Ci-dessous, un extrait du livre de Robert Kurz " Lire Marx. Les textes les plus importants de Karl Marx pour le XXIe siècle. Choisis et commentés par Robert Kurz ", La balustrade, 2002 (p. 45-51). Cet extrait s'attache notamment à critiquer le marxisme traditionnel [1].
Voir le Fichier : Ils_ne_le_savent_pas_mais_ils_le_font_Robert_Kurz.pdf
Le mode de production capitaliste est une fin en soi irrationnelle
Robert Kurz
2000
Si l’on feuillette la littérature marxiste et antimarxiste des XIXe et XXe siècles, on retrouve tout au long, avec une lassante régularité, la même réduction : qu’il soit question du capitalisme de façon positive ou négative c’est presque exclusivement en catégories sociologiques de « classes » ou « couches » sociales, tandis que les formes sociales sur lequel il est fondé restent en quelques sortes neutres (ou bien l’on ne discute que de leur regroupement et de leur nouvelle configuration, par exemple dans le rapport marché Etat). Il s’agit de la relation de classes sociales à l’intérieur de l’enveloppe capitaliste. En prétendant que le capitalisme est une société de classes, les marxistes – qui se réclamaient toujours du seul Marx exotérique – croyaient avoir dit l’essentiel. Et les apologistes [du capitalisme] essayaient de relativiser cette constatation en répondant que le capitalisme avait largement eu raison de la société de classe grâce à l’Etat providence et à l’amélioration des conditions de travail.
Dans ce débat, on ne pose pas la question, en tout cas pas sérieusement, bien qu’on prétende à la réflexion théorique : comment sont apparues les classes sociales, comment se reproduit jour après jour leur constitution en société. La raison de ce désintérêt est simple : dans cette perspective sociologique réduite, les conditions sociales sont finalement ramenées à de pures questions de libre arbitre. Le capitalisme existe parce que ses acteurs le « veulent ». Donc le capitalisme se confond pour ainsi dire avec les capitalistes (propriétaires privés d’un capital-argent, mais aussi les managers) qui se veulent en tant que tels ou avec le collectif social de la classe capitaliste. C’est cette volonté des sujets capitalistes qui a soumis à sa loi la majorité de la société en tant que travailleurs salariés.
En conséquence, la propriété privée des moyens de production apparaît comme l’institution centrale de cette volonté capitaliste. Selon la formule consacrée, la monopolisation sociale des potentiels productifs donne aux capitalistes seuls le droit de décider de leur utilisation. L’assujettissement ou comme l’appelle Marx, « l’exploitation de l’homme par l’homme », semble ainsi s’accomplir dans un rapport de domination par le biais de la propriété privée, dans le rapport social entre les capitalistes et les salariés. Dans la mesure où il s’agit alors d’un rapport social, ce ne peut être qu’un rapport de classe. Selon cette version, la seule différence avec une société où règnent des rapports de dépendance personnelle entre seigneurs et serfs est que la dépendance a pris un caractère collectif, donc que chaque individu salarié ne dépend plus d’un maître propre (comme dans la féodalité et l’esclavage), mais de la classe capitaliste toute entière.
En réduisant de la sorte la notion non seulement du mode de production et de formation sociale à des rapports de volonté entre classes sociales, codifiés et institutionnalisés sous forme juridique (propriété des moyens de production sociaux), l’aspect négatif et destructeur du capitalisme semble en quelque sorte revenir au caractère de classe dominante des acteurs capitalistes. Alors, la notion de capital peut soudain tout bonnement coïncider avec celle de moyens de production matériels (machines, bâtiments et autres), même dans la formulation marxiste et en matière d’économie politique bourgeoise. Dans ce cas, le capital en tant que tel n’est plus un rapport social, mais il devient un objet concret, tandis que la relation sociale imposée par le capital fait figure d’opposition de classe, sur le plan sociologique apparent.
