La grande méchante « finance » serait une pieuvre suçant la vitalité d'une production considérée comme « naturelle » et transhistorique, donc en s'opposant à la finance (voilà l'ennemi ! selon ce discours), « Oui, un autre capitalisme c'est possible » comme le titrait récemment le magazine « Marianne » ! Depuis maintenant quatre ans, de Barak Obama à Nicolas Sarkozy, d’Arnaud Montebourg à Marine Le Pen, de Jean-Luc Mélenchon à François Bayrou, on nous sert toujours le même discours sur la crise.
A qui la faute ? Quelle est l'origine de la crise ? C'est bien sûr nous dit-on, le vilain capital financier opérant des licenciements qui est en train de faire crever le gentil capital productif (euphémisé par la douce expression d’ « économie réelle », expression très à la mode depuis quatre ans...) qui donne des emplois. De Paul Jorion à Frédéric Lordon ou Stéphane Hessel, mais également dans n’importe quelle sage chenille processionnaire syndicale de la CGT, de la CFDT, des altermondialistes, etc., on crie ainsi toujours haro contre le « capitalisme de casino », « l’économie financière », les bourses (la méchante Wall Street, etc.), les grands méchants spéculateurs, les vilaines mégabanques, ces saloperies d’agence de notation, ces pourritures de titrisation, ces traders immoraux, etc. Et d'une seule voix, ce discours dit : Cette crise n'est pas la notre ! C'est pas à nous de la payer ! Débarrassons nous de la très très vilaine « oligarchie financière » qui a noyauté le système politique et qui tapie dans l'ombre, tire les ficelles pour son compte car sa politique n'est qu'une « stratégie du choc », une offensive du capital qui serait en réalité en parfaite santé, car en vérité ces gros menteurs ont quelque part un trésor caché qu'il faudrait exproprier et redistribuer à tous les pauvres. Allez hop ! Un bon coup de rabot fiscal contre les riches qui s'en mettent plein les poches, des Etats revigorés qui doivent faire des politiques keynésiennes de relance pour pousser à consommer les gens, et la vie capitaliste « normale » repartirait comme en l'an quarante ! On aura enfin nos salaires qui augmentent, on pourra consommer, on sera à nouveau en poste dans la tranchée du travail et de la compétitivité, etc., etc. C'est ainsi raconte cette légende urbaine, que la croissance économique repartira comme jamais, que la formidable vie capitaliste enfin assainie de ses inutiles parasites fonctionnera pour l'intérêt de tous (et non de quelques-uns), que tout le monde aura enfin plein de petits emplois de fourmis et de rouages et que tout le monde pourra à nouveau retourner à sa vie d'hônnete et sage travailleur d'une société toujours structurée par le travail, l'argent et le mouvement fétichiste de la valeur que nos milliards d'actions de travail constituent dans notre dos pour finir par se présenter en face de nous comme puissance hostile et étrangère. Voici résumé les grandes lignes de cet altercapitalisme qui circule comme discours dominant aujourd'hui dans les médias, dans l'opinion publique de la « gauche de gauche », et même chez des électeurs de l'UMP et du FN : un capitalisme à visage humain ! La droite et l'extrême-droite dociles à la forme historiquement spécifique de racisme informée par une forme de vie structurée par le travail, rajoute à cela la crasse préférence nationale pour les petits emplois et le rejet de l'immigré et de l'assisté, éternels mangeurs du pain des honnêtes travailleurs français censés « se lever tôt le matin ». Rajoutez à cela l'antisémitisme et le populisme de droite est au firmament d'un anticapitalisme tronqué qui a abouti dans les chambres à gaz d'Auschwitz.
