Politique sans politique
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Anselm Jappe
2008
Au début, le « primat de la politique » était une idée chère au juriste du Führer, Carl Schmitt. Mais depuis longtemps, c’est la gauche « radicale » qui a lié son sort à un « retour de la question politique », où la « politique » est considérée comme étant en elle-même le contraire du « marché ». Cependant, il n’est pas facile de se convaincre que l’opposition au capitalisme, ou à ses dérives contemporaines, passe par ce que l’on appelle habituellement la politique. Il est évident que rien n’aurait changé si c’était Royal au lieu de Sarkozy. Mais même si les trotskistes, qui ont pris le relais des sociaux-démocrates devenus libéraux, allaient au pouvoir en France, ils n’ébranleraient pas le monde. En Allemagne, le « Parti du socialisme démocratique » participe à des gouvernements régionaux ; en Italie, Rifondazione comunista a ses ministres ; et même les Centri sociali italiens, souvent considérés comme la crème de l’antagonisme, peuvent fournir des adjoints au maire. Partout ces représentants de la gauche « radicale » finissent par cautionner des politiques néo-libérales. Faut-il alors fonder des partis « vraiment » radicaux qui ne s’enliseraient jamais dans le même bourbier ? Ou les raisons de ces « trahisons » sont-elles structurelles, et chaque participation à la politique conduit-elle inévitablement à se livrer au marché et à ses lois, indépendamment des intentions subjectives ?
Il convient alors de poser une question préliminaire : qu’entend-t-on par le mot « politique » ? Il y a une confusion semblable à celle qui entoure le « travail » et sa critique. Critiquer le travail n’aurait aucun sens si on l’identifie avec l’activité productive en tant que telle, qui bien sûr est une donnée éternelle. Mais tout est différent si on entend par travail ce que le mot désigne effectivement dans la société capitaliste : la dépense auto-référentielle de la simple force de travail sans égard à son contenu. Ainsi conçu, le travail est un phénomène historique, appartenant à la seule société capitaliste et qui peut être critiqué et éventuellement aboli. En effet, le « travail » que tous les acteurs du champ politique veulent sauver, à gauche, à droite et au centre, est le travail dans ce sens restreint. De même, le concept de « politique » doit être clairement défini. Si on l’identifie avec l’agir collectif, avec l’intervention consciente des hommes dans la société, avec un « amour du monde » (Arendt), il est évident que personne ne saurait être contre, et une « critique de la politique » ne pourrait se concevoir que comme une simple indifférence au monde. Mais ceux qui prônent habituellement le « retour à la politique » ont une idée beaucoup plus spécifique de ce qu’est la « politique », dont la disparition supposée leur cause des crises d’abstinence si graves. L’évocation rituelle de la « politique » comme seule voie possible pour changer le monde est le pivot de la « gauche » actuelle, des sociologues bourdieusiens à Multitude, d’ATTAC à la LCR. Malgré l’intention affichée de faire une politique « complètement différente », ils retombent toujours dans le « réalisme » et le « mal mineur », participent aux élections, s’expriment sur les référendums, dissertent autours de l’évolution possible du Parti socialiste, veulent nouer des alliances, conclure quelque « compromis historique ». Face à ce désir de « participer au jeu » - et presque toujours en « représentant » de quelque « intérêt » - il faut rappeler les mouvements et moments d’opposition radicale qui ont plutôt fait de l’« anti-politique » : des anarchistes historiques aux avant-gardes artistiques, de certains mouvements dans le Sud du monde, tels que « Critica radical » à Fortaleza (Brésil), à la grève sauvage de mai 68 en France et à l’insubordination permanente dans les usines italiennes aux années 70. Cette « anti-politique » est aussi éloignée du renoncement à l’intervention consciente que l’« anti-art », le refus de l’art chez les dadaïstes, les surréalistes ou les situationnistes, qui n’était pas un refus des moyens artistiques, mais se concevait au contraire comme la seule façon de rester fidèle aux intentions originales de l’art.
Mais peut-on croire que la politique est la sphère sociale qui permettrait d’imposer des limites au marché ? La politique serait-elle par sa nature « démocratique » et opposée au monde économique capitaliste où règne la loi du plus fort ?
