Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 

Crise climatique et transformation sociale au temps du Corona

Pourquoi la production capitaliste de richesses est en jeu 

*

Norbert Trenkle

 

Remarque préliminaire : une version étendue du présent texte paraîtra à l’automne dans le livre Shutdown. Klimacrash, Corona-Krise und die notwendige Aufhebung des Kapitalismus (Shutdown. crise climatique, crise du Corona et l’indispensable dépassement du capitalisme) aux éditions Unrast, que l’auteur publie en collaboration avec Ernst Lohoff.

Trenkle et Lohoff participent à la revue allemande Krisis. En français ils ont publié notamment le Manifeste contre le travail (avec R. Kurz), et La Grande dévalorisation. Pourquoi la spéculation et la dette de l'Etat ne sont pas les causes de la crise (Post-éditions, 2014). 

   L’un des effets secondaires étranges de la crise du Corona est qu’en quelques semaines seulement, elle a contribué davantage à l’amélioration du climat mondial que toute la politique climatique de ces dernières années. Comme le trafic automobile dans les grandes villes a chuté jusqu’à 80 %, que le trafic aérien a été considérablement réduit et que de nombreuses usines de production sont au point mort, le Global Carbon Project prévoit une baisse des émissions de CO2 d’environ 5 % en 2020. Et il semble que même le gouvernement allemand, malgré ses mesures de politique climatique timides, pourrait encore réussir à atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport à 1990 (Süddeutsche Zeitung, 24.3.2020). 

Répit de courte durée

   Toutefois, il n’y a aucune raison d’espérer que la crise du Corona conduise à une réduction durable des émissions nocives pour l’environnement et limite le réchauffement climatique. Car l’arrêt temporaire des activités économiques dans de grandes parties du monde n’a rien fait pour changer la logique de base du mode de production capitaliste, qui est motivé par la fin en soi de l’augmentation continue de la richesse abstraite représentée par l’argent. L’obligation de croissance qui découle de cette fin en soi n’est nullement suspendue par les mesures prises pour lutter contre la pandémie, elle est seulement ralentie pendant une courte période. Dans le même temps, les gouvernements et les banques centrales font tout leur possible pour atténuer ce ralentissement et pour maintenir la dynamique économique, au moins de manière précaire, et pour la remettre sur les rails le plus rapidement possible une fois les mesures de confinement levées. Mais il est peu probable que cela réussisse réellement. Car même si la grande crise économique mondiale qui vient de commencer a été déclenchée par les mesures de lutte contre la pandémie, la force qu’elle est susceptible de développer possède des raisons plus profondes et structurelles auxquelles on ne peut pas remédier par des plans de relance économique et des injections de fonds.

   Cyniquement, on pourrait maintenant affirmer qu’une crise économique mondiale serait bonne pour le climat parce que le déclin de l’activité économique entraîne une diminution des émissions de gaz à effet de serre et d’autres substances nocives. Toutes les statistiques sur les crises de ces dernières décennies ‒ notamment la crise financière et économique de 2008/2009 ‒ confirment ce fait. Mais ce répit écologique n’est que le revers de la médaille d’un appauvrissement massif et d’une paupérisation d’une grande partie de la population. Car comme dans la société capitaliste tous les rapports sociaux tendent à prendre la forme de marchandises, et que l’accès aux biens est donc principalement régi par l’argent, une interruption du flux de marchandises et d’argent entraîne nécessairement un effondrement plus ou moins grave de l’approvisionnement de la société : des entreprises font faillite, des travailleurs sont licenciés et, comme les sources de revenus se tarissent, des millions de personnes ne peuvent même plus acheter les produits de première nécessité. Évidemment la question n’est pas posée, à savoir si les produits et services en question sont socialement nécessaires ou non, quel est leur bilan écologique et dans quelles conditions ils ont été produits, car ces critères ne jouent aucun rôle dans le monde de la production de marchandises. Ce qui compte, c’est de s’assurer que les biens produits peuvent être vendus sur le marché et engendrer un profit.

La richesse matérielle

   C’est pour cela qu’en cas de crise, on continue bien sûr à produire des voitures et à faire tourner des centrales à charbon, on continue à prendre l’avion et à construire des appartements de luxe, alors qu’en même temps beaucoup de gens ne peuvent plus s’acheter de la nourriture et que des hôpitaux sont fermés parce qu’ils ne sont plus « rentables » ou alors que les financements publics ont été coupés. Au cours des crises il devient particulièrement clair que dans le cadre du capitalisme seule la richesse abstraite, c’est-à-dire la richesse exprimée en unités monétaires, compte. En revanche la richesse matérielle, c’est-à-dire la richesse en choses et en fournitures, n’est toujours qu’un moyen subordonné pour atteindre la fin en soi de l’accumulation du capital et se voit donc sacrifiée lorsque ce but ne peut plus être atteint.

