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Savoir absolu et savoir dans le réel

Lacan hégélien ?

*

Sandrine Aumercier

Lacan hégélien ? [1] Si l’on se pose cette question, il y a au moins trois façons de l’aborder. La première, c’est ce que Lacan lui-même dit de son rapport à Hegel. Il est clair qu’après une euphorie de jeunesse, il s’en distancie de plus en plus au cours de son enseignement. Ce serait pour le moins forcer Lacan que d’en faire un hégélien. La deuxième est de prendre en considération ses emprunts manifestes à Hegel. Ceux-ci doivent plus à Kojève qu’à Hegel et il est très probable que Lacan n’a pas lu autre chose que la Phénoménologie de l´Esprit, passablement réduite à la « dialectique du maître et de l’esclave ».

La troisième façon d’aborder cette question consiste à regarder si on peut repérer un point de recoupement structural entre les deux démarches, dont les projets restent par ailleurs incommensurables. Il colle à Hegel une mauvaise réputation de « penseur du savoir absolu », qui fait obstacle à sa lecture et semble même justifier qu’on s’en écarte avec dégoût [2]. Mais que veut dire réellement chez lui le « savoir absolu » ? Il faudra revenir à Hegel et non aux fantasmes qu’on se fait à son propos [3].

La théorisation par Lacan du réel de la structure s’avance dans deux directions : l’une, qu’on pourrait dire d’inspiration hégélienne, qui prend acte d’un réel auquel l’acte peut s’égaler, y compris l’acte de dire ; l’autre qui, tout en définissant le réel comme « l’impossible à dire », entend énoncer quelque chose sur lui, ce qui l’expose à l’écueil qu’il voulait pourtant contourner au moins autant que Hegel : la constitution d’une nouvelle fixation imaginarisable. L’ambivalence de Lacan à l’endroit du « savoir absolu » se montre dans cet intervalle, entre une inspiration hégélienne non assumée et une volonté affichée de s’en démarquer. Seul le détour par une explicitation historique du rapport respectif à la science moderne, dont Hegel et Lacan font une critique radicale – quoique différente – permettra de pointer un recoupement entre les deux.

Émergence d´une inquiétude moderne

A l’aube des temps modernes, la science pose le réel comme entièrement déchiffrable par les instruments mathématiques. Le développement concomitant des techniques et de nouveaux rapports sociaux va accompagner cette vision d’une effectivité dont nous avons aujourd’hui les dernières retombées avec ce que nous appelons la technoscience. À la base de cette tendance se trouve l’idée qu’il doit y avoir une correspondance logique entre la pensée et le monde ; cette correspondance constitue désormais l’obsession des modernes, dont dépend entièrement la légitimité du projet technoscientifique, ou dit autrement, de la métaphysique du Progrès. S’il n’est pas possible de démontrer une correspondance entre le cerveau et le monde, ce projet n’a plus aucun fondement réel. Le problème du dualisme des substances vient s’affirmer et s’aiguiser dans ce contexte historique. Même l’affirmation selon laquelle le cerveau fonctionne comme un ordinateur ne fait qu’absolutiser un terme du problème cartésien sans le surmonter, puisque le problème de l’esprit ou encore celui de la subjectivité se présente immédiatement comme son objection réelle, elle aussi non surmontée.

Platon se posait déjà la question du rapport entre l’âme et le corps, mais y répondait très différemment de Descartes [4]. Ce qui l’intéressait était les degrés de participation aux Idées, dont le corps est le terme le plus extérieur. Il y avait chez lui de l’incertain, mais nul pathos du doute. Il ne serait pas venu à l’idée de Platon de se poser une question aussi pathologique que celle de savoir si le monde existe ou si lui-même existe. Descartes, pour sa part, ne s’intéresse déjà plus à l’âme, sauf quand il veut parler le langage de l´Église : il parle de l’esprit et pose le principe de deux substances incommensurables. Les corps sont des machines et les idées que nous pouvons former sur eux sont justes, grâce au langage mathématique dont Dieu garantit la justesse.

Ce dualisme aura des conséquences énormes ; il est, de manière très paradoxale, gros de tous les monismes qui vont agiter la pensée moderne, cherchant à le réfuter, comme si elle ne pouvait plus, à partir de là, qu’osciller sans arrêt entre les deux pôles des substances qui ont été distinguées par Descartes. Une fois que le dualisme est posé, il autorise tous les « choix » monistes, selon qu’on se fonde sur l’un ou l’autre de ses côtés — ou de ses subdivisions internes – pour apparemment le réfuter, mais sans mettre en cause la position du problème qui met ses réfutations en échec. Or la position du problème n’est pas donnée par une simple conception philosophique parmi d’autre, mais par l’effectivité que lui confère l’émergence historique de nouveaux rapports de production.

