à la société capitaliste en ce qu’elle est l’expression de ces deux rôles joués par d’identiques motifs idéologiques, l’un étant référé à la construction du capitalisme durant sa phase ascendante, tandis que l’autre constitue une idéologie de crise des sociétés capitalistes durant leur phase de décomposition. A ce titre, l’auteur saisira la dichotomie contemporaine des populistes et des antipopulistes comme une opposition intracapitaliste entre les différentes races de chiens du peuple et du capital.

Populisme économique. Néo-nationalisme et souverainisme de crise à l'ère de l'épuisement du capital fictif

William Loveluck

   Dans Populisme économique. Néo-nationalisme et souverainisme de crise à l’ère de l’épuisement du capital fictif, William Loveluck décrit les formes d'interprétations de l'économie et de ses dynamiques relevant de ce qu'il qualifie de « populisme économique ». Ces interprétations, qui prennent des formes distinctes au sein de l'échiquier politique, tout en reposant sur des catégories interprétatives similaires, avancent l'idée que certaines catégories d'individus (notamment l'oligarchie financière et/ou la technocratie nationale et/ou européenne) favorisent l'orientation des richesses et des dynamiques du tissu économique en leur faveur et accaparent l'orientation politique de l'État à leur bénéfice, au détriment des individus les plus modestes, saisis comme créateurs d'une « valeur » plus légitime et « créatrice », voire au détriment du tissu économique « productif » qui combine travailleurs et capitalistes, perçus comme créateurs de valeur « concrète » face à la finance. Après avoir caractérisé les spécificités de la vie économique capitaliste et précisé comment la reproduction de l'État moderne et de la sphère publique est consubstantielle à l'économie et dépend de son bon avancement, l’auteur décrit les injonctions économiques qui s'imposent à l'État et à la classe politique, à l'heure où cette économie est elle-même dépendante de l'expansion exponentielle de titres financiers (en période de crise structurelle du capitalisme lui-même). Les néo-nationalismes et les « souverainismes de crise » sont ainsi des idéologies qui tiennent pour acquise la continuité de la vie capitaliste sans saisir que l'État se retrouve à l'heure actuelle sous le joug de nouvelles contraintes, et doit prendre la forme et les dispositions adéquates à cette nouvelle configuration d'un capitalisme structurellement financiarisé et structurellement international. L'auteur invite à comprendre pourquoi les mêmes questions et réponses, à peu de différences près, sont formulées de l’extrême gauche à l’extrême droite dans le champ des analyses économiques et à saisir comment le populisme productif transversal s’arme de manière sous-jacente dans une forme de conscience réifiée et fétichisée, parcourant tous les sujets, tout le spectre politique et toutes les classes. La plupart des analyses, de gauche comme de droite, ne saisissent pas les spécificités de l’État moderne et sa consubstantialité à l'économie, mais saisissent de façon non-adéquate ce qu’elles qualifient de « capitalisme financier ». Ces analyses ne permettent pas d'expliquer pourquoi l'État favorise structurellement l'expansion des marchés financiers et brade les composantes de l'État social, et enfin elles ne saisissent pas les causes de la crise de 2008 ni les refontes du capitalisme qui ont suivi. La forme de conscience fétichisée produit une forme d’anticapitalisme transversal (un anticapitalisme tronqué, voire régressif et dangereux), venant « armer » une affirmation du « concret » sous la forme du « peuple productif » face aux « vilains de l’oligarchie financière ». L'auteur, s'appuyant en partie sur les thèses d'Ernst Lohoff et Norbert Trenkle concernant la financiarisation de l'économie, donne à voir une critique et une contre-histoire du capitalisme de ces dernières décennies,  à rebrousse-poil de la vision commune qui va de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, avant de montrer comment les interprétations tronquées de cette dynamique du capitalisme, souvent saisie comme une dépossession des plus pauvres par les plus riches sans remise en cause du capitalisme lui-même, viennent alimenter divers populismes économiques qui prennent la forme de souverainisme monétaire, d'euroscepticisme, et ce, parfois en articulation avec des discours politiques particulièrement régressifs, antisémites ou racistes notamment.

 

VARIA

Le patriarcat producteur de marchandises. Thèses sur "capitalisme et rapport de genre"

