Anselm Jappe a publié un long texte sur la crise intitulé « Crédit à mort » dans le dernier numéro de la revue Lignes (n°30). C'est là nullement un résumé, mais quelques notes éparses. Ce nouveau numéro a pour dossier « La crise comme méthode de gouvernement », thématique aux arrières-pensées unilatéralement conspirationnistes (et personnificatrices) dont se démarque clairement l'auteur en montrant que cette crise dépasse totalement les Etats et est d’un tout autre ressort. Il est impossible de la réduire à une offensive du capitalisme, une quelconque « stratégie du choc », même si aujourd’hui l’accroissement de la dette des Etats pousse plus encore à réduire drastiquement leur voilure (santé, éducation, culture, etc.) par des politiques « néolibérales » - même si bien sûr l'Etat dans la crise se fait plus fort dans son appareil de répression et cherche à instrumentaliser la crise en désignant comme la gauche des bouc-émissaires faciles (les vilains spéculateurs, les immoraux patrons, etc.). Jappe fait là toute une discussion stimulante sur cette question et remet les pendules de l’analyse à l’heure.
Toute la première partie fait entre autre une très bonne critique de tous les pompiers pyromanes de la gauche, de l'extrême gauche, du keynésianisme, etc., et de leurs analyses théoriques faites toujours du point de vue du travail, c’est-à-dire d’une polarité immanente à la forme sociale capitaliste. Ce long passage sur les divers courants traditionnels me fait penser à cette phrase dans le Manifeste contre le travail du groupe Krisis : « [La gauche] banalise les contraintes du système en une simple idéologie et la logique de la crise en un simple projet politique des ‘‘ dominants’’ » (p. 86). De plus, si ce texte n'a pas pour vocation de parler du « mot-obus » « décroissance » qui n’était en fait depuis le début qu’un « mot-suppositoire », l'auteur en fait cependant une critique comme des autres courants, puisqu’ils ne voient la croissance que sous la forme d'une idéologie et d'un imaginaire... et partagent toujours le sacro-saint travail. Alors que la Hardt-Negri-Badiou mania sévit encore comme mode intellectuelle, l'auteur montre bien aussi que la crise qui est arrivée n'a rien de la révolte subjectiviste de la « multitude » que ces gens là attendaient comme le dernier messie (quand d'autres attendent exactement la même chose sous la forme du « Tiqqun »...), et qu'au contraire ce l'on appelle en Allemagne la « Wertkritik » (la critique de la valeur) s'est vue confirmée dans sa théorisation par la dernière crise.
Certains remarqueront qu’il cite pour son titre (seulement), le fameux livre de François Partant, Que la crise s'aggrave (F. Partant reste dans un marxisme très traditionnel, le problème reste la catégorie de valeur dans la circulation et il reste sur la planification certes avec de l'auto-gestion, mais dans le fond c'est toujours pareil, cf. la Centrale). Jappe est bien sûr balancé sur ce point là (vive la crise). A l'inverse des marxistes (pour qui la crise/sortie du capitalisme débouche nécessairement sur l'émancipation), on peut penser que la crise n'apporte que le pire, et certainement pas un travail de réflexion théorique et de solidarité organisée, mais bien plutôt un sauve qui peut généralisé et un renforcement de la violence d'Etat comme d'une reféodalisation par des rapports directs de domination comme en Russie aujourd'hui. La barbarisation des rapports sociaux est probablement la nouvelle figure de la relation aux autres, pour demain. Pourtant, l'auteur dans ce pire des mondes possibles, ne ferme pas la porte à autre chose, même s'il a du mal à y croire véritablement (il donne incidemment son avis sur les AMAP, SEL, etc., c'est « sympathique » d'après lui, mais cela se résume à vouloir vider l'océan avec une petite cuillère). Il développe là toute une réflexion intéressante...
