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Revue Exit !, n°18, Zu Klampen, février 2021

Éditorial et lettre ouverte 

Thomas Meyer

 

E

n 2020, année du Coronavirus, le processus de crise s’est intensifié. La pandémie a frappé en plein cœur le capitalisme en crise. L’effet est particulièrement dramatique sur les systèmes de santé brisés et soumis au diktat économique, mais encore plus dans les régions où les populations se retrouvent totalement sans défense contre le virus et les conséquences des mesures prises dans le cadre de la « lutte contre la pandémie ». En outre, le Coronavirus n’est pas apparu dans le monde par hasard, mais il est directement lié à la domination capitaliste de la nature. Concernant l’apparition de la pandémie, il y aurait beaucoup à dire sur ce que l’on appelle la zoonose, une infection qui peut être transmise à l’homme par les animaux. Avec la progression de la crise du capitalisme, il devient de plus en plus difficile  malgré toute la « rhétorique écologique »  de protéger la nature et les animaux du processus de valorisation, et donc de la destruction par le capital. Le capital perdant de plus en plus sa substance, la pression augmente pour soumettre encore davantage les fondements naturels de la vie au processus de valorisation. La production industrielle de viande, le commerce d’animaux sauvages, la destruction des espèces et de la forêt tropicale, etc., favorisent la transmission virale. Les couloirs mondialisés du commerce et du voyage en assurent la propagation.

Dans les centres occidentaux, le virus rencontre des démocraties qui ont tout misé sur l’effort de remettre sur pied l’accumulation du capital en difficulté et de combattre les effets sociaux de la crise  incarnés par ce « matériel humain superflu » pour la valorisation du capital qui, outre les socialement déclassé.es, comprend surtout les migrant.es , par des mesures autoritaires-répressives, allant jusqu’à l’état d’urgence démocratiquement légitimé. À cet égard, les mesures adoptées contre le Coronavirus coïncident avec le passage du pôle libéral au pôle autoritaire de la socialisation démocratique-capitaliste.

Or les mesures anti-Covid se distinguent  malgré des critiques justifiées dans certains cas (incohérence partielle des mesures, minimisation des « dommages collatéraux »[1], etc.)  des habituels « schèmes de réaction » autoritaires, d’une part parce que le virus n’est pas un fantôme mais une réalité dangereuse, d’autre part parce qu’elles visent  contrairement à l’habitude  à protéger des personnes et des groupes menacés qui, comme les malades et les personnes âgées, représentent du capital humain qui n’est pas (ou plus) valorisable. Cela n’a cependant rien à voir avec une soudaine illumination humanitaire des gouvernements, mais avec le fait que pour maintenir le fonctionnement du système, il faut continuer à travailler et à consommer (dans le second « confinement », en gardant les enfants dans les crèches et les écoles), tandis que les restrictions dans les espaces privés ainsi que dans la gastronomie, l’événementiel et la culture sont censés ralentir le virus et protéger le système de santé contre la surcharge (les capacités du « système de santé compétitif » étant apparemment considérées comme des « constantes naturelles »).

De fait, la pandémie entraîne le renforcement de certaines tendances, entre autres de ce qu’on appelle la numérisation, dont les agitateurs et les idéologues justificateurs promettent qu’elle sera la solution à tous les problèmes. Les jérémiades concernant l’échec de l’éducation, en particulier celle des enfants socialement défavorisés, sont des prétextes pour défendre l’« urgence » particulière de la numérisation. On peut d’autant plus faire de la nécessité une vertu. Le durcissement de l’état d’urgence permet une répétition générale de l’après-Covid. Cela vaut également pour les contours émergents d’une politique de santé autoritaire, qui visera à rendre la société de plus en plus résiliente, flexible et tolérante aux risques sanitaires futurs. Il s’agit d’une politique d’immunisation contre les crises prévisibles (changement climatique anthropique, paupérisation sociale de masse, etc.) acceptées comme des fatalités contre lesquelles la seule solution sera de prendre des mesures de protection. Dans le cadre de la primauté de la résilience préventive, tout ce qui encourage la pandémie et alimente les futures épidémies d’infection peut alors se poursuivre selon les processus familiers de la crise : domination de la nature, élevage industriel et valorisation des animaux, mondialisation et mobilité pour la production et le commerce, etc., le tout sous la domination abstraite de la fin en soi capitaliste irrationnelle. Il faut préserver cette dernière à n’importe quel prix  même si c’est totalement illusoire. Dans ce contexte, il sera possible de s’appuyer sur ce qu’on aura appliqué en toute bonne conscience pendant la crise du Coronavirus pour établir un état d’urgence permanent. Ainsi, la restriction des droits fondamentaux se justifiera par des mesures de politique de santé. C’est « l’heure de l’exécutif » [2]. Mais il faut se souvenir qu’une pandémie n’était nullement nécessaire au renforcement permanent de l’appareil sécuritaire par le biais des lois de police, de la surveillance par caméra de l’ensemble du territoire (Stasi 2.0[3]), etc.[4] La transformation de la « démocratie libérale » en État policier brutal, dans lequel la police peut faire ce qu’elle veut grâce à des pouvoirs toujours plus étendus, est la possibilité et le cœur de la démocratie bourgeoise elle-même. Afin de « faire face » à n’importe quel problème, les gens ont souvent été prêts à tout sacrifier à la « sécurité ». La sécurité est, après tout, un « droit super fondamental », comme l’a déclaré l’ancien ministre fédéral de l’intérieur Hans-Peter Friedrich en 2013.

La démocratie rend son noyau répressif visible à travers sa « gestion des contradictions ». Lorsque des émeutes éclatent, qui ne représentent souvent que des débordements sans contenu (comme à Stuttgart en juin[5]), elles ne sont pas perçues comme une expression de l’irrationalité et de l’absurdité de la « normalité » bourgeoise elle-même. Dans un contexte d’irréflexion fondamentale, de telles flambées de violence sont accueillies avec indignation : on est « scandalisé » et « choqué ». La violence policière, en revanche, est jugée tout à fait différemment. Elle est « justifiée » et « nécessaire », voire « proportionnée ». En outre, l’État se doit de réprimer durement la « résistance au pouvoir de l’État » [6]. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de faire respecter la « propriété privée » : à cette fin, 1500 policiers peuvent être mobilisés pour « déloger » une vingtaine de personnes (!) d’un squat (Berlin, Liebigstraße 34[7]). Le « bon usage » des droits fondamentaux dans le « meilleur des mondes » consiste précisément à affirmer l’« existant » de manière convenable et bien élevée.