La variante « de gauche » de l'alter-capitalisme (jamais totalement débarrassée d'un antisémitisme latent et des théories conspirationnistes), souvent nostalgique du capitalisme à Papa des Trente Glorieuses au temps du « plein emploi », n'est pas nouvelle à gauche. Historiquement cet altercapitalisme a été porté sous une autre forme par le mouvement ouvrier dès la fin du XIXe siècle (après la Commune), et il a constitué le contenu de l'ensemble des luttes de classe et des « socialismes réellement existant » sur la planète au XXe siècle (seul les collectivisations rurales en Aragon en 1936-1937 auraient pu potentiellement être porteuses de quelque chose de nouveau. cf. les réflexions des Giménologues). Mais le marxisme traditionnel (ce que Robert Kurz appelle le « Marx exotérique ») puis les courants socio-démocrates, n'ont toujours « critiqué » le capitalisme que du point de vue du travail, pourtant un de ses pôles immanents (et non extérieur), et ont simplement appelé à redistribuer autrement les catégories et formes sociales capitalistes (l'argent, la marchandise, la valeur, etc.) sans jamais les mettre en cause en tant que telles comme origines au travers des pratiques, de la constitution-fétichiste de la forme de vie sociale capitaliste-marchande qui après s'être constituée dans notre dos et s'être présentée en face de nous comme une puissance extérieure à nos propres rapports sociaux capitalistes, se casse aujourd'hui la gueule sur nos propres têtes. La vie sociale maintenant planétarisée que nous menons, structurée par le travail, l'argent et le mouvement fétichiste de la valeur que cette forme de structuration implique nécessairement, voilà plutôt l'ennemi ! La forme de vie sociale que nous formons, après nous avoir structurée par le travail (qui ne travaille pas ne mange pas), après nous avoir dévorée dans l'exploitation du surtravail, n'arrive plus à se reproduire elle-même (la crise de la valeur, voir l'ouvrage de R. Kurz, « Vies et mort du capitalisme. Chroniques de la crise », Ligne, 2011), et s'effondre dès lors sur les sujets qui la constituent sans cesse en tant que fonctionnaires de ses formes et catégories sociales. Mais parce que la forme sociale qu'est la valeur est un fait social total au sens de Marcel Mauss, la crise généralisée de sa dynamique s'exprime dans une crise civilisationnelle multidimensionnelle, économique, sociale, subjective, politique, énergétique, écologique, etc. Il n'existera jamais un autre capitalisme (penser cela est une forme d'extrémisme qui court après l'effondrement), il faut penser la crise de manière plus réaliste et pragmatique en rejetant l'extrémisme de ceux qui pensent illusoirement que nous puissions encore conserver ce monde social. Le long fleuve capitaliste qui n'est jamais tranquille ne rentrera plus jamais dans son lit ou son étiage. Il n'y aura pas de « sortie de crise », car c'est la forme de vie sociale capitaliste qui est une crise en permanence. C'est donc au-delà d'une structuration de nos rapports sociaux fondamentaux par le travail, l'argent, l'Etat et le mouvement fétichiste de la valorisation, qu'il nous faudra auto-instituer une autre forme de vie collective au-delà d'une société marchande. Et dans cette lutte contre la société capitaliste que nous formons, « on n’a pas une classe intra-capitaliste [la classe ouvrière] qui en renverse une autre [la classe bourgeoise]. On a une réunion des individus critiques désireux de se débarrasser du « sujet automate » [de la valorisation - c'est-à-dire le capital comme médiation sociale] (nonobstant leurs positions respectives au sein du capitalisme) qui se heurte à la partie de la société voulant absolument le conserver (également sans s’occuper de sa position donnée) » (R. Kurz, Lire Marx, La balustrade, 2002, p. 167).
Ce texte ci-dessous, de Pawel de l'organisation conseilliste-ultragauche C.C.I. (voir le site du Courant Communiste International), dénonce de manière intéressante l'altercapitalisme actuel qui constitue donc à la fois la conscience naturelle des sujets dans la vie capitaliste (l'idée qu'il suffirait simplement de remettre de l'humain et de la morale dans le système), et plus particulièrement l'idéologie dominante de la gauche.
Bonne lecture !
Palim Psao
Pour une interprétation de la crise capitaliste actuelle par le courant allemand de la critique de la valeur (la théorie de la limite interne), on pourra voir sur ce site les textes de la rubrique Crise mortelle du capitalisme.
Voir le Fichier : Crise_economique_ils_accusent_la_finance_pour_epargner_le_capitalisme.pdf
Crise économique : ils accusent la finance pour épargner le capitalisme !
Pawel.
