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Pashukanis.jpgCe texte ci-dessous du philosophe Jean-Marie Vincent date de 1969. Le livre du théoricien russe Evgueni Pasukanis date plus encore, « La théorie générale du droit et le marxisme » étant parue en 1924. Jean-Marie Brohm en a fait la traduction française en 1970 précédée donc de la préface de Vincent et de celle de Karl Korsch, et aujourd'hui on ne peut retrouver cet ouvrage fort intéressant qu'en occasion (mais assez facilement). Il y a bien sûr des formulations qui datent et Pasukanis sur de très nombreux points est à dépasser tellement il reste rivé au paradigme du marxisme traditionnel (celui du Marx exotérique). Cependant il peut encore constituer une base de départ pour aujourd'hui.   

 

Evgueni Pasukanis était juriste et membre du parti bolchévique russe. Dès 1936 il fait l'objet d'attaques de plus en plus fréquentes. Aux côtés du procureur général de l'URSS, Nikolai Krylenko, et d'autres, Pachoukanis est finalement dénoncé comme « déviationniste trotskiste » et exécuté en 1937, lors des procès de Moscou. Il est remplacé à l'Institut de la Construction soviétique et du Droit par son adversaire Vychinski, qui menait les purges. 

 

La réflexion chez Pasukanis amène à comprendre le droit moderne à un niveau plus profond que n'arrivent quantités de théories du droit (le normativisme positiviste par exemple ou le fonctionnalisme sociologique dans lequel a souvent versé  le marxisme) : la question véritable qu’il faut se poser d’après lui, c’est l’existence de la forme juridique en tant que telle, la forme juridique en elle-même. En d’autres termes Pasukanis pense que la tâche d'une théorie générale du droit est d’expliquer pourquoi le droit avec ses caractéristiques particulières par rapport aux autres formes historiques de règles sociales, se révèle un jour nécessaire et central pour une société qui se construit autour du droit, ou encore pourquoi le droit en tant que système cohérent de normes juridiques s’avère particulièrement adapté à la formation économique et sociale capitaliste. Engager cette réflexion, ce n’est pas nier l’existence dans toutes les sociétés de règles sociales, mais c’est dire qu’il serait anachronique de plaquer les catégories juridiques modernes sur les sociétés passées (et inversement, ce que font trop souvent les anthropologues qui sont très intéressants dans leur domaine mais qui comprennent de manière non historiquement spécifique les sociétés capitaliste-marchandes, en leur plaquant dessus des catégories précapitalistes). C’est cette question qui se trouve alors en jeu : pourquoi dans une société donnée, le droit en tant que forme historiquement spécifique de règles sociales, acquiert une place si importante qu’il n’avait pas auparavant ? C’est-à-dire pour rester à un niveau très superficiel, de quoi par exemple et pour prendre un débat comtemporain connu, la « judiciarisation » à l’américaine des rapports sociaux que contestent une partie de l’opinion publique et de la magistrature française, est-elle le nom ?

Alors certes, toute société possède des règles sociales. Pour autant ce que nous appelons le « droit moderne » doit être analysé plus précisément dans sa spécificité historique. Le problème est souvent le recouvrement des concepts et la projection du contexte présent sur le passé afin de mieux naturaliser le présent (l'Etat, l'échange, le travail, l'économie, etc.). Par exemple, comme l’écrit Jean-Marie Vincent, « le concept d’organisation, même poussé à un très haut niveau de complexité, n’implique pas automatiquement sur le plan théorique celui d’Etat et rien ne permet de parler de l’impossibilité absolue d’une société très organisée mais sans droit. A moins d’avoir recours à la ‘‘ force des choses ’’, c’est-à-dire à une sorte de naturalisme qui valorise indûment et dans un certain sens la question, celle-ci reste ouverte sur la pratique » (p. 73). Pasukanis, probablement comme le théoricien Alfred Sohn-Rethel (pour les catégories philosophico-scientifiques, voir le recueil de traductions de ses textes les plus connus dans « La pensée marchandise », Le croquant, 2010 préfacé par Anselm Jappe), ne comprend pas les catégories du droit comme la réflexion de conditions se trouvant dans la nature, précisément parce qu’elles ne sont pas naturelles mais bien sociales. Des conditions sociales a priori. Pour Pasukanis, les catégories juridiques ne sont donc pas nées de façon spontanée mais sont le signe de l’apparition de conditions sociales tout à fait spécifiques qu’il s’agit de décrire. Pour lui, les catégories ou ensembles de catégories intellectuelles du droit, sont propres à une formation sociale donnée.