Le dualisme de Descartes ouvre doublement la voie à la philosophe de l’esprit et au matérialisme scientifique sous la caution encore puissante du divin qui lui sert de troisième terme, avant que, comme un étai, celui-ci ne tombe ultérieurement sous les coups du positivisme scientifique. Bien que Descartes concède à l´Église l’idée de Dieu, sa philosophie permet déjà de la rendre caduque : en voulant servir l´Église et la pensée mathématique moderne, il veut servir deux maîtres à la fois, mais le second pourra discrètement triompher en faisant tomber la caution religieuse dans les siècles suivants. Les théories matérialistes et les théories idéalistes vont alors se partager le terrain d’un dualisme où la garantie ultime de leur rapport fait défaut. Le simple fait de poser la question de la réalité du monde extérieur, qui institue un sujet et un objet séparés et qui est la grande entreprise de Descartes, ceci est une question moderne absente de l’univers antique. Une fois posée, elle jette le doute alternativement sur l’existence de la substance étendue et sur celle de la substance pensante. Le doute cartésien en est un témoignage angoissé qui sera suivi de nombreux autres, se débattant dans les termes posés par lui. Que Dieu vienne chez Descartes sauver l’affaire in extremis ne résout pas les problèmes qui émergent avec la signification moderne de la science, et qui sont d’autant plus prégnants lorsque Dieu est effacé de la démonstration. Les débats invraisemblables qui agitent aujourd’hui le constructivisme et le naturalisme sont la forme la plus récente de cette longue obsession.

Il ne peut y avoir de monisme « continuiste » que là où la question métaphysique de la différence des substances ne se pose pas, par exemple dans les ontologies non occidentales décrites par Philippe Descola [5]. Mais une fois établie dans la réalité des rapports sociaux, le dualisme est un fardeau que chacun va s’acharner à réfuter par les constructions les plus réductionnistes : plus personne ne peut échapper à la « malédiction » cartésienne. Ce n’est pas la faute de Descartes s’il en est ainsi (contrairement à un cliché bien commode), mais bien à la forme sociale dans laquelle sa formulation du problème prend toute son importance.

D’où vient cette thématique moderne ? Distinguer des propriétés irréductibles par le moyen du langage n’est pas encore diviser le monde en deux substances incommensurables dont le rapport pose problème [6]. Le dualisme cartésien est autre chose que la différenciation animé/inanimé et conscient/non-conscient qui caractérise les formes élémentaires de la perception humaine, et donc de l’autoposition différentielle du signifiant. Le fait que nous puissions différencier entre une pierre et un chat, ou entre un chat et soi-même comme être pensant, de même qu’entre un signifiant et un autre, n’implique pas nécessairement les affres du dualisme. On ne décèle pas d’angoisse chez Platon à l’idée que l’âme puisse se mélanger au corps (ou exister indépendamment de lui selon sa théorie). Les matérialistes antiques, quant à eux, résolvent l’angoisse de la finitude d’une manière plutôt simple : Épicure prône une ataraxie « hédoniste », en disant que, par définition, nous ne pouvons pas souffrir d’être mort, c’est-à-dire d’un état où nous ne sentons rien ; il ne sert donc à rien de se soucier de notre mort tant que nous sommes en vie. Le dualisme cartésien manifeste en ce sens quelque chose de radicalement nouveau, une inquiétude que porte avec elle la science moderne naissante en train de se dégager de la scolastique : un doute radical sur la possibilité de savoir, en même temps qu’une exigence nouvelle de fonder le savoir qui est rendue nécessaire par les nouvelles conditions sociales.

Hegel et le « savoir absolu »

La philosophie classique constitue une longue explication avec le problème posé par Descartes, passant par Locke et Hobbes jusqu’à Pascal, Leibniz, et Spinoza pour culminer avec Kant et Hegel. Ces derniers, de manière très différente, vont tenter une nouvelle approche du problème de la connaissance qui est sans précédent et sans successeur du point de vue de leur exigence de systématisme. Hegel en constitue le point d’orgue. Tous ceux qui lui succèdent, voire croient le réfuter, ne font que retomber dans l’une ou l’autre des « fixations d’entendement » que Hegel avait voulu fluidifier. Hegel nous met au pied du mur en accomplissant une démonstration par l’absurde que son système est à la fois le plus vrai que puisse produire une exigence de rendre compte du réel à la hauteur des enjeux modernes, et le plus intenable aussi, c’est-à-dire incapable de tenir sa promesse dans les conditions données. (Or dans des conditions historiques différentes, il n’aurait probablement ni tort ni raison, car il n’aurait pas lieu d’être, ou bien il n’aurait aucune portée particulière.) Hegel a toujours raison parce que sa méthode reste vraie même là où ses analyses se sont avérées fausses, et il a toujours tort parce que sa méthode est l’antithèse absolue de ce que la science moderne met au fondement de son effectivité. Autrement dit : la raison ne peut que donner raison à Hegel, mais les faits lui donnent tort — ce qui en retour pose la question vertigineuse de la validité d’une exposition rationnelle qui se trompe aussi fort en ayant tellement raison… 

Le système de Hegel s’édifie sur le constat que son époque et son lieu géographique enregistrent une division (Entzweiung) d’ordre vital impliquant le besoin philosophique de lui restituer son unité vivante [7]. Cette unité n’est pas accessible de manière immédiate, par l’intuition subjective ou l’effusion religieuse. Le « système du savoir » est l’effort que propose Hegel pour reconquérir la totalité brisée, antidote spéculative au mouvement de division qui s’est historiquement amorcé.

« L’identité de l’identique et du non-identique » n’est pas l’affirmation vulgaire que « tout est identique », mais une méthode qui pose la relation en devenir de tout avec tout. L’historicité est comprise dans un sens transcendantal ; la chose est toujours déjà autre qu’elle-même dans le mouvement même de la négativité. Loin de vouloir par ce moyen résorber le non-identique dans l’identique — comme on n’a eu de cesse de le lui reprocher de tous les côtés depuis deux siècles — Hegel s’est aperçu qu’il était impossible de passer outre la « séparation suprême » (comme il l’appelle), une fois posée, mais qu’il était tout aussi impossible d’ignorer l’ensemble des solutions unilatérales qui avaient tenté de la surmonter, en vain. Il fallait donc les prendre ensemble en postulant leur unité spéculative en devenir (et non leur unité immédiate). La méthode est la chose même : dès que le discours entre en scène, il contient déjà en lui les deux moments de cette opposition ; il est à la fois effet de ce qui le précède et cause de son propre savoir. Attribuer à la méthode dialectique la prétention de vouloir résorber le contingent et l’accidentel dans « l’absolu » est une objection imaginaire, attachée à la défense hypostasiée du contingent, la même objection en somme que celle adressée à une psychanalyse mal comprise, où tout doit être « expliqué ». Hegel n’a pas de mots assez durs contre de telles ratiocinations. Il n’a jamais prétendu qu’il n’y avait pas de singulier ni de contingence, il a simplement dit que rien ne tombe en dehors du tout, pour autant que le tout est conçu comme système dynamique du savoir et non comme totalité immobile faisant face au sujet connaissant. Dès lors que la contingence est constituée dans le concept, elle est articulée au nécessaire. Lorsqu’elle n’est pas constituée dans le concept, il n’y a rien à en dire et rien n’en est dit : elle n’existe pas comme savoir [8]. Une affirmation posant l’absolu ou l’en-soi comme séparé est vide et sans objet. Le pathos kantien d’une chose en soi inconnaissable n’échappe pas à ce verdict [9].

Le système du savoir n’est pas donné par une table des catégories — dont Hegel dénonce le caractère formel et arbitraire dans la tradition qui va d’Aristote à Kant — mais il est donné par « le mouvement se déterminant et se réalisant lui-même » [10]. Ce mouvement n’a pas de commencement absolu ; le commencement se donne dans la rétrogrédience dialectique de son autoposition ultérieure. Le commencement du penser n’est pas identifiable à la subjectivité réfléchissante, dans la mesure où cette subjectivité est elle-même médiatisée par l’histoire de l´Esprit dont elle n’est qu’un moment contingent. Le penser a toujours commencé avant nous, même s’il faut se mettre à penser pour qu’il acquiert après-coup son fondement réel. En ce sens, la méthode dialectique n’est qu’une infinie explicitation logique du concept avec lui-même dont les doctrines philosophiques ne sont que des figures particulières.

Contrairement à la terreur qu’inspire le mot « d’absolu » qu’emploie Hegel pour nommer le terme de ce déploiement, cette négativité ne connaît pas de « résolution » autre que le fait pour « le savoir absolu » de « séjourner dans le négatif » au terme de son parcours, qui n’est pas un terme chronologique mais logique. Le terme de l’histoire de l´Esprit est une sorte de retour au commencement, débarrassé des fixations de la pensée représentative, et qui se tient à la hauteur du négatif, son élément absolu. Le « savoir absolu » consiste ainsi à cesser de poser l’une à côté de l’autre des déterminations unilatérales (que Hegel définit comme abstraites), pour avoir reconnu leur rapport dialectique qui est celui du réel lui-même. Il n’y pas de rapport de précession entre le réel et le penser, ou plutôt, ce qui les oppose à première vue est un rapport mouvant de négativité à soi-même, sans arrêt en train de se sursumer à travers son engendrement historique. Tout comme Lacan dit qu’il faut qu’il y ait « de l’analyste » pour qu’il y ait analyse, il faut « du philosophe » pour qu’il y ait du concept. Et là où il y a « du philosophe », alors il est requis d’être à la hauteur de son objet, qui n’est pas un objet tombant en dehors de lui et impuissant à se laisser déterminer (comme la chose en soi kantienne), mais bien déterminé de manière interne par le concept, qui dès lors enrôle le penser philosophique dans son propre mouvement. La particularité et la contingence du penser déterminé constituent un moment lui-même médiatisé de ce tout en mouvement. Le sujet de la conscience n’est pas l’origine et la fin de ce processus.

Hegel se met ainsi en rupture avec le projet moderne de la mathesis universalis, qui postule une intelligibilité complète du réel par la science sur la base de la séparation des substances (et du rapport jamais résolu qu’elles entretiennent entre elles). Il contredit cette séparation en affirmant une autre voie de méthode qui aurait pu être empruntée par la science si celle-ci avait pris au sérieux son propre présupposé fondamental, celui de la séparation des substances. Elle se serait alors mise irrémédiablement en contradiction avec elle-même : c’eût été son arrêt de mort.  En effet, la science moderne ne peut pas faire autrement que d’objectiver l’étendue (la nature) pour pouvoir lui faire subir les mesures qui qualifient sa nouvelle intervention sur elle ; l’idéologie de la connaissance des lois objectives de la nature et de leur maîtrise pratique est extérieure à son objet et totalisante, elle procède par accumulation de résultats séparés — Hegel la dénoncera au titre du « mauvais infini ».