   Durant la crise actuelle l’État est intervenu dans la plupart des pays afin d’assurer, dans une certaine mesure, l’approvisionnement public et d’éviter l’effondrement immédiat des entreprises en raison du confinement et de la paralysie de l’économie. Mais autant les mesures d’urgence montrent très clairement que le marché ne peut pas tout réguler, contrairement à ce que l’idéologie néolibérale a toujours propagé, autant les possibilités dont dispose l’État pour influencer la production de la richesse sociale restent limitées.

L’État

   Il est vrai que dans la société capitaliste l’État représente la généralité et qu’il est responsable du maintien de la cohésion du rapport social contre les tendances centrifuges qui lui sont inhérentes. Sans l’État la société capitaliste se désintégrerait en très peu de temps, car elle est fondamentalement constituée de manière contradictoire. La production de marchandises généralisée signifie que les gens établissent leurs relations sociales en vue de produire des choses sous forme privée pour des personnes anonymes. Ils se comportent de manière sociale tout en poursuivant leurs intérêts privés particuliers, ou en d’autres termes : ils sont de manière non sociale sociaux (1). La dynamique des intérêts particuliers contraires qui résulte de cette contradiction fondamentale ferait très vite exploser le contexte social, s’il n’existait pas une instance distincte qui empêchait précisément cela en garantissant le cadre général pour l’activité des producteurs de marchandises. Néanmoins, l’État n’est nullement au-dessus de la logique de la production de richesse abstraite, il en est l’une des conditions préalables essentielles, mais en même temps il en est dépendant. C’est l’une de ses tâches primordiales de maintenir la dynamique de la production de marchandises et de l’accumulation de capital en mouvement. Si cela ne réussit pas, il perd d’une part sa légitimité auprès de la population et, d’autre part, sa capacité d’action, car il ne peut remplir ses missions que s’il dispose des moyens financiers nécessaires.

   Par conséquent l’État peut intervenir sur le marché et même en limiter son activité temporairement lorsque cela sert l’intérêt général, comme dans le cas d’une pandémie, mais il doit également tout faire pour relancer l’accumulation de capital. Et c’est à cet objectif-là que tous les autres intérêts et besoins sont alors généralement subordonnés.

Se débarrasser de toute réglementation 

   Il est donc prévisible qu’après la phase aiguë de la crise sanitaire les mesures de politique climatique de ces dernières années, déjà très timorées, seront toutes remises en question. Certains chefs d’entreprises demandent que des obstacles tels que les réglementations en matière de protection de l’environnement soient désormais supprimés afin que l’économie puisse se remettre à flots rapidement après le confinement. Par exemple, les grands constructeurs automobiles allemands font pression sur la Commission européenne pour qu’elle abroge les limites de CO2 qui doivent s’appliquer à partir de 2020. Et le Ministre-président de Basse-Saxe demande même une prime à la casse pour les voitures, naturellement seulement pour encourager le passage à des « automobiles écologiques », comme si le trafic routier lui-même n’était pas l’un des plus grands problèmes environnementaux. Mais ça ne va pas s’arrêter là. Tout comme les idéologues de l’économie de marché mettent en parallèle aujourd’hui les conséquences de la pandémie et les dommages économiques causés par le confinement, ils vont argumenter par la suite qu’il n’y a pas que le réchauffement climatique qui représente une menace pour l’humanité, mais aussi une économie paralysée, car des millions de personnes perdraient leurs moyens de subsistance à cause de cela. Ce faisant, ils admettent fondamentalement que le capitalisme rend l’humanité fatalement dépendante de sa logique d’accumulation destructrice et lui présente l’alternative de mourir soit de la destruction écologique, soit des difficultés économiques. Mais malgré ça, cet argument trouvera une grande résonance auprès de ceux qui craignent pour leur existence face à la crise et ne nourrissent aucun espoir pour une autre forme de société. 