“Il va y avoir un krach et la chute sera violente”. “Absolument personne ne croit aux plans de sauvetage, ils savent que le marché est cuit et que la bourse est finie”. “Les traders se foutent de comment on va redresser l’économie, notre boulot est de faire de l’argent avec cette situation”. “Je me couche tous les soirs en rêvant d’une nouvelle récession”. “En 1929, quelques personnes étaient préparées à faire de l’argent avec le krach et tout le monde peut faire cela aujourd’hui, et pas seulement les élites”. “Cette crise économique est comme un cancer”. “Préparez-vous ! Ce n’est pas le moment d’espérer que les gouvernements règlent les problèmes. Les gouvernements ne dirigent pas le monde, c’est Goldman Sachs qui dirige le monde. Cette banque se fiche des plans de sauvetage”. “Dans moins de 12 mois je prédis que les économies de millions de gens vont disparaître, et ce ne sera que le début...”. Ces propos ont été tenus lundi 26 septembre sur la BBC par le trader londonien Alesio Rastani. Depuis, la vidéo tourne en boucle sur Internet en créant un véritable buzz (1). Nous partageons évidemment la noirceur de la perspective tracée par cet économiste. Sans nous aventurer à établir des échéances aussi précises que lui, nous pouvons cependant affirmer sans craindre de nous tromper que le capitalisme va continuer de plonger, que la crise va s’aggraver et être de plus en plus ravageuse, et que les mille souffrances de la misère vont s’abattre sur une frange toujours plus large de l’humanité.
Cette déclaration d’Alesio Rastani vient surtout alimenter l’un des plus gros mensonges de ces dernières années : la planète serait en faillite à cause de la finance… et seulement à cause de la finance. “C’est Goldman Sachs qui dirige le monde”. Et toutes les voix altermondialistes, de gauche et d’extrême-gauche de s’écrier alors en chœur : “Quelle horreur ! Voilà la cause de tous nos maux. Nous devons reprendre le contrôle de l’économie. Nous devons mettre au pas les banques et la spéculation. Nous devons lutter pour un Etat plus fort et plus humain !”. Ce discours est incessant depuis la faillite du géant bancaire américain Lehman Brothers en 2008. Aujourd’hui, même une partie de la droite classique s’est emparée de cette critique “radicale” de la “finance sauvage” et clame la nécessité à revenir à plus de morale et plus d’Etat. Cette propagande n’est qu’un rideau de fumée idéologique désespéré pour occulter la cause réelle du cataclysme en cours : la faillite historique du capitalisme. Ce n’est pas une nuance ou une simple affaire de terminologie. Accuser le libéralisme ou accuser le capitalisme est fondamentalement différent. D’un côté, il y a l’illusion que ce système d’exploitation peut être réformé. De l’autre, il y a la compréhension que le capitalisme n’a pas d’avenir, qu’il doit être détruit de fond en comble et remplacé par une nouvelle société. Nous comprenons donc pourquoi la classe dominante, ses médias et ses experts déploient autant d’énergie à pointer du doigt l’irresponsabilité de la finance en l’accusant de tous les déboires économiques actuels : ils cherchent à épargner leur système et à détourner la réflexion en cours sur la nécessité d’un changement radical et donc d’une révolution.
“C’est la faute aux traders !” : le pitoyable procédé du bouc-émissaire
Depuis quatre ans, à chaque krach boursier éclate une affaire de trader véreux. En janvier 2008, le “scandale Jérôme Kirviel” fait la Une des journaux. Il est jugé responsable de la déroute de la Société générale (banque française) pour avoir perdu 4,82 milliards d’euros suite à de mauvais placements. La vraie raison de cette crise, l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis, est reléguée au second plan. En décembre 2008, l’investisseur Bernard Madoff est mis en examen pour une arnaque de 65 milliards de dollars. Il devient le plus grand escroc de tous les temps et fait ponctuellement oublier la faillite du géant bancaire américain Lehman Brothers. En septembre 2011, le trader Kweku Adoboli est accusé d’une fraude de 2,3 milliards de dollars à la banque suisse UBS. Cette affaire tombe, par le “plus grand des hasards”, en pleine nouvelle déconfiture économique mondiale.
Evidemment, tout le monde sait que ces individus sont des boucs-émissaires. La ficelle tirée ici par les banques pour justifier leurs déboires est un peu trop grosse pour ne pas être vue. Mais cette propagande médiatique intense permet de focaliser toutes les attentions sur le monde pourri de la finance. L’image de ces requins de spéculateurs, sans foi ni loi, est en train de s’incruster dans nos esprits jusqu’à devenir obsédante et embrumer notre réflexion.
Alors, prenons un instant de recul et réfléchissons : comment ces faits-divers peuvent-ils expliquer en quoi que ce soit les menaces de faillite qui planent sur l’économie mondiale ? Aussi révoltantes que puissent être ces magouilles de plusieurs milliards de dollars quand des millions de personnes meurent de faim à travers le monde, aussi cyniques et honteux puissent être les propos tenus par Alesio Rastani sur la BBC quand il dit espérer un krach boursier pour spéculer et s’enrichir, il n’y a là rien qui justifie en profondeur l’ampleur de la crise économique mondiale qui touche actuellement tous les secteurs et tous les pays. Les capitalistes, qu’ils soient banquiers ou capitaines d’industrie, sont depuis toujours à la recherche du profit maximum sans jamais se soucier du bien-être de l’humanité. Il n’y a là rien de nouveau. Le capitalisme est un système d’exploitation inhumain depuis sa naissance. Le pillage barbare et sanguinaire des populations d’Afrique et d’Asie au xviiie et au xixe siècles en constitue une preuve tragique. La voyoucratie des traders et des banques n’explique donc rien de la crise actuelle. Si les escroqueries financières entraînent aujourd’hui des pertes colossales et mettent parfois en péril l’équilibre des banques, c’est en réalité à cause de leur fragilité induite par la crise et non l’inverse. Si, par exemple, Lehman Brothers a fait faillite en 2008, ce n’est pas à cause de l’irresponsabilité de sa politique d’investissement mais parce que le marché de l’immobilier américain s’est effondré lors de l’été 2007 et que cette banque s’est retrouvée avec des monceaux de créances sans aucune valeur. Avec la crise des subprimes, les ménages américains endettés se sont révélés être insolvables et tout le monde a alors pris conscience que les prêts accordés ne seraient jamais remboursés.
“C’est la faute aux agences de notation” : comment accuser le thermomètre en cas de fièvre
Les agences de notation sont, elles aussi, sous le feu croisé des critiques. Fin 2007, elles étaient taxées d’incompétence pour avoir négligé le poids des dettes souveraines des Etats. Aujourd’hui, elles sont accusées au contraire de trop pointer du doigt ces mêmes dettes souveraines de la zone euro (pour Moody’s) et des Etats-Unis (pour Standard & Poor’s).
Il est vrai que ces agences ont des intérêts particuliers, que leur jugement n’est pas neutre. Les agences de notation chinoises ont ainsi été les premières à dégrader la note de l’Etat américain, et les agences de notation américaines sont plus sévères envers l’Europe qu’envers leur propre pays. Et il est aussi vrai qu’à chaque dégradation, les financiers en profitent pour spéculer, ce qui accélère la dégradation des conditions économiques. Les spécialistes parlent alors de “prophéties auto-réalisatrices”.
Mais la réalité, c’est que ces toutes agences sous-estiment volontairement la gravité de la situation ; les notes qu’elles attribuent sont bien trop élevées au regard de la capacité réelle des banques, des entreprises et de certains Etats à pouvoir un jour rembourser leurs dettes. L’intérêt de ces agences est indéniablement de ne pas trop critiquer les fondamentaux économiques pour ne pas créer d’affolement, car l’économie mondiale est la branche sur laquelle elles sont toutes assises. Quand elles décôtent, c’est qu’elles y sont contraintes pour conserver un minimum de crédibilité. Nier totalement la gravité de la situation de l’économie mondiale serait grotesque et personne n’y croirait ; il est plus intelligent, du point de vue de la classe dominante, de reconnaître certaines faiblesses pour mieux amoindrir les problèmes de fond de son système. Tous ceux qui accusent les agences de notation aujourd’hui savent tout cela parfaitement. S’ils dénigrent la qualité du thermomètre, c’est pour éviter toute réflexion sur l’étrange maladie qui touche le capitalisme mondial, de peur que l’on ne s’aperçoive qu’il s’agit là d’une maladie dégénérescente et incurable !
“C’est la faute à la finance” : la confusion de la maladie et du symptôme
Ces critiques des traders et des agences de notation appartiennent à une entreprise de propagande beaucoup plus vaste sur la folie et l’hypertrophie de la finance. Comme toujours, cette idéologie mensongère s’appuie sur une parcelle de vérité. Car il faut bien l’avouer, le monde de la finance est effectivement devenu ces dernières décennies un monstre gigantesque, presque obèse, qui est peu à peu gagné par l’irrationalité.
Les preuves sont légions. En 2008, le total des transactions financières mondiales s’élevait à 2 200 000 milliards de dollars, contre un PIB mondial de 55 000 milliards (2). L’économie spéculative est donc environ 40 fois plus importante que l’économie dite “réelle” ! Et ces milliards ont été au fil des ans investis de manière de plus en plus folle et auto-destructrice. Un exemple est à lui seul édifiant : la VAD (vente à découvert). De quoi s’agit-il ? “Dans le mécanisme de vente à découvert, nous commençons par vendre une valeur que nous ne possédons pas pour la racheter plus tard. Le but du jeu est bien évidemment de vendre une valeur à un certain prix et de la racheter à un prix inférieur pour encaisser la différence. Comme nous le voyons, le mécanisme est complètement opposé à celui d’un achat suivi d’une vente” (3). Concrètement, la VAD entraîne d’immenses flux financiers spéculatifs sur certaines valeurs en pariant sur leur baisse, ce qui parfois peut entraîner la faillite de la cible. C’est aujourd’hui ce qui fait scandale. De nombreux économistes et politiciens nous expliquent qu’il s’agit même là du principal problème, de LA cause de la faillite de la Grèce ou de la chute de l’euro. Leur solution est donc simple : interdire les VAD et tout ira de nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il est vrai que ces ventes à découvert sont une pure folie et qu’elles accélèrent la destruction de pans entiers de l’économie. Mais justement, elles ne font que “l’accélérer”, elles n’en sont pas la cause ! Il faut que la crise économique fasse déjà rage pour que ces ventes soient avantageuses à une si grande échelle. Le fait que les capitalistes parient de manière croissante sur la baisse et non plus sur la hausse des marchés révèle en réalité la défiance totale qu’ils ont eux-mêmes sur l’avenir de l’économie mondiale. C’est aussi pourquoi il y a de moins en moins de stabilité et d’investissement au long-cours : les investisseurs font “des coups” sur le très court terme, sans aucun souci de la pérennité des entreprises et des usines car, de toute façon, il n’y a presque plus de secteurs industriels sûrs et rentables sur le long terme. Et c’est là, qu’enfin, nous commençons à toucher du doigt le vrai cœur du problème : l’économie dite “réelle” ou “traditionnelle” est plongée dans un profond marasme depuis des décennies. Les capitaux fuient cette sphère qui est de moins en moins rentable. Le commerce mondial étant saturé de marchandises invendables, les usines ne tournent plus suffisamment et n’accumulent plus assez. Résultat, les capitalistes investissent leur argent dans la spéculation, le “virtuel”. D’où l’hypertrophie de la finance qui n’est qu’un symptôme de la maladie incurable du capitalisme : la surproduction.
“C’est la faute au libéralisme” : comment enchaîner les exploités à l’Etat
Ceux qui luttent contre le libéralisme partagent ce constat d’état de délabrement de l’économie réelle. Mais ils ne l’attribuent pas un seul instant à l’impossibilité pour le capitalisme de continuer à se développer ; ils nient que ce système soit devenu décadent et s’enfonce dans son agonie. Les tenants de l’idéologie alter-mondialiste attribuent la destruction de l’industrie depuis les années 1960 à de mauvais choix politiques et donc à l’idéologie ultra-libérale. Pour eux, comme pour notre trader Alesio Rastani, “c’est Goldman Sachs qui dirige le monde”. Ils luttent donc pour plus d’Etat, plus d’encadrement, plus de politique sociale. Partant de la critique du libéralisme, ils en viennent à nous refourguer une autre camelote tout aussi frelatée, l’étatisme : “Avec plus d’Etat pour encadrer la finance, nous pourrons construire une nouvelle économie, plus sociale et prospère.”
Le “plus d’Etat” ne permet en rien de régler les problèmes économiques du capitalisme. Répétons-le, ce qui mine fondamentalement ce système, c’est sa tendance naturelle à produire plus de marchandises que ses marchés ne peuvent en absorber. Depuis des décennies, il parvient à éviter la paralysie de son économie en écoulant sa surproduction dans un marché créé artificiellement par l’endettement. En d’autres termes, le capitalisme survit à crédit depuis les années 1960. C’est pourquoi aujourd’hui, les particuliers, les entreprises, les banques, les Etats, croulent tous sous une gigantesque montagne de créances et que la récession actuelle est nommée “la crise de la dette”. Or, depuis 2008 et la faillite de Lehman Brothers, que font les Etats, à travers leurs banques centrales, Fed et BCE en tête ? Ils injectent des milliards de dollars pour éviter les faillites. Et d’où viennent ces milliards ? De nouvelles dettes ! Ils ne font donc que déplacer l’endettement privé vers la sphère publique et ainsi préparer de futures faillites d’Etat, comme nous le voyons avec la Grèce dés aujourd’hui. Les bourrasques économiques à venir risquent d’être d’une violence inouïe (4).
“Mais s’il ne règle pas la crise, l’Etat pourrait tout de même nous protéger, être plus social”, nous disent tous les choeurs de la gauche. C’est oublier un peu vite que l’Etat est et a toujours été le pire des patrons. Ainsi, les nationalisations n’ont jamais été une bonne nouvelle pour les travailleurs. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’importante vague de nationalisations avait pour objectif de remettre sur pied l’appareil productif détruit en augmentant les cadences de travail. A l’époque, Thorez, secrétaire général du Parti communiste français et alors vice-président du gouvernement dirigé par De Gaulle, lança à la face de la classe ouvrière en France, et tout particulièrement aux ouvriers des entreprises publiques : “Si des mineurs doivent mourir à la tâche, leurs femmes les remplaceront”, ou encore : “Retroussez vos manches pour la reconstruction nationale !”, et : “La grève est l’arme des trusts”. Bienvenu dans le monde merveilleux des entreprises nationalisées ! Il n’y a ici rien d’inattendu ni d’étonnant. Les révolutionnaires communistes ont toujours mis en évidence, depuis l’expérience de la Commune de Paris de 1871, le rôle viscéralement anti-prolétarien de l’État. “L’État moderne, quelle qu’en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l’État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble.” Friedrich Engels a écrit ces lignes en 1878, ce qui montre que, déjà à l’époque, l’Etat commençait à étendre ses tentacules sur l’ensemble de la société, à saisir d’une poigne de fer la direction de toute l’économie nationale, des entreprises publiques comme des grandes sociétés privées. Depuis lors, le capitalisme d’Etat n’a fait que se renforcer ; chaque bourgeoisie nationale est en rang et au garde-à-vous derrière son Etat pour mener à bien la guerre commerciale internationale sans merci que ce livrent tous les pays.
“Les Brics vont nous sauver” : les miracles économiques n’existent pas
Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (ou Brics) ont connu ces dernières années un succès économique retentissant. La Chine en particulier est considérée aujourd’hui comme la deuxième puissance économique mondiale, et nombreux sont ceux qui pensent qu’elle ne tardera pas à détrôner les Etats-Unis. Cette réussite flamboyante fait espérer aux économistes que ce groupe de pays pourrait devenir la nouvelle locomotive de l’économie mondiale, comme le furent les Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Dernièrement, face aux risques d’explosions de la Zone euro embourbée dans la crise des dettes souveraines, la Chine a même proposé de renflouer en partie les caisses italiennes. Les altermondialistes voient là une raison de se réjouir : la suprématie américaine de l’ultra-libéralisme étant vécue comme l’un des pires fléaux de ces dernières décennies, la montée en puissance des Brics permettrait l’avènement futur d’un monde plus équilibré et juste. Cet espoir commun de voir les Brics se développer, qu’expriment tous les grands bourgeois et les alter-mondialistes, n’est pas seulement comique, il révèle aussi qu’ils sont tous également profondément attachés au monde capitaliste.
Cet espoir va vite être déçu car il y a dans toute cette affaire de “miracle économique” un air de déjà-vu. L’Argentine et les tigres asiatiques dans les années 1980-1990 ou, plus récemment, l’Irlande, l’Espagne et l’Islande, ont été eux aussi mis en avant, en leur temps, comme des “miracles économiques”. Et comme tout miracle, cela s’est révélé être une supercherie. Tous ces pays devaient leur rapide croissance à un endettement totalement débridé. Ils ont donc connu le même sort : récession et faillite. Il en sera de même pour les Brics. Déjà, les inquiétudes grandissent sur l’endettement réel des provinces chinoises, sur le ralentissement de la croissance et la montée de l’inflation. Le président du fonds souverain China Investment Corp, Gao Xiping, vient d’ailleurs de déclarer : “Nous ne sommes pas des sauveteurs, nous devons nous sauver nous-mêmes”. Nous ne saurions être plus clairs !