Ce faisant, comme c’est déjà explicite chez Descartes, la science moderne objective du même coup le sujet de la connaissance dont elle fait un Sujet (que Lacan appellera le « sujet de la science »), lequel se trouve à son tour empêtré dans le problème insoluble de sa communauté de substance avec l’objet étudié. Dans le rapport aporétique à la connaissance où le jette l’objectivation moderne de la nature, le sujet est irrémédiablement à la fois la chose pensée et la chose pensante, immanence et transcendance. Il est impossible de résoudre cette aporie par le moyen de ce que Hegel appelle la pensée représentative ou pensée d’entendement. Hegel identifie très exactement dans la séparation initiale le cœur du problème et le seul qui soit finalement à traiter. Ce faisant, il déboute radicalement la prétention des science positives à être science (sans nier leur apport local), et prétend leur substituer la méthode philosophique qui est selon lui le véritable et le seul « système de la science ». Mais sans le savoir, loin de clôturer la philosophie, il la jette dans une crise aussi profonde que l’ensemble du monde moderne. Sa logique en constitue le miroir inversé, ce pourquoi elle en manifeste une impossibilité. En substituant au triomphalisme progressiste des Lumières une méthode fondée sur l’explicitation négative des déterminations du réel par lui-même, cette méthode met la modernité en contradiction avec le fondement qu’elle s’est donnée, tout en prétendant lui fournir la méthode philosophique qui la sauvera. 

Hegel n’est pas conscient d’accomplir ce tour de force ; ce n’est que par esprit de conséquence qu’il remonte à la contradiction inaugurale de la science, sans toutefois la transcender. La transcender reviendrait à rendre à son tour impossible le système du savoir hégélien, pris à la racine, en tant que ce dernier constitue l’explicitation inversée du présupposé scientifique moderne. Pour cette raison, on peut dire que le système hégélien est la plus magistrale démonstration par l’absurde de l’impasse de la science moderne. Il démontre que si on prend au sérieux son présupposé totalisant, on ne peut que la destituer et lui-même avec, en tant qu’il cherche à la réfuter. Si on ne prend pas ce présupposé au sérieux, on le laisse exister et se renforcer en valorisant abstraitement et vainement le fragmentaire, comme y excellent les théories postmodernes. Celles-ci servent finalement à la science, sans la déranger, ce qu’elle promeut sous la forme du mauvais infini. Dans le domaine de la technoscience, les « technologies de convergence » sont la dernière expression de ce concassage du réel en poussière d’éléments reconfigurés ensuite dans une aggrégation extérieure. Toutes les sciences particulières, qu’on les dise sciences de la nature ou sciences de l’esprit, qu’on les dise dures ou molles, humaines ou exactes — toutes ont continué exactement sur la même lancée jusqu’à aujourd’hui, comme si Hegel avait parlé dans le vide, chacune croyant parler pour elle-même et définir son périmètre en toute modestie, mais collaborant à son insu avec le « mauvais infini » technoscientifique. Car ce n’est pas le « savoir absolu » de Hegel qui nous menace de totalitarisme, mais la technoscience qui atteint au XXe et au XXIe siècle des niveaux d´effectuation terrifiants. Ils persistent à être présentés comme des progrès dans le savoir, alors qu´ils se fondent sur l´ignorance la plus complète de leurs présupposés historiques et de la séparation réelle qui les constitue.

Pourquoi une telle résistance à la méthode hégélienne, si elle permet de redéfinir la nature de notre impasse ? La tentative marxienne de « remettre Hegel sur les pieds » se prend les pieds dans la dialectique, en ce sens que Hegel n’a rien à objecter au matérialisme, si ce n’est qu’il est aussi un produit de la représentation issue d’une séparation dans le concept : en ce sens, le matérialisme est un idéalisme qui s’ignore. Cela n’empêche pas, selon Hegel, la nature d’exister en dehors de nous et cela n’empêche pas Marx d’avoir mis le doigt sur l’impensé historique de Hegel en l’espèce des rapports de production capitalistes. L’objection de Nietzsche visant à réhabiliter l’« innocence du devenir » de sa préemption spéculative tombe pareillement à côté du problème, car Hegel est un penseur de la liberté et non un historiciste déterministe qui prétendait conduire l’Histoire vers une forme préalablement définie selon des critères extérieurs. Lorsque Freud reprend à Heinrich Heine, en visant Hegel, la fameuse formule sur le philosophe qui « avec ses bonnets de nuit et les lambeaux de sa robe de chambre bouche les trous de l’édifice universel », il ne fait lui aussi que colporter la plus grossière conception qu’on peut se faire du « système du savoir », assimilée à une totalisation sans reste, empressée de boucher les trous du réel. Il n’est pas jusqu’à Adorno qui, avec sa dialectique négative, ne prétende être plus malin que Hegel (lui aussi), en ne faisant pourtant qu’interrompre le processus dialectique sur l’un de ses moments constitutifs. « Dialectique négative » est une contradiction dans les termes qui, soit tombe encore sous le coup du penser spéculatif de Hegel, soit reverse dans une fixation négative qui ne mérite plus le nom de dialectique [11]. Le mot de Foucault selon lequel « toute notre époque… essaie d’échapper à Hegel » diagnostique ainsi la terreur qu’inspire une pensée qui a véritablement mis, au tournant de la modernité, le doigt sur le problème et qui ne cesse de venir hanter les modernes et les postmodernes [12] et constituer pour eux une véritable « figure-repoussoir » [13].