La société capitaliste moderne, basée sur la marchandise et la concurrence universelle, a besoin d’une instance qui se charge des structures publiques sans lesquelles même la société la plus farouchement antagoniste ne pourrait pas exister. Cette instance est l’État, et la « politique » au sens moderne (et restreint) est la lutte autour de son contrôle. Mais cette sphère de la politique n’est pas extérieure et alternative à la sphère de l’économie marchande, elle en dépend structurellement. Dans l’arène politique, on se dispute sur la distribution des fruits du système marchand - le mouvement ouvrier a joué essentiellement ce rôle -, mais non sur son existence elle-même. La preuve visible : rien n’est possible en politique qui ne soit d’abord « financé » par la production marchande, et là où cette dernière va à vau-l’eau, la politique se retransforme en ce qu’elle avait été à ses débuts : un choc entre bandes armées. Cette forme de « politique » est un mécanisme de régulation secondaire à l’intérieur du système fétichiste et non-conscient de la marchandise. Elle ne représente pas une instance « neutre », ni une conquête que les mouvements d’opposition auraient arrachée à la bourgeoisie capitaliste. Celle-ci n’est pas nécessairement hostile à l’État ou à la sphère publique - cela dépend de la phase historique.
Les tenants contemporains de la « politique » trahissent l’intention originale de l’« agir », parce qu’ils le réduisent à des ajustements d’une machine acceptée comme telle. Aujourd’hui, l’« agir » doit faire face à des situations qui sont bien trop graves pour être affrontées avec les vieux moyens de la politique. Le cadre est désormais celui d’une véritable mutation anthropologique qui est le résultat aussi bien de deux cents ans de capitalisme que de son autodestruction programmée devenue visible depuis quelques décennies. Cette régression va jusqu’à la barbarisation. Vis-à-vis de la multiplication des cas comme celui des adolescents qui filment en riant avec leur portable une compagne de classe qui vient d’être écrasée par un autobus, pour mettre ensuite les images sur You tube, il est un peu court d’évoquer le chômage, la précarité ou les défauts de l’école : on est plutôt en train d’assister à une « régression anthropologique » généralisée (ce qui ne veut pas dire uniforme). Celle-ci semble être le fruit d’un profond détraquement psychique collectif, d’une psychose narcissique, conséquence du fétichisme de la marchandise et du rapport qu’il institue entre l’individu et le monde. Face à cette crise de civilisation, personne ne peut honnêtement proposer des remèdes qui marcheront d’ici à deux ans. Mais justement, parce que la situation est si grave, on renforce le mal si l’on réagit en disant : agissons vite et n’importe comment, il n’y a pas de temps pour discuter, la praxis vaut plus que la théorie. À l’époque du capitalisme financier et moléculaire, on ne peut pas se satisfaire des formes d’opposition de l’époque fordiste.
Une première condition pour renouer avec la perspective de l’agir est de rompre définitivement et nettement avec toute « politique » au sens institutionnel. Aujourd’hui, la seule « politique » possible est la séparation radicale d’avec le monde de la politique et de ses institutions, de la représentation et de la délégation, pour inventer à leur place de nouvelles formes d’intervention directe. Dans ce contexte, il paraît bien inutile de discuter avec des gens qui veulent encore voter. Ceux qui, presque 140 ans après l’introduction du suffrage universel, courent encore vers les urnes, ne méritent que les mots déjà prononcés en 1888 par Octave Mirbeau [1] ou en 1906 par Albert Libertad [2]. La conquête du suffrage universel a été un des grands combats de la gauche historique. Cependant, l’électeur de droite est moins bête : il obtient vraiment le peu qu’il attend de ses candidats, même en dehors de tout programme électoral - par exemple, la tolérance envers l’évasion fiscale et les violations du droit de travail. Ses représentants ne le trahissent pas trop ; et l’électeur qui vote uniquement pour le candidat qui va embaucher son fils ou obtenir des grosses subventions pour les paysans de son canton est finalement l’électeur le plus rationnel. Est beaucoup plus imbécile l’électeur de gauche : jamais il n’a obtenu ce pour quoi il a voté, mais il persiste. Il n’obtient ni le grand changement ni les bribes. Il se laisse bercer par des seules promesses. Ainsi, les électeurs de Berlusconi en Italie ne sont pas dupes, ils ne sont pas simplement séduits par ses télévisions, comme ses adversaires veulent faire croire. Ils ont tiré des avantages limités, mais réels de son gouvernement (et surtout de son laisser-faire). Mais voter encore pour la gauche après qu’elle a été au gouvernement relève - ici on ne peut que donner raison à Mirbeau - du pathologique.
