Ci-dessous une invitation à une rencontre autour du concept de « réification » (chosification) de la vie sociale dans la formation sociale capitaliste, concept forgé par Georg Lukacs à partir de celui de fétichisme réel chez Marx. Dans son célèbre essai « La réification et la conscience du prolétariat » (l'essai le plus important de l'ouvrage « Histoire et conscience de classe »), en partant de l'analyse marxienne de la forme-marchandise, Lukacs tentait de fonder dans les formes et catégories capitalistes, les phénomènes de rationalisation et de bureaucratisation que la science bourgeoise (Max Weber par exemple, et tous les auteurs qui ont souvent hypostasié la forme bureaucratique et étatique de la configuration postlibérale du capitalisme, durant ce que Eric Hobsbawn a appellé « l'âge des catastrophes » et « l'âge d'or » - donc entre 1914 et les années 1970) ne comprenait que de manière très limitée. De nombreux auteurs ces dernières années se sont à nouveau penchés sur l'oeuvre du jeune Lukacs (le chapitre 2 du prochain ouvrage de Moishe Postone sur la trajectoire de la Théorie critique au XXe siècle, portera sur l'analyse de cet essai de Lukacs).
Plus d'infos sur cette rencontre à Paris autour du concept de réification ici.
Présentation de la rencontre :
Élaborée par le jeune Lukács dans une série de textes réunis dans Histoire et conscience de classe (1923), en pleine période d’effervescence révolutionnaire, la notion de réification a connu un destin singulier. Envisagée initialement comme une radicalisation de la perspective ouverte par le concept marxien de fétichisme, ayant pour objectif ultime une justification du rôle historique du parti révolutionnaire, la théorie lukacsienne fut très tôt rejetée par les orthodoxies communistes. Assez paradoxalement, elle irrigua d’une manière souterraine la plupart des grandes “hérésie'' : de la Théorie critique francfortoise à la Wertkritik, en passant par l’Internationale situationniste, les Oppositions extra-parlementaires allemandes et italiennes, les travaux d’Henri Lefebvre, de Lucien Goldmann ou de Joseph Gabel par exemple, elle constitua le centre de gravité occulte de tout un pan du marxisme critique. L’idée de penser le mode de production capitaliste par le prisme de la théorie d’une forme de vie dévaluée et fétichisée réunit en effet, par-delà leurs particularités irréductibles, ces différentes conceptualisations. Et c’est précisément la centralité d’une telle notion, pour une théorie critique du capitalisme contemporain, que nous voudrions réinterroger lors de ces journées.
Trois grands axes interprétatifs seront mobilisés. Un premier par lequel nous nous proposons de revenir sur la manière dont, à partir de Marx, Lukács a pu élaborer un concept profondément original de réification. Quel rapport la conceptualité lukacsienne entretient-elle avec la critique marxienne de l’économie politique et permet-elle de réintroduire cette dernière dans la philosophie sociale contemporaine? Dans un second temps, il s’agira d’aborder la généalogie wébérienne du concept de Verdinglichung et sa postérité francfortoise. Nous souhaitons notamment discuter les rapports entre réification et critique de la modernité, et la manière dont elle peut conduire à une critique radicale du capitalisme. Enfin, nous nous concentrerons sur la réception de cette notion par des traditions philosophiques et militantes critiques à l’égard du marxisme mais proches de son intérêt pour l’émancipation.
En proposant à la discussion les problèmes théoriques et politiques liés au concept de réification, nous voudrions ainsi questionner, dans le contexte de ses reprises et réexamens les plus récents, les conditions de sa réactivation critique et pratique.
Journées organisées dans le cadre des activités du Sophiapol par Vincent Chanson, Alexis Cukier et Frédéric Monferrand.
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Date :
9 et 10 janvier 2012
Lieu :
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
bâtiment T, salleR11
Comment venir ? par le train et le RER
Plan du campus de Paris Ouest Nanterre La Défense
Contact:
Vincent Chanson
Alexis Cukier
Frédéric Monferrand
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PROGRAMME
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Lundi 9 janvier 2012
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14h Introduction
14h30 – 18h00 : Origines et enjeux marxistes du concept de réification
Président de séance: Vincent Chanson
Frédéric Monferrand : De quelle ontologie sociale la critique de la réification est-elle solidaire ?
Alexis Cukier : Aliénation, exploitation…à quoi sert la réification ? Philosophie sociale et économie politique.
Vincent Charbonnier : Les réifications chez Lukács.
Mardi 10 janvier
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09h30 – 13h00 : Kulturkritik et théorie critique
Président de séance: Frédéric Monferrand
Aurélien Berlan : “Sans considération de personne”. Rationalisation et réification chez Max Weber.
Vincent Chanson : : La réification comme concept “épistémo-critique” chez T. W. Adorno
Anselm Jappe: “De l’aliénation au fétichisme de la marchandise – usages et mésusages de deux concepts”
14h30 – 18h00 : Prolongements et critiques du concept de réification :
Président de séance: Alexis Cukier
Christian Lazzeri : La réification chez Sartre
Fabien Delmotte : Les enjeux de la réception de Lukacs par Socialisme ou Barbarie
Marco Angella : Les limites de la réification chez Honneth