Tout débat sur la violence lors des manifestations et des protestations est complètement dénué de sens si la violence « légitime » ou légitimée de la police est transfigurée en « État de droit » et que les rapports de pouvoir et de domination, le racisme, les inégalités sociales, la pénurie de logements, etc., sont tenus en dehors du débat. Le fait que la société bourgeoise elle-même est profondément violente dans son « fonctionnement normal », par l’exclusion sociale et le racisme entre autres, est occulté dans les « débats » hypocrites sur la violence, ou externalisé : le racisme peut effectivement constituer un problème aux États-Unis, mais en Allemagne, il n’y aurait que des « cas individuels ». Quelle absurdité que dans ce pays, personne n’ait su se reconnaître en Donald Trump quand il voulait qualifier les Antifa d’organisation terroriste[8] et se conformait par là à la doctrine d’État de la RFA (théorie de l’extrémisme, anti-anti-fascisme[9])[10]. Le croque-mitaine est toujours l’autre. L’effort que la RFA et ses organes de répression (même le MAD[11] s’en occupe) font pour mettre la main sur les activistes du détournement ironique d’affiches de publicités[12] est grotesque. La frénésie de persécution à leur encontre, en contraste avec la volonté boiteuse de démanteler les réseaux d’extrême droite au sein de la police et de la Bundeswehr (NSU .0.2[13], Hannibal[14], Nordkreuz[15], etc.), montre une fois de plus où se situent les priorités des « autorités chargées de la sécurité »[16].

L’application du deux poids, deux mesures est également une pratique habituelle : alors que les manifestations d’extrême-droite peuvent se dérouler sans grandes difficultés, malgré des violations de la réglementation, comme la « Corona-Demo[17] » fin octobre à Berlin, les manifestations de gauche sont violemment réprimées, comme celle d’Ingelheim, un rassemblement contre le parti nazi « Die Rechte » [18]. La maxime est : « Celui qui s’oppose aux nazis ne rencontrera jamais un policier sympathique ». Le diable sait pourquoi.

Ici non plus, il ne s’agit de « cas exceptionnels ». L’ennemi est à gauche et c’est exactement comme cela que les antifascistes sont traités par la police : en tant qu’ennemis, pour lesquels la logique de la « loi et de l’ordre » se concrétise par le gaz poivre et la matraque.

Le traitement des réfugiés montre en quoi consistent finalement les « valeurs démocratiques » [19]. Fascistes et démocrates sont d’accord sur ce point. La seule différence est que les dignes démocrates s’imposent un voile d’humanité, à travers lequel ils pensent ensuite pouvoir critiquer les positions racistes de l’AfD, ce qui ne les empêche pas de faire finalement ce qu’ils accusent idéologiquement l’AfD de vouloir. La chair dont ils se détournent en apparence est la leur. Ils sont finalement rattrapés par leur propre ombre refoulée et incomprise. C’est la société bourgeoise elle-même qui crée son prétendu contraire.

Aujourd’hui, les mesures anti-Covid ne restent pas incontestées. Mais ce ne sont pas les objections contre les conséquences sociales et psychologiques ou les critiques contre la paupérisation du système de santé qui s’avèrent les plus audibles[20], mais plutôt les « Hygiene-Demos » des « Querdenker »[21] à caractère rouge-brun et à l’idéologie conspirationniste[22].

Le fait que ces manifestations aient connu un large écho est également lié à cette nouveauté que le fameux mainstream, le « centre éclairé de la société », glisse de plus en plus vers la droite. Cela se manifeste d’une part par des discours racistes (AfD, Pediga), qui visent à « repousser les frontières de l’indicible » (Gauland[23]). Tactique qui a manifestement réussi, si l’on considère, par exemple, que Die Zeit[24], en 2018, a débattu très sérieusement des « pour » et des « contre » le secours aux réfugiés. La droite est là où se trouve le centre, peut-on formuler avec Kurt Lenk[25]. D’autre part, il y a depuis longtemps un certain nombre d’essayistes qui font de la crise un enjeu de propagande réactionnaire. Leurs best-sellers se multiplient. Ainsi se paye l’ignorance de la gauche, qui ne veut rien savoir de l’« effondrement de la modernisation» [26] , de la « borne interne », de la « critique catégorielle » et de la théorie de la crise, et qui a obstinément refusé tout débat concernant ces sujets[27]. Il lui en coûte probablement trop en termes de capacité de réflexion pour pouvoir enfin admettre qu’elle s’est trompée pendant des années (rappelez-vous, par exemple, le très embarrassant pamphlet anti-allemand « La valeur, c’est le théoricien »[28]). Toutes sortes d’obscurantismes de droite s’engouffrent maintenant dans cette « brèche » avec leurs « interprétations de crise » réactionnaires. Le libéral de droite Markus Krall[29], par exemple, dont les propos touchent au délire, estime que l’Allemagne est au bord d’une « dictature éco-socialiste », qui ne pourrait être empêchée que par une « révolution bourgeoise » [30]. Ces penseurs réactionnaires de la crise ont en commun de croire que le capitalisme peut se remettre sur pied, entre autres en réformant le système monétaire, par exemple en réintroduisant l’étalon or. L’or est, après tout, « l’ultime assurance contre la crise », selon Max Otte (membre de la « Werteunion[31] », organisateur du « Neues Hambacher Fest[32] », invité de Ken Jebsen[33] et partisan d’une « coalition bourgeoise » avec l’AfD[34]). Il est clair que ce discours s’adresse à ceux qui ont des actifs importants et craignent de les perdre du fait du processus de crise. Les classes moyennes prennent peur et transpirent l’extrémisme du centre.

Mais le cabinet des horreurs est encore loin d’être complet. Dans ces milieux circule un certain Thorsten Schulte, le « garçon d’argent »[35], révisionniste historique de la pire espèce (qui a publié le best-seller « Fremdbestimmt » [hétéronomie]), naturellement un invité de Ken Jebsen, et qui a tenu les propos suivants devant le bâtiment de la Chancellerie fédérale à Berlin le 1er août : « Nous ne pouvons que nous distancer de ce système de gouvernement satanique (!) qui règne dans cette Chancellerie fédérale, et je prie Dieu et Jésus-Christ  et ce n’est pas de la publicité, j’ai un chapelet ici. [...] Jésus-Christ est de notre côté. Et je le dis clairement. Vous êtes tous témoins aujourd’hui du commencement, je le dis très très sérieusement, de l’Apocalypse (!) [...]. Et c’est pourquoi je vous tends cette croix ici, vous, êtres sataniques (!) là-dedans. Nous contribuerons avec l’amour et la voie de Dieu à l’autodétermination [...] Et nous ferons tomber ce système par la voie de l’amour. »

Ici, le désir autoritaire qui se déploie depuis longtemps au sein du « tournant décisionniste-autoritaire »[36] du postmodernisme se double d’un délire idéologique conspirationniste mêlé à un sulfureux jargon religieux ou religioso-populiste[37]. Ce type de discours, orné de « piété » missionnaire, correspond à l’image globale de Schulte et de ses semblables ; après tout, « les théoriciens du complot [...] débordent du besoin de communiquer et du zèle missionnaire de persuasion »[38].