Si l’on va jusqu’au bout de cette perspective, en mettant en œuvre et en « utilisant » la classe assujettie des travailleurs salariés à des fins personnelles, la classe dominante des propriétaires capitalistes poursuit un intérêt particulier propre, qui est l’intérêt subjectif de sa classe. A quoi s’oppose un autre intérêt, l’intérêt contraire de la classe des ouvriers salariés. Cette opposition d’intérêts a naturellement pour résultat une lutte d’intérêts, en fait, la bonne vieille lutte des classes. Extrême conséquence de la critique du capitalisme, cette quintessence du marxisme du mouvement ouvrier suggère implicitement (et souvent explicitement) de se débarrasser des capitalistes d’une manière ou d’une autre, si possible de les enfermer ou de les raccourcir d’une tête – pour reprendre l’idée et la pratique de la Révolution française bourgeoise. En tout cas, il faut leur retirer leur jouet, donc les déposséder, afin que la glorieuse classe ouvrière puisse ensuite faire fonctionner le capital matériel sous sa propre direction et dans son propre intérêt.
Ce n’est que pure logique : si le capitalisme revient à un pouvoir de disposition juridique en faveur d’une classe dominante, il cesse d’exister par un changement formel de propriété entre deux classes. On trouve un témoignage presque touchant de naïveté et vraiment comique de cette pensée marxiste dans les « certificats d’expropriation » officiels qui, lors de la fondation de l’ex-RDA, entérinèrent le passage des entreprises aux mains du peuple, signifiant ainsi qu’elles seraient désormais des entreprises collectivisées (« Volkseigene Betriebe » ou VEB)
Ici transparaît assez bien le champ notionnel de ce marxisme sur lequel s’appuya le mouvement ouvrier historique pour légitimer sa lutte des classes, qui n’avait, en réalité, d’autre but que d’être reconnue dans le capitalisme. Il est indéniable que cette version se retrouve aussi tout au long de l’œuvre de Marx. C’est justement dans le contexte de ce champ notionnel que le Marx exotérique se révèle n’être qu’un pur théoricien de la modernisation. Il y a deux problèmes surtout auxquels se heurte cette notion réduite du capitalisme donnée par le marxisme courant et où se fait le passage de l’argumentation et de la critique exotérique à l’argumentation et la critique ésotérique au sein de la critique marxiste.
D’une part, la réduction de la notion de capitalisme à des rapports de volonté est totalement incompatible avec l’objectivité « d’airain » (reprise de Hegel) du processus historique avec ses étapes du développement nécessaire et ses formation sociales. Visiblement la volonté subjective propre à la classe et conduite par l’intérêt n’est pas ce qui constitue le capitalisme, cette volonté sociale est englobée dans autre chose qui est une objectivité qui la dépasse.
Ceci est encore plus net quand Marx et le marxisme ne cessent de parler, avec la plus grande évidence, des « lois » du mode de production capitaliste, voire de ses « lois naturelles ». Du point de vue positiviste, on se rapproche ici aussi, comme pour la notion matérialisée du capital, de la pensée de l’économie bourgeoise pour qui, comme on sait, les lois du capitalisme sont identiques aux lois prétendument naturelles de la reproduction sociale en général. Mais même si on reconnaît que ces « lois économiques naturelles » ne sont que des lois historiques, limitées au mode de production spécifiquement capitaliste, il reste un problème : le caractère objectivé et propre aux lois « naturelles » des structures de reproduction et des formes de mouvement et de développement capitalistes sont en profonde contradiction avec leur notion réduite à des rapports de classes sociologiques et des rapports de volonté juridiques. Le marxisme a simplement renoncé à faire connaître et à résoudre cette contradiction, d’ailleurs il ne l’a même pas vue.
C’est pour cette raison que la théorisation marxiste s’est forcément toujours dissociée en une théorie de la société, « objectiviste », et « économiste » (quasi-scientifique) d’une part et une théorie de l’action « subjectiviste » (politique et juridique) d’autre part. Cette schizophrénie reproduit le dédoublement de la pensée bourgeoise moderne en général. Depuis la philosophie des Lumières, celle-ci ne cesse de dissocier en proclamant d’une part, une société humaine qui, telle un rouage d’horlogerie, fonctionne quasi automatiquement, selon les lois d’un système (la « main invisible » des marchés et des mécanismes de régulation cybernétiques qui mettent l’homme sur le même plan que les insectes ou les pièces détachées) et, d’autre part, le « libre arbitre », « l’autonomie de l’individu », la « responsabilité de soi » et la « liberté politique » (démocratie).
Le marxisme du mouvement ouvrier n’a pas brisé ce dilemme de la pensée bourgeoise, il s’en est accommodé et (dans le cas du rattrapage de modernisation du XXe siècle) l’a intégré à son socialisme. Ce dernier devait également fonctionner selon les lois économique objectivées et naturelles (notamment de la production de marchandises non supprimée), mais en même temps incarner la volonté du prolétariat et de son parti devenu Etat.
