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Un résumé des pages 236-247 de Temps, travail et domination sociale, de Moishe Postone.

Dans ce monde là, nous sommes contraints et forcés de produire et d’échanger des marchandises pour survivre : « cette structure [la sphère objective des rapports sociaux capitalistes constitués par le position du travail dans une fonction socialement médiatisante] est telle que ce sont nos propres besoins, plutôt que la menace de la force ou d’autres sanctions sociales, qui apparaissent comme la source d’une telle nécessité » (p. 240). Partout, dans le capitalisme, les relations sociales sont constituées par une fonction historiquement spécifique du travail. C'est là, l'essence sociale de la formation sociale capitaliste, son coeur social, le rapport social capitaliste de base.

Mais cette domination par la fonction de la médiation sociale du travail, n’est pas une domination sociale directe comme dans les temps précapitalistes, elle est plutôt impersonnelle, abstraite, objective, et ceci dans l'analyse de Postone, non pas en apparence mais réellement. Elle ne se fonde donc sur personne, ni homme, ni classe, ni institution, car chez Postone, « son fondement ultime, ce sont les formes sociales structurantes de la société capitaliste qui se sont généralisées et qui sont constituées par des formes déterminées de pratique sociale » (p. 237). C’est alors la Société, en tant que sphère des rapports sociaux capitalistes de caractère objectifs et constituant un « système », qui exerce une contrainte impersonnelle, du fait de sa constitution par le double caractère du travail (travail concret et travail abstrait). Ainsi, on peut dire  que « rapports sociaux capitalistes et structures aliénées sont identiques », puisque c'est la fonction historique du travail qui est le coeur social. Il n’y a dans cette compréhension de l’aliénation, rien qui doit être compris comme aliéné, extérieurement aux rapports sociaux capitalistes. L’aliénation s’enracine dans le double caractère du travail, « elle est inhérente à la nature même de ce travail » : la fonction de médiation sociale qu’est le travail s’extériorise en tant que sphère sociale abstraite, indépendante, exerçant une contrainte impersonnelle sur les individus qui la constituent. C’est donc cela l’aliénation chez Postone.

 

Mais, cette aliénation ne consiste pas nécessairement (comme le pense le marxisme traditionnel) en une pénibilité, en une exploitation ou une oppression. A la différence des sociétés précapitalistes où l’exploitation et la domination sont extérieures au procès de production en lui-même, désormais, sous le capitalisme, « l’exploitation et la domination sont des moments qui font partie intégrante du travail déterminée par la marchandise. Même le travail d’un producteur de marchandises indépendant est aliéné », y compris le travail du cadre et du patron, parce que la contrainte sociale est toujours celle des rapports sociaux objectivés par le travail médiatisant. La domination ne se fait donc pas sur le surplus, mais sur la forme même que revêt le travail sous le capitalisme (en cela toute la perspective " autogestionnaire " et conseilliste, qui a opposé le travail aux relations de production, se déploit impuissament à l'intérieur même des catégories capitalistes).

 

La définition renouvelée de l'aliénation donnée par Postone est alors celle-ci : « l’aliénation est le procès d’objectivation du travail abstrait. Elle n’entraîne pas l’extériorisation d’une essence humaine préexistante, mais la réalisation de la puissance humaine sous une forme aliénée ». Ce qui domine dans ce procès d’objectivation du travail abstrait est une sphère sociale objective, abstraite, qui acquiert une vie propre et qui existe en tant que structure de domination abstraite aux dessus et contre les individus : cette sphère c’est la puissance humaine sociale qui se constitue par le travail s’objectivant lui-même en tant qu’activité socialement médiatisante.

 

Cette sphère exerce aussi une domination paradoxale. La société capitaliste libère de la domination directe (rapports personnels d’obligation, dépendance, domination), mais « cet individu ‘‘ libre ’’ est confronté à un univers social de contraintes objectives abstraites qui fonctionnent comme des lois. Selon les termes de Marx, à partir d’un contexte précapitaliste marqué par des rapports de dépendance personnelle, émerge un nouveau contexte caractérisé par la liberté individuelle dans un cadre social de ‘‘ dépendance objective ’’ » (p. 244). Il y a opposition réelle entre 1’individu autodéterminant, libre, et une sphère extérieure de nécessité. Et on peut comprendre aussi que cette opposition passe dans l’individu, entre les différentes déterminations de l’individualité. Il y a donc pour Postone, un double caractère de l’individu, à la fois sujet (Jappe lui aussi refuse la disparition du sujet) et objet. Cette compréhension du double caractère de l’individualité sous le capitalisme, est un terrain d’études pour ces penseurs de la critique radicale du travail. L’ouverture d’un espace de réflexion sur les Aventures du sujet.

 

« Ces individus ne sont pas seulement des ‘‘ sujets ’’ autodéterminants, agissant selon leur volonté ; ils sont soumis à un système de contraintes objectives qui opèrent indépendamment de leur volonté : en ce sens, ils sont eux aussi des ‘‘ objets ’’. Tout comme la marchandise, l’individu constitué dans la société capitaliste possède un double caractère » (Postone).

 

Dans le cadre de cette aliénation, le “ fétichisme de la marchandise ” n’est pas seulement une fausse représentation (le faux " reflet " de la réalité dans les têtes humaines), et encore moins une adoration exagérée des marchandises. C'est la réalité elle-même qui est fausse, si on réfère le " fétichisme " à la structure même de la marchandise. Les sujets ne sont réellement pas les hommes, mais bien plutôt leurs relations objectivées. C'est que le fétichisme, note Postone, doit être analysé " en termes de structure de relations sociales constituée par des formes de praxis objectivantes et saisie par la catégorie du capital (et donc de la valeur). Le Sujet de Marx, comme celui de Hegel, est alors abstrait et ne peut pas être identifié avec aucun acteur social " (Postone, Time..., p.75-76, version américaine). Ici le fétichisme consiste donc dans des rapports réifiés. Il est le monde “ réellement renversé ” du capital, où le travail abstrait devient le lien social, une médiation sociale qui se médiatise par elle-même, en réduisant le travail concret à une simple expression du travail abstrait.C'est alors une théorie du " fétichisme objectif " (Jappe) ou radicalisé, c'est-à-dire que tant qu'existent la valeur (objectivation de la fonction spécifique qu'a le travail sous le capitalisme), la marchandise et l'argent, la société est effectivement gouvernée par l'automouvement des choses créées par elle-même, et non pas par une manipulation subjective des classes dirigeantes.

Tag(s) : #Sur Moishe Postone
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