La théorie de Pasukanis fait des rapports juridiques une émanation corrélative du cadre des rapports entre possesseurs de marchandises, des rapports sociaux de production. Pasukanis va concevoir « la règle juridique, le rapport juridique, écrit JM Vincent (p. 54), comme une cristallisation historiquement déterminée des rapports que les hommes entretiennent entre eux [dans la société capitaliste]. Dans ce contexte le normativisme juridique doit apparaître, non comme une conséquence intemporelle de la division entre le domaine humain et le monde des réalités physiques, entre le devoir-être et l’être, mais comme la conséquence historiquement délimitée de certains rapports sociaux. Le droit est par conséquent une réalité objective (au même titre que le capital en tant que rapport social est une réalité objective), et ses catégories les plus abstraites doivent être considérées non comme de simples généralisations théoriques destinées à ordonner de façon idéale et plus ou moins arbitrairement une matière sociale amorphe, mais comme l’expression de formes sociales qui organisent le comportement des groupes sociaux et des individus dans un contexte donné, le contexte capitaliste ». C’est donc l’« analyse de Marx de la vie des formes sociales indépendantes au sein de la formation sociale capitaliste, [qui] est à la base de sa conception des catégories juridiques » (Vincent, p. 34). Et c’est à partir de cela que Marx fera sa critique des diverses doctrines du droit moderne.

Le droit n’est plus alors renvoyé au schéma infrastructure/superstructure, mais il est déjà dans le rapport de la socialisation capitaliste, il est immanent à la société qu’il déploie et qui le déploie en le posant au centre de la société. Il faut comprendre pour lui « la réalité du droit en tant que forme sociale », relativement à des conditions historiques spécifiques, du fait déjà que le droit est différent des privilèges de l’époque féodale qui sont directement liés à l’emploi de la violence et de la coercition ; il est encore différent de « l’éthos » de la cité antique ». « Cependant remarque Vincent, ce n’est pas dire que les « catégories juridiques [sont] le reflet immédiat des structures sociales qu’elles ordonnent » (p.35), comme dans la théorie marxiste. Cela peut se réaliser mais pas du tout obligatoirement, il me semble que de manière dérivée (mais il n’exprime pas d’abord dans son existence, le reflet d’une domination directe d’une classe), car le droit relève d’abord de quelque chose de beaucoup plus historiquement spécifique, une forme sociale. Le droit est en fait indispensable au rapport social capitaliste et à l’échange marchand en son sein. Vincent poursuit et dit qu’il faut alors appréhender que « le droit en tant que forme sociale est particulier à la seule société capitaliste, il est une médiation indispensable à l’échange universel de producteurs privés, égaux formellement ». En fait « le droit sanctionne la rencontre de ‘‘ volontés libres ’’, le choc d’individus indépendants, apparemment isolés avant leur rencontre sur le marché, mais soumis inconsciemment à la division du travail. Le droit est en quelque sorte un cadre nécessaire, une forme d’organisation sociale qui vient suppléer l’anarchie des rapports interindividuels ; la séparation progressive des individus du groupe. Il garantit à chaque membre de la société capitaliste que son propre comportement s’intègrera de façon ‘‘ rationnelle ’’ au comportement des autres membres de la société. Il limite les effets de l’égoïsme ou de l’égocentrisme en universalisant les intérêts particuliers, mais il ne se situe pas au niveau de l’équité. Le droit, comme la plupart des juristes l’ont senti, doit se séparer de la morale, mais en même temps il possède son autonomie par rapport aux relations sociales les plus immédiates. En tant que forme sociale, développée par l’esprit humain, il organise et rend possibles les rapports sociaux tout en étant conditionné par eux. Ainsi comprise la théorie du droit rejette toute coquetterie avec la théorie du droit naturel qui prend pour point de départ l’individu-monade de la société capitaliste en lui attribuant une valeur absolue supra-historique et déduit de la liberté ou plutôt de l’indépendance de cet individu toutes les catégories juridiques. Cette théorie en effet, fétichise les formes de sociabilité antagonistes de la société capitaliste » (p. 35-36, JMV) « En se basant sur les exigences de l’individu isolé (…) on fonde des normes juridiques sur une morale individualiste toute en essayant de les rendre aptes à corriger le combat de tous contre tous au sein de la société capitaliste ». Dans un autre texte, Jean-Marie Vincent écrit que « L’État comme État de droit est une sorte de paradoxe en action, il égalise les différences pour les reproduire immédiatement comme les résultats inévitables de la compétition universelle… » .

