Ci-dessous, les résumés des articles qui paraissent dans le nouveau numéro de la revue Exit ! Crise et critique de la société marchande, une des principales revues sur la critique de la dissociation-valeur dans le monde germanophone. Cette revue est disponible en allemand. Plus d'informations pour se la procurer ici. Les résumés ont été traduits en italien, en espagnol et portugais.
Un camp d'été autour de la critique de la dissociation-valeur est à nouveau organisé cette année en Allemagne, plus d'informations.
Contribution à la critique de l’économie politique de la gratuité
Ce texte est une reprise théorique des points de départ pratiques, et des „théories de la pratique“, tels qu’on les trouve dans les tentatives de créer une économie sans argent menées dans l’esprit d’une économie aternative. Après un prologue où il sera question du rapport de la théorie à la pratique, on examinera d’abord la consistance conceptuelle de la notion d’“économie de la gratuité“. A partir de là, on développera une critique immanente de l’économie de la gratuité telle qu’elle s’appuie sur la critique de l’économie politique par Marx, et sa réception dans les derniers débats menés au sein de la critique de la dissociation-valeur. Dans ce cadre, on thématisera les faiblesses centrales des pratiques qui ont eu lieu jusqu’ici, de même que les éléments qui y ont été conceptuellement négligés, et envisagés de manière unilatérale. Ce qui apparaîtra alors comme essentiel, ce sera la fixation sur la reproduction et sur l’“économie“ au sens le plus large du terme, qui implique une sous-estimation du côté politique de la pratique d’émancipation, et de sa théorie. Suivront alors quelques réflexions sur ce que les pratiques d’une économie de la gratuité présentent comme élements symboliques-sexuels (la question du genre). En conclusion, on abandonnera le plan de la critique méta-théorique pour exposer de possibles potentialités et perspectives de l’économie de la gratuité comme mouvement pratique d’émancipation.
L’industrie culturelle au XXI° siècle
Sur l’actualité du concept forgé par Adorno et Horkheimer
Ce texte reprend une conférence prononcée par Robert Kurz à un congrès qui a eu lieu au Brésil sur ce sujet. Le texte, augmenté pour cet essai, essaie de mettre en évidence que la contradiction immanente, entre le pessimisme culturel de la bourgeoisie cultivée et l’optimisme culturel postmoderne-technologique, constitue en réalité les deux faces de la même médaille. Le culte de la superficialité et le culte du sentiment intime sont complémentaires. Des deux côtés, on dénie l’approbation, dépourvue de tout contenu, de la condition capitaliste de la culture. Pour comprendre ce qui les lie, la vieille analyse d’Adorno et d’Horkheimer, en dépit de son déficit politique et économique, procure toujours davantage d’éléments que ne le prétend la gauche pop, qui elle-même, entre temps, a bien vieilli. Et même, elle est valable pour comprendre la mutation de l’Intenet devenu „réalisation grinçante du rêve wagnérien d’une oeuvre d’art totale“, surtout depuis l’„interactivité“ technologique du web 2.0. La critique de l’économie virtuelle peut prolonger l’analyse d’Adormo et Horkheimer, et montrer la limite interne du capital mais aussi les limites de l’industrie culturelle numérique, totalitaire, du XXI° siècle. Ce texte se présente comme une contribution provisoire à la critique exhaustive, qui reste à faire, du culturalisme moderne, de ses épistémés, et de ses conditions social-économiques.
Des différences éclairées
Un essai critique sur poststructuralisme tel que le critiquent les „antiallemands“
Dans cet essai critique, Georg Gangl examine les fondements théoriques du poststructuralisme. Ce qui en procure l’occasion, et qui constitue aussi quasiment le négatif de cette analyse théorique, c’est le volume L’Anti-Aufklärung. La contribution postmoderne à la barbarisation de la société paru récemment aux éditions ça-ira. Ce volume, issu de la mouvance anti-allemande1, ne rend pas justice, selon l’auteur [de l’essai], à la théorisation poststructuraliste, mais l’éclaire selon la logique de l’identité, et a tendance à en donner une image restrictive, et ce de deux manières. D’abord, le poststructuralisme est réduit à sa problématique épistémologique et finalement à l’idéologie allemande2 et à l’apologie de l’islamisme. Ensuite, ce qui est présenté épistémologiquement comme poststructuralisme, c’est seulement la philosophie de Jacques Derrida. Mais après ces présupposés, c’est à peine si on peut encore saisir les mérites de la théorisation poststructuraliste. C’est pourquoi cet essai choisit d’envisager la théorisation poststructuraliste d’un point de vue qui en respecte le contexte historique. Il souligne ainsi d’entrée que certains points théoriques du poststructuralisme peuvent être tout-à-fait validés, même s’ils doivent être conceptualisés différemment, c’est-à-dire dans le cadre d’une théorie critique-dialectique. Il faudrait mentionner ici, par exemple, certains aspects du linguistic turn et l’attention particulière accordée aux aspects performatifs et sémiotiques de l’interaction sociale. Finalement, le texte affirme que les raccourcis du volume, conséquences d’un éclairage emprunté à la logique de l’identité, sont surtout le résultat de ce qui est un ralliement fondamental sur les positions de l’idéologie de l’Aufklärung, qui veut sauver d’elle-même une sorte d’Aufklärung idéale, et par là aussi un capitalisme idéal.