L'auteur après avoir démasqué l'hystérie de la gauche, de la droite comme de l’extrême-gauche autour de la vilaine « industrie financière », démontre qu'au contraire c'est la financiarisation de l'économie depuis 30 ans que l'on devrait remercier. Loin d'être la cause de la crise, c'est elle qui prolonge la vie du capitalisme, de ce que certains se sont plu à appeler « l'économie réelle », supposément bonne, morale et saine, c'est-à-dire en parfaite santé (!), et à opposer à une économie parasitaire, la finance ! Car ATTAC et le reste gauche dans leur anticapitalisme complètement mutilé sont simplement contre le « capitalisme de casino » et veulent finalement par la régulation politique le bon et gentil capitalisme à papa des Trente Glorieuses, en mythifiant les accords Matignon de 1936, le compromis fordiste avec la classe ouvrière et le programme du CNR de 1945. Au travers de l'exposition de la critique de la valeur, l'auteur va alors montrer que l' « économie réelle » n'est pas la solution, ni ce à partir de quoi on pourrait développer une critique, mais qu'au contraire c'est bien elle le problème, et la cause du gonflage et de l'explosion des bulles financières de ces 30 dernières années. La crise financière, n'est que la partie émergée d'une crise structurelle bien plus profonde, la crise du travail abstrait comme crise du capitalisme, une crise qui pousse celui-ci à son terme. L’auteur développe alors la thématique centrale de son texte celle de l’ajournement impossible de la crise, au travers de l’explosion du crédit. Là-aussi de très bons passages. Bref un texte stimulant et à rebrousse poils de toutes les analyses que l’on entend sans cesse dans la presse, les médias comme dans le milieu militant et même ceux qui ne le suivent pas sur le mécanisme de la crise du travail abstrait comme crise au fondement du capitalisme, mais qui lisent cet auteur et ce courant au travers d'un intérêt critique, y trouveront beaucoup de matière à réfléchir tellement le texte est dense. Un texte qui ne peut laisser indifférent.
La revue n'est pas donnée (19 euros), mais elle est généralement consultable dans les bibliothèques municipales, et dans certains lieux militants.
Quelques textes d'Anselm Jappe :
- Pourquoi critiquer radicalement le travail ?
- Avec Marx, contre le travail
- Discussion avec Anselm Jappe autour de " Les Aventures de la marchandises " en 2004 à Paris.
- La politique n'est pas la solution.
- Politique sans politique.
- La crise, la faute à qui ?
- La princesse de Clèves aujourd'hui.
- Sade, prochain de qui ?
- Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur, Denoël, 2003.
Toute la première partie fait entre autre une très bonne critique de tous les pompiers pyromanes de la gauche, de l'extrême gauche, du keynésianisme, etc., et de leurs analyses théoriques faites toujours du point de vue du travail, c’est-à-dire d’une polarité immanente à la forme sociale capitaliste. Ce long passage sur les divers courants traditionnels me fait penser à cette phrase dans le Manifeste contre le travail du groupe Krisis : « [La gauche] banalise les contraintes du système en une simple idéologie et la logique de la crise en un simple projet politique des ‘‘ dominants’’ » (p. 86). De plus, si ce texte n'a pas pour vocation de parler du « mot-obus » « décroissance » qui n’était en fait depuis le début qu’un « mot-suppositoire », l'auteur en fait cependant une critique comme des autres courants, puisqu’ils ne voient la croissance que sous la forme d'une idéologie et d'un imaginaire... et partagent toujours le sacro-saint travail. Alors que la Hardt-Negri-Badiou mania sévit encore comme mode intellectuelle, l'auteur montre bien aussi que la crise qui est arrivée n'a rien de la révolte subjectiviste de la « multitude » que ces gens là attendaient comme le dernier messie (quand d'autres attendent exactement la même chose sous la forme du « Tiqqun »...), et qu'au contraire ce l'on appelle en Allemagne la « Wertkritik » (la critique de la valeur) s'est vue confirmée dans sa théorisation par la dernière crise.