« L’identité du discours avec ses conditions » [14]

Il n’y aucun doute sur le fait que l’œuvre de Lacan contient des réminiscences hégéliennes, souvent amenées sous forme de dénégation. C’est comme s’il lui avait emprunté plus qu’il ne veut l’admettre. Pourquoi donc doit-il s’en défendre ? Sa notion de réel comme « impossible à dire » est en rapport de tension interne avec celle de structure, à laquelle l’acte analytique aurait à s’égaler [15] — acte qui ne peut être qu’un dire, mais pas n’importe quel dire, rappelons-le ! Je cite un passage du séminaire D’un Autre à l’autre (1968-1969) qui accorde son poids à cette réminiscence hégélienne : « Une règle de pensée qui a à s’assurer de la non-pensée comme de ce qui peut être sa cause, voilà ce à quoi nous sommes confrontés avec la notion de l’inconscient. » [16] La psychanalyse ne consiste pas en l’affirmation d’un ineffable que seul le silence pourrait honorer, mais en un effort de dire ce dont Lacan affirme par ailleurs que c’est impossible à dire parce que situé, comme cause, en dehors du penser. Toute la question tourne autour de savoir où se situe le discours sur « l’impossible » : en-deçà ou au-delà, dans l’immanence de ce dire ou dans une transcendance ? Il faudrait être situé au-delà pour que « l’impossible » devienne l’objet d’une affirmation. Je ne pense pas que ce soit l’intention de Lacan. Faute de faire l’objet d’une telle affirmation, « l’impossible » est une pierre d’achoppement, toujours déjà reprise dans le signifiant, à la fois butée réelle et logique signifiante, et ce, de manière indissociable.

Il ne peut s’agit en aucun cas d’un culte de l’intuition, de l’ineffable ou de l’immédiat, ni de la vérité qui sortirait des tripes, et pas même un culte du « n’importe quoi ». Certes, beaucoup de successeurs de Lacan se sont crus autorisés à pratiquer le « n’importe quoi » en guise de contournement de l’imaginaire. Or l’essentiel est qu’on ne peut pas contourner l’imaginaire, sauf à le renforcer d’autant. C’est ce contre quoi Lacan met en garde dans Les non-dupes errent lorsqu’il dit qu’« il faut être dupe, c’est-à-dire coller, coller à la structure » et ajoute : « Et plus encore : dupe sans me forcer » [17]. Pour Lacan, il y a deux façons de nourrir ce qu’il appelle la « connerie » (qui est la duperie au second degré) : l’une en se croyant plus malin que le commun, l’autre en faisant exprès de faire l’idiot.

S’égaler à la structure par un dire impossible à dire, comment comprendre cette proposition ? Lacan distingue ici entre un dire qui serait inscrit dans le réel et un dire qui n’est que ratiocination « tournant autour du pot », comme on dit. C’est aussi la différence entre un acte de parole et un bavardage. On y reconnaît la différence hégélienne entre pensée rationnelle et pensée d’entendement. Sur le plan clinique, cette distinction est décisive. Qu’est-ce qui est plus réel ? Ce qui ne cesse de se prétendre impossible ou ce qui tente le tout pour le tout ? Faut-il s’arracher la langue pour être plus réel que le plus commun des bavardages ? Faut-il, sautant par-dessus les trois registres (dont Lacan ne cesse de dire qu’ils sont équivalents et noués entre eux), se croire de plain-pied dans le réel pour y être, fût-ce au titre d’une jouissance qui serait la vérité dans le corps d’une parole foncièrement menteuse ? Les développements de Lacan dans les années 70 mettent en évidence qu’on ne peut jamais être quitte de ce problème, qu’il n’y a pas moyen d’enjamber l’imaginaire et qu’on n’est jamais si englué dans l’imaginaire que lorsqu’on croit lui échapper. Tel est le sens de la proposition — clinique — de coller à la structure, ou encore de dire un impossible à dire : on ne s’en tirera pas en se gonflant de « l’impossible ». Il est impossible de ne pas repasser, sans arrêt, par la chaîne signifiante, et il y a pour le sujet une position à y tenir.

Au cours des années 1970, Lacan parle tour à tour d’un « savoir dans le réel » [18] et d’un « inconscient qui sait » [19]. S’il ne s’agit pas du même savoir, on ne peut identifier l’inconscient et le réel — comme le fait par exemple Colette Soler [20] — mais on peut mettre en évidence la dépendance de l’un à l’égard de l’autre sous la forme d’une forclusion du sujet de la science dont le sujet de l’inconscient est un effet. Le sujet de l’inconscient a à prendre acte de ce dont il est un effet. « Coller à la structure », c’est cela.

L´ « avènement du réel » [21] est celui que porte la science, dans un mouvement cumulatif qui creuse son trou au fur et à mesure qu’il poursuit sa propre clôture ; il se rapproche ainsi de son propre noyau d’impossibilité. Pressant le monde comme un citron jusque à la dernière goutte, la science moderne, inapte à interroger ses propres conditions, qu’elle poursuit sur le mode de l’addition extérieure de résultats séparés, produit du déchet ; eh bien le sujet de l’inconscient est lui aussi le déchet de cette opération, supporté par l’analyste qui s’en fait le « rebut ». Plus la science presse le réel pour en tirer du savoir, plus elle tourmente le sujet de l’inconscient, son reste, divisé entre souveraineté et assujettissement comme sujet de la science et sujet de l’inconscient, les deux étant structurellement incapables de se rejoindre. Cela a été posé par la distinction cartésienne des substances.