   Ainsi, si l’on ne veut pas que la « question climatique » soit écartée de l’agenda politique, elle doit être reformulée de manière à être adaptée à la nouvelle situation de crise sociale. Ce n’est pas aussi difficile qu’il y paraît à première vue. Les mesures visant à sauver le climat et à protéger les bases naturelles de la vie n’entrent en conflit avec la sauvegarde de l’existence humaine et de l’approvisionnement social que si la forme capitaliste de production de richesses est considérée comme allant de soi. En effet, comme tous les individus de la société actuelle dépendent de la production de richesses abstraites pour survivre, ils se retrouvent victimes d’une sorte de prise d’otages. Ils doivent espérer que le mouvement perpétuel de l’accumulation du capital, en tant que fin en soi, se poursuive car ce n’est que dans ce contexte qu’ils peuvent vendre leur force de travail et autres marchandises, même s’ils savent que cela accentuera encore la catastrophe écologique qui est déjà en cours(2). 

   Mais si nous remettons en question cette forme de production de richesse, cette contradiction se dissout. En effet, si la production sociale est orientée vers la richesse matérielle, c’est-à-dire que l’objectif est de produire des choses utiles pour satisfaire les besoins concrets et sensibles de tous les individus, alors une orientation écologiquement durable de la société n’est plus en opposition avec une sécurité matérielle satisfaisante de la vie, mais coïncide avec celle-ci. Par exemple, il serait alors extrêmement déraisonnable d’envoyer dans l’atmosphère des gaz nuisibles pour le climat, de défricher massivement des forêts ou de contaminer les eaux souterraines alors qu’il est généralement admis que cela détruit les bases de la vie humaine. Et il serait absurde de préconiser la production de choses qui sont nuisibles à l’environnement et à la santé, uniquement parce que cela donne à tant de gens la possibilité de vendre leur force de travail et de gagner un salaire. Dans le capitalisme, cependant, c’est exactement ce qui est « raisonnable », parce que toute la vie sociale est basée sur la production de richesse abstraite. 

   Il est donc important de placer ce type de « raison » et le mode de production et de vie qui la sous-tend au centre de la critique. Cela modifie naturellement aussi l’orientation politique. 

Les partisans du marché libre : dans un premier temps en position de faiblesse 

   La « question climatique » s’intègre donc dans un ensemble de « questions » essentielles, auxquelles il est possible de répondre par une transformation radicale de la production de richesse, ou plus précisément par une orientation cohérente de la production de richesse sociale guidée par des critères concrets et sensibles et l’objectif d’une bonne vie pour tous. Bien sûr, un tel objectif politique provoquera des conflits féroces ; car il signifie en fin de compte une remise en question fondamentale du mode de production et de vie capitaliste, qui est bien plus qu’un « système économique », mais qui est profondément ancré dans les rapports sociaux et les subjectivités. Néanmoins, à cet égard également, la crise sanitaire a, dans un certain sens, participé a ébranler certaines évidences qui étaient considérées comme allant de soi jusqu’à présent. Lorsque le paiement des loyers peut être temporairement suspendu, lorsque le contrôle des billets est supprimé dans les transports publics, lorsque des voix s’élèvent partout pour demander que la privatisation et l’idée de rentabilité du système de santé soient stoppés, et lorsque les gouvernements veulent nationaliser des entreprises afin de sécuriser l’approvisionnement public, cela brise la logique de la richesse abstraite et place la richesse matérielle au centre. Bien qu’il ne s’agisse que de mesures d’urgence de nature temporaire que l’État décide dans son rôle de gardien de l’intérêt général, elles représentent une rupture profonde avec l’idéologie néolibérale qui avait déjà subi une pression massive au lendemain de la crise financière et économique de 2008. 

   C’est pourquoi, après la phase aiguë de la crise, toute tentative de retour au statu quo politique antérieur provoquera des disputes sociales vives sur la question de savoir comment organiser et garantir l’approvisionnement général de la société. Ce conflit a déjà commencé dans les médias. Les partisans du marché libre se trouvent d’abord en position de faiblesse, car la crise révèle impitoyablement que la privatisation et la marchandisation du système de santé ainsi que d’autres secteurs de l’approvisionnement public ont des conséquences désastreuses pour la société. Dans ce contexte, une nationalisation ou renationalisation à grande échelle de ces secteurs semble être la solution évidente. Dans le débat en cours, des voix de gauche s’élèvent de plus en plus pour réclamer un renouvellement de l’État social, des régulations de type keynésien ou même un socialisme d’État, et des espoirs se font jour dans la mouvance verte pour que le capitalisme soit réformé de manière socio-écologique à travers des directives étatiques et des incitations économiques. 

