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Laissons les morts enterrer les morts !

A propos d'un anniversaire de Mai 68

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 Principia Dialectica

 

Pour un joli mois de mai

   Si vous entrez à l’intérieur, vous verrez un cadavre, et des momies embaumant ce cadavre. On nous a gentiment invités à cette messe mais nous avons refusé. Nous sommes là cependant – à l’extérieur, comme leur mauvaise conscience.

   En 2008, la position de tous ces gens est fausse, et elle l’était déjà en 1968. Aujourd’hui comme hier, ils se trompent sur tout : ils fantasment un glorieux passé qui n’a jamais existé, ils s’attaquent à la société du présent avec les armes théoriques du passé. En Mai 68, déjà, leur but était de revivre 1917, de refaire 1936. Et leur souvenir de Mai 68, précisément, c’est cet aplatissement : aujourd’hui encore, ils rêvent de soviets, de place rouge, d’usines occupées et de révolution culturelle dans la Chine populaire. Décidément, le passé ne passe pas.

   Aider le passé à passer, c’est parler de la modernité d’hier, et du fait que cette « modernité » est tombée en poussière. En Mai 68, le groupe le plus avancé était l’Internationale situationniste. L’IS combattait tous les cadavres de gauche au nom d’une autre idée de la révolution. Et Mai 68, sous son aspect le plus surprenant, est dans la pratique ce qui se rapproche le plus de ce que l’IS a fait dans la théorie.

   Cependant, Mai 68 – comme l’IS – appartient à la fois au passé et au présent. La force de la révolution de Mai comme des situationnistes, c’est d’avoir attaqué la société capitaliste comme société de travail et d’avoir mis en cause le communisme d’Etat, les partis et les syndicats à l’aide d’une nouvelle définition du prolétariat. En Mai 68, on peut dire que se définissaient comme révolutionnaires tous ceux qui n’avaient aucun pouvoir sur l’emploi de leur vie, et qui le savaient. Ce qui va tellement au-delà de la définition traditionnelle que celle-ci explose littéralement : avec une telle vision, on est loin du bon ouvrier léniniste, anarchiste ou conseilliste, auquel l’organisation vient apporter la bonne parole. Au-delà de la vieille définition certes, mais pas au-delà du messianisme prolétarien. C’est là la limite.

   Quiconque veut en finir avec le capitalisme doit aller plus loin. Il faut désenchanter totalement ce monde et ses idéaux, y compris les idéaux de la gauche, y compris ceux de la gauche la plus radicale – y compris, donc, ceux de l’IS et de Mai 68.

   La théorie révolutionnaire sait aujourd’hui qu’il n’y a pas de sujet révolutionnaire. Le seul sujet, c’est le capital en tant que sujet automate, en tant que valeur qui s’autovalorise. Et ce sujet – l’économie devenue autonome, ce que Guy Debord appelait justement « le mouvement autonome du non-vivant » – transforme chacun de nous en ressource humaine de son autoreproduction infinie.

   En 1968 comme en 2008, la critique du travail doit être au centre : non pas comme une conséquence de la critique de la vie quotidienne, mais comme le cœur de la nouvelle théorie et de la nouvelle pratique. Et elle doit l’être de façon complètement désabusée, post-messianique. D’emblée, elle doit se placer au-delà de tous les mythes : non pas seulement au-delà des conventions de la sous-critique, au-delà des contingences du réformisme réaliste, au-delà de l’autosatisfaction des « chômeurs heureux » qui se croient radicaux parce qu’ils bénéficient des aides sociales. Mais aussi et surtout, elle doit être au-delà de l’IS qui a fondé sa cause sur le Sujet révolutionnaire de l’histoire.

   Il est facile d’en finir avec les cadavres que Mai 68 a déjà ridiculisés et qui aujourd’hui se posent en garants de « l’esprit de Mai » (de la bonne gauche démocrate aux ex-Mao, en passant par les anarchistes). Il est plus difficile d’en finir avec le Mai 68 qui vit encore, quoique fossilisé : celui qui dit Ne travaillez jamais. Bien plus difficile, en effet, parce que cette vieille critique brille encore. Mais, répétons-le, elle brille de la lumière des étoiles mortes. Ne travaillez jamais : pour en finir réellement avec le travail, il faut en finir avec l’idée du prolétariat comme sujet révolutionnaire de l’histoire. La lutte de classes fait partie intégrante de la dynamique capitaliste : il ne s’agit pas d’une lutte entre une classe dominante et une classe révolutionnaire, mais entre des intérêts différents (quoique différemment puissants) à l’intérieur du capitalisme.

   La question n’est pas de rester fidèle à 68, mais d’être à la hauteur de l’esprit de Mai. La seule méthode, c’est d’être résolument hors système. Au-delà des conventions, au-delà des contingences, au-delà des attachements ! 

Principia Dialectica, Mai 2008 

Contribution du groupe anglais Principia Dialectica aux célébrations de mai 68 à Londres (original post here, in english here), distribuée sous forme de tract le 10 mai 2008 devant le Conway Hall à Londres où se déroulait une cérémonie commémorative (May 68 and all that).

- Par-delà la lutte des classes (Robert Kurz)

- Le prolétariat n'est pas le sujet de l'histoire (Moishe Postone)

- Classes et dynamique du capitalisme (Moishe Postone)

- Révolution contre le travail ? La critique de la valeur et le dépassement du capitalisme (Anselm Jappe)

 

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