« Le droit apparaît ainsi [pour Pasukanis] comme l’autre face du rapport qui s’établit entre les produits du travail devenus marchandises, comme une connexion sociale indispensable en fonction de la dispersion et de l’atomisation d’individus qui doivent être formellement égaux pour échanger des produits équivalents. Le contrat est à la fois un rapport économique et un rapport juridique dans lequel s’exprime la finalité profonde de la médiation juridique : écarter du mouvement de la production et de la reproduction sociales les obstacles qui peuvent se trouver sur sa route. En ce sens le rapport juridique n’est pas pure violence ou coercition [comme le pense la théorie marxiste traditionnelle du droit], mais une forme d’organisation nécessaire à l’expression des volontés appliquées aux « choses » que sont devenues les produits du travail humain. S’il y a fétichisme juridique, c’est-à-dire ignorance de la nature historique du droit il n’y a pas eu au point de départ des concepts juridiques d’hypocrisie bourgeoise [comme le pense le marxisme traditionnel], il y a simplement conceptualisation unilatérale des rapports juridiques transformés en sphère totalement autonome de l’organisation sociale. L’infinité des rapports juridiques, qui trouve sa source dans le droit privé comme expressions des relations entre possesseurs de marchandises se trouve faire écran entre la conscience sociale et la réalité de rapports sociaux. Au même titre que la morale, le droit surmonte partiellement les contradictions d’une société inorganique et divisée tout en les conservant. » (p. 55)

 

On retrouvera des réflexions contemporaines sur la théorie du droit de Pasukanis, par exemple dans le livre de Vincent « Fétichisme et société », mais également dans les ouvrages de Tran Hai Hac ou d'Antoine Artous.

 

Palim P.  

 

Pasukanis1-copie-1.jpg

 


 

Préface de Jean-Marie Vincent

 

vincentLa théorie de l'Etat et du droit est un élément essentiel de la conception scientifique de la société capitaliste et post-capitaliste. Pourtant, depuis plus d'une quarantaine d'années, il n'est guère de sujet qui ait été plus maltraité par les marxistes ou ceux qui se disent tels. Alors que Marx et après lui Lénine s'étaient acharnés à démontrer que les formes juridiques et étatiques et pas seulement leur contenu (la matière sociale organisée), étaient des formes liées, c'est-à-dire spécifiques, à une société de classe déterminée, la société capitaliste, les commentateurs du marxisme officiel ont tout fait pour présenter les formes juridiques et étatiques comme des instruments de caractère technique ou neutre. Selon la plupart d'entre eux, c'est la volonté de la classe dominante qui, malgré les obstacles qu'elle peut rencontrer — volonté de la classe opprimée, limites objectives du système — donne leur contenu à ces formes et à ces rapports (relations entre groupes et individus). De là à conclure qu'il suffit de substituer à un personnel politique et judiciaire bourgeois un personnel d'origine prolétarienne ou petite bourgeoise, il n'y a qu'un pas, allègrement franchi par des apologètes serviles du stalinisme comme Vysinskij. La « volonté de la classe dominante » dont, bien sûr, la bureaucratie se réserve l'interprétation, peut alors justifier le déchaînement répressif du droit bourgeois sans bourgeoisie et de l'Etat bourgeois sans bourgeoisie, baptisés droit socialiste et Etat socialiste. De même dans les pays capitalistes, on voit certains théoriciens communistes affirmer dans le même esprit que la volonté de la classe ouvrière contrecarre la volonté de la classe dominante et qu'à côté d'un droit marqué de l'influence bourgeoise peut se développer un contre-droit favorable à la classe ouvrière. De cette façon, toute la rigueur de l'analyse marxiste s'évanouit et l'on ne voit plus très bien où se placent les frontières idéologiques. Les rapports étatiques et juridiques se solidifient et prennent l'apparence du « naturel » de l' « inévitable » et les problèmes à affronter se réduisent au plus ou moins grand degré de justice qui reste à conquérir. Ainsi, on succombe de nouveau au fétichisme qui prend les formes phénoménales (rapports juridiques, formalisme juridique) telles qu'elles se présentent immédiatement aux acteurs sans s'interroger sur les raisons (les forces motrices) de leur déploiement. La problématique marxiste de l'Etat et du droit comme ensemble de rapports et de structures reflétant le mode d'organisation et d'utilisation des forces productives, comme reflétant et complétant les rapports de production capitalistes, n'est plus alors qu'un mélange éclectique de formules vides ou trop pleines de significations hétérogènes. 