   Cependant ils négligent le fait que l’État, d’un point de vue très fondamental, dans ses actions et dans son accès à la richesse matérielle, reste toujours dépendant du système de production de richesse abstraite. Dans ce système, l’État dispose bien d’une marge de manœuvre en ce qui concerne la manière dont il accomplit ses missions, la mesure dans laquelle les inégalités sociales sont réduites et comment il influe sur les conditions de travail et de production. Et, bien sûr, c’est important politiquement d’utiliser cette marge de manœuvre pour réaliser des améliorations sociales et écologiques, dans la mesure du possible. Cependant, l’État ne peut pas annuler la dynamique fondamentale auto-entretenue de la production de richesses abstraites, il ne peut que réparer ou masquer ses pires conséquences. 

La marge de manœuvre des États 

   En outre, la grande époque du capitalisme réglementé par l’État avec ses acquis sociaux, qui reposait sur le travail de masse dans le secteur industriel et une économie domestique forte, est révolue depuis longtemps et ne peut être ressuscitée. A l’ère de la financiarisation et de la mondialisation, la marge de manœuvre des États est devenue de plus en plus étroite car ils doivent tout faire pour maintenir l’attractivité de leur propre territoire comme lieu de placement pour le capital, et surtout pour assurer l’afflux de capital fictif (3). 

   Car depuis que la troisième révolution industrielle a rendu « superflue » de plus en plus de force de travail dans la production de marchandises, l’accumulation de richesses abstraites s’est déplacée vers les marchés financiers, où elle a développé une dynamique invraisemblable, basée sur l’anticipation de valeur future sous forme de titres de propriétés (capital fictif). Par conséquent, dans les crises financières récurrentes et chaque fois plus graves, les États n’ont d’autre choix que de faire « tout ce qu’il faut » (Mario Draghi) pour sauver le système financier et bancaire de l’effondrement. Il en sera de même pour la crise du Corona. C’est vrai que le déroulement de cette crise diffère des crises financières des dernières décennies en ce qu’elle a été déclenchée par l’arrêt politiquement ordonné des activités économiques et sociales, et a donc un impact direct sur l’« économie réelle ». Néanmoins, elle s’est immédiatement étendue aux marchés financiers déjà en surchauffe, et y a déclenché d’énormes bouleversements dont les conséquences ne sont pas encore prévisibles. 

   Il est donc facile de prévoir que les priorités des gouvernements et des banques centrales vont vite être de sauver à nouveau le système bancaire et financier. Car si l’avalanche des promesses d’avenir non couvertes se déchaîne là-bas, elle entraînera également dans l’abîme des grandes parties de « l’économie réelle » et de l’approvisionnement général. Mais contrairement à 2008/2009, les instruments de politique monétaire des banques centrales sont cette fois déjà très largement épuisés. De plus, au niveau politique mondial, il ne faut pas s’attendre à ce que les grandes puissances économiques se mettent d’accord sur une approche commune. Il devient plutôt évident que chacune d’entre elles poursuit ses propres intérêts aux dépens des autres et que la tendance déjà existante au cloisonnement nationaliste et régional acquiert une dynamique supplémentaire (4). Le gouvernement allemand le démontre actuellement, au risque de faire exploser l’Europe, en rejetant les Eurobonds, ce qui est non seulement honteux et minable, mais aussi étroit d’esprit car la République fédérale est objectivement celle qui profite le plus de l’unité européenne et de l’Euro. Le nationalisme suit sa propre logique dangereuse, qui n’est nullement toujours fonctionnelle au sens économique. 

Gestion de crise autoritaire, état d’urgence et résistance sociale 

    Le retour de l’État se fera donc sous des auspices complètement différents que dans l’imaginaire béat de la gauche et des Verts. Il faut certainement s’attendre à ce que, sous la pression de l’opinion publique, la nationalisation d’urgence de nombreux secteurs soit maintenue, voire étendue. Mais en même temps, les gouvernements mèneront une politique d’austérité rigoureuse, en invoquant les coûts de la gestion de la crise et l’accompagneront d’appels nationalistes en demandant des sacrifices à la population tout en imposant des mesures de contrôle plus strictes, comme celles qui sont actuellement testées à grande échelle. Car ce n’est pas seulement la logique du marché qui est compromise face aux difficultés sociales à venir, mais c’est tout le système de référence de la production de richesses abstraites qui vacille. C’est pourquoi, dans de nombreux pays, l’action gouvernementale se réduit de plus en plus à une gestion autoritaire de la crise avec un renforcement de l’état d’urgence. Car, moins l’État arrive à assurer sa légitimité en tant que gardien de l’universel en garantissant l’approvisionnement général, plus son noyau autoritaire apparaît clairement. 

