Des philosophes face à la Shoah
Revue d'histoire de la Shoah, n°207 (2017/2)
Présentation
S’il est vrai que la Shoah est le désastre majeur du xxe siècle et qu’elle met en question le statut même de l’être humain, quel en est le retentissement dans la philosophie ? Les penseurs étudiés, dans leur immense majorité, furent contemporains du nazisme. Un abîme sépare cependant ceux qui, de près ou de loin, furent victimes (Améry ou Arendt, par exemple) de ceux, qui par leurs écrits et leur vie, ont acclamé le Reich et la « destruction des Juifs d’Europe », tels Heidegger. Comment les philosophes qui ont résisté (Améry, Jankélévitch notamment) pourraient-ils ressembler à ceux qui, en collaborant, ont contribué à faire sombrer la philosophie avec eux ? Comment d’autres, ni victimes ni acteurs de la Shoah, mais parfois témoins, pensent-ils ce qu’ils ont vu et vécu ?
Quels usages ces penseurs font-ils de la tradition philosophique pour penser les horreurs commises entre 1933 et 1945 ? Ces réactions éventuelles sont-elles de nature à éclairer la Shoah ? Ou plutôt à obscurcir encore ce comble de l’antisémitisme assassin ? Les travaux des historiens qui ont peu à peu mis en lumière la spécificité du génocide des Juifs et du crime contre l’Humanité ont-ils sollicité et instruit les philosophes ? Quelle est la légitimité du piédestal sur lequel on a hissé certaines célébrités philosophiques contemporaines ?
Il apparaît que la « Shoah des philosophes » ne ressemble ni à celle des historiens, ni à celle des écrivains tels Primo Levi, Imre Kertesz ou Leib Rochman. Si les premiers cherchent à édifier une connaissance objective et critique et les seconds une élaboration sensible, l’attitude de la plupart des philosophes frappe par sa froideur, comme si l’intelligence conceptualisante devait se fermer à toute empathie.
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Éditorial
Prologue
Dossier : Des philosophes face à la Shoah
I.1. Antisémitisme et racisme dans la pensée de Heidegger : état de la recherche
I.2. Outrance de l’hospitalité
I.3. Antisémitisme : de la « passion criminelle » à « l’errance de la pensée »
Richard Wolin, Traduction de l’anglais par Claire Darmon
I.4. L’affaire Peter Trawny
I.5. Arendt, Heidegger et le « déluge » d’Auschwitz
I.6. Alexandre Douguine, un heideggerisme à la fois assumé et dissimulé
I.7. Déconstruction de l’antisémitisme et auto-anéantissement de la culture
I.8. Günther Anders ou la Shoah entre réalité et abstraction
II.1. L’humanisme radical de Jean Améry
Lecture de Par-delà le crime et le châtiment
Jean Améry, Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni
Les Lumières comme philosophia perennis
II.2. Réponse à un acte d’accusation contre la raison
II.3. Vladimir Jankélévitch : le pardon et l’impardonnable
« Des années se sont écoulées… »
II.4. Ne rien oublier et tout apprendre
II.5. Adorno ou la métaphysique de la Catastrophe
II.6. Le choc, le refus et l’élaboration : remarques sur le rapport de Habermas à la Shoah
II.7. Humanisme et démocratie : Thomas Mann et la défense de la raison
II.8. Carl Schmitt, de l’accréditation de la Shoah à sa négation
II.9. Karl Popper et la destructivité
II.10. Lyotard devant Auschwitz
III.1. Emmanuel Levinas, « la philosophie de l’hitlérisme »
III.2. Les penseurs du Colloque des intellectuels juifs de langue française (1957-2007) à l’ombre de la Shoah
III.3. Hans Jonas et la Shoah
« L’engagement, l’antisémitisme et la possibilité de la foi »
Berel Lang, Traduction de Gilles-Olivier Silvagni
IV.1. La philosophie et la Shoah : le chaînon manquant
IV.2. La Catastrophe et son destin singulier dans l’œuvre de Paul Ricœur
Une tentative d’interprétation
IV.3. L’omniprésence d’une absence. La Shoah et les philosophes en Israël
Épilogue
Hors dossier. Négationnisme
Négationnisme : état des lieux et perspectives critiques