D’un autre côté, l’argumentation marxiste s’embrouille quand se pose la question du sens de ce système. Certes, la pensée bien sage de la lutte des classes a vite fait de trouver une réponse : pour elle, le but du capitalisme consiste naturellement à faire exploiter les travailleurs salariés par les capitalistes. Si ceux-ci désirent si ardemment le capitalisme, c’est parce qu’il leur rapporte cette fameuse « plus-value » qu’ils extorquent à la partie besogneuse de l’humanité. Evidemment, on peut interpréter exactement dans ce sens des pages entières du Marx exotérique où il parle de « travail non rémunéré », grâce auquel les salariés produisent cette valeur supplémentaire, qui dépasse la contre-valeur de leurs propres coûts de reproduction (perçue sous forme de salaire) et que les propriétaires capitalistes s’approprient pour s’enrichir.
La conséquence semblerait être que la vaillante classe ouvrière s’approprie elle-même la plus-value retenue, après avoir mis les exploiteurs à la porte, qu’elle reçoive la totalité du produit de son travail et que la partie non rémunérée de son travail lui soit payée. Le marxisme aussi fut obligé de reconnaître, bien sûr, que toute société nécessite des réinvestissements, destinés à renouveler les moyens matériels de production, et de constituer des réserves. Ces retenues nécessaires sur le produit du travail seraient alors employées au bénéfice de la communauté par les institutions propres à la classe ouvrière (ou bien par son parti-Etat).
Cette réponse apparemment si simple et si claire qui arrive à brûle-pourpoint n’est pourtant pas sans poser problème. En effet, elle donne l’impression que les propriétaires capitalistes qui s’approprient la plus-value dilapident ce profit surtout à titre de richesse personnelle. Le rapport capitalise semble donc n’être qu’une variante du rapport en quelque sorte intemporel entre pauvreté et richesse. Les notions marxistes de plus-value (sous forme argent) et de surproduit (sous forme biens matériels) sont pratiquement utilisées comme synonymes. Sur ce point, les formes d’appropriation féodale et capitaliste ne semblent différer que par le genre de propriété (propriété foncière pour l’une et propriété privée des moyens de production pour l’autre).
Le fait est qu’effectivement les seigneurs féodaux classiques ont littéralement englouti le surproduit matériel sous forme d’impôts en nature ; mais même cette débauche était toujours liée à différents modes de répartition permettant aux serfs, vilains et autres, de recevoir des miettes d’une façon ou d’une autre. Même pour les richesses pré-capitalistes, les seigneurs n’avaient pas d’estomacs assez grands. Dans sa manifestation capitaliste, la production de richesses devenue exorbitante échappe totalement à l’appropriation subjective et sensible par les processus de moyens de production. Entrepreneurs et managers ne peuvent ni consommer personnellement l’énorme surproduit, c’est-à-dire ce qui sort de leurs usines en cirage, grenades à mains, poulets rôtis ou livres de poche excédant la contre-valeur des salaires. Même en faisant de gros efforts, ils ne peuvent pas non plus transformer leurs gains en produits de luxe pour leur propre usage, d’ailleurs il y a longtemps qu’ils n’en ont, de toute façon, plus le temps. Au contraire, sous peine de sombrer, ils sont obligés de réinvestir une grande part du surproduit (donc de la plus-value) retransformée en argent dans le processus de reproduction capitaliste sur une échelle élargie.
Donc personne ne tire véritablement bénéfice de la plus grande partie du « travail non payé », si l’on entend par là la jouissance réelle de la richesse produite. Par conséquent, une grande masse de produits n’est pas vouée à beaucoup de jouissance. Il s’agit d’une augmentation de la production pour la production – une fin en soi irrationnelle. Voilà exactement ce que le Marx ésotérique a appelé le fétichisme de ce mode de production, tout comme les fétiches oeuvraient déjà dans les sociétés pré-modernes. Marx a aussi un nom pour le mécanisme spécifique de la divinité fétiche capitaliste : le « sujet automatique » [automate]. Bien que ce terme apparaisse dès le début du « Capital », les marxistes biens instruits du capital sont interloqués par ce qu’ils ressentent comme un non-sens relativement bizarre. En effet, Marx désigne sous ce terme le cœur même du paradoxe du rapport social capitaliste, que l’on ne peut absolument pas expliquer par le rapport de classe et d’exploitation entre travailleurs salariés et capitalistes.
