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COUV JAPPE Credit a mort HDPresseCrise de civilisation

La période troublée que traverse le capitalisme mondialisé n'est pas une crise de régulation, mais bien une crise de civilisation. C'est le point de vue défendu par le philosophe Anselm Jappe, qui développe, depuis quelques années, l'une des pensées les plus originales de la mouvance radicale. Initiateur, avec Robert Kurz, en Allemagne, du groupe Krisis, connu pour son célèbre Manifeste contre le travail (Lignes-Léo Scheer, 2002), Anselm Jappe réunit dans Crédit à mort dix interventions récentes dans le débat français. Qu'il s'agisse de réflexions sur " La Princesse de Clèves aujourd'hui " ou d'analyses consacrées aux apories de la " décroissance ", le constat reste le même.

 

Avec la crise du crédit hypothécaire, un modèle de civilisation s'effondre. Car le capitalisme ne signe pas sa marque par la domination et l'exploitation, qui n'ont pas attendu son avènement pour exister, mais se caractérise par la concurrence généralisée et une vie sociale et privée quasiment entièrement régentée par des rapports de marché. Une vie à crédit où les objets sont interchangeables et les salariés corvéables.

 

L'auteur ne partage pas pour autant les principales critiques qui sont adressées au néolibéralisme globalisé. Il ne croit pas aux vertus du " citoyennisme " représenté par une association comme Attac, qui n'aspire, selon lui, qu'à moraliser le marché, à traquer les spéculateurs ou à taxer les produits financiers. Du sociologue Pierre Bourdieu au député José Bové, le disque serait rayé : réguler, réguler, réguler. Or inutile de sortir d'un système en cherchant à l'aménager.

 

Anselm Jappe se situe également aux antipodes d'une surenchère révolutionnaire, notamment incarnée par le " Comité invisible " ou la revue Tiqqun, qui préfère le chaos au statu quo, la violence à la quiétude des fades démocraties, la barbarie plutôt que l'ennui. Ni accommodement ni renversement violent, donc. Mais comment dépasser une civilisation si bien installée ?

 

jappe2-copie-1.jpgL'auteur aborde cette épineuse question humblement. Car il n'a aucun modèle à proposer clé en main. Anselm Jappe refuse toutefois l'intimidation intellectuelle qui consiste à rejeter une autre voie sous prétexte qu'elle n'est pas éprouvée, à emprunter de nouvelles pistes parce qu'elles n'ont pas été testées.

 

Décence ordinaire. Une nouvelle morale des comportements s'avère certes insuffisante, mais bienvenue. Car le capitalisme n'est plus, comme autrefois, un conservatisme. Il a même totalement épousé la libéralisation des moeurs qui triompha justement en Mai 68.

 

D'où la volonté d'Anselm Jappe de préserver des hiérarchies culturelles entre les oeuvres de l'esprit ou bien de refuser une certaine démiurgie technoscientifique qui met à mal sa conception bioéthique. Pour autant, M. Jappe récuse les arguments de l'essayiste Jean-Claude Michéa, qui considère que la décence ordinaire (" common decency "), dont parlait l'écrivain George Orwell à propos des classes populaires, constitue un puissant rempart contre le règne des conduites régies par les règles de l'intérêt et du calcul égoïste. Notamment parce qu'il y a autant de sagesse que de démesure populaire, autant de solidarité que d'incivilité, autant de don que d'exclusion. Anselm Jappe ne prétend donc pas avoir de solution à notre " crise de civilisation ". Avec un certain aplomb, mais aussi peut-être avec illusion, il considère que " le capitalisme fait beaucoup plus contre lui-même que ce que tous ses adversaires réunis ont pu faire ". Voilà au moins quelque chose à mettre selon lui à son crédit !

 

Nicolas Truong

 

Crédit à mort. La décomposition du capitalisme et ses critiques

Anselm Jappe

 

Editions Lignes, 254 p., 20 euros.

Paru dans Le Monde du 4 janvier 2011, rubrique " Le Livre du jour ".

 

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Tag(s) : #Recensions & Notes de lectures
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