Comme toute organisation liée à la gauche, nous relayons ci-dessous le communiqué des camarades des Juifs et Juives Révolutionnaires et nous nous joignons à leur indignation et réprobation (pour Palim Psao).
𝐋𝐚 𝐥𝐢𝐛𝐫𝐚𝐢𝐫𝐢𝐞 𝐓𝐞𝐫𝐫𝐚 𝐍𝐨𝐯𝐚 𝐯𝐢𝐜𝐭𝐢𝐦𝐞 𝐝𝐞 𝐬𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧𝐧𝐢𝐬𝐦𝐞
Depuis quelques mois, et la sortie de son nouveau livre, les théories d’Houria Bouteldja, que l’on croyait oubliées, semblent connaître un retour en force en librairie et chez certains militant·es actifs sur les réseaux sociaux. Ainsi, à l’annonce d’une présentation de son livre à la librairie toulousaine Terra Nova, des camarades toulousain·es qui se sentaient jusque là proche de ce lieu l’ont contacté pour demander une annulation de l’événement.
En dépit d'un mail respectueux et extrêmement pédagogique adressé à la librairie, l'invitant de surcroît à un temps d'échange préalable, celle-ci a décidé de maintenir la soirée sans autre forme de débat. Nous ne nous attarderons pas ici sur la réponse proprement affligeante de Terra Nova.
Nous tenions simplement à saluer le collage réalisé sur la vitrine de la librairie ("Souviens toi Hozar Ha Torah" - en référence au texte abject d'Houria Bouteldja quelque jours après les tueries antisémites de Mohamed Merah). Cette initiative rassurante démontre que la gauche n'est pas indistinctement aveugle au caractère réactionnaire de la pensée d'Houria Bouteldja.
Suite à ces événements, la librairie, les éditions La Fabrique, Houria Bouteldja ainsi que Tsedek et l'UJFP ont communiqué sur "l'agression", les "intimidations" et la "campagne sournoise" dont ils seraient victimes. Nous nous étonnons de l'utilisation de tels qualificatifs étant donné ce qu'ils recouvrent. Il est par ailleurs curieux que celleux-la mêmes qui soutiennent la "résistance palestinienne sous toutes ses formes", incluant la torture, la mutilation et l'immolation de civils et d'enfants ou qui, comme La Fabrique, se sont faits connaître en éditant des textes romantisant la violence révolutionnaire, se déclarent "choqué·es et blessé·es" par un mail et un collage. En définitive, Terra Nova ne fait que payer le prix de son confusionnisme à but lucratif. Tâchons d'y voir du positif : désormais les choses sont claires, Terra Nova est du côté des réactionnaires.
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𝐶𝑜𝑚𝑏𝑖𝑒𝑛 𝑑𝑒 𝑓𝑜𝑖𝑠 𝑓𝑎𝑢𝑑𝑟𝑎-𝑡-𝑖𝑙 𝑟𝑒́𝑝𝑒́𝑡𝑒𝑟 𝑞𝑢𝑒 𝐻𝑜𝑢𝑟𝑖𝑎 𝐵𝑜𝑢𝑡𝑒𝑙𝑑𝑗𝑎 𝑛’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑢𝑛𝑒 𝑐𝑎𝑚𝑎𝑟𝑎𝑑𝑒 ?
Depuis quelques mois, et la sortie de son nouveau livre, les théories d’Houria Bouteldja, que l’on croyait oubliées, semblent connaître un retour en force en librairie et chez certains militant·es actifs sur les réseaux sociaux. Ainsi, à l’annonce d’une présentation de son livre à la librairie toulousaine Terra Nova, des camarades toulousain·es qui se sentaient jusque là proche de ce lieu l’ont contacté pour demander une annulation de l’événement. La conférence a eu lieu, nos échanges ont été rendus publics et les organisations Tsedek et UJFP ont apporté leur soutien à Houria Bouteldja. Nous profitons donc de l’occasion pour rappeler ce qui demeure problématique dans ses théories. Nous avions déjà écrit deux textes à son sujet, l’un en 2015 (ici) et l’autre en 2019 (ici).