Certains remarqueront qu’il cite pour son titre (seulement), le fameux livre de François Partant, Que la crise s'aggrave (F. Partant reste dans un marxisme très traditionnel, le problème reste la catégorie de valeur dans la circulation et il reste sur la planification certes avec de l'auto-gestion, mais dans le fond c'est toujours pareil, cf. la Centrale). Jappe est bien sûr balancé sur ce point là (vive la crise). A l'inverse des marxistes (pour qui la crise/sortie du capitalisme débouche nécessairement sur l'émancipation), on peut penser que la crise n'apporte que le pire, et certainement pas un travail de réflexion théorique et de solidarité organisée, mais bien plutôt un sauve qui peut généralisé et un renforcement de la violence d'Etat comme d'une reféodalisation par des rapports directs de domination comme en Russie aujourd'hui. La barbarisation des rapports sociaux est probablement la nouvelle figure de la relation aux autres, pour demain. Pourtant, l'auteur dans ce pire des mondes possibles, ne ferme pas la porte à autre chose, même s'il a du mal à y croire véritablement (il donne incidemment son avis sur les AMAP, SEL, etc., c'est « sympathique » d'après lui, mais cela se résume à vouloir vider l'océan avec une petite cuillère). Il développe là toute une réflexion intéressante...
L'auteur après avoir démasqué l'hystérie de la gauche, de la droite comme de l’extrême-gauche autour de la vilaine « industrie financière », démontre qu'au contraire c'est la financiarisation de l'économie depuis 30 ans que l'on devrait remercier. Loin d'être la cause de la crise, c'est elle qui prolonge la vie du capitalisme, de ce que certains se sont plu à appeler « l'économie réelle », supposément bonne, morale et saine, c'est-à-dire en parfaite santé (!), et à opposer à une économie parasitaire, la finance ! Car ATTAC et le reste gauche dans leur anticapitalisme complètement mutilé sont simplement contre le « capitalisme de casino » et veulent finalement par la régulation politique le bon et gentil capitalisme à papa des Trente Glorieuses, en mythifiant les accords Matignon de 1936, le compromis fordiste avec la classe ouvrière et le programme du CNR de 1945. Au travers de l'exposition de la critique de la valeur, l'auteur va alors montrer que l' « économie réelle » n'est pas la solution, ni ce à partir de quoi on pourrait développer une critique, mais qu'au contraire c'est bien elle le problème, et la cause du gonflage et de l'explosion des bulles financières de ces 30 dernières années. La crise financière, n'est que la partie émergée d'une crise structurelle bien plus profonde, la crise du travail abstrait comme crise du capitalisme, une crise qui pousse celui-ci à son terme. L’auteur développe alors la thématique centrale de son texte celle de l’ajournement impossible de la crise, au travers de l’explosion du crédit. Là-aussi de très bons passages. Bref un texte stimulant et à rebrousse poils de toutes les analyses que l’on entend sans cesse dans la presse, les médias comme dans le milieu militant et même ceux qui ne le suivent pas sur le mécanisme de la crise du travail abstrait comme crise au fondement du capitalisme, mais qui lisent cet auteur et ce courant au travers d'un intérêt critique, y trouveront beaucoup de matière à réfléchir tellement le texte est dense. Un texte qui ne peut laisser indifférent.
La revue n'est pas donnée (19 euros), mais elle est généralement consultable dans les bibliothèques municipales, et dans certains lieux militants.
Quelques textes d'Anselm Jappe :
- Pourquoi critiquer radicalement le travail ?
- Avec Marx, contre le travail
- Discussion avec Anselm Jappe autour de " Les Aventures de la marchandises " en 2004 à Paris.
- La politique n'est pas la solution.
- Politique sans politique.
- La crise, la faute à qui ?
- La princesse de Clèves aujourd'hui.
- Sade, prochain de qui ?
- Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur, Denoël, 2003.