La vérité, c’est que le capitalisme n’a ni solution, ni avenir
Le capitalisme ne peut plus être réformé. Etre réaliste, c’est admettre que seule la révolution peut éviter la catastrophe. Le capitalisme, comme l’esclavagisme et le servage avant lui, est un système d’exploitation condamné à disparaître. Après s’être développé et épanoui durant deux siècles, aux XVIIIe et XIXe siècles, après avoir conquis la planète, le capitalisme est entré en décadence avec fracas en déclenchant la Première Guerre mondiale. La Grande dépression des années 1930 puis l’effroyable boucherie de la Seconde Guerre mondiale sont venues confirmer l’obsolescence de ce système et la nécessité, pour que l’humanité survive, de mettre à bas ce système social moribond. Mais depuis les années 1950, aucune crise aussi violente que celle de 1929 n’a éclaté. La bourgeoisie a appris à limiter les dégâts et à relancer l’économie ; ce qui laisse croire aujourd’hui à certains que la nouvelle crise que nous traversons n’est qu’un énième et nouvel épisode de ces multiples tremblements et que la croissance ne tardera pas à revenir, comme elle le fait depuis 60 ans et plus. En réalité, les récessions successives en 1967, 1970-71, 1974-75, 1991-93, 1997-1998 (en Asie) et 2001-2002 n’ont fait que préparer le drame actuel. En effet, chaque fois, la bourgeoisie n’est parvenue à relancer l’économie mondiale qu’en ouvrant toujours plus grandes les vannes du crédit. Elle n’est jamais parvenue à régler le problème de fond, la surproduction chronique ; elle n’a donc fait que repousser les échéances à coup de dettes et aujourd’hui, le système entier est étouffé sous les créances : tous les secteurs, tous les pays sont surendettés. Cette fuite en avant touche donc à sa fin. Est-ce à dire que l’économie va se bloquer, que tout va s’arrêter ? Evidemment non. La bourgeoisie va continuer à se débattre. Concrètement, aujourd’hui, la classe dominante n’a le choix qu’entre deux politiques qui sont comme la peste et le choléra : austérité draconienne ou relance monétaire. La première mène à la récession violente, la seconde à l’explosion d’une inflation incontrôlable.
Dorénavant, l’alternance de courtes phases récessives et de longues périodes de reprise financées à coups de crédits est une époque définitivement révolue : le chômage va exploser et la misère comme la barbarie vont se répandre de façon dramatique. S’il y aura, de temps à autres, des phases de relance (comme ce fut le cas en 2010), ce ne seront que des “bouffées d’oxygène” de très courte durée auxquelles succéderont de nouveaux cataclysmes économiques. Tous ceux qui prétendent le contraire sont comme ce suicidaire qui, après avoir sauté du haut de l’Empire State Bulding, disait à chaque étage que “jusqu’ici, tout va bien”. N’oublions pas qu’au début de la Grande dépression de 1929, le président américain Hoover affirmait lui-aussi que “la prospérité est au coin de la rue”. La seule véritable incertitude est de savoir comment va s’en sortir l’humanité. Va-t-elle sombrer avec le capitalisme ? Ou va-t-elle être capable de construire un nouveau monde de solidarité et d’entraide, sans classes ni Etat, sans exploitation ni profit ? Comme l’a écrit Friedrich Engels il y a déjà plus d’un siècle : “La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie” ! Les clés de ce futur sont entre les mains de toute la classe ouvrière, de ses luttes unissant travailleurs, chômeurs, retraités et jeunes précaires.
Pawel (29 septembre 2011)
Texte paru dans Révolution internationale n°462, octobre 2011 (magazine en kiosque du C.C.I., Courant Communiste International http://fr.internationalism.org/ )
1) Source : http ://www.dailymotion.com/video/xlcg84_alessio-rastani-c-est-goldman-sachs-qui-dirige-le-monde-et-pas-les-politiques-bbc-26-09-2011_news#from=embed
2) Source : http ://www.jacquesbgelinas.com/index_files/Page3236.htm
3) Source : http ://www.abcbourse.com/apprendre/1_vad.html
4) Le “plus d’Europe” ou le “plus de gouvernance mondiale” est évidemment tout autant une impasse : qu’ils soient seuls ou à plusieurs, les Etats n’ont aucune solution réelle et durable. Tout juste leur union permet-elle de ralentir un peu l’avancée de la crise alors que leurs divisions l’accélèrent.