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In Memoriam Robert Kurz (1943-2012)

Claus Peter Ortlieb

(Extrait)

Robert Kurz est décédé le 18 juillet 2012 à l’âge de 68 ans. Tout indique que l’influence de l’œuvre de sa vie se poursuivra longtemps après sa mort. Tant les écrits qu’il a laissés (une liste de ses textes les plus importants est jointe en annexe, ainsi qu’une bibliographie en français) que l’influence directe que Robert Kurz a exercée sur les personnes qui l’ont connu, ce qui est évident dans de nombreuses nécrologies. Une influence qui résultait essentiellement d’un rapport à ses connaissances et à ses convictions qui ne pouvait être corrompu ou instrumentalisé, comme le note Daniel Späth : « Depuis que je le connais, je ne l’ai jamais vu jouer de sa position théorique exceptionnelle en faveur d’intérêts tactiques de pouvoir ou considérer la critique comme un lieu de réalisation de sensibilités personnelles ; l’arrogance et la fixation de l’ego lui étaient profondément étrangères. Le fait que cette accusation soit portée contre lui de temps à autre par certains compagnons de route doit, dans une certaine mesure, être attribué à un désir de déplacer les différences objectives de contenu et leurs formes de décision nécessairement véhémentes sur le plan personnel. Car aussi polémiques que soient ses textes et ses livres, il émanait de son esprit raffiné et de son caractère inexorable et convaincant, une dispute sur le contenu et sa transformation en critique radicale, et non le besoin d’une autopromotion dans une simple dénonciation. Quel que soit le nombre de confrontations violentes et parfois désagréables, à son grand regret, que Robert Kurz a menées et a dû mener dans et avec la gauche, il n’a jamais perdu l’espoir que la gauche se débarrasse une fois pour toutes de ses vestiges bourgeois, afin de réaliser enfin le projet d’une ‘‘antimodernité émancipatrice’’ ».

C’est l’unité entre l’œuvre et la personne et, parallèlement, l’absence de recherche de pouvoir et de vanité personnelle qui ont fait l’impact de Robert dans son domaine d’action et dans les projets auxquels il a participé, mais qui lui ont aussi valu des ennemis, comme l’a noté Herbert Böttcher dans son éloge funèbre :

« Le défi de la souffrance humaine n’a pas fait de Robert un moraliste, mais il lui a donné matière à réflexion. Elle l’a conduit à une analyse qui lui a permis de reconnaître ce qui constitue le mal de la situation dans l’histoire du capitalisme : la valorisation de la valeur comme une fin en soi irrationnelle, et ‒ en reprenant la pensée de Roswitha [Scholz] ‒ la dissociation des activités qui servent à la reproduction de la vie. La valeur et la dissociation constituent la domination abstraite d’un sujet automate qui condamne les êtres humains à l’impuissance et à l’apathie. Il est important de distinguer entre ce qui est catégoriellement compris comme l’essence du capitalisme dans le contexte formel de la valeur et de la dissociation, du travail abstrait, de l’État, du sujet, etc., et ce qui peut être décrit comme ses manifestations. Les changements sur le plan des manifestations n’affectent pas le contexte formel ni, par conséquent, la domination abstraite. En reconnaissant cela, cependant, les voies de la facilité et du soulagement sont bloquées. L’évasion dans l’immédiateté fatiguée et simpliste de l’activisme politique ou l’agenda politique des mouvements sociaux sont bloqués. Cela n’a aucun sens d’invoquer le bon travail contre le travail aliéné, l’État contre le marché, le sujet contre l’objet. Un pôle n’est pas la solution à l’autre, mais une partie du problème à résoudre... »

Répondre de manière moraliste et militante au défi de la souffrance des gens sous le capitalisme semblera concret. En fait, une telle réponse est abstraite dans un mauvais sens, car elle fait abstraction de la médiation objective qui fait que les gens souffrent dans leur peau. Insister sur la médiation objective de la souffrance des êtres humains dans le capitalisme et donc sur le caractère indispensable de la théorie est si lucide qu’il peut conduire à qualifier la personne de Lucifer. Le porteur de lumière est transformé en Satan. Quiconque apporte la lumière de la connaissance à un système fonctionnant à l’aveugle subit le rejet, la diffamation et l’hostilité de ceux qui s’accrochent à la sécurité supposée de catégories et de stratégies d’action familières, ne parvenant pas à abandonner même les idées illusoires et irrationnelles de vaincre le capitalisme dans le capitalisme.

Ce n’est pas un hasard si la pensée de Robert s’est toujours accompagnée d’ignorance et d’hostilité, de sarcasme et de dérision, ainsi que d’accusations d’écart par rapport à la pratique et de manque de communication. Pourtant, Robert a insisté pour chercher la vérité de ce qui devait être reconnu. Il a résisté ‒ pour reprendre les mots d’Adorno ‒ « à la contrainte presque universelle de confondre la communication du connu avec le connu, et finalement d’attacher plus d’importance à la communication qu’au connu ». Il a insisté sur ce point : « Le critère de la vérité n’est pas sa communicabilité immédiate à tous. »

Résister à l’inimitié et tenir bon face à l’hostilité est avant tout possible pour les personnes qui sont intérieurement contemplatives ‒ contemplation comprise comme une tentative persistante et résistante d’aller au fondement même des rapports sociaux, comme l’expression d’une volonté indomptable de connaissance théorique, c’est-à-dire de connaissance visant la totalité. Cela ne se fait pas dans le but d’acquérir une connaissance privée, mais pour apporter la connaissance aux autres ou, dans le langage de la mystique, contemplata aliis tradere, pour apporter aux autres ce qui a été contemplé. Dans l’intérêt de la connaissance et de l’humanité, on ne peut qu’espérer que les connaissances que Robert nous a laissées, à nous et au public, puissent être saisies et développées et obtenir la reconnaissance qui lui a souvent été refusée dans la vie. Espérons qu’il est encore temps pour que les réflexions de Robert deviennent fructueuses, pour mettre un terme à ce qu’il décrit comme une catastrophe en train de devenir une réalité.

L’œuvre théorique de Robert a défini dès le début l’exigence de la reconnaissance de la théorie comme moment autonome et constitutif de l’émancipation sociale. C’est ce qui est dit en 1988 dans le manifeste Auf der Suche nach dem verlorenen sozialistischen Ziel : « Mais dans le cadre de ces flots de production théorique, les formes de socialisation capitaliste développées au point d’être reconnaissables n’ont jamais été jouées à leur propre rythme, de manière à les faire remonter. En réalité, la théorie n’a jamais eu raison, car elle n’a jamais été reconnue comme un moment ayant son propre poids dans le mouvement d’émancipation sociale. La gauche, dans les circonstances actuelles, n’a fait que jouer les différentes mélodies de ses propres rêves, déclarations d’intention et prestidigitations politiques sur une théorie dégradée en un simple instrument. La science révolutionnaire a perdu sa fierté et sa verve, car elle a été systématiquement reléguée par la gauche dans son ensemble au rang de Cendrillon des prémisses politiques et des formes de vie sociale a-scientifiques et pré-scientifiques qu’elle devait servir comme serviteur de la légitimation. Comme elle n’était qu'un moyen d’atteindre des objectifs politiques sociaux, eux-mêmes hors de portée de la réflexion critique, la théorie révolutionnaire devait périr. La compréhension de la théorie par la gauche, malgré toutes les déclarations d’intention socialistes et communistes, est restée en définitive une compréhension bourgeoise et positiviste. Les objectifs politiques subjectifs eux-mêmes étaient toujours déjà présupposés à la théorie plutôt que déduits de celle-ci. Cette édentation méthodologique dans la compréhension de la théorie et la fausse immédiateté de la volonté politique portaient donc déjà le signe de l’immanence bourgeoise, alors même que la gauche ne s’était pas encore révélée dans sa dernière citoyenneté noir-rouge-jaune. »

[...]

 

Essais théoriques les plus importants de Robert Kurz 

Ouvrages

Der Kollaps der Modernisierung. Vom Zusammenbruch des Kasernensozialismus zur Krise der Weltökonomie, Frankfurt a. M. 1991 [L'Effondrement de la modernisation. De l'écroulement du socialisme de caserne à la crise du marché mondial, Albi, Crise & Critique, 2021]

Honeckers Rache: Zur politischen Okonomie des wiedervereinigten Deutschlands, Berlin1991

Potemkins Ruckkehr: Attrappen-Kapitalismus und Verteilungskrieg in Deutschland, Berlin 1993 

Die Welt als Wille und Design. Postmoderne, Lifestyle-Linke und die Ästhetisierung der Krise, Berlin 1999

Schwarzbuch Kapitalismus. Ein Abgesang auf die Marktwirtschaft, Frankfurt a. M. 1999 (2009). Traduction en cours. 

Marx lessen. Die wichtigsten Texte von Karl Marx für das 21. Jahrhundert, Frankfurt a. M. 2000 [Lire Marx. Les textes les plus importants de Marx pour le XXIe siècle, Paris, Les Balustres, 2013]

Weltordnungskrieg. Das Ende der Souveränität und die Wandlungen des Imperialismus im Zeitalter der Globalisierung, Bad Honnef 2003

Die Antideutsche Ideologie. Vom Antifaschismus zum Krisenimperialismus: Kritik des neuesten linksdeutschen Sektenwesens in seinen theoretischen Propheten, Münster 2003

Das Weltkapital. Globalisierung und innere Schranken des modernen warenproduzierenden Systems, Berlin 2005

Geld ohne Wert. Grundrisse zu einer Transformation der Kritik der politischen Ökonomie, Berlin 2012. 

Recueils

Der Letzte macht das Licht aus. Zur Krise von Demokratie und Marktwirtschaft, Berlin 1993

Blutige Vernunft. Essays zur emanzipatorischen Kritik der kapitalistischen Moderne und ihrer westlichen Werte, Bad Honnef 2004 [Raison sanglante. Essais pour une critique émancipatrice de la modernité et des Lumières, Albi, Crise & Critique, 2021]

Der Alptraum der Freiheit. Perspektiven radikaler Gesellschaftskritik. Essays, Kritiken, Polemiken, Ulm 2005 (écrit avec Roswitha Scholz et Jörg Ulrich) 

Articles importants publiés dans des revues

Die Krise des Tauschwerts. Produktivkraft Wissenschaft, produktive Arbeit und kapitalistische Reproduktion, Marxistische Kritik 1, 1986

Abstrakte Arbeit und Sozialismus. Zur Marx'schen Werttheorie und ihrer Geschichte, Marxistische Kritik 4, 1987

Auf der Suche nach dem verlorenen sozialistischen Ziel. Manifest für die Erneuerung revolutionärer Theorie, Initiative Marxistische Kritik, IMK (Hrsg.), 1988

Alles im Griff auf dem sinkenden Schiff. Überakkumulation, Verschuldungskrise und "Politik", Marxistische Kritik 6, 1989

Deutschland einig Irrtum. Die Wiedervereinigungsfalle und die Krise des warenproduzierenden Weltsystems, Krisis 8/9, 1990

Die verlorene Ehre der Arbeit. Produzentensozialismus als logische Unmöglichkeit, Krisis 10, 1991 [traduction partielle en français disponible en ligne, L'Honneur perdu du travail]

Geschichtsverlust. Der Golfkrieg und der Verfall marxistischen Denkens, Krisis 11, 1991

Geschlechterfetischismus. Anmerkung zur Logik von Weiblichkeit und Männlichkeit, Krisis 12, 1992

Subjektlose Herrschaft. Zur Aufhebung einer verkürzten Gesellschaftskritik, Krisis 13, 1993 [Domination sans sujet. Pour le dépassement d'une critique sociale tronquée, paru en français dans le recueil Raison sanglante, op. cit.]

Das Ende der Politik. Thesen zur Krise des warenförmischen Regulationssystems, Krisis 14, 1994 [Traduction partielle dans la revue Cités, n°64, PUF]

Der Zusammenbruch des Realismus. Anmerkungen zum Verfall der ehemaligen linken Opposition, Krisis 14, 1994

Postmarxismus und Arbeitsfetisch. Zum historischen Widerspruch in der Marxschen Theorie, Krisis 15, 1995 [Post-marxisme et travail-fétiche. De la contradiction historique dans la pensée marxienne, paru dans Jaggernaut, n°3, Abolissons le travail, Albi, Crise & Critique, 2020]

Die Himmelfahrt des Geldes. Strukturelle Schranken der Kapitalverwertung, Kasinokapitalismus und globale Finanzkrise, Krisis. 16/17, 1995

Die letzten Gefechte. Ein Essay über den Pariser Mai, den Pariser Dezember und das Bündnis für Arbeit, Krisis 18, 1996

Antiökonomie und Antipolitik. Zur Reformulierung der sozialen Emanzipation nach dem Ende des 'Marxismus', Krisis 19, 1997

Weinkenner aller Länder, vereinigt Euch! Postmodernismus, Lifestyle-Linke und die Ästhetisierung der Krise, Krisis 20, 1998

Blutige Vernunft. 20 Thesen gegen die sogenannte Aufklärung und die westlichen Werte, Krisis 25, 2002 [paru en français dans le recueil, Raison sanglante, op. cit.]

Negative Ontologie. Die Dunkelmänner der Aufklärung und die Geschichtsmetaphysik der Moderne, Krisis 26, 2003 [paru en français dans le recueil, Raison sanglante, op. cit.]

Tabula Rasa. Wie weit soll, muss oder darf die Kritik der Aufklärung gehen?, Krisis 27, 2003 [paru en français dans le recueil, Raison sanglante, op. cit.]

Die Substanz des Kapitals. Abstrakte Arbeit als gesellschaftliche Realmetaphysik und die absolute innere Schranke der VerwertungErster Teil, Exit! 1, 2004 [paru en français, La Substance du capital, Paris, L'Echappée, 2019]

Die Substanz des Kapitals. Abstrakte Arbeit als gesellschaftliche Realmetaphysik und die absolute innere Schranke der VerwertungZweiter Teil, Exit! 2, 2005 [paru en français, La Substance du capital, Paris, L'Echappée, 2019]

Grau ist des Lebens goldner Baum und grün die Theorie. Das Praxis-Problem als Evergreen verkürzter Gesellschaftskritik und die Geschichte der Linken, Exit! 4, 2007 [à paraître en français, Gris est l'arbre de la vie, verte est la théorie, Albi, Crise & Critique, 2022]

Der Unwert des Unwissens. Verkürzte „Wertkritik“ als Legitimationsideologie eines digitalen Neo-Kleinbürgertums, Exit! 5, 2008

Die Kindermörder von Gaza. Eine Operation „Gegossenes Blei“ für die empfindsamen Herzen, Exit! 6, 2009

Es rettet euch kein Leviathan - Thesen zu einer kritischen StaatstheorieErster Teil, Exit! 7, 2010

Es rettet euch kein Leviathan - Thesen zu einer kritischen StaatstheorieZweiter Teil, Exit! 8, 2011

Kulturindustrie im 21. Jahrhundert. Zur Aktualität des Konzepts von Adorno und Horkheimer [A Indústria Cultural no Século XXI. Sobre a actualidade da concepção de Adorno e Horkheimer – tradução em curso], Exit! 9, 2012 [paru en français, L'industrie culturelle au XXIe siècle. L'actualité d'un concept d'Adorno et Horkheimer, Albi, Crise & Critique, 2020]

 

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