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Parution aux editions Crise & Critique

 

Commune Antinationaliste de Zamora

Agustín García Calvo

Communiqué urgent contre le gaspillage

 

Traduction de l’espagnol par Manuel Martinez, avec la collaboration de Marjolaine François.

En librairie en France, Suisse et Belgique ou sur commande

(frais de port gratuits pour tous les continents).

Prologue au Communiqué urgent contre le gaspillage,

par Luis Andrés Bredlow 

 

Cela fait quarante-trois ans, à la fin de 1972, que fut publiée dans l’exil parisien la première édition, quasi confidentielle, du Comunicado urgente contra el despilfarro. Plus de trente ans se sont écoulés depuis que la dernière édition, de 1979, s’est épuisée ; cela fait plus de vingt ans que j’insiste sur l’urgence d’une nouvelle édition de ce livre, ce qui m’oblige, semble-t-il, à expliquer aux lecteurs les raisons d’un tel entêtement. Je préciserai d’emblée qu’il ne s’agit pas, bien sûr, de sauvegarder pour l’Histoire, comme on dit, un document de plus issu des mouvements contestataires de ces années-là : Histoire contre laquelle la Commune Antinationaliste de Zamora se soulevait justement et à laquelle elle se refusait obstinément d’appartenir. Elle ne put, bien entendu, y parvenir complètement ; voici, alors, quelques mots introductifs sur la situation de la Commune dans l’histoire de son temps, au cas où ceux-ci puissent servir à quelque chose.

Pour la réalité historique, la Commune Antinationaliste de Zamora fut un cercle vague de gens plutôt jeunes qui se réunissaient, dès les derniers mois de 1969, dans des tavernes parisiennes autour d’Agustín García Calvo, professeur de latin à l’université, destitué de son poste par le régime franquiste pour son appui à la rébellion étudiante madrilène de février 1965 ; depuis juin 1969, il vivait exilé en France. Ces gens venaient des terres d’Espagne (seuls quelques-uns de Zamora) ; certains avaient fui la police et les prisons de la dictature, après avoir pris part aux actions de protestation des acrates de Madrid[1]. Un an et demi s’était écoulé depuis l’éruption de mai 1968 ; en France (comme ailleurs) on vivait « la triste réintégration à l’Ordre du bouillonnement étudiant qui avait secoué le monde les années précédentes, entre violences désespérées des derniers groupuscules trotsko-maoïstes et autres fidèles, et assimilation la plus puissante de la pensée rebelle à la pédanterie académique et philosophante »[2].

La Commune se fit connaître, début 1970, par la publication du Manifiesto de la Comuna Antinacionalista Zamorana, dans lequel elle proclamait avoir pour fonction essentielle de « combattre, par les faits et les mots […] pour la disparition de l’État espagnol et de l’État en général […] et pour la libération de la ville et de la région de Zamora », manifeste qu’elle concluait en offrant sa collaboration amicale à n’importe quel autre regroupement de gens de n’importe quelle partie du monde « qui se soulèverait avec les mêmes objectifs de combattre pour l’indépendance et la révolution de leur ville ou territoire respectifs, du moment qu’il s’agit de groupes aussi décidément antinationalistes que l’est notre commune ». La Commune reconnaissait là, bien entendu, ce qu’il y avait de raisonnable et de libérateur dans la rébellion des peuples et des régions contre l’oppression des États nationaux ainsi que dans leurs aspirations à l’indépendance (comme celles des Basques, Catalans et Canariens, des Corses, Bretons et Occitans, qui commençaient alors à se faire entendre), mais sans tomber pour autant dans le piège mortel de contribuer au renforcement de l’État même par le biais de sa multiplication en autant d’autres États ou projets de nouveaux États, non moins répressifs, bureaucratiques et néfastes que les autres : bien au contraire, le Manifeste mettait en garde sur le fait que « les possibilités d’une Zamora indépendante et libre dépendent non seulement de la disparition de l’Espagne, mais de la disparition de tous les États et de l’État même »[3].

Toutefois, la Commune n’aspirait pas à l’instauration immédiate et radicale d’une acratie pure (sachant que « l’aspiration au rien peut être tout aussi totalitaire que l’aspiration au tout »), mais plutôt à un gouvernement minimal et provisoire, dont la tâche première et principale devait être sa propre dissolution ; les accords qui s’avéreraient nécessaires se prendraient en assemblées de tous les citoyens, en évitant soigneusement les procédés gouvernementaux établis, aussi bien dictatoriaux que démocratiques (lois, élections de représentants, votes). Pour ce qui est des méthodes de lutte pour la libération, la Commune rejetait, dès le début, toute idée d’indépendance entre les moyens et les fins ; autrement dit, comme cela sera précisé dans le Communiqué, elle refusait de croire en l’usage des armes de l’État contre l’État (puisque les fins sont inscrites dans les moyens) et méprisait, par conséquent, tout autant la foi en la violence qu’en la non-violence, en les individus qu’en les collectifs, en la religion qu’en la science, en le progrès et la technique qu’en la nature.