Lacan définit l’inconscient comme un savoir, c’est-à-dire un « effet de signifiant » [22] avec lequel la psychanalyse apprend chacun à se débrouiller. Un savoir tributaire du discours scientifique mais non identique à lui. « Ce que j’ai appelé le savoir absolu dans l’occasion c’est ceci : c’est simplement qu’il y a du savoir quelque part — pas n’importe où — dans le réel, et ceci grâce à l’existence apparente…  c’est-à-dire chue d’une façon dont il s’agit de rendre compte… l’existence apparente d’une espèce pour laquelle, je l’ai dit, il n’y a pas de rapport sexuel. » [23]  Le non-rapport sexuel serait, au moins dans les dernières années de l’enseignement lacanien, ce que fait choir la science en dehors d’elle ; le « savoir absolu » est aussi bien du côté de cet échec scientifique à démontrer le rapport sexuel que du recueil de cet échec dans la cure analytique.

Cette réminiscence faussement hégélienne du savoir absolu n’est pas innocente. Elle est comme un défi envoyé au Hegel du savoir absolu qui ne cesse de hanter Lacan autant que ses contemporains [24]. Lacan semble objecter à Hegel que le seul savoir absolu, c’est donc le savoir du ratage, en quoi il se fait ici phénoménologue, contre Hegel, sans remarquer peut-être que Hegel l’attend au tournant. Que dit Hegel ? Il décrit la déchirure de la conscience et « l’aller à l’abîme », parcours tragique au terme duquel le savoir absolu (ainsi nommé dans la Phénoménologie) peut « séjourner dans le négatif » : « Le savoir ne connaît pas seulement soi, mais aussi le négatif de soi-même ou sa limite. Savoir sa limite signifie savoir se sacrifier. » [25] Le savoir absolu est celui qui peut se perdre librement dans la contingence naturelle et historique, et s’y retrouver. Il ´est pas un contenu atteint une fois pour toutes, mais le savoir de ce mouvement qui ne craint plus de s’y perdre.

En identifiant le ratage au ratage sexuel qui serait une impossibilité de structure, Lacan ouvre la porte à une fixation logique qui reperd la notion d’un devenir historique dans lequel ce ratage s’inscrit (en tant que symptôme « qui ne cesse pas de s’écrire »). Isolée de sa matrice historique, la structure tend à s’identifier avec l’inconscient, bien que Lacan s’efforce par ailleurs de distinguer théoriquement, je l’ai dit, savoir dans le réel et savoir inconscient. Faute de cette distinction — parfois perdue de vue par Lacan lui-même et plus encore par ses successeurs — le ratage de structure est absolutisé. Il n’est pourtant que l’autre nom de l’échec d’une exigence à s’égaler au savoir absolu, qui est le fantasme moderne par excellence : celui de produire un énoncé vrai et définitif (notamment sur le rapport entre les sexes) qui aurait le caractère vérifiable d’un énoncé scientifique ou le caractère apodictique d’une proposition irréfutable. Il ne faut pas être grand clerc pour dire, avec Lacan, que cette exigence ne peut que rater. Mais c’est la visée totalisatrice de la science qui est à mettre en cause, et non le ratage, son effet inéluctable, qui est à hypostasier.

Comme le pressent Lacan, l’impossibilité d’écrire le rapport sexuel est un effet du discours de la science. Cette contextualisation historique est à distinguer d’une sorte d’énoncé intemporel qui serait une nouvelle version d’un discours sur la nature humaine. La désexualisation moderne de la reproduction humaine et la privatisation afférente de la rencontre sexuée, qui l’arrache tendanciellement à toute inscription dans un ordre symbolique, est bien incapable, en effet, de démontrer le rapport sexuel comme nécessaire. Lacan ne fait donc que tirer la conséquence qui s’impose du réel de la science. Mais dès lors que l’exigence d’un énoncé vrai est désavouée — ce que fait aussi Hegel en identifiant le mouvement du réel avec celui de la raison — il n’y pas « ratage » culminant mais il y a le mouvement infini de la négativité dans l’élément du devenir. La réconciliation tant décriée par une postérité prise de panique n’est jamais chez Hegel la réconciliation imaginaire de la pensée avec son objet (qui est au contraire ce que visent les sciences positives sous une forme asymptotique dont le prix est une destruction croissante de leurs propres conditions), mais la sursomption logique du mouvement réel dont le penser consent à épouser le mouvement, c’est-à-dire à s’y perdre, ou pour parler comme Lacan, à s’y égaler. Y coller en s’y inscrivant ou s’y perdre et y séjourner, jouent le même rôle dans la structure.

Il me semble donc que plus Lacan insiste sur le réel de la structure [26], plus il emprunte à Hegel, et plus il insiste sur l’impossible à dire, plus il fait de la phénoménologie. Mais si on comprend l’impossible à dire comme l’autre nom de la négativité, et non comme un prétexte à renoncer à s’égaler à la structure — puisqu’il s’agit au contraire d’y coller — alors cette apparente incohérence est levée. La condition en est de ne pas identifier inconscient et structure. L’inconscient se détermine à partir de la position prise dans la structure par le sujet de l’inconscient, position où ce dernier est inapte à compléter le savoir scientifique [27], puisqu’il se trouve « en exclusion interne à son objet » [28]. Le savoir scientifique se caractérise par sa prétention cumulative à dire le tout, en quoi il fabrique de l’impossible, toujours plus d’impossible. Ainsi, la science creuse sa propre tombe au nom même de sa conquête du tout. L’impossible constitue le terme de la science et la condition du sujet de l’inconscient, mais en aucun cas l’alibi de la psychanalyse.