Le refus de la « politique » ainsi conçue n’est pas le fait d’un goût esthétisant pour l’extrémisme. Face à la régression anthropologique menaçante, faire appel au Parlement ressemble à la tentative de calmer un ouragan avec une procession. Les seules propositions « réalistes » - dans le sens où elles pourraient effectivement infléchir le cours des choses - sont du genre : abolir tout de suite, dès demain, toute la télévision. Mais est-ce qu’il y a un parti au monde qui oserait faire sien un tel programme ? Est-ce qu’on a pris dans les dernières décennies une seule mesure apte à entraver les progrès de la barbarie ? On répondra que de petits pas sont meilleurs que rien. Mais où a-t-on réalisé ces petits pas ? Il y a trente ans, les plus courageux proposaient d’instaurer une journée sans télévision par semaine. Aujourd’hui, il y a des centaines de chaînes accessibles. Si l’on n’a rien pu faire dans les dernières décennies pour empêcher une détérioration continuelle des choses, cela veut dire que les objectifs et les méthodes étaient erronés et qu’il faut tout repenser. Et il va de soi qu’on ne pourra pas le faire en ménageant le public, ni en passant à la télévision.
Il existe quelques exemples d’un agir anti-politique : les « faucheurs volontaires » anti-OGM, surtout ceux qui agissent la nuit, en renouant avec la tradition du sabotage plutôt qu’avec l’effet médiatique, ou les actions visant à mettre des appareils de surveillance et de contrôle biométrique hors d’état de nuire. On pourrait également citer les habitants de la Val di Susa, dans les Alpes italiennes, qui ont empêché, fin 2005, la construction d’une ligne de TGV dans leurs montagnes. Cette prévalence de luttes « défensives » ne signifie pas nécessairement l’absence d’une perspective universelle. Au contraire, ces luttes contre les pires des « nuisances » aident à tenir ouverte cette perspective. Il faut au moins sauvegarder la possibilité d’une émancipation future face à la déshumanisation opérée par la marchandise qui risque d’empêcher à jamais toute alternative. Ici, de nouveaux fronts et de nouvelles alliances pourront se constituer. Il y a des sujets, comme l’expropriation des individus de leur propre reproduction biologique, publicisée sous le nom de « techniques de fécondation artificielle », où les positions de la gauche moderniste sont en syntonie si complète avec les délires de toute-puissance technologique du capitalisme contemporaine que les prises de position du Pape assument en revanche un air de rationalité. Le contraire de la barbarie est l’humanisation. Ce concept est bien réel, mais difficile à cerner. Une « politique » possible serait aujourd’hui la défense des petits progrès faits historiquement dans l’humanisation et l’opposition à leur abolition. Le capitalisme contemporain n’est pas seulement cette injustice économique qui reste toujours au centre des débats ; et même la catastrophe écologique qu’il cause ne clot pas la liste de ses méfaits. Il est également un démontage - une « déconstruction » - des bases symboliques et psychiques de la culture humaine, visible surtout dans la déréalisation opérée par les médias électroniques ; par rapport à cette dimension du problème, il reste sans importance que ce soit Sarkozy ou Royal, Besancenot ou Le Pen à occuper le petit écran.