Avec « Q-Anon », une théorie du complot particulièrement bizarre gagne en influence (y compris dans les manifestations allemandes dites « anti-Corona ») et a, par ailleurs, été promue par Donald Trump. Plusieurs candidats républicains au Congrès (on dit qu’il y en a eu une soixantaine) se sont déclarés adeptes de « Q » (Marjorie Taylor Greene a effectivement été élue au Congrès). Selon ce délire conspirationniste, Trump est quelqu’un qui combat l’« État profond », un « réseau d’élites pédophiles » qui torture et tue des enfants enlevés dans des cachots souterrains dans le but de produire à partir d’eux de l’adrénochrome, un dérivé de l’adrénaline qui passe pour un élixir de jeunesse. Le parallèle avec la légende antisémite du meurtre rituel s’impose.

Lorsque la démence conspirationniste s’exprime, l’antisémitisme n’est jamais loin, comme l’a démontré une fois de plus la crise du Coronavirus : « Par exemple, environ une personne sur cinq en Angleterre est plus ou moins d’accord avec l’idée que les Juifs ont créé le virus pour faire s’effondrer l’économie et tirer profit de la situation ». On a également pu observer des auto-victimisations antisémites lors des manifestations « anti-Corona » en Allemagne chez les fameux « antivax » qui visiblement s’hallucinaient comme les « Juifs d’aujourd’hui », portant des T-shirts avec une étoile jaune (!) sur laquelle était inscrit : « non vacciné » (!!)[39]. Il est ainsi évident que les opposants à la vaccination, possédés par leurs affects délirants, ne peuvent en aucun cas fournir de critique des politiques de santé (par exemple dans le sens d’une critique de la réduction des soins médicaux pour  « raisons de rentabilité »). C’est ce que montre également le théoricien de la conspiration et antisémite Christoph Hörstel[40] (habitué de la manifestation antisémite Al-Quds[41] à Berlin), qui parle très sérieusement d’une « idéologie du virus ». Selon lui, les virus seraient le produit de machinations douteuses...

Contrairement à ce que peuvent croire leurs adeptes, « les théories du complot [...] n’offrent jamais de contre-projets alternatifs face au sens commun prépondérant d’une société [...] mais se rattachent plutôt de manière opportuniste aux opinions dominantes » [42],  qu’elles ne font que reformuler, par exemple en « cherchant » une réponse à la lassante formule « cui bono ? » qui, bien entendu, donne « réponse à tout ». La pandémie du Coronavirus et les mesures prises contre elle sont analysées suivant un schéma identique. Ernst Wolff[43], par exemple (invité à plusieurs reprises par Ken Jebsen, orateur à la « conférence anti-censure » conspirationniste d’Ivo Sasek[44] en 2019) analyse le confinement ainsi : « Le confinement n’était certainement rien de plus que le prétexte délibérément créé pour ce qui pourrait être le dernier grand sauvetage du système financier existant » [45].

Le résultat de cette « subjectivisation de la crise » n’est autre qu’une révolte conformiste. Ces Querdenker sont à mille lieues d’une critique du mouvement de valorisation du capital et de la manière dont il favorise l’émergence et la propagation des pandémies (flux de marchandises interconnectés au niveau mondial, destruction de l’environnement, « système de soins de santé à coût réduit », etc.) Les idéologues conspirationnistes de tout poil ne critiquent pas le capitalisme (ou l’argent, le travail, etc.), mais le naturalisent[46]. Qu’ils se présentent comme « alternatifs » ou « critiques » est une très mauvaise blague, à littéralement s’étouffer de rire.

Il convient de souligner ici que la « gauche » est loin d’être exempte de délires liés aux théories du complot[47]. Ce type de pensée n’a pas seulement cours dans les sectes staliniennes telles que le MLPD[48], mais se retrouve également chez divers « critiques du néolibéralisme » de gauche, qui insinuent que le néolibéralisme a été plus ou moins une sorte de coup d’État sournois et pourrait être aboli par une politique « correcte » [49].

Cependant, le terme « front transversal » [Querfront], souvent invoqué au sujet de ces « manifestations des Querdenker » et d’autres, soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Si les positions de gauche (extrême), de droite (extrême) et libéral-conservatrices semblent converger, ce n’est pas parce que l’on assiste à des « alliances » entre des camps distincts (contrairement aux « efforts transversaux » de la République de Weimar), mais plutôt parce que le champ de référence catégoriel qui leur est commun atteint des limites historiques, et qu’ils se barbarisent tous dans leur obsolescence. Ou, pour reprendre les mots de Robert Kurz : « Les idéologies de droite, de gauche et libérales, tout comme les positions bourgeoises, petites-bourgeoises et prolétariennes, ne peuvent plus être clairement délimitées. Aucune de ces alternatives apparentes ne peut plus marquer indépendamment un champ historique, aucune ne peut rester en elle-même dans une cohérence intellectuelle. Le pragmatisme et l’éclectisme exténués qui se répandent dans tous les camps, qui d’ailleurs n’en sont plus, trahissent l’impuissance pure et simple face à l’évolution sociale mondiale impossible à appréhender par les écoles de pensée et les schémas d’interprétation jusqu’alors en usage. Cette impuissance commune, qui fait s’effondrer toute distinction claire des contenus théoriques et politiques, indique le déclin du cadre de référence historique commun » [50]. On peut donc parler d’une paralysie de la conscience. Une société incapable d’établir une distance critique par rapport à elle-même, et dont les sujets, dénués de toute réflexion critique, imaginent le capitalisme comme une fatalité inéluctable, favorise des « interprétations du monde » insensées ou anachroniques de toutes sortes. La démence du complot, qui prend de plus en plus d’ampleur, complète la paralysie. La « sensibilité aux théories de la conspiration [...] augmente manifestement à chaque fois que s’impose l’idée qu’il n’y a plus aucune chance de façonner la vie de manière indépendante et autodéterminée et qu’au contraire, seules des puissances anonymes règnent et opèrent en secret. Dans de telles situations de pression apparemment désespérées, qui peuvent être causées, par exemple, par le déclin social et une détérioration drastique de la situation économique, les théories du complot ouvrent une voie royale fallacieuse pour l’interprétation des rapports les plus compliqués et donnent le sentiment sécurisant de savoir enfin ce qui se passe autour et vis-à-vis de soi [...] » [51]. Il est clair qu’il ne suffit jamais de contrer les théories du complot et leurs adeptes avec des arguments et des faits, comme cela est parfois tenté. Il faut souligner qu’une critique de la complotomanie reste insuffisante, voire fausse, si on lui oppose une raison instrumentale qui s’avère être la « raison immanente » du mode de production et de vie capitaliste, lui-même profondément irrationnel. Plus les « stratégies de gestion de crise » sont infondées et désespérées, moins la manie du complot et la « raison bourgeoise » (ou ses dérivés barbarisés) sont susceptibles de diverger. Cela est d’autant plus vrai que la « normalité » ne peut plus être maintenue ou simulée. L’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis n’y changera rien. Au contraire, il faut compter sur une nouvelle intensification des contradictions sociales. On peut s’attendre à la même chose venant des « schèmes de réaction » autoritaires de l’État dit « de droit ». L’« exercice » de l’état d’urgence pendant l’épidémie du Coronavirus portera ses fruits bien assez tôt.

