Cet extrait est l’introduction (pp. 321-328) que fait Robert Kurz à une série de passages relatifs au Marx ésotérique du chapitre VII du livre « Lire Marx. Les textes les plus importants de Karl Marx pour le XXIe siècle. Choisis et commentés par Robert Kurz », La balustrade, 2002, aujourd’hui épuisé. De nombreuses réflexions, sur la société du travail, la crise inhérente au fondement du capitalisme, la théorie du capitalisme comme barbarie, sur la mondialisation, etc., renvoient à des chapitres précédents que l’on peut également consulter sur le site « Critique radicale de la valeur ».
Le capital financier, la bulle de la spéculation
et la crise de la monnaie
Robert Kurz
2002
On oublie souvent dans la discussion sur la théorie de Marx que la notion de mode de production capitaliste qu’il développe principalement dans le premier livre du « Capital » n’expose d’abord que la logique élémentaire du capital et ses conditions historiques et sociales. Par contre, les manifestations empiriques immédiates par lesquelles la société capitaliste s’offre de l’extérieur à l’observateur ne coïncident pas entièrement avec la logique de l’essence du capital, mais subissent en quelque sorte de multiples mutations. Si, comme le dit Hegel, c’est l’essence qui apparaît, elle n’apparaît justement pas directement et en tant que telle, mais « transmise », modifiée, « incorrectement » réfractée par les influences par le biais desquelles elle fait surface. C’est-à-dire que, d’une part, l’essence, par sa notion et sa logique, doit d’abord être distillée de la diversité de ses manifestations et que, d’autre part, à partir de la notion de capital et de la logique de son essence obtenue, il faut ensuite discuter à son tour le contexte concret de sa transmission et expliquer comment et pourquoi cette essence se présente telle qu’elle apparaît à travers certaines modifications. Et enfin, il faut aussi analyser et exposer le développement historique et l’état empirique respectif de ces formes et suites de transmission, si l’on veut saisir la relation du capital en tant que tout concret en l’état actuel de son évolution.
Marx a principalement analysé les formes de transmission de la logique capitaliste et de leur évolution dans le deuxième et le (fragmentaire) troisième livre du « Capital », sans, comme nous l’avons vu, y parler, du moins systématiquement de l’ « Etat » et du « marché mondial » (qui auraient dû constituer le contenu du 4e livre s’il avait été écrit). Néanmoins, dans son développement de la notion de capital, Marx a analysé de façon relativement détaillée une forme de transmission du capital ayant aujourd’hui une signification décisive : celle du capital porteur d’intérêts et la notion de « capital fictif » qui en découle. Le capital porteur d’intérêt, donc le capital argent pur en tant que capital de prêt ou de crédit, se distingue tout à fait de la forme financière du capital « faisant fonction de capital », qui a parcouru des processus de production économique industriels réels. Le capital argent de l’économie industrielle n’est que le stade financier provisoire de la métamorphose perpétuelle de l’accumulation capitaliste, il est donc un capital argent qui, en tant que tel, ne cesse de se re-transformer directement en moyen de production (c) et force de travail vivant (v). Le capital porteur d’intérêts représente un capital argent qui n’est plus lié qu’extérieurement et indirectement au véritable processus de production capitaliste. Il s’agit d’un capital argent prêté à des entreprises, à l’Etat ou même à des ménages, qui, en compensation, doivent payer des intérêts (prix du crédit) en même temps qu’ils remboursent la somme prêtée.
Du point de vue des propriétaires de ce capital crédit, ou créditeurs, de même que dans la compréhension sociale générale de la conscience capitaliste, cette forme de capital dérivée est sa forme « véritable », dotée de la « qualité occulte » - pour reprendre Marx – de faire de l’argent d’elle-même, semble-t-il sans passer par des processus de production économiques industriels réels. Cela explique que cette manifestation du contexte de la transmission capitaliste soit aussi le point de départ de la critique populaire et populiste du capitalisme initialement issue de la petite bourgeoisie, qui n’a cessé d’être attisée de Proudhon et des anarchistes de son bord, aux chefs de sectes de l’acabit d’un Silvio Gesell ou d’un Rudolf Steiner, jusqu’aux idéologues nazis. Cet anticapitalisme primaire et sot, tout juste adapté aux préjugés du « bon sens populaire » capitaliste dressé depuis le XVIIIe siècle au productivisme par une discipline de travail abstraite, attaque le « capital financier improductif » au nom de la nation capitaliste, en en faisant un vampire assoiffé de sang. En même temps on glorifie et revendique véritablement le mode de production capitaliste proprement dit : comme, par exemple, les nazis dans leur scabreuse opposition entre le capital « créateur » et le capital « rapace ». En cherchant trop souvent et trop facilement à identifier le capital financier diabolisé avec le judaïsme (topique apparu à la fin du Moyen Âge et utilisé à outrance par Luther), cette idéologie construite sur les ressentiments et les bas instincts humains et non sur l’analyse et la théorie critique, crée en même temps un foyer ou une sorte d’ « économie politique » irrationnelle de l’antisémitisme moderne.
Pour la suite du texte (5 pages) :
Voir le Fichier : La_mere_de_toutes_les_extravagances_et_la_portee_de_jeunes_loups_de_la_Bourse.pdf
Les extraits précédents de ce livre de Robert Kurz :
- Introduction du Chapitre 1 : Ils ne le savent pas mais ils le font. Le mode de production capitaliste est une fin en soi irrationnelle.
- Introduction du Chapitre 2 : L'essence étrangère et les organes du cerveau. Critique et crise de la société du travail.
- Introduction du Chapitre 3 : Critique de la nation, de l'Etat, du droit, de la politique et de la démocratie
- Introduction du Chapitre 4 : Saignant et purulent par tous ses pores : le vilain capitalisme et sa barbarie.