Vive les frontières ! A bas la finance ! Voilà le couplet préféré de la gauche populiste française et européenne, du Front de Gauche au PS en passant par le NPA ou Syriza. Il nous faut remettre des droits de douane aux frontières et taxer les transactions financières se plaisent-ils à marteler (proposition repris par les conservateurs). La gauche, qu’elle soit modérée ou « radicale » a trouvé le responsable de la crise qui secoue le monde depuis 2007, c’est le monde de la finance, c’est le méchant banquier, le méchant spéculateur ! Oui ! Le véritable adversaire c’est lui, nous disent-ils, cet affreux bonhomme qui bosse pour JP Morgan, la BNP ou Goldman Sachs et qui spécule avec l’argent des honnêtes épargnants. C’est lui qui, en jouant sur son ordinateur met la sacro-sainte « économie réelle » à terre, fait grimper les taux de chômage, amplifie le credit-crunch.
Cette analyse est non seulement fausse mais a également de vieux relents d’antisémitisme. Le vilain banquier a eu tôt fait d’être assimilé au juif il y a soixante ans de ça. La finance n’est pas la cause de la crise et les propositions d’économistes pseudo-subversifs comme F. Lordon ne peuvent en aucun cas apporter une réponse profonde à ce qui se passe et nous dépasse. La vérité est qu’il n’y a pas de solution. En tous cas pas pour sauver le système productif capitaliste. Le développement d’un capitalisme financier dans les années 80 et le développement exponentiel du crédit un peu plus récemment furent peut être la dernière bouffée d’air du capitalisme. Comme l’analysa très justement Marx le système capitaliste possède une limite interne, une véritable contradiction inhérente à son fonctionnement et qui, dès le départ nous informait sur sa chute inévitable.
« La logique de valorisation capitaliste porte en elle une contradiction interne et fondamentale qui ne peut pas être résolue. D’un côté, il faut qu’il y ait toujours plus de force de travail dépensée dans la production de marchandises afin de garantir la valorisation du capital ; la multiplication de l’argent, devenue une fin en soi, par le moyen de la dépense de force de travail, est abstraite et quantitative, et ne connaît pas en elle-même de limite logique. De l’autre côté, la concurrence omniprésente oblige à augmenter en permanence la productivité par la " rationalisation " de la production. Cela veut dire qu’il faut produire toujours plus de marchandises par unité de temps, c’est-à-dire réduire le temps de travail nécessaire jusqu’à rendre la force de travail " superflue " » (Norbert Trenkle, dans « Qu'est-ce que la valeur et qu'en est-il de sa crise ? Une introduction à la wertkritik »).
La recherche de la survaleur (profit) est bien la base du mode de production capitaliste, l’utilité de ce qui est produit important bien peu. A partir de là deux voies s’ouvrent au genre humain. Tout d’abord, on peut continuer à tenter de coller des sparadraps sur le corps déjà mort de notre bon vieux système capitaliste. C’est ce que se contente de proposer la gauche aujourd’hui, qu’elle soit rose, verte ou rouge. On peut continuer à enchainer plans de relance, d’austérité ou de n’importe quoi d’autre, à chercher le retour de la croissance comme fin en soi. Et nous, consommateurs-moutons-électeurs, on peut continuer de réclamer du travail, des hausses de salaire, plus de droit de vote. Sinon, il est peut être temps de regarder les choses telles quelles. Il est peut être temps de comprendre que le « travail » au sens capitaliste du terme ne sert pas l’intérêt de la société mais celui du détenteur de capital et qu’il est devenu aujourd’hui un élément de contrôle social primordial. Le changement devra être radical et une analyse profonde du capitalisme et de ses catégories (Etat, valeur, argent, marchandise…) doit être effectuée afin de poser les bases d’une société post-capitaliste. La simple dénonciation du vilain spéculateur, non seulement n’apportera strictement rien à l’analyse, mais aura pour conséquence directe de stimuler stigmatisation et xénophobie dans des sociétés où la montée du fascisme risque de devenir un véritable fléau.
J.B.
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