Fondé en 2004 autour de Robert Kurz (1943-2012), Roswitha Scholz et Claus Peter Ortleib, suite à une scission au sein du groupe-revue « Krisis », « Exit ! » est une revue de langue allemande qui a pour projet de refonder une critique de l'économie politique pour le XXIe siècle, sous les traits de la « critique de la dissociation-valeur » (Wert-abspaltungskritik). Le numéro 12 sortira en Allemagne en novembre 2014.
Sommaire :
- « A propos de l'androcentrisme de la raison caractérisant les dominateurs de la nature », par Johannes Bareuther
- « La lutte pour la vérité », par Robert Kurz
- « Salut le fétichisme ! », par Roswitha Scholz
- « Critique de la forme et de l'idéologie dans les premiers systèmes hégéliens (II) », par Daniel Späth
- « Après Postone », par Roswitha Scholz
Alors qu’au XVIIe siècle, le programme général et les premiers développements d’une nouvelle connaissance de la nature fondée sur des lois, et avec la philosophie mécaniste qui leur correspondait, étaient formulés par des auteurs comme Francis Bacon, Galilée et Descartes, les actes patriarcaux horribles des persécutions de sorcières atteignaient en Europe leur point culminant. Le texte qui suit se penche sur cette coïncidence historique frappante. On constate alors que les sciences mécaniques de la nature sont certes la conséquence d’une socialisation fondée sur la valeur en train de s’imposer, comme l’a montré Eske Bockelmann. Mais on constate qu’au delà de cela, on voit aussi dans les catégories et dans les représentations de la nouvelle conception de la nature, les traces du crime fondateur que constitue la fondation du patriarcat producteur de marchandises, c’est-à-dire, d’une certaine manière, de la « dissociation sexuelle originelle ». Dans le fil du texte, on met ces catégories et ces représentations en relation spéculative avec la dialectique de la nouvelle domination de la nature, interne et externe, et avec la dynamique correspondante du sujet masculin-bourgeois, qui permet de reconnaître que la dissociation sexuelle est un préalable constitutif des sciences naturelles modernes.
Ce fragment inédit s’attaque au principe du relativisme postmoderne dans la théorie sociale. Ce principe est identifié comme le résultat d’une perplexité transitoire à la fin de l’époque bourgeoise, dans laquelle même le terrain de la critique du capitalisme légitimé par les idées de Marx se présente pour les observateurs extérieurs comme une sorte de labyrinthe. La réponse postmoderne à cette situation consiste dans le fait de ne pas vivre comme un problème cette « perte de toutes les certitudes », mais au contraire à l’élever comme un dogme , comme une nouvelle certitude salvatrice, dont la promesse de bonheur réside dans le fait de ne plus devoir se lier à quoi que ce soit, et de laisser ouvertes toutes les options. A partir de ce dogme, toute position ferme est critiquée de manière violente, même si elle ne reconnaît pas a priori même son contraire. Cette absence de position ferme et précise ne peut cependant pas être maintenue dans la durée, parce que le poids de la crise, lui-même, contraint à adopter des positions fermes. Parce que la pensée postmoderne se refuse à tout contenu qui manifesterait une clarté nouvelle et une position nouvelle, et que c’est justement là qu’elle prétend identifier le nouveau, elle suscite le potentiel de barbarie qui sommeille en elle et se trouve surpris par sa propre décision immotivé (probablement une allusion à Carl Schmitt}.
Ce texte a comme sous-titre « Contribution à la dialectique de la critique du fétichisme dans le processus actuel de l’’effondrement de la modernisation’ ». Ou bien : « Combien d’establishment la critique radicale de la société peut-elle supporter ? ». Il s’agit de savoir dans quelle mesure la critique du fétichisme n’est pas elle-même, dans le capitalisme d’aujourd’hui en train de s’effondrer, une partie de l’idéologie de la crise. Alors que naguère, la critique du fétichisme était réduite à une existence marginale, on la trouve aujourd’hui dans les couleurs et les formes les plus diverses. Elle n’est plus restreinte au discours de gauche, mais prolifère même dans des cercles bourgeois. Dans ce mouvement, le danger est toujours plus grand qu’elle devienne un élément de la gestion de la crise et du nouveau management. Ceux et celles qui critiquent le fétichisme évoluent depuis longtemps dans un nouveau réseau opportuniste fourni par le déclin du capitalisme, ce qu’ils savent fort bien par ailleurs. Contre ce mouvement, il s’agit de prendre de la distance vis-à-vis de sa propre histoire théorique, de maintenir une dialectique de la critique du fétichisme, et de continuer à intervenir sans compromis, dans la perspective de la nécessaire « rupture catégorielle et ontologique » (Robert Kurz), et d’une manière qui « marque sa différence ». Ainsi, c’est avec méfiance qu’il faut considérer les formules faciles produites par une théorie simplifiée de la dissociation-valeur, que ce soit dans le contexte d’une élaboration scientifique ou dans celui de pseudo-concepts pratiques.