Contrastant de façon éloquente avec les procédures méticuleuses d’affiliation et d’expulsion qui avaient habituellement cours dans d’autres groupes révolutionnaires de ces années-là, la participation à la Commune était une question de degré : on pouvait être plus ou moins de la Commune Antinationaliste de Zamora et plus ou moins d’accord avec les propositions du Manifeste ; c’est pourquoi l’on ne pouvait savoir combien elle comptait de membres (dans le Communiqué on parle de quinze à vingt participants réunis au moment de sa rédaction).

Un jour, d’après ce que l’on raconte, la Commune se rendit à l’un des habituels défilés politico-syndicaux du Premier Mai, en arborant la consigne « Aujourd’hui c’est le trente et un avril »[4], expression concise de sa rébellion contre le temps (qui, comme chacun sait, est argent). Pour le reste, l’histoire de la Commune est dépourvue d’incidents spectaculaires et scandaleux, si notoires dans d’autres mouvements radicaux de ces années-là. Son activité consistait, essentiellement, en débats patients et passionnés (qui avaient pour habitude de se prolonger en chantant dans les tavernes et dans les rues jusqu’aux heures tardives du petit matin), en lectures en commun d’Héraclite et d’autres présocratiques, et en l’élaboration, lente et soignée, de quelques écrits. La rédaction finale de ces textes, comme on le sait (et cela est d’ailleurs manifeste par son style magistral et reconnaissable entre tous), fut l’œuvre d’Agustín García Calvo, et c’est à lui aussi que l’on devait certainement l’inspiration principale de ses thèses ; ce qui n’enlève rien au fait que ceux-ci furent forgés, de fait, dans la discussion prolongée entre les plus ou moins membres de la Commune : si la Commune Antinationaliste de Zamora ne fut pas peut-être, en toute rigueur, une conjuration d’égaux (vraisemblablement aucun groupe révolutionnaire ne l’a été), il est certain qu’elle fut beaucoup plus qu’un simple pluriel de modestie ou qu’un hétéronyme d’Agustín García Calvo.

En juin 1972, la Commune se proposa de faire le point sur la tournure que prenait le monde ; le fruit de cette récapitulation fut le Communiqué urgent contre le gaspillage, achevé en octobre de cette année-là. Ce n’est pas un hasard si son attention se fixa, tout d’abord, sur les manifestations les plus scandaleuses et pestilentielles de l’ordre dominant. À ce moment-là, le désastre dit environnemental avait fini par être une évidence que personne ne pouvait ignorer : les experts au service du pouvoir commençaient eux-mêmes à admettre officieusement les conséquences infernales du paradis de la consommation qu’ils n’avaient cessé de promettre jusque-là (cette même année, le Club de Rome avait rendu public son fameux rapport sur Les limites à la croissance, et les moyens de formation de masses faisaient retentir de nouveaux vocables comme « environnement », « pollution » ou « contamination ») ; parallèlement, la protestation écologique accédait peu à peu à une place respectable aux côtés des autres formes de contestation politique.

Nombreux sont ceux qui ont dénoncé et analysé, avant et après, les nouvelles formes de misères propres à la société du « bien-être » ; très peu, presque personne, ne l’a fait avec une clairvoyance et une précision aussi pénétrante que celle de la Commune Antinationaliste de Zamora. La Commune réussit, pour commencer, à diriger sa dénonciation, non pas contre la « consommation » – notion parmi les plus ambiguës et confuses qui soient –, mais contre le gaspillage, entendu comme dépense et élimination des choses sans aucun profit ni aucune jouissance. Elle observa que les « besoins » des acheteurs (créés par les entreprises fabricantes elles-mêmes), l’« égoïsme » bourgeois, et même les bénéfices des entreprises, n’étaient plus que des prétextes pour l’opération de destruction continue en laquelle la nouvelle économie consiste ; elle comprit que la conversion du monde en une interminable décharge n’était, en fin de compte, que la réalité visible de la réduction de toutes les choses en argent, c’est-à-dire en pure abstraction.