Roswitha Scholz

   Le patriarcat producteur de marchandises. Thèses sur « capitalisme et rapport de genre »est un article paru en 2009 dans le recueil Les règles du jeu de la violence  aux éditions Transcript à Bielefeld. Roswitha Scholz y réexpose la théorie critique de la valeur-dissociation qui a été autant un élargissement qu'une mise en question fondamentale de la wertkritik « traditionnelle ». Cette dernière avait eu tendance à dissocier elle-même une partie de la réalité sociale qui n'était pas saisissable avec les outils de la seule reformulation de la critique marxienne de l’économie politique. Roswitha Scholz rejette aussi bien les visions féministes déconstructivistes partant de l'idée d'une « production culturelle de la masculinité et de la féminité » avant toute distribution sexuée des activités, que la démarche marxiste traditionnelle qui part de l'idée que des significations culturelles secondaires se seraient greffées sur une préalable division sexuée du travail. « Au contraire, les facteurs matériels, culturels-symboliques et socio-psychologiques doivent être positionnés sur un même plan de pertinence », et sont à saisir de façon dialectique. Le travail abstrait et les activités domestiques se conditionnent mutuellement et l’un ne peut pas être déduit de l’autre. La théorie de la valeur-dissociation se défend de procéder selon la logique de l'identité qui a tendance à tout subsumer sous un seul principe. Qu'il s'agisse des différentes sphères, formes de domination mais aussi régions et cultures de la société capitaliste mondialisée, il est toujours nécessaire de donner leur place aux différences sans les absolutiser à leur tour. En outre elle révise aussi les travaux critiques dont elle se réclame en partie : d'un côté la théorie critique (surtout d'Adorno) et la critique de la valeur. Une nouvelle critique radicale doit contenir aussi bien un méta-concept de la modernité que tenir compte des changements fondamentaux survenus depuis les années 90 (depuis la chute du mur).

Un concept difficile. Le fétichisme chez Marx

Anselm Jappe

   Dans Un concept difficile. Le fétichisme chez Marx, Anselm Jappe présente l’un des concepts de Marx les plus difficiles à saisir. Un concept qui se trouve au centre de la critique marxienne de l’économie politique et qui paradoxalement est resté largement incompris dans la tradition marxiste. Après avoir donné la parole à Marx lui-même grâce à de nombreuses citations, l’auteur revient sur diverses questions comme la relation du jeune Marx de l’« aliénation » au Marx de la maturité centré sur le « fétichisme » ou sur la relation du chapitre 1 du premier volume du Capital au  chapitre « La formule trinitaire » dans le troisième volume, en montrant que ces deux développements majeurs sur le fétichisme correspondent l’un à l’essence et l’autre à la forme phénoménale. L’auteur dresse dans une seconde partie une histoire du concept de fétichisme à travers les lectures diverses et divergentes qui en ont été données. Les premières générations de marxistes ne lui attribuaient presque aucune importance. A partir des années 1920, György Lukács et Isaac Roubine commencent à le reprendre. L’auteur montre comment le fétichisme est interprété de Karl Korsch, Evgeny Pašukanis, Adorno, Walter Benjamin, Roman Rosdolsky, Fredy Perlman à Moishe Postone, Krisis, Exit ! et Robert Kurz en passant par Guy Debord, Lucio Colletti, Hans-Jürgen Krahl, Hans-Georg Backhaus ou Michael Heinrich. Il insiste sur l’éclosion tardive du concept. L’auteur montre ainsi qu’après la Seconde guerre mondiale, le concept d’« aliénation » devient central dans le débat marxiste, et certains auteurs affirment une continuité entre ce concept du jeune Marx et le fétichisme évoqué dans ses œuvres tardives. Mais le fétichisme est alors presque toujours conçu comme une « mystification », comme un « voile » qui s’étend sur la réalité de l’exploitation capitaliste. L’auteur montre ensuite que ce n’est qu’à partir des années 1970 que se développe une interprétation qui lie le fétichisme aux concepts de valeur et de travail abstrait. Elle le considère comme une inversion réelle de la vie sociale, et non comme un simple phénomène de conscience, et lui attribue un rôle central dans l’« usage » qu’on peut faire aujourd’hui de Marx. Dans une troisième partie, l’auteur insiste sur les extensions parfois problématiques du concept, même hors du champ marxiste, qui se réfèrent en général, et souvent de manière plutôt associative, à l’imaginaire attaché aux biens de consommation : c’est le fétichisme comme adoration des marchandises. Une autre approche se propose d’analyser la continuité éventuelle entre le fétichisme de la marchandise et des formes plus anciennes – religieuses – de fétichisme, mais risque de perdre la vue la spécificité du fétichisme moderne.

Théorie et pratique. Critique de la vision tronquée de la pratique et de la théorie