 

Si l'on tient compte par conséquent de la longue prédominance de l'interprétation stalinienne du marxisme dans le mouvement ouvrier, on doit reconnaître que l'ouvrage de Pasukanis La Théorie générale du droit et le marxisme, a encore beaucoup de choses à nous dire. Non que le livre soit sans défauts. On peut lui reprocher de ne pas s'en tenir à son objectif proclamé — montrer la spécificité des rapports juridiques en tant que rapports sociaux particuliers — et de trop facilement céder à la tentation de les réduire aux rapports marchands, c'est-à-dire à des rapports économiques. Mais il faut reconnaître par ailleurs qu'il réfute de façon très efficace les conceptions qui font du droit une technique (le normativisme et le positivisme) et se refusent à voir en lui un ensemble de rapports, de formes et d'idéologies fonctionnels à un certain contexte social. Sous le féodalisme, le droit formellement égalitaire était recouvert, enveloppé par le système des privilèges attachés à des individus ou à des groupes, sous le capitalisme il parvient à son plein épanouissement, mais dans la société de transition vers le socialisme il est appelé à disparaître graduellement au fur et à mesure que dépérissent les rapports capitalistes et marchands. Voilà, à grands traits, la théorie du droit que défend Pasukanis et qui, aujourd'hui encore, reste essentielle pour développer une théorie générale des rapports et des formes juridiques. 

 

Depuis que Pasukanis a publié la première version de son livre, bien des changements se sont produits dans la vie juridique. On a vu se développer de façon accélérée un droit dit social, qui montre très clairement que la prétention égalitaire du droit bourgeois se heurte à la réalité profonde des inégalités entre les individus, les groupes et les classes. Certains groupes de la classe dominante s'arrogent de véritables privilèges tandis que des groupes des classes dominées doivent être protégés dans certaines limites contre les effets les plus néfastes de l'exploitation capitaliste. L'ordre judiciaire s'est lui-même profondément modifié. Dans la plupart des pays occidentaux, le sommet de la hiérarchie judiciaire est devenu plus « politique », c'est-à-dire plus directement dépendant de l'Etat, car il en vient à assumer des fonctions politico-administratives assez larges. Par ailleurs, les groupements professionnels ont vu s'étendre leurs compétences dans le domaine judiciaire ou quasi-judiciaire. Il en résulte une complication extraordinaire de la justice, un enchevêtrement de juridictions et de compétences, des chevauchements de domaines qui impliquent des interventions beaucoup plus fréquentes du gouvernement et de la haute bureaucratie. La séparation des pouvoirs qui n'a jamais été autre chose qu'une division du travail à l'intérieur de l'Etat, contrôlée et sanctionnée par une opinion publique bourgeoise, n'est plus qu'une fiction aujourd'hui. L'interventionnisme de l'Etat capitaliste, sa multifonctionnalité actuelle entraînent des modifications sans cesse répétées de l'ordre juridique qui devient lui aussi plus pesant, plus oppressif. Pour les masses populaires qui n'ont pas à leur disposition les conseillers juridiques nécessaires pour l'utilisation rationnelle des différentes législations, le droit est de plus en plus imprévisible et irrationnel. Les caractéristiques propres de l'individu, sa situation à un moment donné n'ont apparemment aucune relation significative avec les rapports juridiques qu'il entretient avec d'autres (alors qu'en réalité sa situation d'exploité trouve son pendant dans sa position juridique infé¬rieure).

 

Il n'y a donc aucune raison de considérer que les problèmes fondamentaux posés par Pasukanis sont dépassés. Les changements du droit, son adaptation aux transformations de la société capitaliste n'altèrent pas sa nature de classe, son rôle pour produire et reproduire l'individu isolé nécessaire aux rapports de production capitalistes, pour favoriser l'appropriation par les capitalistes de la force de travail, pour entraver et réprimer l'organisation collective des travailleurs et pour contenir les affrontements des individus et des différentes couches de la société. En outre, le livre de Pasukanis est comme une sorte de réfutation anticipée des théories soviétiques actuelles qui affirment que le dépérissement du droit (pour une époque lointaine) passe par son renforcement et son développement maximal dans l'U.R.S.S. d'aujourd'hui. Le droit, pour ces curieux marxistes, n'est pas une survivance, mais un levier fondamental pour la progression vers le communisme. 