   Pour pouvoir lutter contre cette évolution menaçante, il faut pouvoir regrouper les résistances sociales et politiques qu’elle va engendrer ou qu’elle engendre déjà. Mais ce n’est pas aussi évident qu’il y paraît à première vue. En effet, les multiples luttes contre la politique d’austérité accrue et le contrôle étatique, contre la destruction des ressources naturelles et le trafic routier, contre le prix des loyers exorbitant et la précarisation des conditions de travail sont très rapidement transformées, au sein du système de production de richesses abstraites, en luttes d’intérêts particuliers, qui peuvent ensuite être jouées les unes contre les autres sur le plan politique ; c’est le cas par exemple quand le mouvement pour le climat exige une taxe carbone la plus élevée possible, alors que cela pèse plus lourdement sur les personnes les plus défavorisées. Il faut donc préciser que ces luttes et conflits, aussi différents qu’ils puissent paraître à première vue, convergent toujours négativement vers un point : ils sont tous la conséquence de la logique autonomisée et destructrice de la production de richesses abstraites et de la forme contradictoire d’une socialité non sociale qui la sous-tend. 

   Ce n’est que lorsque ce point commun négatif devient conscient que les différentes luttes peuvent se transformer en une force commune pour remettre fondamentalement en question le mode de production et de vie capitaliste. Mais au-delà de ça, il faut aussi une nouvelle perspective d’émancipation sociale, qui, dans ses grandes lignes ex negativo, résulte toutefois de la critique du système de richesse abstrait. 

Auto-organisation 

   Bien sûr, il ne peut s’agir de recycler la vieille idée de la nationalisation de la vie sociale ; car outre le fait que l’État n’a toujours été que l’autre face du marché, son retour aujourd’hui n’est possible que sous la forme d’un autoritarisme de crise, de nationalisme et de régression politique. Il s’agit plutôt de la socialisation globale de la production et de l’approvisionnement public dans le cadre d’une auto-organisation sociale générale et libre, au-delà de la production de marchandises et de la logique de l’administration et de la domination étatique. Bien sûr, cela ne se fait pas d’un seul coup, mais seulement au cours d’un processus plus long de transformation sociale. Il est impossible de prévoir aujourd’hui ce que cela signifie en détail, mais il est clair que ce processus sera caractérisé par des débats politiques conflictuels sur les ressources et les potentiels de production de richesses ainsi que sur les conditions générales pour le développement de nouvelles formes de coopération, de communication et de planification sociales. Car une autre option sociale ne se développe pas à partir de quelconques niches comme on l’imagine dans certains concepts alternatifs. Elle ne peut se constituer que dans la lutte pour le champ de la généralité sociale. Il s’agit de réinventer ce champ ; non pas comme l’autre côté, dominateur d’une production de richesse qui s’est autonomisée et qui se place en face de ses acteurs comme une « seconde nature » ; mais comme faisant partie d’une société dans laquelle les gens décident consciemment de leurs rapports. 

Première publication sur Telepolis

Traduit de l’allemand par Paul Braun.

Climate Crisis and Social Transformation in the Age of Corona

A crise climática e a transformação social na época do coronavírus

La crisis climática y la transformación social en la época del coronavirus

Crisi climatica e trasformazione sociale al tempo del coronavirus

 

(1) Norbert Trenkle : Ungesellschaftliche Gesellschaftlichkeit, www.krisis.org 2019

(2) Norbert Trenkle : Lizenz zum Klimakillen, Streifzüge 77, Vienne 2019

(3) Ernst Lohoff/ Norbert Trenkle : La Grande dévalorisation, 2012 (traduction française publiée chez Post-éditions, 2014) ; Norbert Trenkle : Workout. Die Krise der Arbeit und die Grenzen des Kapitalismus; www.krisis.org, 2018

(4) Ernst Lohoff : Die letzten Tage des Weltkapitals. Kapitalaakumulation und Politik im Zeitalter des fiktiven Kapitals, Krisis 5/2016

Tag(s) : #Chroniques de la crise au quotidien
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :