Jean-Marie Vincent
Critique du travail. Le faire et l'agir
Tout comme le scandale qui consiste dans la non-traduction en France des oeuvres majeures de Robert Kurz (Le collapse de la modernisation, Argent sans valeur ou Le Livre noir du capitalisme), Roswitha Scholz, Hans-Georg Backhaus ou Alfred Sohn-Rethel (dont un recueil de textes, La pensée-marchandise, est toutefois publié aux éditions du Croquant en 2010), c'est maintenant depuis plus de dix longues années qu'est épuisée et sans projet de réédition, l'oeuvre maîtresse du philosophe français Jean-Marie Vincent (1934-2004), Critique du travail. Le faire et l'agir (PUF, 1987).
Lié dans les années 1970 à la LCR et à la revue Critique de l'économie politique, Jean-Marie Vincent ne fit jamais école chez les marxistes traditionnels tendance trotskiste. Même celui qu'il forma théoriquement, Antoine Artous, devait revenir sagement à la niche de ce même marxisme traditionnel. Le livre de J.-M. Vincent est pour autant, pour celles et ceux qui s'intéressent de près au Marx du Capital et à la marxologie, un auteur unique et précieux. Pour Anselm Jappe, ce livre « est probablement le livre français qui se rapproche le plus de la critique de la valeur [wertkritik], même s'il reste par certains aspects dans le marxisme traditionnel » (Les Aventures de la marchandises, Denoël, 2003, p. 130 ; réédité à La Découverte en 2017). Au début des années 2000, Jean-Marie Vincent prend connaissance avec un grand intérêt du livre de Robert Kurz paru en 1999 en Allemagne, Le Livre noir du capitalisme, qu'il citera positivement dans Un Autre Marx (Page 2). C'est encore Jean-Marie Vincent qui incitera André Gorz à découvrir la wertkritik allemande, ce qu'il fera au point de s'y reconnaître à la fin de sa vie. Au début des années 2000, le milieu français de la critique de la valeur a organisé à Lille une rencontre entre Robert Kurz et Jean-Marie Vincent, et ce dernier écrira des textes très proches de la critique de la valeur dans son tout dernier recueil paru (épuisé), Un Autre Marx. Après les marxismes (Page 2, 2001). Dans Critique du travail, le chapitre le plus intéressant pour nous s'intitule :
Le fétiche travail et son empire :
la critique de l'économie comme critique de la forme valeur ?
Jean-Marie Vincent était également un germaniste hors pair et un passeur de frontière notamment entre la France et l'Allemagne. Il fut un introducteur en France de l'Ecole de Francfort. Il a porté tout au long de sa vie un fort intérêt critique pour la sociologie de Max Weber. L'enfermement des relations sociales dans une "cage de fer", correspond bien à ce que décrit Jean-Marie Vincent du travail pour comprendre la valorisation sociale engendrée par le capitalisme. Telles une chape de plomb, les totalisations sociales pèsent sur les êtres vivants. Dès les années 1960, il a critiqué « l'ontologisme naïf » du matérialisme dialectique et historique, l'althussérisme (dans Contre Althusser. Pour Marx) comme l'oeuvre de Jürgen Habermas qui n'a plus grand chose à voir avec les intuitions maîtresses de la première génération de l'Ecole de Francfort.
Sa confrontation à Habermas fait partie aussi de son ouvrage Critique du travail paru en 1987. Comme Moishe Postone dans son ouvrage Temps, travail et domination sociale qui comporte plusieurs chapitres consacrés à cet auteur, Jean-Marie Vincent reproche à Habermas son interprétation très réductrice de Marx mais aussi l'expulsion de l'analyse du salariat moderne de sa sociologie de l'action, entérinant par là une théorie non-conflictuelle de la démocratie. Il y aborde aussi entre autres les pensées de Arendt, Bloch, Heidegger, Lukàcs...
Clément Homs
Quatrième de couverture :
Cinq essais philosophiques constituent ce livre, qui forment les moments d'une même réflexion critique et constructive. Avec clarté, sans concessions aux modes dominantes, Jean-Marie Vincent s'y confronte aux questions urgentes de notre présent : la "crise du sens", la répétivité des mécanismes de domination et de technisation qui prétendent normaliser l'avenir, la perte de réalité de la politique.
Ce qu'il refuse : le dogmatisme, enfermé dans les certitudes d'une "conception du monde", fût-elle révolutionnaire ; l'éclectisme post-moderne, méconnaissant l'apport des grands rationalismes dialectiques des XIX e et XX e siècles ; l'alternative abstraite de la société et de l'individu, de la norme et de la pratique.
Ce qu'il propose : une relecture des essais les plus hardis d'actualisation du marxisme (Lukàcs, Bloch, Habermas), pour découvrir leurs limites ; une confrontation serrée de la critique marxienne de l'économie politique et de la déconstruction heideggerienne de l'ontologie techniciste : une prospective raisonnée de l'agir, libérée du productivisme.
Au coeur du problème : l'analyse du travail comme "abstraction réelle" dominant les pratiques de l'oeuvre et de la communication, au travers de l'impérialisme de la valeur (auquel Marx lui-même n'a pas échappé) ; l'exploration résolue des voies d'une politique dans l'élément de la finitude, d'une démocratie comme transformation de l'action elle-même, d'un art comme art de vivre, par-delà l'esthétisme et le mercantilisme. »
Bonne lecture !
Voir le Fichier : Critique_du_travail_pages_1-77.pdf
Voir le Fichier : Critique_du_travail_pages_78-162.pdf
Merci à Vincent pour la scannérisation de ce livre.
Certaines personnes n'arrivant pas à télécharger " Critique du travail " à partir de ces deux fichiers PDF, ne pas hésiter à m'envoyer un mail, et je vous envoie en pièce jointe ces fichiers. M'écrire à palimpsao(arobase)orange.fr
- Voir aussi la revue Variations. Revue internationale de théorie critique, constituée autour de Jean-Marie Vincent. Les numéros sont librement téléchargeables.
- Texte de Jean-Marie Vincent, " Marx l'obstiné ", dans Marx après les marxismes (ouvr. coll.), L'harmattan, 1997.