Sur ce point, la dette du Communiqué envers l’analyse de Karl Marx est évidente, analyse de la condamnation essentielle dont souffre la société moderne à vivre soumise au besoin du Capital, ou Argent vivant, de se convertir sans cesse en toujours plus d’argent, par le biais de la transformation des choses et des vies des gens en valeur, avant même qu’en plus-value, c’est-à-dire en simples quantités de temps abstrait, équivalentes et interchangeables entre elles : ce qui implique, selon le commentaire pertinent d’Agustín García Calvo, l’annulation de l’antithèse entre personne et chose : si les personnes, transformées en simple quantité d’heures de travail, deviennent chose et marchandise pour le Capital, parallèlement l’Argent, la chose des choses, en se convertissant en Capital, acquiert une vie et une volonté propres et devient personne ou sujet. [5]

Or, à l’apogée de ce processus, quand l’Argent même a cessé définitivement d’être une chose matérielle et que l’on peut toucher, et s’est sublimé en pur crédit ou foi en lui-même, culmine aussi ce que la Commune décrit comme abstraction des matières et matérialisation des abstractions : il ne s’agit plus de produire et de consommer des biens, mais de produire de la production et de consommer de la consommation. Ce qui veut dire que les processus et les activités se sont changés en entités abstraites ou idéales, et les abstractions (« production », « consommation », « travail » et, en dernière instance, l’Argent lui-même, qui est l’abstraction des abstractions) en sont venues à occuper la place des biens matériels et palpables ; de sorte que les choses, les personnes et les relations entre personnes ne sont plus que des prétextes visibles à l’application de la loi économique, simples éléments de comptabilité, voués à être vendus, dépensés et jetés à la poubelle le plus vite possible. Ce que l’on nomme ici gaspillage est précisément cette chosification des processus et anéantissement des choses.

Voilà, résumé de façon quelque peu hâtive et maladroite, ce que le Communiqué dévoile comme fondement de la structure de l’ordre ou désordre dominant. La même loi du gaspillage régit non seulement les processus habituellement considérés comme économiques, mais aussi la vie la plus intime des sujets de la nouvelle société, et même de ceux qui tentent de se rebeller contre elle : il en va ainsi dans la multiplication accélérée des relations humaines et érotiques, converties en objets de désir en soi, pour lesquels les personnes en chair et en os ne servent tout au plus que d’opportunité et de matière consommable et évanescente ; de même dans le culte de « la drogue » (abstraction qui tue la richesse de l’expérience psychédélique par assimilation à l’injonction barbare de mort des drogues héroïques), les pratiques sexuelles humiliantes et dégradantes, la cassure du rythme et de la mélodie dans les chansons, les nouvelles formes de militantisme politique fanatiques et violentes : habitudes qui, sous l’apparence de la protestation ou libération, cachent à peine l’obéissance aveugle et inconsciente à la loi dominante du gaspillage de la vie et des plaisirs.

Rappelons que, dans les milieux radicaux de ces années-là (et l’entourage de la Commune n’y fit pas exception), on respirait un air vicié d’apocalypse, d’une indéfinissable mais pressante proximité de la fin du monde et, peut-être, de l’avènement d’un monde meilleur ; les sombres prévisions de la science revêtirent ce vague pressentiment de l’autorité des calculs et des chiffres (service que les chiffres, non moins précis et fallacieux, des astrologues et des kabbalistes avaient rendu aux apocalyptiques des siècles antérieurs). La Commune, raisonnablement dépourvue de la foi dans le Temps et dans l’Histoire, rejeta les vaines consolations de l’optimisme et du pessimisme : au lieu de parier sur l’apocalypse future (« pour le cas où, malgré tout, il ne se passerait rien »), il lui suffit de consigner le désastre présent et visible par tous, stimulant suffisant à n’importe quelle rébellion ; au lieu d’annoncer la bonne nouvelle de la révolution imminente, elle se résolut à désobéir aux ordres du Seigneur, « au cas où cela serait possible ».

