En novembre 2009 suite à une conférence de l'historien et théoricien américain Moishe Postone (voir ici), le sociologue Stephen Bouquin (qui se réclame aussi de la pensée du philosophe Jean-Marie Vincent), directeur de la revue « Les Mondes du travail », lui posait de nombreuses questions au sujet de sa théorisation de la critique de la valeur. En 2009, son ouvrage « Temps, travail et domination sociale » venait juste d'être traduit. Cet entretien intitulé « Repenser la critique du capitalisme à partir de la domination sociale du temps et du travail », est désormais traduit et publié dans le nouveau numéro de cette revue (n°9/10, printemps-été 2011). L'entretien est organisé en deux temps : Postone y résume les points centraux d'une critique renouvelée de la société capitaliste-marchande (la nécessité de reconceptualiser le travail, le capital, le temps) et aborde son rapport théorique critique à Marx, au marxisme, à l'Ecole de Francfort, à Michel Foucault, à G. Lukacs - qui semble avoir été un théoricien important dans la reformulation théorique de Postone. Puis l'entretien amène Postone a parler de ce qu'il pense pouvoir être une opposition et des formes de résistances. Refusant d'ailleurs la notion de résistance (lui préférant les notions d'opposition, « discontent » et aussi désir d'un changement fondamental), il discute les limites des formes de freinage et de sabotage (cf. le bouquin coordonné par S. Bouquin, « Résistances au travail ») et prend à rebrousse poil l'ensemble des critiques et résistances contemporaines qui se font entendre dans les luttes de ces dernières décennies autour de l'antilibéralisme, de l'altermondialisation, des marxistes traditionnels, des partis de la gauche socialiste-keynésienne ou de l'extrême-gauche. Il aborde par exemple les limites du retour à une lecture unilatéralement « classiste » (du fait de la montée de la polarisation croissante des revenus, etc., critique qui revient à la mode avec une dénonciation de « l'oligarchie »). Un retour incapable de repenser une théorie critique de la société capitaliste-marchande, qui reste toujours dramatiquement aveugle à une critique de la valeur, du travail et du temps, c’est-à-dire une critique qui n’arrive pas à saisir les conditions sociales muettes de l'agir individuel comme collectif sous le capitalisme comme constituant - au-delà d’une domination directe d’une classe sur une autre (sur le modèle d’une domination du maître sur l’esclave qu’était incapable de dépasser Castoriadis dans sa théorisation de l’opposition des dirigeants/exécutants) -, une forme de domination sociale impersonnelle, indirecte et abstraite du temps et du travail (synthétisée dans le mouvement de la valeur qui se valorise). La nostalgie de la gauche et de l'extrême-gauche pour l'Etat-Providence des Trente Glorieuses au travers de la défense hystérique des services dits publics et de la simple redistribution de la richesse sociale capitaliste (la valeur) qui présuppose la production de marchandises et la forme de vie sociale que l'on prétend abolir ou réformer, est critiquée comme étant immanente aux formes sociales capitalistes, donc impuissante à sortir de la dynamique auto-cannibale de la reproduction de la société par le sujet-automate de la valorisation. Postone y critique aussi largement le fétichisme de la croissance économique (y compris le développement durable et l'opposition naïve de la raison écologique à la raison capitaliste) et aborde incidemment quelques réflexions non approfondies par rapport à l'alternative de la commune agricole (cf. Marx dans sa lettre à Vera Zassoulitch) et au courant anti-industriel. On notera aussi dans ce numéro une note de lecture intéressante d'Alain Maillard sur le livre de Harmut Rosa « Accélération. Une critique sociale du temps ». Le reste du numéro porte sur les formes et le dynamiques du « travail informel ».
Présentation et commande du numéro 9/10 :
Voir le Fichier : plugin-MdTpub9-10.pdf