Au contraire, on a soudain l’impression que, dans le capitalisme, toutes les classes et les catégories en général ne sont pareillement que catégories de fonction de ce sujet automatique [automate] auquel elles sont subordonnées et qui, de ce fait, devrait constituer l’objet proprement dit de la critique du capitalisme. Pas plus que les travailleurs du bas de l’échelle capitaliste, les propriétaires capitalistes et les managers ne sont les acteurs souverains de l’organisation capitaliste. Ils ne sont eux-mêmes que des permanents [fonctionnaires] de l’accumulation de capital en tant que fin en soi. Le comble du paradoxe est que le véritable sujet dominateur est un objet mort : l’argent, qui, par rétroaction sur lui-même, devient le moteur fantasmagorique de la reproduction sociale.
Il en résulte une absurdité inouïe : les hommes se sont transformés en simples annexes [supports, porteurs…] d’une économie devenue autonome, dont les mouvements les tiennent à sa merci, comme les lémures sont à la merci de leur « obscur instinct ». Leur propre activité sociale les affronte comme une puissance étrangère et extérieure appartenant à un système aveugle ; leur propre sociabilité s’est glissée dans les produits morts et l’argent qu’ils représentent, tandis qu’eux-mêmes se comportent en êtres non sociaux sous l’apparence d’une concurrence anonyme. Cette concurrence constitue à son tour la forme de relation commune à toutes les classes capitalistes et catégories de fonction : non seulement les travailleurs salariés se trouvent en concurrence avec les propriétaires du capital, mais les propriétaires du capital et les ouvriers se font également concurrence entre eux. Et comme les intérêts de chacun en tant que producteur sont en conflit avec ses intérêts contraires de consommateur, tout homme est d’une certaine façon son propre concurrent !
Si cet empire complètement dément d’un sujet automatique [automate] concrétisé est aussi difficile à comprendre, c’est parce que, « l’argent » et le « marché » semblant exister depuis la nuit des temps, l’entendement ordinaire capitaliste ne conçoit le système qui le commande que dans la sphère de la circulation, de l’échange et, donc, développe des intérêts de marché ou de répartition dans des catégories qu’on ne met pas en question, apparemment impossibles à analyser. Jamais non plus la pensée du marxisme du mouvement ouvrier n’a pu aller plus loin. En réalité – dit le Marx ésotérique en renvoyant au sujet automatique [automate] irrationnel – dans toutes les sociétés pré-capitalistes, argent et marché n’ont été que des phénomènes marginaux et sporadiques, alors que la plus grande partie de la reproduction reposait sur une « économie en nature » et s’accomplissait sous d’autres formes. Une économie monétaire et une économie de marché étendue n’apparaît que par la rétroaction capitaliste de l’argent sur lui-même. Dans ce cas, la production de marchandises [ici dans le sens de « biens »] n’est plus un but final ; elle n’est plus qu’un moyen de valorisation de l’argent comme fin en soi, un moyen d’accumulation infinie de capital-argent pour lui-même.
Dans ces conditions, les producteurs indépendants ne peuvent plus se rencontrer sur un marché : la masse des travailleurs salariés est un « sujet argent-sujet marché » du simple fait qu’ils se livrent eux-mêmes aux marchés du travail, tandis que les propriétaires de capital font figure de simples représentants du sujet automatique [automate]. Selon Marx, tous les individus impliqués sont rabaissés au rang de « masques de caractère » caractérisant des catégories économiques. Le marché n’est plus une sphère de libre-échange, mais uniquement la sphère de la réalisation de la plus-value, donc rien d’autre qu’une station [étape] dans le processus de la vie [sociale], dans la métamorphose perpétuelle du sujet automatique [automate].
Les apologistes du capitalisme n’ont cessé de tenter de justifier avec emphase le caractère paranoïde de cette construction sociale en déclarant que, liée à elle, l’augmentation des forces productives imposée par la concurrence anonyme conduisait automatiquement à une augmentation du bien-être. L’expérience pratique vécue par l’écrasante majorité de l’humanité au cours de l’histoire capitaliste montre exactement le contraire. La production de biens n’étant pas le but, mais un simple moyen de valoriser l’argent, le bien-être ne peut pas être une fin non plus, il est tout au plus un résidu temporaire du capital.
