Venez participer au renversement du monde !
On causera de la crise le jeudi 29 novembre à 18h30
au café citoyen, place du vieux marché aux chevaux à Lille.
Extrait de l'introduction à « La grande dévaluation » de Lohoff & Trenkle (traduction G.Briche) :
Les crises historiques qu’on ne peut expliquer dans le cadre des modèles axiomatiques et anhistoriques de l’harmonie postulée par la science économique n’indiquent pas seulement le caractère irrationnel et contradictoire du mode de production dominant, mais elles constituent des étapes sur le long chemin qui mène celui-ci à sa limite historique. Ce qu’on voit, c’est que la fin en soi bornée de la valorisation du capital n’est pas, sur la durée, compatible avec le potentiel immense de la production de richesses réelles qu’elle-même fait surgir, parce que ce processus va de pair avec une incessante réduction du temps de travail nécessaire. Dans le cadre de relations sociales différentes, ce potentiel pourrait être utilisé pour permettre à tous les hommes de mener une vie bonne sans détruire des fondements naturels de la vie ; mais dans le cadre de relations capitalistes, la croissance incessante de la productivité écrase la production de valeur et ainsi le fondement de la valorisation du capital. De ce fait, tôt ou tard un point sera atteint où le niveau atteint par la productivité ne sera plus compatible avec la forme capitaliste de la richesse1.
Quand on voit les choses ainsi, on constate que la crise actuelle de l’économie mondiale n’est aucunement le résultat d’une spéculation ou d’un endettement exagérés dont il faudrait maintenant payer la note. Au contraire, la formation d’énormes bulles financières est elle-même l’expression que, depuis le début de la troisième révolution industrielle qui a introduit une mutation fondamentale des structures de production et qui a rendu massivement « superflue » la force de travail dans des secteurs centraux de la valorisation capitaliste, la production de valeur chute de manière absolue. La crise structurelle qui a éclaté pour cette raison, et qui était perceptible dès les années soixante-dix sous la forme d’une « crise du travail », ne pouvait être contrée et repoussée que grâce à un monstrueux entassement de « capital fictif » sur les marchés financiers. Mais le prix en était l’accumulation de masses énormes de traites prises sur l’avenir, qui ne pourraient jamais être recouvrées, et dont la dévaluation plane désormais comme une épée de Damoclès sur le monde entier. C’est pourquoi les avertissements concernant une crise ont aussi peu de sens que les cris de Cassandre2 des gourous de la crise, qui appellent à un retour à une « saine économie de marché », de même que n’ont pas de sens les encouragements venus de toutes parts à une « maîtrise des marchés ». Il se peut que la crise structurelle fondamentale soit une fois de plus reportée, grâce à une nouvelle bulle de capital fictif et à diverses mesures de gestion de l’urgence, mais elle ne peut être résolue dans le cadre de la logique capitaliste. Si cette logique est maintenue par la force, c’est en réalité une grande catastrophe qui menace, à la mesure de la crise qui va s’aiguiser. On ne pourra la détourner que si l’on parvient à développer une alternative sociale au-delà de la production de marchandises et à la mettre en place de manière mondiale3.
1 Ce qui est ici résumé à grands traits, c’est la thèse qu’une limite historique de la valorisation du capital est atteinte au terme du mouvement même de cette valorisation. C’est ce qui fonde la thèse d’une « crise finale du capitalisme » avancée par la théorie critique de la valeur.
2 Cassandre, personnage de l’Illiade d’Homère, était frappée de la malédiction de faire des prédictions toujours vraies, et de n’être jamais crue.
3 Cette remarque signale que la théorie critique de la valeur n’est pas une sorte de déterminisme recommandant d’attendre patiemment la fin du capitalisme. Cette fin pourrait bien sûr prendre du temps, mais laisser la dynamique capitaliste suivre son cours, c’est laisser le capitalisme s’effondrer dans une catastrophe totale où il entraînera une planète complètement pillée et une humanité complètement détruite.
Plus d'informations sur les causeries lilloises autour de la Critique radicale de la valeur : voir ici
Bibliographie non-exhaustive sur l'effondrement du capitalisme :
A contre-pied des débris du marxisme traditionnel qui situe la contradiction de base du capitalisme dans le rapport antagoniste entre les classes sociales du capitalisme (le marxisme traditionnel confond généralement la contradiction capitaliste avec l'antagonisme social qu'elle constitue au niveau des classes, cf. Moishe Postone sur ce point), ou entre les forces productives (assimilées à l'industrie) et les rapports sociaux capitalistes (assimilés à la propriété privée des moyens de production et au marché), dans les « Grundrisse », Marx a donné quelques indications fondamentales pour penser une contradiction beaucoup plus profonde de la formation sociale capitaliste, une contradiction de base qui pousse nécessairement le capitalisme a scier la branche sur laquelle il est assis.
Robert Kurz en a fait une lecture très percutante, avec Marx mais aussi au-delà de Marx, et qui n'a rien d'une démarche objectiviste et quiétiste qui nous permettrait de dire qu'il suffirait d'attendre l'effondrement du capitalisme pour que s'ouvre les portes de l'émancipation sociale, au contraire ! Sur la crise de la valeur et la limite interne absolue du capitalisme peu de textes hélas ont été traduits de l'allemand. Au-delà des précédentes théories de la crise d'effondrement de Rosa Luxemburg, Henryk Grossmann ou Paul Mattick, au-delà de la seule fameuse baisse tendancielle du taux de profit, Robert Kurz entre le milieu des années 1980 et les années 2010, a refondé de fond en comble une théorie forte de l'effondrement du capitalisme. De nombreux éléments se trouvent dans les ouvrages de Robert Kurz, notamment « L'Effondrement de la modernisation » (1991), tandis que le livre de plus de 820 pages, « Schwarzbuch Kapitalismus » (Le Livre noir du capitalisme), publié chez Eichborn en 1999 (réédition en Allemagne en 2009 chez le même éditeur), comporte un long essai sur l'histoire de la troisième révolution industrielle, qui est central pour comprendre le mécanisme décrit de l'effondrement de la masse totale de la valeur au niveau de la totalité sociale (notamment les pp. 622-801 de ce livre). En allemand toujours, il faut également se reporter au livre de Norbert Trenkle et Ernst Lohoff, « La Grande dévaluation » (2012), dont quelques présentations rapides ont été traduites, même si ce livre mériterait d'être intégralement traduit en Français car la compétence de Trenkle sur l'économie est précise et le propos clairement exposé. Robert Kurz a publié également en 2012, « Geld ohne Wert. Grundrisse zu einer transformation der kritik der politischen ökonomie » (Horlemann), un important ouvrage théorique que nous vous conseillons tout particulièrement, et sur lequel Anselm Jappe fera paraître prochainement une longue recension, nous vous en reparlerons.
Hormis cette littérature germanophone non-exhaustive, on pourra renvoyer en Français à quelques textes traduits en Français dans cette rubrique du présent site, ainsi qu'à la courte présentation de la crise de la valeur dans le livre d'Anselm Jappe, « Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur » (Denoël, 2003). On peut également renvoyer au recueil de chroniques de Robert Kurz publiées dans la presse européenne et brésilienne, mais qui ne sont pas des textes théoriques à proprement parlé, et qui sont parues chez les éditions Lignes sous le titre « Vies et mort du capitalisme. Chroniques de la crise » (Lignes, 2011). Un aperçu de la théorie de l'effondrement kurzienne y est disponible pour le lecteur francophone curieux.