Il demeure nécessaire, en ces temps de barbarisation de la conscience, de conceptualiser adéquatement les conditions sociales. Pour que cela reste possible à l’avenir, nous vous demandons de continuer cette année à nous soutenir par des dons. Les textes publiés dans ce numéro d’Exit ! documentent notre contribution à cet égard.

Présentation du numéro

Le texte « La fin de l’Occident dans la crise du Coronavirus » de Tomasz Konicz retrace, sur fond du processus historique de crise alors que la borne interne du capital commence à être atteinte, les bouleversements de l’hégémonie américaine, ainsi que son érosion graduelle au sein du système d’alliance occidental en voie de désintégration. Partant de la transformation de la base économique de la position hégémonique de Washington qui a eu lieu il y a une bonne quarantaine d’années, déclenchée par la fin du boom fordiste de l’après-guerre et par la période de stagflation qui a suivi, ainsi que par la modification du rôle de la machine militaire américaine après la fin de la « guerre froide » contre le socialisme d’État qui s’est effondré en 1989, l’accent est mis sur le rôle central des cycles de déficit mondial, y compris la financiarisation du capitalisme, dans le maintien de l’hégémonie américaine jusqu’en 2008. Avec la poussée de la crise de 2008, cependant  selon la thèse centrale du texte  la concurrence de crise s’est également affirmée au sein de l’Occident, de sorte que c’est précisément le nationalisme économique de l’administration Trump qui a accéléré la désintégration de l’Occident et l’effondrement final de l’hégémonie américaine. Par conséquent, un retour au statu quo ante Trump n’est plus possible. Le processus historique de crise aurait tellement progressé, alimenté notamment par la crise du Coronavirus, que toute tentative des centres occidentaux pour rétablir la « stabilité » s’avérerait futile.

L’objectif du texte « La croissance et la crise de l’économie brésilienne au XXIe siècle en tant que crise de la société du travail : bulle financière, capital fictif et critique de la valeur-dissociation[52] » de Fábio Pitta est de relier les phénomènes de croissance économique au Brésil à partir de 2003 jusqu’à la crise économique après 2012-2013 à l’économie de bulle financière alimentée par le capital fictif comme moment de reproduction globale du capitalisme contemporain dans sa crise fondamentale. Le texte part d’une critique des auteurs brésiliens qui analysent la crise uniquement en termes de « retard » du Brésil. Une bulle sur les marchés financiers des produits dérivés des matières premières, qui a entraîné une hausse importante des prix, a fait grimper les exportations brésiliennes ainsi que la dette du pays. Cela a permis une concurrence pour la dette entre les entreprises de ce que l’on appelle l’« économie réelle », entraînant une accélération du développement des forces productives, une augmentation de la composition organique du capital et un évincement du travail vivant des processus de production cela se produit au Brésil depuis les années 1970, mais s’est récemment intensifié. Ces processus n’ont pu durer que jusqu’à l’éclatement de la bulle des matières premières entre 2011 et 2014, conséquence de l’éclatement de la bulle financière mondiale en 2008, qui dans ce texte, à partir de Robert Kurz, est compris selon les déterminations du capital fictif et de l’accumulation simulée. Depuis 2012, le Brésil connaît une dette publique et privée élevée, un chômage de masse, des faillites d’entreprises généralisées, une instabilité politique et la montée du radicalisme de droite, qui a exacerbé la sauvagerie sociale et la violence à l’égard des femmes, des Noirs, des populations autochtones et des travailleurs ruraux. Le texte défend enfin la nécessité de la critique radicale de la valeur-dissociation qui, dans sa critique du capital, de la marchandise et du travail, vise l’abolition de cette médiation sociale.

Le texte de Thomas Meyer est une nouvelle contribution à la série d’articles « Alternatives au capitalisme  Bilan » [53]. Dans ce texte, le mouvement de la décroissance et les communs sont passés au crible. Il devient clair que ces prétendues alternatives au capitalisme sont non seulement éloignées d’une critique catégorielle, mais sont également compatibles avec une gestion de crise répressive. Avec des concepts tels que la « monnaie locale », on a recours à des substituts du marché et de l’État afin de prolonger un capitalisme zombie. La nécessité de remettre en question le capitalisme de manière « pratique » serait plus grande aujourd’hui que jamais, par exemple en remettant en question la « finançabilité », mais les mouvements de décroissance et des communs n’offrent pas beaucoup plus qu’une « alternative » au milieu de la misère sociale de la crise ; des points cruciaux, comme la question de la synthèse sociale, ne sont pas abordés.

À la suite de la republication du texte de Robert Kurz sur le délire automobile dans le dernier numéro d’Exit !, l’article de Thomas Koch « Sur l’actualité de ‘‘La voie ouverte au chaos de crise’’ de Robert Kurz », examine les développements plus récents et devenus plus pointus de l’automobilisme, notamment sur fond de catastrophe climatique et de mouvements écologistes. Quelles sont les options que recèlent les « visions du futur » de la mobilité électrique ou de la conduite autonome et les solutions technologiques face à la perte de contrôle globale liée aux mots-clés « Coronavirus » et « climat » ? Les développements qui ont eu lieu avec le fameux scandale des émissions et sa projection sur une gestion très éloignée de la réalité dans la patrie de l’automobilisme font également l’objet d’une réflexion critique.

Dans sa contribution, Andreas Urban aborde les aspects culturels-symboliques de la « barbarisation du patriarcat » (Roswitha Scholz). Il se base principalement sur les divers changements socialement très discutés quant aux rapports de genres, en particulier les tendances postmodernes à l’assouplissement des normes et des identités de genre. Au cours des dernières décennies, on a par exemple assisté à une normalisation croissante des carrières professionnelles féminines et à une progression des femmes vers des postes à responsabilité de premier plan, notamment économiques et politiques. Ce contexte comprend également des mesures politiques en faveur de l’égalité des hommes et des femmes (quotas de femmes, etc.). D’autre part, les hommes font l’expérience, entre autres en raison de ces développements dans le domaine du rapport de genre, mais aussi en raison des perturbations croissantes sur le marché du travail, d’atteintes sensibles à leur position hégémonique historiquement constituée et donc aussi à leur identité masculine  des tendances qui ont récemment été discutées dans le sens d’une « crise de la masculinité ». Au cœur de cette contribution se trouve la thèse selon laquelle, contrairement aux évaluations (féministes) courantes, de tels changements ne peuvent être considérés comme des indications d’un adoucissement croissant ou même d’un dépassement des structures patriarcales et androcentriques historiquement constituées, mais plutôt comme des indications de leur barbarisation successive dans la crise fondamentale du capitalisme et du rapport sous-jacent de la valeur-dissociation. Ceci est particulièrement évident dans le fait que les hiérarchies de genre continuent à être reproduites presque sans discontinuité, à la fois sur les plans matériel et symbolique, bien que partiellement sous des formes différentes.