Pendant que, dans les sociétés agraires basées sur l’économie en nature qui précédèrent l’époque moderne, indigence et pauvreté étaient avant tout déterminées par le fait que les hommes étaient livrés à la « nature première » et au bas niveau des forces productives, le capitalisme engendre une pauvreté secondaire, d’origine purement sociale. La production ayant pour seul but une maximalisation abstraite de l’unité argent, pour la première fois dans l’histoire, on ne produit pas pour subvenir à des besoins. Ceci explique que, lorsqu’il n’est pas possible d’atteindre au moins un taux de profit moyen, l’on immobilise ou l’on réduise les moyens de production, intacts, quand, à côté, des gens sont privés du nécessaire. Et quand la loi du mouvement du sujet automatique [automate] l’exige, la force productive accrue de façon exorbitante s’écoule en voitures, en échangeurs d’autoroute ou en fusées, pendant que des foules de gens sont sans abris et qu’il y a des enfants affamés même dans les pays riches.
Cependant, la dissociation systématique du but de la production et de la satisfaction des besoins, qui contraint à un détournement grotesque des ressources, ne peut-être résolue ni par un simple changement de pouvoir ou de forme au sein des catégories capitalistes ni par un changement de propriété uniquement juridique d’une classe sociale à l’autre ou le passage d’un sujet occupant une fonction à l’autre : il faut supprimer le sujet automatique [automate] irrationnel lui-même et les lois qui le régissent devenues chez lui une seconde nature. En ce début du XXIe siècle, maintenant que le marxisme exotérique de l’ancien mouvement ouvrier ainsi que la modernisation de rattrapage de la périphérie capitaliste sont épuisés, la notion de capitalisme réduite sociologiquement se trouve également épuisée. Désormais, est à l’ordre du jour de la théorie critique l’autre notion de capital du Marx ésotérique, qui prend pour objet la domination concrète du sujet automatique [automate] – en tant que forme théorique d’un mouvement social pratique qui ne défend plus la forme commune de la concurrence anonyme, mais la critique et en triomphe.
Le choix de textes de Marx qui suit se concentre sur cette notion de capital dépassant la compréhension du marxisme du mouvement ouvrier et sur ses paradoxes. Il inclut l’analyse – quoique limitée au strict nécessaire – des mécanismes de fonctionnement capitaliste. Ce n’est qu’en comprenant le capital dans le sens de « sujet automatique » [automate] que l’on pourra se faire une idée de ses mécanismes de fonctionnement, une idée qui ne se méprenne pas sur l’analyse de Marx en y voyant une exposition positiviste purement objective, mais qui la comprenne comme étant ce qu’elle veut dire, c’est-à-dire une critique radicale d’une objectivation erronée et destructrice des rapports sociaux.
Robert Kurz.
Note :
[1] Dans le texte qui suit, par « Marx exotérique » et « Marx ésotérique » (il y a comme un « Marx-Janus »), Kurz entend distinguer deux interprétations différentes de l'oeuvre de Marx, l'une étant celle traditionnellement admise (exotérique), reposant principalement sur un point de vue qui se fait à partir du travail (que l’on interroge pas dans sa spécificité et qui est vu comme naturel et supra-historique) et dont l'objet d'étude est surtout la lutte des classes. Cette interprétation traditionnelle se focalise sur le mode de distribution. L'autre est bien moins connue (ésotérique), mais elle ne défend pas l’idée qu’il y aurait un « vrai Marx », dont la pensée aurait été trahie et qui devrait être restaurée. Il s’agit plutôt de dire que dans certains textes (notamment ceux qui n’étaient pas destinés à être publiés – Grundrisse - ou qui l’ont été bien plus tard après la formation des marxismes), il y a des éléments qui permettent d’ « aller avec Marx au-delà de Marx » et donc de dégager autre chose que le Marx connu : un « Marx ésotérique ». Cette interprétation se fait non plus cette fois du point de vue du travail mais plutôt de la possibilité de son abolition. Le Marx ésotérique est alors celui qui critique aussi bien le mode de distribution que le mode de production capitaliste en partant de l'analyse des catégories historiquement déterminées que sont la valeur, la marchandise, l'argent, le travail, le capital. Quand certains mots de la traduction française me semblaient peu clair, je me suis permis de proposer entre crochets une autre signification ou une précision. Palim Psao.