Robert Kurz

   Sous le titre Théorie et pratique. Critique de la vision tronquée de la pratique et de la théorie, nous rassemblons la traduction de trois sections extraites d’un article majeur de Robert Kurz, Gris est l’arbre doré de la vie et verte la théorie. Le problème de la praxis comme thème récurrent de la critique sociale tronquée et l’histoire de la gauche publié dans Exit ! en 2007. Kurz y critique une interprétation largement répandue de la XIème thèse sur Feuerbach dans laquelle Marx formule que « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer ». Il montre que cette « transformation du monde » n’a rien à voir avec un rapport théorie-pratique pris dans un sens superficiellement « activiste », mais plutôt avec une conception radicalement transformée de la réflexion théorique elle-même. Kurz, en prolongeant de manière déterminante les réflexions de Marx et en allant au-delà même d’une certaine déficience de la thèse sur Feuerbach, fonde la distinction entre le caractère interprétatif de toute théorie bourgeoise et la théorie critique en considérant la question du point de vue de la critique de la valeur-dissociation. Afin de mettre en relief la différence déterminante entre critique et affirmation, l’auteur reconsidère dès lors de fond en comble la dialectique immanente du rapport théorie/pratique dans la société capitaliste elle-même. Kurz y aborde de nombreuses questions comme le problème de la définition et de la formation de l’idéologie et des modèles d’interprétation au sein de la forme de pensée préétablie, du rapport entre critique catégorielle et critique idéologique, et de la compréhension d’une pratique qualifiée de « second ordre » qui puisse aller au-delà de la « contre-pratique » immanente qui ne fait que reproduire l’ordre existant. Une pratique révolutionnaire qui pour la première fois, en brisant de manière consciente l’agir immédiat sous le capitalisme, puisse nous rendre « architecte » de nos propres conditions de vie.

Apothéose de l'universalisme. L'islamisme comme fondamentalisme de la forme sociale moderne

Karl-Heinz Lewed

   Dans Apothéose de l’universalisme. L’islamisme comme fondamentalisme de la forme sociale moderne, Karl-Heinz Lewed (groupe Krisis) montre qu’en ce début du XXIe siècle, la confrontation des islamismes avec leurs adversaires occidentaux déclarés, ne met pas face à face deux cultures par essence étrangères, comme le pensent les adeptes du choc des civilisations comme ceux des études post-coloniales, mais bien plutôt deux formes d’assimilation de la mondialisation capitaliste en crise, deux manières de la comprendre et d’y réagir qui reposent toutes deux sur un même socle, constitué d’un côté par la forme moderne de rapports sociaux impliquant production de marchandises, travail abstrait, droit, etc., de l’autre par la forme-sujet correspondante. Lewed revient sur le contexte historique réel du surgissement de l'intégrisme islamique moderne et l’analyse comme l'héritier de la « volonté du peuple » après l'échec de la modernisation tardive dans les pays d'influence islamique. Selon son analyse, le point de vue défendu par le fondamentalisme islamique par opposition aux intérêts privés, est l'intérêt général sous la forme de la loi et du droit, mais non plus ancré dans le socle de la forme-nation, mais dans l'instance métaphysique de la souveraineté divine. Cette inflexion reflète l'érosion des bases de l'Etat national, qui n'est plus en mesure d'arbitrer tous les intérêts privés et de veiller au fonctionnement général de la machine de l'économie. L'envol dans la sphère transcendante révèle non seulement le caractère métaphysique de la forme de la loi, mais aussi la crise fondamentale de cette forme.

Nietzsche en question. Pourquoi Nietzsche n'est pas soluble dans une critique émancipatrice de la modernité

Benoît Bohy-Bunel

Dans l’article Nietzsche en question. Pourquoi Nietzsche n'est pas soluble dans une critique émancipatrice de la modernité de Benoit Bohy-Bunel, il s'agit de questionner la critique nietzschéenne du « nihilisme », de l'abstraction, et des « nivellements » qui seraient induits par la modernité. Il s’avère que la critique nietzschéenne n’est pas sans rappeler certaines perspectives propres à un anticapitalisme tronqué spécifique, et ainsi à l'antisémitisme structurel que Postone a défini dans ses recherches. De même, une certaine revalorisation nietzschéenne d'une « qualité » essentialisée qui aurait été « perdue » (s'opposant à l'abstraction de la modernité), peut induire certaines dérives patriarcales sous la plume de l'auteur allemand. A travers la critique de ces éléments régressifs présents dans la pensée nietzschéenne, il s’agit également de questionner les réappropriations post- ou antimodernes contemporaines de cette pensée.

Le nouveau temps du monde de Paulo Arantes

Fred Lyra

L’article Le Nouveau temps du monde de Paulo Arantes de Fred Lyra, est un compte rendu du dernier livre paru 2014 au Brésil de ce philosophe brésilien méconnu dans l’espace francophone et souvent en dialogue autant avec la critique de la valeur qu’avec l’ « École de Francfort ». Dans cet ouvrage, Arantes essaie de faire un diagnostic de notre époque en tenant compte de l’effondrement du système capitaliste et de l’absence de perspectives positives. Une époque qui peut être saisie comme, selon ses mots, un « temps d’exception » vécu comme un « collapsus administ». Ce constat s’accompagne d’un programme de recherche théorique radical qui entend prendre en compte en même temps la perspective brésilienne qui est la sienne, à savoir, celle d’une ex-colonie en décomposition, et la totalité négative du système capitaliste. Paulo Arantes, qui est l’un des penseurs les plus originaux et rigoureux de notre époque, nous propose une réflexion qui s’adresse à tous les publics, et au public francophone en particulier, qui voudrait prendre au sérieux la nécessaire actualisation critique afin de faire face aux temps sombres qui s’annoncent.

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