CRITIQUE DE LA FORME ET DE L’IDEOLOGIE DANS LES PREMIERS SYSTEMES HEGELIENS II
Daniel Späth
Cette deuxième partie d’une étude des premiers textes de Hegel reconstitue le « système de la moralité » dans lequel Hegel montre de manière exhaustive comment il comprend la dialectique. Ce texte examine le premier système de ce texte de Hegel, le « système de la nature ». A partir des notions d’intuition et de concept telles qu’elles ont été développées dans la « philosophie transcendantale » de Kant, son propos est de mettre en évidence les analogies épistémologiques entre Kant et Hegel, et ainsi de repenser la « philosophie transcendantale » et la « philosophie de l’esprit », en les confrontant à la rupture catégorielle entre philosophie du sujet et critique du fétichisme, à la dialectique positive et à la dialectique négative. A partir de là, il est possible de mener une réflexion exhaustive sur la dialectique de Hegel qui s’appuiera en particulier sur ses fondements sociaux. Ainsi, dans cette première partie, on verra se dessiner clairement à quel point les catégories de Hegel restent enfermées dans le cadre d’une philosophie du sujet basée sur la logique de l’identité.
APRES POSTONE
Dans ce texte qui a pour sous-titre « Contribution à la nécessité d’une transformation d’une critique fondamentale de la valeur », la comparaison de Moishe Postone et de Robert Kurz – au regard de la critique de la valeur – met en évidence les différences entre Kurz et Postone, en s’appuyant sur l’ « individualisme méthodologique » critiqué par Kurz. Pour le dire d’une manière schématique : alors que Kurz veut lire le Capital comme un tout et ne veut que dans un deuxième temps prendre en considération la forme –marchandise, perspective dans laquelle le troisième Livre du Capital prend toute sa signification pour comprendre un processus de l’effondrement/chute du capitalisme qu’aujourd’hui on peut voir aussi empiriquement, Postone part des 150 premières pages du Capital et développe à partir de celles-ci le mouvement du capitalisme, sans arriver à la théorie de la crise. Postone s’appuie fondamentalement sur la forme-marchandise, Kurz sur la forme-capital. Mais de cette façon, Postone introduit un point de vue qui est tendanciellement celui des couches moyennes, en particulier par sa mise en avant de l’écologie, alors que Kurz, parfaitement conscient des conséquences écologiques, met en évidence en même temps que les intérêts des couches moyennes sont une idéologie. Chez Postone, il n’y a fondamentalement de « barrière interne » que sur le plan de l’écologie, et pas sur le plan de l’économie. Postone et Kurz (au moins dans son dernier livre Geld ohne Wert) se situent tous les deux sur le plan du capital comme processus global. Chez l’un comme chez l’autre, le plan d’une « dissociation du féminin » d’avec la (sur-)valeur conçue dans les termes d’une dialectique négative, n’apparaît pas du tout chez les deux auteurs, ou d’une façon marginale. Cependant, du point de vue de la dissociation-valeur, les différents plans, le plan matériel, le plan culturel-symbolique et – last, but not least – le plan psychanalytique, doivent être considérés dans leurs déterminations dialectiques et ainsi, en même temps, dans ce qui les distingue, dans le processus de leur développement. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut dépasser la totalité négative au-delà de l’individualisme méthodologique androcentrique, et d’un universalisme androcentrique, qui, en réalité, caractérise fondamentalement l’effondrement du patriarcat capitaliste en crise.