La pratique reste à réinventer, sans céder à l’injonction de « faire quelque chose, et tout de suite » qui pousse toujours à la réédition des formes déjà vues et déjà échouées. Le véritable problème est l’enfermement général - qui est surtout mental - dans des formes d’existence fétichistes, aussi bien chez les partisans que chez les adversaires présumés du système de la marchandise [3]. Lutter pour rompre ces formes ancrées dans toutes les têtes, enlever à l’argent et à la marchandise, à la concurrence et au travail, à l’État et au « développement », au progrès et à la croissance leur air d’innocence et d’évidence relève de ces « luttes théoriques » qui se situent au-delà de l’opposition figée entre « théorie » et « praxis ». Pourquoi l’analyse de la logique de la marchandise, ou du patriarcat, serait-elle « seulement de la théorie », tandis que la première grève pour les salaires, où la première manifestation d’étudiants qui protestent parce que l’Université ne les prépare pas assez bien au marché de travail, seraient, elles, considérées comme de la « praxis » ou de la « politique » ?
Avant d’agir, les hommes pensent et sentent, et la manière dont ils agissent dérive de ce qu’ils pensent et sentent. Changer la manière de penser et de sentir des hommes est déjà une forme d’agir, de praxis. Une fois qu’il y a une véritable clarté, au moins chez une minorité, sur les buts de l’agir, la réalisation peut venir très vite. Il suffit de penser à Mai 68, arrivé apparemment comme une surprise, mais préparé silencieusement par des minorités clairvoyantes. En revanche, on a vu souvent - et plus que jamais dans la Révolution russe - où mènent même les plus grandes occasions d’agir lorsqu’il a manqué une véritable clarification théorique préliminaire. Une clarification qui ne se déroule pas nécessairement dans les livres et les colloques, mais qui doit être présente dans les têtes. Au lieu d’identifier la politique avec les institutions publiques de la société marchande, on peut identifier la politique avec la praxis en général. Mais cette praxis, il ne faut pas l’opposer abstraitement à la théorie. La théorie dont il est question ici n’est pas la servante de la praxis, ni sa préparation, mais en est une partie intégrale. Le fétichisme n’est pas un ensemble de fausses représentations ; il est l’ensemble des formes - telles que l’argent - dans lequel la vie se déroule réellement en conditions capitalistes. Chaque progrès dans la compréhension théorique, de même que sa diffusion, est donc en lui-même un acte pratique.
Bien sûr, cela ne saurait suffire. Les formes futures de praxis seront assurément assez diversifiées, et comprendront également des luttes défensives au niveau de la reproduction matérielle (comme celles contre la précarisation du travail et contre la destruction de l’État social). S’il faut rompre avec les « politiques » qui se proposent seulement de défendre les intérêts en forme marchande des catégories sociales constituées par la logique fétichiste elle-même, du genre « pouvoir d’achat », il reste néanmoins nécessaire d’empêcher le développement capitaliste de ravager les bases de survie de grandes couches de la population, notamment en générant des nouvelles formes de misère qui sont souvent dues plutôt à l’exclusion qu’à l’exploitation - en effet, être exploité devient presque un privilège par rapport à la masse de ceux qui ont été déclarés « superflus », parce que « non rentables » (c’est-à-dire non utilisables d’une manière rentable dans la production marchande). Mais les réactions des « superflus » sont très diversifiées et peuvent tendre elles-mêmes à la barbarie. Être victime ne donne aucune garantie d’intégrité morale. Une vérité s’impose donc plus que jamais : le comportement des individus devant les vicissitudes de la vie capitaliste n’est pas le résultat mécanique de leur « situation sociale », de leurs « intérêts » ou de leur provenance géographique, ethnique ou religieuse, ni de leur genre ou de leurs orientations sexuelles. Face à la chute du capitalisme dans la barbarie, on ne peut prédire de personne comment elle réagira. Cela n’est pas le fait de la prétendue « individualisation » généralisée dont les sociologues ne cessent de chanter les merveilles pour ne pas devoir parler de la standardisation accrue qu’elle recouvre. Mais les lignes de partage ne sont plus celles créées par le développement capitaliste. De même que la barbarie peut surgir partout, dans les lycées finlandais et dans les bidonvilles africains, chez les bobos et chez les banlieusards, chez les soldats high-tech et chez les insurgés à mains nues, même la résistance à la barbarie et la poussée vers l’émancipation sociale peuvent naître partout (mais avec combien plus de difficulté !), même là où l’on ne l’attendait pas. Si aucune catégorie sociale n’a correspondu aux projections de ceux qui cherchaient le porteur de l’émancipation sociale, en revanche, des oppositions aux conditions inhumaines de la vie sous le capitalisme surgissent toujours à nouveau. Ce paysage plein de faux amis et de secours inespérés constitue le terrain, forcément peu lisible pour le moment, où toute « recomposition politique » doit se placer maintenant.