Certaines interprétations de Lacan conduisent à la promotion tout à fait problématique de la catégorie de « réel ». Le réel indiquerait un au-delà du symbolique et de l’imaginaire prétendument visé par la cure, quelque chose qu’on obtiendrait par décantation du sens qui trompe et qui ment. Miller parle ainsi d’un réel hors sens et hors savoir qui serait le bout de la cure. Il croit déceler chez le Lacan tardif un ravalement du symbolique au profit d’une position dite par lui de « préférer le réel ». L’impossible à conclure devient le gage d’un réel comme Un, soit contingent et sans liaison avec le reste [29]. Ceci me paraît en contradiction avec les tentatives de Lacan dans le séminaire RSI autour de la mise en équivalence et du nouage des trois registres. Tentatives qui par ailleurs ne sont pas univoques et témoignent plutôt d’un embarras que d’une voie royale vers le réel !

Hegel et Lacan ont voulu débouter le réel totalisant de la science, l’un en promouvant le processus infini de la négativité, l’autre en indiquant son noyau d’impossibilité au cœur même de l’analyse (prise par le côté de ce que Freud a nommé son caractère interminable : le « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » du rapport sexuel). Chacune des deux tentatives reste cependant barrée par sa propre dépendance historique à son objet, dont elle tire ses conditions et qu’elle ne sait transcender. Aussi il n’y a pas de raison de transformer le « savoir absolu » de Hegel en absolutisation d’un résultat, étrangère à son intention. Et il convient pareillement de ne pas absolutiser le « savoir inconscient » comme la formule aboutie d’une nouvelle vérité intangible sur le sexe. Ce sont bien plutôt deux voies de méthode, l’une prise par le côté de l’objet, l’autre prise par le côté du sujet — toutes deux issues de la séparation des substances — qui se rapportent au réel de la science et en font éclater l’impasse de l’intérieur, en épousant le mouvement de la Chose même. Interrogé par un auditeur sur ce qu’il entendait par le réel, Lacan — pris au dépourvu — répondait en 1953 : « le réel est ou la totalité, ou l’instant évanoui. » [30] On trouve encore les traces de cette réponse mi-figue mi-raisin, mi-hégélienne mi-phénoménologique dans les développements tardifs.

Sandrine Aumercier, Mai 2023

Origine : Grundrisse. Psychanalyse et capitalisme


[1] Ce texte est la version écrite d’un exposé présenté au colloque Lacan hégélien ? organisé à Paris par la Lysimaque les 13 et 14 mai 2023.

[2] Voir Pierre-Jean Labarrière, Gwendoline Jarcyk, « Absolu/sujet. Le logique, le dialectique et le spéculatif », dans Laval théologique et philosophique, vol. 51, n° 2, juin 1995 ; Pierre-Jean Labarrière, « Savoir absolu : sur deux vers de Schiller », Revue internationale de philosophie, 2007/2, n° 240 ; Jean-François Kervégan, « La liberté du concept », dans Studia Hegeliana, vol. III, 2017 ; Jean-François Kervégan, « Qu’y a-t-il d’absolu dans le savoir absolu ? » dans Christophe Bouton, Emmanuel Renault (sous la dir.), Lire La phénoménologie de l’esprit de Hegel, Paris, ENS Éditions, 2022.

[3] Tels celui d’une « aspiration hégélienne à un savoir absolu, qui ne saurait être manquant » par une auteure qui pense réfuter Hegel avec Lacan sans prendre la peine de citer Hegel une seule fois : Jessica Tran The, « La critique lacanienne du savoir absolu de Hegel : enjeux pour une distinction épistémologique du rapport au savoir entre psychanalyse et philosophie », L’en-je lacanien 2018/1, n° 30, p. 163.

[4] Voir Sarah Broadie, « Soul and Body in Plato and Descartes », dans Proceedings of the Aristotelian Society, 102, 2001.

[5] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

[6] Contrairement au raccourci de Paul Bloom lorsqu’il affirme que nous sommes « naturellement cartésiens — la pensée dualiste nous vient naturellement », car il en va selon lui d’un caractère sélectionné par l’évolution de l’espèce humaine. Voir Paul Bloom, Descartes’ Baby: How the Science of Child Development Explains What Makes Us Human, Basic Books, 2009 [2004], Préface, p. xii.

[7] Georg W. F. Hegel, La différence entre les systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling, Paris, Vrin, 1986, p. 109 : « La division en deux est la source du besoin de la philosophie et, en tant que culture d’une époque, l’aspect dénué de liberté, ou donné de la forme. » ; p. 110 : « la division en deux nécessaire est un facteur de la vie, qui se forme par une opposition éternelle, et la vie suprême ne connaît de totalité que restaurée à partir de la séparation suprême. »

[8] Georg W. F. Hegel, La phénoménologie de l’esprit, Paris, Gallimard, 1993. P. 149 : « [L’objet] est indifférent au fait qu’il se trouve su ou non ; il demeure même s’il ne se trouve su ; mais le savoir n’est pas quand n’est pas l’objet. »

[9] Ibid., p. 324 : « Qui seulement opine et prétend ne pas avoir le mot juste se dissimule qu’en fait il lui manque la Chose, i.e. le concept ; si celui-ci était présent-là, il aurait aussi son mot juste. »

[10] Georg W. F. Hegel, Science de la logique. La logique subjective ou doctrine du concept, Paris, Aubier, 1981, p. 371.

[11] Voir Alain Patrick Olivier, « Une philosophie de la non-identité est-elle possible ? », Trajectoires, Hors-série n°4, 2020 ; Emmanuel Renault, « Sujet-objet : le dispositif Hegel-Kant », Cahiers philosophiques, n° 154, 2018/3.

[12] Voir Karl Marx, Le CapitalLivre I, Paris, PUF, 1993 [1867], p. 17 : « Pour Hegel, le procès de la pensée, dont il va jusqu’à faire sous le nom d´Idée un sujet autonome, est le démiurge du réel, qui n’en constitue que la manifestation extérieure. Chez moi, à l’inverse, l’idéel n’est rien d’autre que le matériel transposé et traduit dans la tête de l’homme. » ; Friedrich Nietzsche, Fragment 7, 1883 : « Point de vue le plus important : parvenir à l’innocence du devenir en excluant les finalités. Nécessité, causalité — rien de plus ! » ; Sigmund Freud, Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Septième conférence : « Avec ses bonnets de nuit et des lambeaux de sa robe de chambre, il [le philosophe] bouche les trous de l’édifice universel. » ; Theodor W. Adorno, Dialectique négative ; Michel Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 74-74 : « Toute notre époque, que ce soit par la logique ou par l’épistémologie, que ce soit par Marx ou par Nietzsche, essaie d’échapper à Hegel. […] le recours contre [Hegel] est encore peut-être une ruse qu’il nous oppose et au terme de laquelle il nous attend, immobile et ailleurs. » Voir aussi Jean-Baptiste Vuillerod, « Introduction générale : Hegel et nous », dans La naissance de l’anti-hégélianisme, Paris, ENS Éditions, 2022.

[13] Voir Bernard Mabille, Hegel. L’épreuve de la contingence, Paris, Aubier, 1999, p. 7.

[14] Jacques Lacan, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 17.

[15] Voir Jacques Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001 [1967], p. 338 : « Or c’est bien dans la pratique d’abord que le psychanalyste a à s’égaler à la structure qui le détermine non pas dans sa forme mentale, hélas ! c’est bien là qu’est l’impasse, mais dans sa position de sujet en tant qu’inscrite dans le réel : une telle inscription est ce qui définit proprement l’acte. »

[16] Jacques Lacan, D’un Autre à l’autre, op. cit., p. 13.

[17] Jacques Lacan, Les non-dupes errent1973-1974, respectivement séance du 13 novembre 1973 et séance du 20 novembre 1973, inédit.

[18] Jacques Lacan (1973), « Note italienne », dans Autres Ecritsop. cit., p. 308 et 309 ; Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre xxiv, « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre », séance du 15 février 1977, inédit.

[19] Jacques Lacan, Les non-dupes errentop. cit., séance du 11 décembre 1973.

[20] Colette Soler, Lacan, l’inconscient réinventé, Paris, PUF, 2009.

[21] Jacques Lacan, « Télévision », dans Autres Ecrits, Paris, Seuil, p. 536.

[22] Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre xxiv, « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre », séance du 11 janvier 1977, inédit, p. 55 (version P. Valas).

[23] Ibid., p. 118.

[24] Lacan oscille entre la dénonciation du savoir absolu lorsqu’il s’adresse aux étudiants en philosophie et, ailleurs, le crédit fait à Hegel d’avoir promu le savoir absolu comme « savoir de la mort » qui serait celui du maître, toujours selon la version de la lutte à mort dont Kojève s’est fait le grand porte-parole. Il est pour le moins psychologisant et contraire à la méthode dialectique d’épingler ainsi l’une des figures de la Phénoménologie, relativement mineure au demeurant, et de manquer de commenter la structure de la négativité hégélienne. Hegel était le penseur du mouvement dialectique, non le penseur d’une figure anthropologique. Voir Jacques Lacan, « Réponses à des étudiants en philosophie », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 204 ; Jacques Lacan, L’acte analytique, séance du 17 janvier 1968, inédit.

[25] Georg W. F. Hegel, La phénoménologie de l´espritop. cit., p. 693.

[26] Jacques Lacan, D’un Autre à l’autre, op. cit., p. 30 : « La structure est à prendre au sens où c’est le plus réel, où c’est le réel même. […] Ça se détermine en général par convergence vers une impossibilité. »

[27] Voir René Lew, Positions subjectives données comme psychotiques, Paris, Lysimaque, 2017, p. 41 : « Il n’y a qu’une seule structure du sujet. »

[28] Jacques Lacan, « La science et la vérité », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 861.

[29] Jacques-Alain Miller, « Le réel est sans loi », La cause freudienne, n° 49.

[30] Jacques Lacan, « Le symbolique, l’imaginaire et le réel », conférence prononcée le 8 juillet 1953 devant la Société française de Psychanalyse.

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