L’amour des lois dans l’Etat
Sur les relations entre féminité et Etat
La critique de gauche de l’Etat et de la nation croit généralement pouvoir se dispenser de la critique de la question du sexe (de la question du genre), et croit que le rapport des sexes ne joue aucun rôle dans la critique de l’Etat-nation. Il n’en va guère autrement du côté de la théorie féministe : même dans le cas où il est question de l’Etat, la féminité et la nation ne sont guère que des „catégories de structure“ ou même des „discours“, qui, parce que’on ne les analyse que de manière séparée, ne peuvent plus être mis en rapport que de manière externe. Au contraire, cet article part de la conception de la société bourgeoise comme un tout. Au cours de son évolution, la société d’êtres libres et égaux a abouti à ce qui est sa contradiction même : les femmes comme différentes, les nations comme définies par des lois. Ce qui, dans le mouvement de la dialectique de l’Aufklärung3, ne cesses de se reproduire. Dans la théorie politique de Jean-Jacques Rousseau et d’autres, ce sont les femmes qui „maintiennent l’amour des lois dans l’Etat“4. Constituées en seconde nature, les femmes doivent faire la médiation entre le mâle, c’est-à-dire l’homme bourgeois, et ce qui le constitue comme tel. Elles font aimer les lois de l’Etat, elles font que la soumission aux contraintes soit joie et que la nécessité soit désir. Dans le contexte de la nation, la féminité a pour tâche de faire la preuve qu’elle constitue une unité.
Misère de l’Aufklärung. Le sexisme chez Emmanuel Kant
Cette deuxième partie de l’essai „La misère de l’Aufklärung“ tente de reconstruire la figure de la féminité chez Kant. Alors que le premier chapitre, traitant de la troisième „Critique“ de Kant, la „Critique de la faculté de juger“, achève la traveresée de son système de philosophie transcendantal, les chapitres suivants ont pour but de retracer le mécanisme spécifique de la misogynie kantienne. En passant par la catégorie du „beau“, on constate un double mouvement complémentaire. Le „sexisme de la différence projective“ coïncide avec un „sexisme de l’égalité niée“. La relation entre théorie et pratique, déjà envisagée dans la première partie de cet essai, fait l’objet d’une nouvelle exposition critique qu’on liera à la question de la situation de la féminité dans la philosophie kantienne, à la lumière de la „dissociation-valeur“ (Roswitha Scholz). Ce qui permettra d’introduire cette réflexion, c’est la catégorie de nature : sa cohérence et ses différenciations internes donnent la clé pour comprendre le sexisme kantien.
Vous n’entrerez pas
Les couches moyennes précarisées et ses sujets comme chiens de garde tremblants de leur capital humain
Depuis plusieurs années, il y a un boom extraordinaire sur la classification sociale opérée à partir des styles de vie. D’abord, on a constitué une nouvelle conception de la „vie bourgeoise“, vidée de tout contenu, et ensuite on a découvert que la couche sociale inférieure en était le négatif idéal. En effet, celle-ci marquait sa propre distinction en soulignant, avec mépris, tout ce qui la séparait de „ceux du dessous“5. On discutera, en opposition apparente avec cette situation, le fait que les chances de réussite scolaire dépendent fortement de l’origine sociale. Ce fut manifeste, au plus tard, avec l’échec de la réforme scolaire de Hambourg, qui fut stigmatisée par des journalistes bourgeois avec une ardeur critique agaçante. Il est vrai que ces médias ont pris le même plaisir à dénigrer quand ils ont participé à clouer au pilori cette couche sociale inférieure. Cette hypocrisie constitue le noyau thématique de cet essai. L’auteur reprend ainsi sa contribution au numéro 6 de la revue, „Entre le marteau et l’enclume“6, en montrant que l’on affirme toujours, en ce début du XXI° siècle, qu’il existe une différence qualitative entre les hommes. En effet, il s’agit d’un idéologème de crise, qui manifeste la réaction des membres de la couche moyenne précarisée face à la menace croissante que constitue pour elle la crise économique mondiale.
Notes :
1 La mouvance „anti-allemande“ désigne un ensemble très hétérogène issu de l’extrême-gauche allemande – avec laquelle elle a bien sûr rompu, et qui se caractérise par un bellicisme pro-américain et anti-islamique. L’éditeur ça-ira et le magazine Bahamas en sont des éléments notoires. Cette sensibilité pourrait être rapprochée en France de personnalités telles que André Glucksmann ou Bernard-Henry Lévy (NdT).
2 Il est question ici d’idéologie allemande telle que la mouvance anti-allemande la définit, c’est-à-dire d’une manière qui est sans rapport avec un quelconque nationalisme, et qui prétend caractériser sous ce terme tout ce qui met en péril l’existence d’un peuple juif et en particulier Israël (NdT).
3 Theodor Adorno & Max Horkheimer, Dialektik der Aufklärung [1947] (tr. fr. Eliane Kaufholz : Dialectique de la Raison, éditions Gallimard, 1974).
4 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité entre les hommes (adresse) [1754] in Du Contrat social et autres oeuvres politiques, éditions Garnier, 1975, page 32.
5 Voir l’essai de Pierre Bourdieu, La distinction, Minuit, 1979, traduit en allemand sous le titre Les différences subtiles [Die feinen Unterschiede, Suhrkamp, 1982] (NdT).
6 Exit ! n°6, 2009.