 

Cela explique sans doute pourquoi, malgré sa réhabilitation posthume en 1956, Evgenij Bronislavovic Pasukanis est toujours en U.R.S.S. un auteur maudit. Comme toute une génération de vieux bolcheviks, artisans de la Révolution d'Octobre, il avait pris trop au sérieux les thèmes libérateurs de Marx et de Lénine sur le dépérissement de l'Etat et du droit. Mais, c'est bien pour cela qu'il mérite d'être lu par tous ceux qui se battent véritablement pour le socialisme. 

 

La lecture de l'ouvrage de Pasukanis présentes de nombreuses difficultés. Comme le soulignait déjà Karl Korsch en 1930, le dogmatisme de l'auteur, manifestement influencé dans ce domaine par ceux-là mêmes qu'il critiqua, donne à son ouvrage un aspect rébarbatif pour les non-spécialistes. Les allusions à des exemples concrets n’abondent pas et on remarquera que la réalité soviétique de 1923 est à peine effleurée. Tout ceci fait que quelques explications complémentaires sur les grands courants de la théorie juridique ne sont sans doute pas superflues. 

 

L'école du droit naturel, née au XVIIIe siècle comme contestation de l'ordre juridique féodal, cherchait le fondement de la régulation de la vie sociale dans des principes conformes à la « nature humaine » (et non à l'ordre divin). Cela traduisait la montée de l'individualisme bourgeois et prépara sur le plan individuel les mouvements révolutionnaires de l'époque. Aujourd'hui, les défenseurs de la théorie du droit naturel ont généralement pour préoccupation de défendre l'ordre capitaliste existant en lui attribuant un caractère naturel et supra-historique. Il faut signaler cependant que dans les pays de l'Est (U.R.S.S., démocraties populaires), des courants oppositionnels réformistes opposent à l'arbitraire bureaucratique cette idée du droit naturel. 

 

Le positivisme juridique a pour caractéristique de ne pas se préoccuper du problème des fondements. La légitimité d'un ordre juridique pour lui est donnée simplement par le fait qu'il existe et perdure. Son centre d'intérêt, c'est le fonctionnement effectif d'un ordre juridique et son évolution en fonction des problèmes posés dans la pratique. 

 

L'école historique du droit ou historicisme juridique peut être considérée comme une variante de positivisme. Elle privilégie l'ordre juridique, fruit d'une très lente évolution en s'opposant à ceux qui attribuent une trop grande importance à la logique dans l'agencement des règles juridiques. Pour elle, tout ce qui vient des coutumes et d'usages peu à peu rodés au cours des temps a une valeur organique, colle à la société beaucoup mieux que les constructions abstraites des juristes. 

 

Le normativisme juridique de Kelsen est aussi une variante du positivisme. Il se distingue surtout par l'étude technique très rigoureuse qu'il fait des systèmes de normes, en montrant les liens logiques qui les unissent entre elles à partir d'une norme fondamentale qui est à la base de tout le système. Le normativisme est en fait une sorte de formalisation logique des systèmes juridiques possibles. Bien entendu, il part du présupposé que toute vie sociale organisée doit recourir au droit, c'est-à-dire à l'établissement de règles sanctionnées par l'Etat et extérieures aux individus et aux groupes. Il ne lui vient pas à l'idée que les normes générales puissent dépérir dans une société auto-gouvernée. 

 

Aujourd'hui, si ces différents courants de la pensée juridique bourgeoise existent toujours, ils sont largement en recul devant les différentes variantes du fonctionnalisme sociologique qui font du droit une subdivision d'une étude plus générale des organisations complexes (Etats, administrations, grandes entreprises). Le droit est ainsi conçu comme l'ensemble des règles et des institutions nécessaires au maintien et au bon fonctionnement de ces organisations bureaucratiques. 

J.-M. VINCENT, Paris, 1969.

 


 

Egalement sur ce site, où l'on retrouvera une critique du droit

 

- Critique de l'Etat, de la nation, du droit, de la politique et de la démocratie, par Robert Kurz (paru dans " Lire Marx ", 2002).

 

On peut aussi se reporter aux textes de la rubrique Antipolitique

 

 

 

 

Tag(s) : #Critique de l'Etat - du politique - du droit
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