Pour des raisons de lisibilité, nous avons préféré ne pas évoquer les nombreuses déclarations provocatrices, homophobes ou antisémites de l’autrice pour nous concentrer sur la théorie générale dans laquelle elles s’inscrivaient.
1. La théorie du « philosémitisme d’État » considère que l’antisémitisme est une réaction face à un traitement préférentiel qui serait fait aux Juif·ves au détriment des autres minorités, notamment en ce qui concerne la lutte contre l’antisémitisme. En réalité, l’antisémitisme est protéiforme, ce qui explique qu’il traverse les tendances politiques et les groupes sociaux. Il s’adapte à différents systèmes de pensées qui se trouvent être compatibles avec le narratif antisémite. Il est aussi la reproduction de préjugés antijuifs ancrés depuis plusieurs siècles. Il peut donc se manifester de multiples façons, allant de l’affirmation d’une identité nationale fantasmée blanche et chrétienne, à la propagande en faveur de régimes réactionnaires, militaires ou religieux du Moyen-Orient, pour ne citer que ces deux exemples. En taisant cette complexité pour en faire un phénomène purement réactionnel, les défenseur·es de la théorie du « philosémitisme d’État » prônent en pratique l’idée absurde que le meilleur moyen de faire disparaitre l’antisémitisme serait de cesser de s’y opposer.
Rappelons ici que les outils législatifs de lutte contre l’antisémitisme, ainsi que l’éducation faite par l’État et la société civile autour de ce sujet ne sont pas un traitement de faveur, mais une victoire des luttes juives pour la reconnaissance de la responsabilité de l’État français vis à vis du régime de Vichy, et de sa participation à la Shoah. Par ailleurs, au-delà des beaux discours politiques de tous bords contre l’antisémitisme, la réalité vécue par les Juif·ves en France ne correspond pas à celle d’une minorité choyée ou privilégiée. A l’école, dans la rue, au travail, nous subissons l’antisémitisme, et sa reconnaissance par les institutions est encore le fruit de luttes.
De plus, quand bien même ce « philosémitisme d’État » se ferait apparemment malgré elleux, Houria Bouteldja somme tout de même les Juif·ves de s’en désolidariser. Pour cela, iels doivent s’opposer à la lutte contre l’antisémitisme (qui serait imposée par l’État racial) et surtout au « sionisme ». L’essayiste attribue en effet une place centrale à ce dernier thème. Pour elle, l’antisionisme représente ce qui permettrait in fine de séparer le groupe blanc du groupe « indigène » pour qui « l’antisionisme est [la] terre d’asile ». Ainsi, le positionnement qu’elle assigne aux Juif·ves, qui ne sont ni vraiment « blanc·hes » ni vraiment « indigènes », est conditionné à l’opposition ou non à ce qu’elle nomme le « sionisme ». Le groupe des Juif·ves est contraint de se subordonner à sa propre conception politique, de montrer patte blanche, à défaut de quoi les Juif·ves seraient alors « blanc·hes ». Une telle centralité accordée en Europe à un sujet comme le conflit israélo-palestinien est éminemment problématique et peut rappeler par certains aspects l’accusation antisémite classique de double allégeance. La discussion autour de ce sujet n’est pas interdite, mais elle ne peut être un critère déterminant pour définir le positionnement d’un groupe au sein du système social racial en France. Ce discours participe à un isolement politique des Juif·ves et de leurs luttes actuelles notamment contre l’antisémitisme présent en France, véhiculé en partie par ce genre de discours.
2. Le cœur de la théorie d’Houria Bouteldja est le refus de considérer les contradictions internes aux groupes sociaux raciaux. Les « indigènes », groupe qu’elle présente comme un bloc monolithique, fait référence au régime colonial français de l’indigénat. Tout groupe social quel qu’il soit, faisant partie d’une minorité nationale ou non, est traversé par plusieurs champs d’oppression : entre LGBTQI+ et hétéro-cisgenres, entre hommes et femmes, entre bourgeois et prolétaires, et ainsi de suite. La conséquence logique de ces oppositions est l’existence de courants réactionnaires y compris au sein dudit groupe « indigène ».