Elle ne donnait pas de consignes pour l’action (pas même celle de la désobéissance) : elle voulut seulement réussir à ce que se voit et se ressente comme ordre de l’État ce qui, d’ordinaire, apparaît comme l’ordre naturel des choses, voire comme impulsion intime et spontanée de chacun. Elle savait que le combat contre l’État n’a d’autre lucidité et rationalité que celle de l’ordre ennemi contre lequel il se soulève, ni d’autre vérité que la découverte du mensonge dominant. Elle comprenait, par conséquent, que la méthode contre le gaspillage doit être l’analyse des abstractions matérialisées et, qu’au contraire, toute exaltation positive de la « vie », du « corps », de la « nature » ou du « plaisir » ne peut que contribuer à l’abondance d’abstractions et à la mort de ce qui, n’étant pas connu, est peut-être encore vif par en dessous de la fausse richesse abstraite et monétaire. Par là, d’ailleurs, la Commune signalait déjà, avec une extrême clairvoyance, le piège fatal dans lequel allaient tomber par la suite, entre autres, presque tous les mouvements de défense de la nature, et qui serait le moyen le plus efficace de leur intégration à la politique des partis et aux affaires des entreprises avides de vendre à leurs clients les nouvelles marchandises de « nature », « écologie » ou « qualité de vie », tout comme de développer, en complément des vieilles industries polluantes, de nouvelles industries de dépollution, pour un bénéfice et une sécurité meilleurs du Capital dans son ensemble.

On sait peu de choses des destinées ultérieures de la Commune. Agustín García Calvo regagna en 1976, après la mort du dictateur et la conversion du régime à la démocratie, sa chaire de Madrid, qu’il occupa jusqu’à sa retraite en 1997. Il poursuivit, inlassablement, le labeur de critique et de négation de l’ordre dominant, dans des livres, pamphlets, conférences, poèmes et chansons (la majeure partie publiée par les éditions Lucina de Zamora), et depuis 1997, en compagnie de la Tertulia Política de l’Athénée de Madrid. Décédé en 2012, à quatre-vingt-six ans, il avait participé en 2011, avec les amis de la Tertulia, au mouvement des « indignés » qui occupèrent la Puerta del Sol de Madrid ; certains des plus ou moins membres de la Commune continuaient aussi de l’accompagner. Interrogé sur la Commune Antinationaliste de Zamora, il avait pour habitude de répondre : « elle jouit d’une bonne santé : comme elle n’existe pas, elle ne peut jamais mourir ».

Le Communiqué urgent contre le gaspillage connut une certaine diffusion dans l’Espagne de la fin des années soixante-dix, dans deux éditions, rapidement épuisées, de 1977 et 1979 ; il fut traduit en allemand et en portugais ; il fut lu avec assiduité et admiré dans les milieux radicaux et anarchistes de ce temps-là. On ne peut affirmer qu’il ait exercé une influence notable sur la pensée contemporaine ; ce qui en dit long à propos, ou plutôt à l’encontre, de ce que l’on nomme pensée contemporaine. C’était certainement un texte trop ardu et métaphysique pour pouvoir vraiment servir aux fins quotidiennes du militantisme politique (la Commune savait bien que la vision la plus juste et détrompée des choses est aussi la plus métaphysique et abstraite, étant donné que la réalité même est de nos jours éminemment métaphysique et abstraite) et un texte, par ailleurs, à la cadence trop libre et désinvolte pour mériter l’intérêt des spécialistes sérieux en théories critiques. Défauts imputables, selon moi, plutôt aux lecteurs (ou à ceux qui auraient pu l’être), et qui correspondent à ce que je considère être deux des plus singulières qualités de cette œuvre (qui sont sans doute, au fond, la même) : l’exquise beauté de la diction, qui n’est pas imprécision lyrique, mais exactitude du mot juste et souffle de la raison vive ; une lucidité précise qui, telle la flèche au vol, vise les cibles que d’autres parvinrent tout juste à entrevoir de loin depuis les sommets des édifices théoriques les plus laborieux. (Ce sont des qualités propres, je le sais bien, à toute ou presque toute l’œuvre de García Calvo, mais qui, à mon sens, atteignent une intensité rarement aussi fulgurante que dans les pages du Communiqué.)

Les écrits de la Commune Antinationaliste de Zamora appartiennent sans aucun doute à un genre en vogue à cette époque-là et aujourd’hui disparu : celui du pamphlet révolutionnaire (les textes qui aujourd’hui occupent cette place, dans les nouveaux mouvements de protestation, ne sont habituellement que de tristes imitations de la prose académique en usage). La plupart des écrits radicaux de ces années-là, y compris les meilleurs, souffre souvent de certaines ingénuités que le lecteur d’aujourd’hui, s’il consent à les fréquenter, accepte avec résignation comme propres au genre et à l’époque : le dithyrambe triomphal de la révolution en marche ; l’attaque furibonde des idées et des institutions que les progrès mêmes de l’ordre dominant se chargèrent rapidement de liquider ; la proclamation exaltée de nouvelles valeurs subversives, pleinement assumées aujourd’hui par les gouvernements et les agences publicitaires. D’une manière quasi prodigieuse, rien de cela ne peut être dit du Communiqué urgent contre le gaspillage ; d’une manière quasi prodigieuse, la Commune Antinationaliste de Zamora continue d’avoir raison.

