Critique du néo-libéralisme ou
critique de la société capitaliste marchande ?
Rencontre/ Débat avec : Anselm Jappe*
Samedi 23 Juin à 17h30 au Lieu Dit - 6, rue Sorbier Paris 20ème..
Accès : Métro Ménilmontant (ligne 2) ou Gambetta (ligne 3) ; Bus n°96.
Ici comme ailleurs, les discours qui prédominent actuellement, vilipendent sur toutes les estrades et sur tous les plateaux, l’ignominieuse « économie de casino » parasitaire et dominatrice, en prenant la défense implicite ou explicite de la bonne et saine « économie réelle » (euphémisme pour parler du capitalisme qui exploite « normalement » la survaleur). Pour ces discours, il faut s’attaquer au méchant capital financier qui donne trop d’argent aux actionnaires au nom du sage et sain capital productif qui donne des emplois aux travailleurs. L’excroissance de la financiarisation de l’économie à partir de la fin des années 1970 serait le signe d’une offensive d’un capital particulièrement en bonne santé (une « révolution conservatrice » mondiale), offensive dont les oriflammes néolibérales ont été portées on le sait par Ronald Reagan, Margareth Thatcher et Augusto Pinochet. Mais cette mondialisation et cette financiarisation nourries au sein du néolibéralisme, parce qu’elles favorisent le capital financier aux dépend du travail salarié et du partage équitable de la valeur, auraient donné lieu à des déséquilibres, dont les crises financières à répétition depuis les années 1980 seraient les signes révélateurs. Afin de « moraliser le capitalisme », des rangs de la critique keynésienne du néolibéralisme à ceux des milieux dirigeants de droite, on a ainsi depuis 2008 sonné à grand renfort de fanfare la chasse aux boucs émissaires contre les spéculateurs, traders, bonus et stocks options des grands patrons, mégabanques, paradis financiers, agences de notation, etc. Cette critique de gauche du capitalisme néolibéral est alors irrépressiblement saisie par une immense nostalgie pour la France des Trente glorieuses, pour le compromis fordiste, ses acquis sociaux, le capitalisme d’Etat-Providence et sa régulation du marché qui va servir de « solution » pour faire face à la crise.
Cette vision portée par l’anti-néolibéralisme est radicalement fausse.
Cet anti-néolibéralisme a toujours été un alter-capitalisme : la solution reste le capitalisme d’Etat, avec ses nationalisations d’entreprises, sa régulation de l’exploitation au travers du partage des gains de productivité par la gratification des « acquis sociaux », son système de retraite par répartition qui présuppose le capitalisme, son argent public pour l’Etat social, son prétendu ascenseur social scolaire, sa relance de la croissance par la consommation, etc. Bref, le capitalisme, mais avec une gamelle et quelques biscuits, un capitalisme où l’on peut « librement » négocier la longueur de la chaîne et la couleur du collier. De plus, le système économique capitaliste ne s’est pas « financiarisé » par hasard ou par mauvaise volonté. Le capitalisme est structurellement financier, et le mythe persistant d’un capitalisme sans spéculation financière ne sert que les partisans d’un capitalisme à visage humain – ou moins inhumain. C'est que le néolibéralisme et la financiarisation n’ont jamais été des signes de bonne santé et d’offensive du capital, mais plutôt des expressions visibles de sa fuite en avant vers sa « limite interne ». Dans les années soixante-dix surgit une crise qui ne vient pas, comme les précédentes, des imperfections du système de la marchandise, mais bien de sa victoire totale. C’est alors qu’émerge sa contradiction de base, issue de la structure de la marchandise. La logique contradictoire du capitalisme scie la branche sur laquelle il est assis. La crise profonde est celle de la suffocation progressive de la production de valeur à cause de l’augmentation des faux frais et du travail improductif ainsi que la diminution de la masse globale de profit. Loin d’être à la source des contradictions de base de la logique de la valorisation, le néolibéralisme et la libéralisation du crédit qu’il a organisé (l’argent-dette), n'ont-ils pas été, au contraire, la seule manière possible de perfuser un système capitaliste cliniquement en très mauvaise santé ? Le néolibéralisme se révèle ainsi – à l’inverse de ce que prétend sa propre idéologie – comme « le plus gigantesque plan de relance financé par le crédit qu’on ait jamais vu » (Meinhard Miegel). A lui seul, ce mécanisme a maintenu en marche l’économie mondiale durant les trois dernières décennies. Mais si tous ces phénomènes ont formé des « béquilles » permettant un long ajournement de la crise, ils n’ont jamais été sa solution médicamenteuse. A aucun moment au niveau global, la perfusion néolibérale n’a permis de reconstituer un nouveau grand cycle d’accumulation réelle de la valeur tel que nous l’avions connu durant les Trente Glorieuses. La valeur de l'argent a été gagée sur le crédit, c'est-à-dire sur la capacité future de l'économie à relancer durablement et intensément la création réelle de la valeur. Ce qui permet à l'argent de valoir quelque chose actuellement, ce n'est donc pas la valeur qu'il possède aujourd'hui par lui-même, mais la valeur qu'il permettra de créer demain. Depuis maintenant quatre décennies, la survie du capitalisme permise notamment par la libéralisation de l'accès au crédit a reposé sur la consommation de la croissance future. Et malgré son dopage massif à coup de crédit et son incantation rituelle par toutes les politiques de droite, de gauche, d'extrême-gauche comme d'extrême-droite, cette croissance globale tant attendue n'a jamais été structurellement et durablement au rendez-vous.
La boule des contradictions de base du capitalisme formant la crise de la valeur, n’a cessé d’être poussée plus en avant par le scarabée bousier néolibéral : les bulles spéculatives ont explosé les unes à la suite des autres en étant toujours plus rapprochées, plus aiguës et leurs échelles toujours plus grandes. La fête doit s’achever un jour ou l’autre, et il semblerait que ce moment a commencé. Les multiples crises financières de ces vingt dernières années, la crise économique de 2008, les crises des dettes souveraines des Etats, ne sont que les parties émergées de cet iceberg qu’est la montée en surface de la crise de la valorisation. Aujourd'hui, le colosse aux pieds d'argile a de plus en plus tendance à s'affaisser et s'effondrer sous le propre poids de ses contradictions devenues systémiquement insurmontables. Et les immenses masses d'argent sans valeur réelle pourraient finir par passer avec perte et fracas dans les poubelles d’une grande dévaluation mondiale. Dans une telle situation l’argent pourrait devenir structurellement obsolète.
À travers une réinterprétation de la théorie critique de Marx appelée souvent la « critique de la valeur » (wertkritik), Anselm Jappe proposera une approche théorique qui s’attache à saisir la dynamique autodestructrice du capitalisme et les limites historiques (interne et externe) de cette formation sociale basée sur la valeur, le travail abstrait, l'argent, la marchandise et le fétichisme de la marchandise…
* Anselm Jappe est l’auteur de différents ouvrages portant sur la critique de la valeur : « Crédit à mort. La décomposition du capitalisme et ses critiques » (Lignes, 2011) ; « Les Habits neufs de l'empire », avec R. Kurz (éditions Lignes, 2004) ; « Les Aventures de la marchandise : pour une nouvelle critique de la valeur », (éditions Denoël, 2003) ; « Guy Debord. Essai » (éditions Denoël, 2001).