Dans une recension, Roswitha Scholz critique le manifeste Féminisme pour les 99% [54] publié en 2019. Elle montre que les auteures de ce texte, Cinzia Arruza, Tithi Bhattacharya, Nancy Fraser, sont loin de fournir une critique radicale du patriarcat producteur de marchandises, car elles restent coincées dans l’horizon d’un marxisme de la lutte des classes depuis longtemps révolu et anachronique.

L’essai de 1993 « La démocratie dévore ses enfants »[55] de Robert Kurz a été publié en portugais[56] préfacé par Roswitha Scholz[57]. En français, une nouvelle édition du Guy Debord d’Anselm Jappe[58] a été publiée, ainsi que les deuxième et troisième numéros de Jaggernaut - Crise et critique de la société capitaliste-patriarcale[59], avec des textes, entre autres, de Claus-Peter Ortlieb ; de Robert Kurz : L’industrie culturelle au XXIe siècle - De l’actualité du concept d’Adorno et Horkheimer[60]; en outre, une anthologie sur la crise du Coronavirus : De virus illustribus - Crise du coronavirus et épuisement structurel du capitalisme[61]. Ce volume montre que la nouvelle crise économique mondiale n’est pas une conséquence du virus, mais avait commencé bien avant. Il examine les difficultés du redémarrage du capitalisme, ainsi que les hésitations des États entre « sauver l’économie » et « sauver les populations » et décrit les conséquences spécifiques, notamment du point de vue de la critique de la valeur-dissociation, dans un pays comme le Brésil. Les nouvelles techniques de surveillance sont analysées et la question est posée de savoir si au moins la conscience écologique peut profiter de cette crise.

Le livre Béton. Arme de construction massive du capitalisme d’Anselm Jappe[62] examine le rôle du béton, qui fait l’objet de beaucoup moins de critiques que d’autres matériaux utilisés massivement comme le plastique ou le pétrole. Après le résumé de son histoire et de ses conséquences, il est montré que ce matériau peut être considéré comme le côté « concret » de l’abstraction de la valeur : la « gélification » de la valeur mentionnée par Marx se matérialise dans le béton toujours pareil à lui-même, quantité sans qualité, qui a nivelé la diversité de la construction dans le monde au profit d’une architecture monotone basée sur le béton.

Le Schmetterling-Verlag a publié le livre de Tomasz Konicz : Le capital, assassin du climat - Comment un système économique détruit les fondements de la vie[63].

Thomas Meyer pour la rédaction d’Exit !, novembre 2020.

Traduit de l’allemand par Johannes Vogele. 

EXIT! Krise und Kritik der Warengesellschaft (exit-online.org)

 


[1] Pour une vue d'ensemble, voir Ralf Wurzbacher : « Risiken und Nebenwirkungen, aber keine Packungsbeilage - Die Corona-Eindämmung droht mehr Leid zu verursachen, als sie verhindert » [Risques et effets secondaires, mais pas de notice d'utilisation - Le confinement risque de causer plus de souffrance qu'il n'en prévient], Nachdenkseiten du 20/11/2020. Toutefois, les « dommages collatéraux » et leur ampleur devraient être considérés dans le contexte de l'économie du système de santé et non comme un argument fondamental contre les mesures anti-Covid. Sur la critique de l'« hôpital entrepreneurial », voir également : Verena Kreilinger ; Winfried Wolf ; Christian Zeller : Corona, Krise, Kapital - Plädoyer für eine solidarische Alternative in den Zeiten der Pandemie [Corona, Crise, Capital - Plaidoyer pour une alternative solidaire en temps de pandémie], PapyRossa Verlag, Cologne 2020, p. 62 sqq.

[2] Voir par exemple Gössner, Rolf : « Durchregieren per Dekret – Infektionsschutzgesetz : Die parlamentarische Demokratie befindet sich im Ausnahmezustand. Das muss sich endlich ändern » [La démocratie parlementaire est en état d'exception. Cela doit enfin changer] : Der Freitag numéro 47/2020.

[3] Le terme Stasi 2.0 est un terme critique de divers projets de politique intérieure du gouvernement allemand, dont notamment les perquisitions en ligne d'ordinateurs privés ou la conservation de données, proposés par le ministre fédéral de l'intérieur de l'époque, Wolfgang Schäuble, mais aussi les restrictions légales à la neutralité du réseau et à la liberté d'information. Le choix du terme Stasi 2.0 fait allusion à la fois à la politique de surveillance de la RDA par le ministère de la sécurité d'État (Stasi en abrégé) et au terme Web 2.0, qui désigne les dernières avancées de la technologie Internet. [NdT]

[4] Voir : Gruppe Fetischkritik Karlsruhe : « Das Virus - Kritik der politischen Pandemie I/II » [Le Virus - Critique de la pandémie politique 1 et 2], 2020, sur exit-online.org.

[5] Le 20 et 21 juin 2020, à la suite d’un contrôle de stupéfiants, des émeutes éclatent à Stuttgart. Pendant quelques heures, des centaines de jeunes ont saccagé et pillé des magasins du centre-ville et affronté la police. [NdT]

[6] Voir : Peer Heinelt : « Unmittelbarer Zwang - Gewalt im Polizeidienst - da lässt der Gesetzgeber seinen Schergen reichlich Spielraum » [Coercition immédiate - la violence dans les services de police - le législateur laisse une grande marge de manœuvre à ses hommes de main], Konkret 10/2020.

[7] Le « Liebig 43 », un squat de 30 ans et symbole de la gauche radicale berlinoise, a été délogé le 9/10/2020 par une mobilisation surdimensionnée des forces de l’ordre. [NdT]

[8] Voir : Tomasz Konicz, « Terrortruppe Antifa? » [Le groupe terroriste Antifa ?], Telepolis du 2/6/2020.