Pour citer quelques exemples au hasard : l’isolement et la solitude des individus sont toujours invariablement unis, comme les deux faces d’une même pièce, à la prolifération des relations sociales, aujourd’hui prodiguée jusqu’à l’insupportable par l’invasion des gadgets électroniques ; aujourd’hui plus qu’avant, toujours plus de jeunes désespérés recherchent la réalisation définitive d’eux-mêmes dans la mort violente (la leur et celle des autres, avec des prétextes idéaux ou religieux ou sans eux), en accomplissant docilement l’ordre de gaspillage et de destruction de la vie que le règne du Seigneur abstrait leur impose ; aujourd’hui comme alors, les protestations environnementales préfèrent se raccrocher à la foi dans l’apocalypse future prédite par les spécialistes, plutôt que de savoir trouver dans la dévastation des campagnes et des villes qu’elles ont devant leurs yeux et sous leur nez les raisons et le courage suffisants de leur refus.

Quarante-trois ans plus tard, la lecture du Communiqué continue d’être aussi urgente qu’elle l’était en son temps, en ce déjà lointain été de Paris où il fut rédigé.

 

 

Luis Andrés Bredlow

Octobre 2015

 

Présentation de l'ouvrage

Nombreux sont ceux qui ont dénoncé et analysé, avant et après, les nouvelles formes de misères propres à la société du « bien-être » ; très peu, presque personne, ne l’a fait avec une clairvoyance et une précision aussi pénétrante que celle de la Commune Antinationaliste de Zamora. La Commune réussit, pour commencer, à diriger sa dénonciation, non pas contre la « consommation » – notion parmi les plus ambiguës et confuses qui soient –, mais contre le gaspillage, entendu comme dépense et élimination des choses sans aucun profit ni aucune jouissance. Elle observa que les « besoins » des acheteurs (créés par les entreprises fabricantes elles-mêmes), l’« égoïsme » bourgeois, et même les bénéfices des entreprises, n’étaient plus que des prétextes pour l’opération de destruction continue en laquelle la nouvelle économie consiste ; elle comprit que la conversion du monde en une interminable décharge n’était, en fin de compte, que la réalité visible de la réduction de toutes les choses en argent, c’est-à-dire en pure abstraction.

La Commune Antinationaliste de Zamora fut un cercle vague de gens plutôt jeunes qui se réunissaient, dès les derniers mois de 1969, dans des bistrots parisiennes autour d’Agustín García Calvo. Ces gens venaient des terres d’Espagne (seuls quelques-uns de Zamora); certains avaient fui la police et les prisons de la dictature, après avoir pris part aux actions de protestation des acrates de Madrid.

Agustín García Calvo (1926-2012) était un philologue, linguiste, poète, dramaturge et essayiste espagnol, maîtr6e de plusieurs générations d’incrédules et de rebelles. Professeur de philologie latine à l’université de Madrid, destitué en 1965 en raison de son appui au soulèvement étudiant, il vécut exilé à Paris de 1969 à 1976. De retour à Madrid après la mort du dictateur, il resta fidèle jusqu’à la fin à l’esprit rebelle des années 60, qu’il maintint dans une infatigable activité de conférencier et d’écrivain.

 

[1]      Le lecteur curieux des vicissitudes du groupe madrilène connu sous le nom de ácratas pourra consulter l’ouvrage de Miguel Amorós, Les Acratas à l’université centrale de Madrid, 1967-1969, Éditions de La Roue, Villasavary, 2021. [Note du traducteur]

[2]      A. García Calvo, Que no, que no, Lucina, Zamora, 1998, p. 352 ; un examen plus approfondi de ce processus de réintégration se trouve dans le pamphlet De los modos de integración del pronunciamiento estudiantil, Paris, 1970 ; 3e édition Lucina, Madrid, 1987. Quelques interventions de García Calvo dans les débats du mouvement étudiant sont rassemblées dans son livre Actualidades, Lucina, Madrid, 1980.

[3]      Manifiesto de la Comuna Antinacionalista Zamorana, 6e édition, Lucina, Madrid, 2008, p. 9 et p. 57.

[4]      En français dans le texte. [N.d.T.]

[5]      Cf. A. García Calvo, Apophtegmes sur le marxisme, Crise & Critique, Albi, 2022. Marx parlait de « relations de choses entre les personnes et relations sociales entre les choses » (Le Capital, I, 1, 1, 4).

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