Dans le lien suivant on trouvera sous une forme vidéo (23 minutes), l'intégralité de la conférence « Peut-on s'émanciper du fétichisme ? » donnée par Anselm Jappe à Lausanne en octobre 2012 lors de la rencontre internationale « Philosophie et libération », et qui constitue une présentation introductive de cette question pour qui voudrait prendre connaissance de la critique de la valeur. Le canevas partiel de cette intervention est également disponible sous la forme texte (voir ici).
La critique de la valeur rompt radicalement avec la compréhension traditionnelle du fétichisme de la marchandise dans les marxismes orthodoxe comme hétérodoxe, et va sur plusieurs points au-delà d'Antoine Artous dans « Le fétichisme de la marchandise chez Marx » (Syllepse, 2006) pourtant un des très rares livres en français assez intéressant sur cette question mais qui butte encore sur le travail et d'autres points. Conséquemment à cette rupture dans la théorie du noyau du capitalisme que représente la critique de la valeur, les anciennes formes de l'émancipation sociale soutenues par les différentes variantes de la gauche ne pourront plus nous aider à nous arracher/dépasser la forme de vie sociale capitaliste.
Au-delà de la question seulement stratégique des formes superficielles de la lutte sans contenu révolutionnaire réel, et sur lesquelles se sont pourtant toujours concentrées les diverses variantes ennemies des gauches marxistes radicales au XXe siècle (élection ou pas, parti unique ou pas, syndicat ou pas, antifascisme ou pas, étatisme ou conseillisme, autonomie des luttes ou pas, insurrectionnalisme ou pas, autogestion étatisée ou décentralisée, organisation ou spontanéité, etc. [1]), la révolution ne peut plus être dans son contenu même (ce qui est la véritable question centrale), la société des libres producteurs associés, la planification consciente de la logique de la valeur, l'introduction ou la redistribution autre des catégories capitalistes, l'autogestion ouvrière de la production de valeur, la simple abolition de la propriété privée pour asseoir une nouvelle propriété collective, l'abolition de la classe capitaliste pour affirmer positivement la classe des travailleurs, le simple changement de mains des moyens de production, etc. On ne dépassera jamais le rapport social capital dont nous faisons entièrement partie en tant que son rouage, en opposant le « travail » au « capital » (selon une formule usée jusqu'à la corde) qui ne sont toujours que deux agrégats différents de la même substance sociale dans le cours de sa métamorphose, le travail abstrait (c'est-à-dire la face abstraite qu'a tout travail), qui est une forme intrinsèquement propre au capitalisme n'en déplaise aux marxistes de tous poils. S'émanciper du mécanisme impersonnel du fétichisme de la marchandise, structure réelle et anonyme de la société moderne et conséquemment de notre agir social, ne pourra se faire qu'au-delà d'une société structurée par le travail, la valeur, l'argent, l'Etat et le monde des marchandises. Le contenu d'une révolution au XXIe siècle qui toucherait le noyau social du capitalisme, serait d'arriver certes à constituer collectivement un mouvement de réappropriation des richesses matérielles, mais qui s'incrirait dans une toute autre forme de synthèse sociale (à inventer) que celle qu'opèrent le travail et ses diverses expressions. Un monde social postcapitaliste au-delà de toute forme d'économie organisant la société.
Palim Psao
Note :
[1] L'ultragauche ou les courants post-ultragauche ne constituant généralement qu'une « rupture dans la théorie de la révolution » à l'intérieur même d'un marxisme traditionnel resté inchangé.
Sur le même sujet :
- Critères de dépassement du capitalisme (Robert Kurz)
- Pas la moindre révolution nulle part. Lettre ouverte à celles et ceux qui s'intéressent à EXIT ! (Robert Kurz)
- De quoi l'indignation est-elle le nom ? Au coeur de la société capitaliste une nécessaire rupture (Clément Homs)
- De la critique du travail à l'abolition de la société marchande (Norbert Trenkle)
- Contre le mythe autogestionnaire (Brochure)
D'autres vidéos et fichiers audio sur la « wertabspaltungskritik » issue des revues allemandes Krisis et Exit dont le principal fondateur a été Robert Kurz (1943-2012) :
- Critique du néolibéralisme ou critique de la société marchande ? (Vidéo-Conférence avec Anselm Jappe, Paris, Fondation Copernic, 2011)
- Sortir de l'économie ? Conférence-débat entre Anselm Jappe et Serge Latouche (Vidéo-Bourges, 2011)
- Crédit à mort. La décomposition du capitalisme et de ses critiques (Entretien radiophonique avec Anselm Jappe, La vie manifeste)
- Causerie autour de " Crédit à mort " avec Anselm Jappe (Enregistrement radiophonique, Rennes, 2011)
- Présentation de l'ouvrage de Robert Kurz " Vies et mort du capitalisme " par Gérard Briche (Enregistrement radiophonique, Cité Philo Lille, 2011)