Anselm Jappe.
Cet article est paru dans Lignes, Nouvelle série (Paris), n° 25, 2008
Illustration : Norman Rockwell, Le jour des élections.
Notes :
[1] « Une chose m’étonne prodigieusement - j’oserai dire qu’elle me stupéfie - c’est qu’à l’heure scientifique où j’écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France [...] un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n’est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus subtiles et confondre la raison ? Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l’électeur moderne ? et le Charcot qui nous expliquera l’anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? [...] Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit. [...] Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. » - Exactement 120 ans après cet appel à la « grève des électeurs », il est encore possible, et nécessaire, de répéter les mêmes arguments. Sauf pour quelques noms, on pourrait imprimer le texte dont ces lignes sont extraits et le distribuer comme tract : personne ne s’apercevrait qu’il n’a pas été écrit aujourd’hui, mais aux débuts de la « IIIe République ». Visiblement, au cours de plus d’un siècle, les électeurs n’ont rien appris. Ce fait n’est pas, il est vrai, très encourageant.
[2] « Le criminel, c’est l’électeur [...] Tu es l’électeur, le votard, celui qui accepte ce qui est ; celui qui, par le bulletin de vote, sanctionne toutes ses misères ; celui qui, en votant, consacre toutes ses servitudes [...] Tu es un danger pour nous, hommes libres, pour nous, anarchistes. Tu es un danger à l’égal des tyrans, des maîtres que tu te donnes, que tu nommes, que tu soutiens, que tu nourris, que tu protèges de tes baïonnettes, que tu défends de ta force de brute, que tu exaltes de ton ignorance, que tu légalises par tes bulletins de vote, - et que tu nous imposes par ton imbécillité. [...] Si des candidats affamés de commandements et bourrés de platitudes, brossent l’échine et la croupe de ton autocratie de papier ; Si tu te grises de l’encens et des promesses que te déversent ceux qui t’ont toujours trahi, te trompent et te vendront demain : c’est que toi-même tu leur ressembles. [...] Allons, vote bien ! Aies confiance en tes mandataires, crois en tes élus. Mais cesse de te plaindre. Les jougs que tu subis, c’est toi-même qui te les imposes. Les crimes dont tu souffres, c’est toi qui les commets. C’est toi le maître, c’est toi le criminel, et, ironie, c’est toi l’esclave, c’est toi la victime. » - Voir : Albert Libertad, Le Culte de la charogne. Anarchisme, un état de révolution permanente (1897-1908), Agone, Marseille 2006.
[3] D’ailleurs, une des nouvelles données à laquelle la praxis anticapitaliste doit se confronter aujourd’hui réside dans le brouillage des frontières entre partisans et adversaires du système et dans la diffusion des bribes de pensée critique chez de nombreux individus qui participent en même temps pleinement à la marche du monde : ils lisent Marcuse et travaillent dans la publicité, ils gèrent des entreprises et donnent de l’argent pour les zapatistas, ils se déclarent anarchistes et font des carrières administratives... Il faut bien vivre, mais on ne veut pas être dupe. Il s’agit d’une véritable « mithridatisation » contre les prises de conscience capables de déranger une existence.
Bibliographie :
Robert Kurz, Critique de la nation, de l'Etat, du droit, de la politique et de la démocratie
Robert Kurz, La fin de la politique
Anselm Jappe, La politique n'est pas la solution
Anselm Jappe, Politique sans politique
Groupe Krisis, La lutte contre le travail est une lutte antipolitique
Johannes Vogele, Essai d'une (auto)critique de la gauche politique, économique et alternative
Clément Homs, "La politique et l'économie : deux faces d'une même pièce" (dans J. Baschet, L. de Mattis, C. Homs, O. Scalzone, Misère de la politique, éditions Divergences, 2017)