[9] La théorie de l'extrémisme ou « théorie du fer à cheval » représente une vulgarisation de la théorie du totalitarisme (de Hannah Arendt, entre autres). Elle est préconisée notamment par, les « politologues » Eckhard Jesse et Uwe Backes. Cette théorie part du principe que les positions extrémistes, telles que le racisme, se trouvent principalement aux « marges » du spectre politique. Par « théorie du fer à cheval », on entend que les franges extrémistes de la société, c'est-à-dire l'extrême gauche et l'extrême droite, se rejoignent ou se ressemblent (presque) dans leurs positions, puisqu'elles rejettent toutes deux la « démocratie libérale ». On peut affirmer que cette « théorie » est la doctrine de l'État fédéral allemand (puisque le service de renseignement intérieur allemand, c'est-à-dire le Verfassungsschutz, s'en sert). Elle conduit à une équation entre la gauche et la droite, c'est-à-dire à une banalisation du fascisme. Le racisme et l'antisémitisme restent incompris, car il s'agit de phénomènes de la société dans son ensemble qui ne peuvent en aucun cas être localisés uniquement dans certaines « franges ». Dans la pratique, la théorie de l'extrémisme conduit, de la part des institutions, à la criminalisation ou à une impossibilité croissante d'un engagement organisé de la gauche contre le fascisme ou contre les positions de l’extrême-droite en général. En particulier, l'agitation de l'AfD contre « l'extrémisme de gauche » représente un danger croissant pour le travail antifasciste. [NdA pour la traduction française].

[10] Voir à ce sujet l'anthologie : Eva Berendsen ; Katharina Rhein ; Tom David Uhlig (eds.) : Extremum unbrauchbar - Über Gleichsetzungen von links und rechts [L’élément extremum est inutilisable - Sur l'assimilation de la gauche et de la droite], Berlin 2019.

[11] Le « Service de contre-intelligence militaire », en allemand Amt für den Militärischen Abschirmdienst ou MAD, est l'un des trois services de renseignement de l'Allemagne, responsable du renseignement et du contre-espionnage militaires. Il fait partie de la Bundeswehr et il est basé à Cologne avec quatorze bureaux régionaux répartis dans différentes villes d'Allemagne. (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Amt_f%C3%BCr_den_Milit%C3%A4rischen_Abschirmdiens

[12] Voir : Peter Nowak, « Terrorabwehrzentrum gegen satirisch verfremdete Plakate » [Centre antiterroriste contre le détournement satirique des affiches], Telepolis du 26/2/2020. Voir également : Leander F. Badura, « Wir zuerst. SPD. » [« Nous sommes les premiers. SPD. »], freitag.de du 12/5/2020.

[13] Depuis 2018, des extrémistes de droite allemands signent par « NSU 2.0 » des menaces de mort envoyées anonymement à différents destinataires, dont les avocat.es des victimes des attentats du « NSU » et d’autres personnes engagées contre le racisme, l’antisémitisme ou pour les migrant.es. Il faut souligner que leurs victimes sont très majoritairement des femmes. La signature fait référence au groupe terroriste d'extrême-droite « Nationalsozialistischer Untergrund » (NSU), qui a assassiné au moins dix personnes entre 2000 et 2007, dont neuf pour des motifs racistes. Ces lettres de menaces contiennent des informations personnelles non-accessibles au public. A plusieurs reprises, ces dates ont été recherchées dans des ordinateurs appartenant à la police du Land de Hesse, de Berlin et de Hambourg. Un réseau d’extrême-droite au sein de la police est soupçonné d’en être l’auteur ou du moins le complice.

[14] « Hannibal » est le surnom d’un sous-officier de la Bundeswehr qui a appartenu au Commandement des forces spéciales (KSK) de Calw et était à la tête d’un réseau de survivalistes d’extrême-droite soupçonné de préparer, pour un « jour X », un soulèvement armé et l’assassinat de masse d’ennemi.es politiques et de migrant.es. Le réseau se constituait du groupe Nordkreuz et de ses ramifications, de réservistes, d’officiers de la police judiciaire, de membres des forces spéciales (SEK), de juges, d’employés de l'Office pour la protection de la Constitution (Verfassungsschutz) et d'autres agences de sécurité allemandes. [NdT)

[15] Le réseau «  Nordkreuz » [Croix du Nord] était une composante de « Hannibal » (voir note précédente) dans la région du Mecklembourg. Il est soupçonné à ce jour de poursuivre ses activités. [NdT]

[16] Voir par exemple : Martin Kaul ; Christina Schmidt ; Daniel Schulz : « Hannibals Schattenarmee » [L'armée de l'ombre d'Hannibal], taz.de du 16/11/2018, ainsi que : « Rechte Netzwerke und die "Affäre Caffier" » [Des réseaux de d'extrême droite et « l'affaire Caffier »], Jung und Naiv numéro 489, ou : youtube.com du 27/11/2020.

[17] Les « Corona-Demos » sont des manifestations qui, en Allemagne, rassemblent des centaines de personnes contre les mesures anti-Covid. Dans ces rangs, des représentants de l’extrême-droite et des conspirationnistes sont fortement présents.

[18] Voir : Tomasz Konicz, « Braunstaat BRD ? » [la RFA, un État brun ?], Telepolis du 29/10/2020. Voir également : Anett Selle, « Polizeigewalt bei Demo in Ingelheim - Blut und Panik im Tunnel » [Violence policière lors de la manifestation d'Ingelheim - sang et panique dans le tunnel], taz.de du 18/8/2020. [Cette manifestation à Ingelheim, dans la Rhénanie-Palatinat, contre un rassemblement du parti « Die Rechte », connu notamment pour ses propos négationnistes, a été violemment réprimée par la police, faisant un nombre important de blessé.es. Immédiatement après leur arrivée à la gare d'Ingelheim, une centaine de contre-manifestant.es a été nassée à l’intérieur d’un tunnel étroit par la police. Des vidéos montrent l'utilisation de matraques et de gaz poivre aux deux sorties. Les gens crient et s’étouffent. Les policiers hurlent et frappent le plafond bas avec leurs matraques. NdT]

[19] Voir : Herbert Böttcher, « Moria - Eine vorhersehbare Katastrophe, 2020 » [Moria - Une catastrophe prévisible, 2020], ainsi que, du même : « "Wir schaffen das !". - Mit Ausgrenzungsimperialismus und Ausnahmezustand gegen Flüchtlinge » ["Nous allons y arriver !". - Avec l'impérialisme d'exclusion et l'état d'urgence contre les réfugiés], 2016, sur exit-online.org.

[20] L'anthologie suivante offre une vue d'ensemble d'un point de vue marxiste : Sascha Stanišić ; René Arnsburg (eds.) : Pandemische Zeiten - Corona, Kapitalismus, Krise und was wir dagegen tun können [Temps pandémiques - Corona, capitalisme, crise et ce que nous pouvons faire contre], Manifest Verlag, Berlin, 2020.

[21] En Allemagne, les manifestations contre les mesures anti-Covid se tenaient d’abord sous le nom de Hygiene-Demos, surtout à Berlin et ont ensuite été reprises par le mouvement des Querdenker [penseurs de travers] parti de Stuttgart. Si ces manifestations ont été suivies par un public assez large et hétéroclite, elles ont pourtant été dominées par des mouvances d’extrême-droite et conspirationnistes. Dans la suite du texte, nous avons choisi de garder le nom allemand de Querdenker. [NdT]

[22] Voir à ce sujet : Elisa Nowak, « Ultrarechte Machtprobe » [Une démonstration de puissance de l’ultra-droite], freitag.de du 30/8/2020, ainsi que Gerhard Hanloser : « Ressentiment und Souveränismus » [Ressentiment et souverainisme], Telepolis du 1/9/2020. Où l'on constate à plusieurs reprises que, surtout lors des manifestations depuis le deuxième confinement, ce ne sont pas « seulement » les théoriciens du complot ou les nazis qui se déplacent, mais aussi ceux qui sont économiquement ruinés par les mesures anti-Covid. Il faut cependant objecter qu'ils ne se distinguent pas exactement de ces courants de droite et qu'ils n'essaient pas de créer quelque chose qui leur soit propre. Ils s'avèrent donc plus compatibles avec les « interprétations de la crise » réactionnaires qu'avec une critique émancipatrice. Voir également : Kommunalinfo Mannheim : « Vom Querdenken zur Querfront » [Du Querdenken (penser de travers) au front transversal], youtube.com du 2/12/2020. [La dénomination « front transversal » décrit ce qu’en France on appelle la mouvance « rouge-brun ». Elle fait référence à des politiques d’alliances sous la république de Weimar et des efforts de la part des national-socialistes pour se rallier une partie du mouvement ouvrier socialiste et communiste.

[23] Eberhardt Alexander Gauland est un des deux chefs du groupe AfD au Bundestag. Politicien populiste très apprécié de la frange la plus radicale du parti d’extrême-droite, il s’est distingué par ses sorties racistes et anti-migrants et sa glorification des soldats allemands « pendant les deux guerres mondiales ». [NdT)

[24] Die Zeit (Le Temps en allemand) est un hebdomadaire « libéral de gauche » allemand.

[25] Voir : Kurt Lenk, Rechts wo die Mitte ist - Rechtsextremismus, Nationalsozialismus, Konservatismus [A droite où se trouve le milieu - extrémisme de droite, national-socialisme, conservatisme], Nomos,Baden-Baden 1994.

[26] Voir : Robert Kurz L’effondrement de la modernisation, Albi, Crise & Critique, 2021 (NdT)

[27] Voir par exemple : Claus Peter Ortlieb, « Absturz einer Debatte - Zu Andreas Exners Versuch einer Auseinandersetzung mit der Krisentheorie » [Le krach d'un débat - Sur la tentative d'Andreas Exner d'aborder la théorie de la crise], 2008, sur exit-online.org. Voir également : Robert Kurz, « Krise und Kritik I/II » [crise et crtique 1 et 2] in exit ! - Krise und Kritik der Warengesellschaft numéros 10/11, Berlin 2012/13.

[28] Publié par l'Initiative Sozialistisches Forum, Freiburg 2000 [L’ISF est un des groupes phares du mouvement anti-allemand, basé à Fribourg. NdT]

[29] Markus Krall est un économiste, consultant en gestion et essayiste allemand. Proche de l'école autrichienne (école de pensée économique hétérodoxe, se fondant sur l’individualisme méthodologique), il est considéré comme un « prophète du krach » aux revendications politiques extravagantes, par exemple la restriction ou l'abolition du suffrage universel (déchéance du droit de vote des bénéficiaires de l’aide sociale) et l’instauration d’une monarchie élective dans le cadre d'une « contre-révolution ». Il est souvent invité à des débats d’extrême-droite et conspirationnistes. (NdT)

[30] À propos de Krall : Thomas Meyer, « Kleinbürgerliche Hirne in der Krise - Die "Zombiefizierung" des Geistes und der Niedergang des Kapitalismus » [Les cerveaux petits-bourgeois en crise - La « zombification » de l'esprit et le déclin du capitalisme], 2020, sur exit-online.org, ainsi que les contributions d'Andreas Kemper : andreaskemper.org.

[31] Association de membres de la CDU/CSU aux positions très à droite et ouvertes à la discussion avec l’AFD. [NdA]

[32] Rassemblement nationaliste situé entre la droite de la CDU/CSU et la fraction « modérée » de l’AFD. [NdA]

[33] Journaliste, Youtubeur et conspirationniste populaire en Allemagne. Ses thèmes de prédilection sont entre autres le « complot » du « 11 septembre » et les accusations contre Bill et Melinda Gates dans la crise du Covid.

[34] Voir : Max Otte, Weltsystemcrash - Krisen, Unruhen und die Geburt einer neuen Weltordnung [Le krach du système mondial - crises, troubles et naissance d'un nouvel ordre mondial], Finanzbuch Verlag, Munich 7e éd. 2020, première 2019, p. 484. Ainsi, la taz.de du 14/2/2020 cite Otte : « A titre purement personnel, je suis cependant d'avis que la CDU devrait explorer la possibilité de coalitions avec l'AfD à tous les niveaux (!). »

[35] Thorsten Schulte, du pseudonyme Silberjunge [garçon d’argent], est un ancien banquier d'affaires, consultant en gestion et auteur à succès allemand. Dans ses publications politiques, il épouse les théories du complot d'extrême droite et s'engage dans le révisionnisme historique. Il est rattaché au populisme de la nouvelle droite et sympathisant de l'AfD. Il a participé activement - également en tant qu'orateur - aux manifestations contre les mesures anti-Corona en 2020. [NdT]

[36] Le décisionnisme est une doctrine politique, éthique et juridique qui établit que les préceptes moraux ou politiques sont des produits de décisions faites par des corps politiques ou légaux. Cette théorie a été défendue par Carl Schmitt, philosophe et juriste nazi. (NdT) Voir : Roswitha Scholz, « Die Rückkehr des Jorge - Anmerkungen zur "Christianisierung" des postmodernen Zeitgeistes und dessen dezisionistisch-autoritärer Wende » [Le retour de Jorge - Notes sur la « christianisation » du zeitgeist postmoderne et son tournant autoritaire décisionniste.], exit ! - Krise und Kritik der Warengesellschaft, numéro 3, Bad Honnef 2006, p. 157-175.

[37] Sur la « prise en main » populiste de la religion, voir : Concilium – Internationale Zeitschrift für Theologie: Populismus und Religion [Concilium - Journal international de théologie : populisme et religion], numéro 2/2019, Ostfildern 2019.

[38] Ainsi l'historien Rudolf Jaworski dans : « Verschwörungstheorien aus psychologischer und aus historischer Sicht » [Les théories du complot dans une perspective psychologique et historique], in : Ute Caumanns ; Mathias Niendorf : « Verschwörungstheorien - Anthropologische Konstanten - historische Varianten » [Théories du complot - Constantes anthropologiques - Variantes historiques], publications de l'Institut historique allemand de Varsovie, Osnabrück 2001, p. 19.

 

[39] Voir : Thorsten Fuchshuber, Antisemitismus in der Pandemie : Alter Wahn, neues Gewand [Antisémitisme dans la pandémie : vieux délire, nouveau vêtement], jungle.world du 23.7.2020. Sur les « Corona-Demos » [manifestation contre les mesures anti-Covid] en Allemagne, voir aussi : https://report-antisemitism.de/documents/2020-09-08_Rias-bund_Antisemitismus_im_Kontext_von_covid-19.pdf ainsi que : « Momentmal : Vom "Querdenken" zur Querfront - Coronaproteste als Podium für Antisemitismus » [De la « pensée transversale » [Querdenken] au front transversal - Les manifestations anti-Covid, un podium pour l'antisémitisme], youtube.com du 29.11.2020.

[40] Christoph R. Hörstel est un journaliste et activiste politique allemand. Entre autres choses, Hörstel défend des points de vue conspirationnistes concernant notamment le 11 septembre, la guerre en Afghanistan, le conflit au Moyen-Orient, le droit à l’existence de l’État d’Israël et les chemtrails. [NdT]

[41] Sur la « Journée Al-Quds », voir Wahied Wahdat-Hagh : Der islamistische Totalitarismus - Über Antisemitismus, Anti-Bahaismus, Christenverfolgung und geschlechtsspezifische Apartheid in der « islamischen Republik Iran » [Totalitarisme islamiste - Sur l'antisémitisme, l'anti-bahaïsme, la persécution des chrétiens et l'apartheid spécifique au genre dans la « République islamique d'Iran »], Peter Lang GmbH, Internationaler Verlag der Wissenschaften,Frankfurt 2012, p. 151 sqq. [La manifestation berlinoise Al-Quds est un évènement antisioniste organisé entre autres par le Hezbollah, lors de la journée mondiale Al-Quds (Jérusalem en arabe). Celle-ci a été instaurée en 1979 par l’Ayatollah Khomeini, fondateur de la République Islamique d’Iran, et se déroule le dernier vendredi du mois de ramadan. NdT]

[42] Jaworski 2001,op. cit., p. 27

[43] Ernst Wolff est un auteur et journaliste allemand. Il se concentre principalement sur la critique du système financier et monétaire mondial, notamment le rôle du FMI, de la Banque mondiale, de la Réserve fédérale, du système de Bretton Woods et de la monnaie fiduciaire. Il est adepte de théories du complot et défend des thèses structurellement antisémites. [NdT]

[44] Ivo Sasek est un prédicateur séculier suisse, auteur d'écrits religieux et leader de la « Génération organique du Christ » (GOC) qu'il a fondée en 1999. Cette organisation, classée comme secte, compte entre 2000 et 3000 membres germanophones. En 2008, Sasek a fondé la « Coalition anti-censure » (AZK), un forum consacré à l'ésotérisme de droite, les théories du complot, l'antisémitisme, la xénophobie et le révisionnisme historique, y compris la négation de l'Holocauste. Ces organisations et leurs nombreux médias sont gérés depuis le Panorama Center de Sasek à Walzenhausen, en Suisse.

[45] Ernst Wolff of Wall Street Special : « Corona-Pandemie – Endziel digitaler Finanzfaschismus » [Pandémie du Corona - Destination finale du fascisme financier numérique], youtube.com du 7/9/2020, à partir d'environ 10 min.

[46] Voir par exemple le « plan B » d'Andreas Popp et Rico Albrecht : https://www.wissensmanufaktur.net/plan-b/.

[47] Voir Martin Wassermann : « Agenten, Eliten und Paranoia - Das Verschwörungsdenken in der deutschen Linken » [Agents, élites et paranoïa - La pensée conspirationniste dans la gauche allemande], Berlin 2012, https://associazione.files.wordpress.com/2020/02/maulwurfsarbeit_ii.pdf.

[48] Le « parti marxiste-léniniste d'Allemagne » (MLPD) est un petit parti maoïste-stalinien allemand. Il a été fondé le 20 juillet 1982, et est issu de la « Ligue ouvrière communiste d'Allemagne » (KABD), qui a existé de 1972 à 1982. [NdT)

[49] Voir à ce sujet le chapitre: « Die Krise als subjektives Willensverhältnis » [La crise comme rapport subjectif de volonté] dans : Robert Kurz : « Krise und Kritik II » [Crise et critique 2], exit ! - Krise und Kritik der Warengesellschaft numéro 11, Berlin 2013, p.98 sqq.

[50] Robert Kurz : Das Weltkapital - Globalisierung und innere Schranken des modernen warenproduzierenden Systems [Le capital mondial - mondialisation et borne interne du système moderne de production de marchandises], Berlin 2005, p. 367.

[51] Jaworski 2001, op. cit., p. 22.

[52] Ce texte paraîtra en français sous le titre : Le Brésil dans la crise du capital au XXIème siècle, Crise & Critique, Albi, 2021.

[53] Précédemment publiés : « "Gemeinwohlökonomie" par Dominic Kloos » [« L'économie du bien commun » par Dominic Kloos] (2018) et « "Bedingungsloses Grundeinkommen" par Günther Salz » [Le « Revenu de base inconditionnel » par Günther Salz] (2019). Les deux textes sont également disponibles sur exit-online.org.

[54] Cinzia Arruzza, Tithi Bhattcharya, Nancy Fraser, Féminisme pour les 99% - un manifeste, La découverte, Paris, 2019.

[55] Publié pour la première fois dans : Edition Krisis (ed.) : Rosemaries Babies - Die Demokratie und ihre Rechtsradikalen [Rosemary's Babies - La démocratie et ses radicaux de droite], Unkel Rhein/Bad Honnef, 1993.

[56] Robert Kurz : A Democracia devora seus Filhos, Consequência, Rio de Janeiro, 2020

[57] Voir également : Roswitha Scholz, « "Die Demokratie frisst immer noch ihre Kinder" – heute erst recht! » [« La démocratie dévore encore ses enfants » - et surtout aujourd'hui], exit ! - Krise und Kritik der Warengesellschaft, numéro 16, Springe, 2019, p. 30-60.

[58] Anselm Jappe : Guy Debord, La Découverte, Paris, 2020

[59] Crise & Critique, Albi, 2020.

[60] (ibid) Publié pour la première fois en 2012 dans exit ! - Krise und Kritik der Warengesellschaft, numéro 9.

[61] (ibid)

[62] L’Échappée, Paris 2020

[63] Schmetterling-Verlag, Vienne/Berlin 2020

Tag(s) : #Chroniques de la crise au quotidien
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