Il y a cinq ans, ce 18 juillet 2012, décède à Nuremberg, Robert Kurz, un des auteurs les plus connus du courant de la critique marxienne dénommé la critique de la valeur-dissociation.
Dans les pas tracés par Marx et au-delà, Robert Kurz était une des rares personnes ayant ces dernières décennies la capacité d’analyser dans leur très grande complexité les formations sociales capitalistes et leur dynamique autodestructrice. Par ses écrits, il a su poser les fondements solides d'une transformation rigoureuse et exigeante de la critique de l'économie politique pour le XXIe siècle, et ouvrir d'autres domaines et chantiers au-delà de la seule critique catégorielle. Auteur prolixe qui cherchait toujours à mettre à la portée de tous une compréhension en profondeur du monde contemporain, il intervenait à cette fin comme journaliste dans de nombreuses publications en Allemagne et au Brésil.
Avec sa mort, la critique de la valeur, la critique de la valeur-dissociation, et leurs lecteurs aux quatre coins du monde, ont perdu un penseur remarquable, et pour beaucoup il s'agit aujourd'hui de diffuser au travers de nouvelles traductions (qui pour la partie française sont encore à peine esquissées) mais aussi prolonger, cette refondation théorique pour une perspective révolutionnaire au XXIe siècle.
Du 18 au 23 juillet 2017, nos camarades de Fortaleza (Brésil) organisent une semaine de discussions autour de l'oeuvre de Kurz. De nouvelles traductions paraîtront en diverses langues ces prochaines années.
Une présentation générale de l'oeuvre :
Robert Kurz. Voyage au coeur des ténèbres du capitalisme
(par Anselm Jappe)
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« C’est sans conteste à Moishe Postone que revient le mérite d’avoir, le premier, déconstruit et en partie dépassé l’ontologie bourgeoise du travail, le concept transhistorique de travail et la positivation du travail abstrait par le marxisme traditionnel – une tâche qu’il entama en outre bien avant l’apparition de la critique du travail telle que la développèrent à partir de la fin des années 1980 les cercles germanophones de la Wertkritik. Si elle s’appuie sur des argumentations voisines, la construction théorique postonienne remonte quant à elle aux années 1970. Il y travailla tout au long de la décennie suivante et la présenta sous une forme très élaborée dès le début des années 1990 (même s’il fallut ensuite attendre 2003 pour disposer de la traduction allemande de cette œuvre maîtresse qu’est Temps, travail et domination sociale).
En Allemagne, la critique de la valeur et du travail a vu le jour en grande partie indépendamment de toute réception de Postone ; ce qui indique bien que la reprise de la théorie marxienne et son dépassement en une critique radicale du travail étaient plus ou moins dans l’air comme réponse possible au débat bourgeois sur la « crise de la société de travail », débat dépourvu de concepts catégoriels qui avait été ouvert au plan théorique dès les années 1950 par Hannah Arendt, mais qui recevait soudain une actualité et une acuité inattendues à la faveur de la crise mondiale déclenchée par une troisième révolution industrielle décuplant le chômage de masse structurel ».
Extrait de Robert Kurz, section « Eléments pour une critique du concept postonien de travail », in La substance du capital. Le travail abstrait comme métaphysique réelle de la société et la borne absolue inhérente à la valorisation (trad. Stéphane Besson).
Quelques articles fondamentaux de Robert Kurz (1943-2012)
(en français, seul un de ces articles est disponible)
- « Die Krise des Tauschwerts. Produktivkraft Wissenschaft, produktive Arbeit und kapitalistische Reproduktion », Marxistische Kritik, n°1, 1986
- « Abstrakte Arbeit und Sozialismus. Zur Marx'schen Werttheorie und ihrer Geschichte », in Marxistische Kritik, n°4, 1987 [« Le travail abstrait et le socialisme. La théorie marxienne de la valeur et son histoire »]
- « Der Klassenkampffetisch. Thesen zur Entmythologisierung des Marxismus ». (gemeinsam mit Ernst Lohoff) In: Marxistische Kritik. Nr. 7, Verlag Marxistische Kritik, 1989
- « Subjektlose Herrschaft. Zur Aufhebung einer verkürzten Gesellschaftskritik », Krisis, n°13, 1993
- « Das Ende der Politik. Thesen zur Krise des warenförmischen Regulationssystems », Krisis, n°14, 1994] [Les deux premières parties déjà traduites par Gérard Briche]
- « Postmarxismus und Arbeitsfetisch. Zum historischen Widerspruch in der Marxschen Theorie », Krisis, n°15, 1995.
- « Die Himmelfahrt des Geldes. Strukturelle Schranken der Kapitalverwertung, Kasinokapitalismus und globale Finanzkrise », Krisis, n°16/17, 1995
- « Antiökonomie und Antipolitik. Zur Reformulierung der sozialen Emanzipation nach dem Ende des 'Marxismus' », Krisis, n°19, 1997
- « Die Diktatur der abstrakten Zeit. Arbeit als Verhaltensstörung der Moderne » In: Robert Kurz, Ernst Lohoff, Norbert Trenkle (Hrsg.): Feierabend! Elf Attacken gegen die Arbeit, Konkret Literatur Verlag, 1999.
- « Der Knall der Moderne. Innovation durch Feuerwaffen, Expansion durch Krieg : Ein Blick in die Urgeschichte der abstrakten Arbeit », in Jungle World, 9-1-2002
- « Blutige Vernunft. 20 Thesen gegen die sogenannte Aufklärung und die westlichen Werte », Krisis, n°25, 2002
- « Negative Ontologie. Die Dunkelmänner der Aufklärung und die Geschichtsmetaphysik der Moderne » (2004
- « Die Substanz des Kapitals. Abstrakte Arbeit als gesellschaftliche Realmetaphysik und die absolute innere Schranke der Verwertung. Erster Teil », Exit!, n°1, 2004 / Zweiter Teil, Exit !, n°2, 2005
- « Grau ist des Lebens goldner Baum und grün die Theorie. Das Praxis-Problem als Evergreen verkürzter Gesellschaftskritik und die Geschichte der Linken », in Exit !, n°4.
- « Geschichte als Aporie [L’histoire comme aporie] », essai inédit (2006-2008) [sur le site Exit]
- « Es rettet euch kein Leviathan - Thesen zu einer kritischen Staatstheorie. Erster Teil », Exit !, n°7, 2010 / Zweiter Teil », Exit !, n°8, 2011
- « Kulturindustrie im 21. Jahrhundert. Zur Aktualität des Konzepts von Adorno und Horkheimer », Exit !, n°9, 2012 (traduit par Wolfgang Kukulies paru dans la revue Illusio en 2014)
- « Krise und Kritik. I », Exit !, n°10, 2012 / « Krise und Kritik. II”, Exit !, n°11, 2013