Houria Bouteldja se fixe pour stratégie d’ignorer ou de marginaliser ces combats en les considérant comme imposés de l’extérieur par le groupe blanc dominant au lieu de tenter de trouver des intersections entre les luttes sur ces différents fronts de manière à s’opposer à toutes les oppressions. Pour elle, la lutte contre l’antisémitisme ou les LGBTQIphobies ne répondent pas à une exigence d’égalité et de dignité mais seraient des manifestations idéologiques du système racial qui prendraient, dans la lignée des Lumières, la forme du progressisme et de l’universalisme « blanc » avec pour conséquence une marginalisation du groupe « indigène ». Son objectif de construire une unité politique « indigène » ne peut alors se réaliser que sur une ligne anti-moderne et donc réactionnaire.
3. Houria Bouteldja propose dans son dernier ouvrage la convergence des « beaufs » et des « barbares », groupes sociaux définis avec une absence habituelle manifeste de finesse sociologique, autour des « affects » mobilisés par Alain Soral. Ces derniers ne sont pas neutres, ils relèvent de l’adresse à des populations économiquement dominées craignant un déclassement supplémentaire sur le champ racial ou de genre que la minorisation des femmes, des LGBTQI+ et des Juif·ves leur permettrait d’éviter. Le « pacte soralien » que Houria Bouteldja tente de réduire à des « affects », c’est la promesse aux prolétariats masculin blanc et « indigène » d’une supériorité par rapport aux Juif·ves, aux femmes, et aux LGBTQI+ légitimée par une idéologie complotiste dont les idées suprémacistes sont le ciment. Séparer l’adhésion idéologique au discours soralien de son essence complotiste, antisémite, masculiniste et nationaliste, participe à une non-compréhension du phénomène politique et social qu’il représente, dans une tentative de présenter ses adhérents comme des « fâchés pas fachos ». Notons ici qu’alors que les Juif·ves doivent faire profession de foi antisioniste avant d’être considéré·es comme des allié·es, la question d’un positionnement politique préalable ne semble pas se poser concernant les « beaufs ». En conséquence, l’alliance prônée par l’essayiste, si elle se réalise un jour, regroupera naturellement les franges les plus réactionnaires des groupes sociaux raciaux blancs et « indigènes » faussement identifiées à la totalité de ces derniers. Elle ne pourra se réaliser qu’au détriment des Juif·ves, LGBTQI+, femmes, etc. Celles et ceux qui seraient opprimé·es ou souhaiteraient lutter sur ces fronts, y compris de l’intérieur du groupe « indigène », sont donc régulièrement intimé·es au silence par Houria Bouteldja et ses partisan·es.
Ces théories sont fausses et celles et ceux qui les portent ne peuvent en aucun cas se revendiquer du champ de l’antiracisme ou en être de quelque manière que ce soit les allié·es. La lutte contre le racisme ne doit pas être menée en s’opposant à la lutte contre l’antisémitisme, le sexisme et les LGBTQIphobies. Nos luttes antiracistes ne peuvent être menées en s’alignant sur des positions réactionnaires ou sur des stratégies politiques aux relents nationalistes inspirées par des mouvements fascisants.
Quelques ressources disponibles sur internet pour celles et ceux qui souhaiteraient approfondir le sujet :
« Bouteldja, ses « sœurs » et nous ». Mélusine, octobre 2016
« Bouteldja, « une sœur » qui vous veut du bien ». Lala Mila, août 2017.
« Une indigène au visage pâle », Ivan Segré, mars 2016
Podcast en 2 parties sur le philosémitisme d’état, de Martin Eden, avec Memphis Krickeberg.
1ère partie. Critique de bouteldja : Sur la prétendu philosémitisme d'Etat
2ème partie. Critique de Bouteldja. Sur le prétendu philosémitisme d'Etat
Ms Dreydful, à propos du détourment de la pensée d’Audre Lorde par HB
Ci-dessous les pages 411-413 du livre du sociologue Philippe Corcuff, La Grande Confusion (Chez Textuel)