Emission Sortir du capitalisme - juin 2017
Et l'anarchisme devint espagnol
(1868-1910)
Avec Myrtille des Giménologues
Une histoire de l’anarchisme, du communisme libertaire et des luttes des classes populaires d’Espagne, autour de Les chemins du communisme libertaire en Espagne (1868-1937). Et l'anarchisme devint espagnol (1868-1910) (éditions Divergences, 2017) – avec l’auteure, Myrtille des Giménologues.
Extrait de l'ouvrage
« Il sera question dans cet ouvrage, et dans le volume qui suivra, d’évoquer les élans, les audaces et les autolimitations du mouvement anarchiste espagnol d’avant 1939. Quant à ces dernières, on ne se cantonnera pas à l’explication par la trahison et à la critique ad hominem de certains cadres de la CNT-FAI. Sans éluder leurs responsabilités, il s’agira surtout de discerner ce qui est imputable aux limites intrinsèques du mouvement, et ce qui relève des égarements d’une époque. Comme celui des autres organisations ouvrières, l’anticapitalisme du mouvement anarchiste fut traversé et modifié par l’évolution du capitalisme lui-même, ses crises et ses avancées ; et l’analyse des circonstances de son échec peut nous aider à mieux saisir combien les catégories « travail », « argent », « marchandise », « valeur » expriment la façon dont notre monde capitaliste est structuré, et comment les rapports sociaux qu’il a engendrés s’avancent comme des faits de nature.
Ultime avatar de ce processus, dans l’état de décomposition et de passivité avancées de notre époque, c’est à l’idée que le capitalisme se perpétuerait indéfiniment que nous sommes aujourd’hui le plus souvent confrontés, y compris chez ceux qui s’en disent les ennemis. Ce système représente même, pour certains, le dernier rempart contre la barbarie qu’il a lui-même engendrée : c’est lui ou le chaos.
Alors il n’est pas mauvais de revisiter ces temps où le capitalisme fut un peu plus perçu pour ce qu’il était, et qu’il est toujours : un moment de l’histoire où l’énergie humaine est posée comme la première des marchandises ».
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Extrait de Giménologues, A Zaragoza o al Charco ! Aragon 1936-1938. Récits de protagonistes libertaires :
« Il nous semble qu'hier comme aujourd'hui "critiquer le capitalisme du point de vue du travail est une impossibilité logique, car on ne peut critiquer le capital du point de vue de sa propre substance. Une critique du capitalisme doit remettre en cause cette substance même et donc libérer l'humanité de sa soumission à la contrainte du travail abstrait" (Kurz, Vies et mort du capitalisme, Lignes, 2011). Par "travail abstrait", nous entendons le travail considéré en faisant abstraction de toutes ses déterminations particulières, et seulement mesuré au temps, sans aucun autre contenu. Cette activité est alors parfaitement indifférente à ce qu'elle produit. Au lieu de critique ce procès, le mouvement ouvrier, tel qu'il s'est déployé à travers ses partis et ses syndicats, a adopté le "point de vue du travail", et a conçu la valorisation du capital comme un fait positif. Il est devenu lui-même un accélérateur de la société du travail capitaliste en proposant une gestion bureaucratique des travailleurs [...]. Dans les années 1930 en Espagne, à l'intérieur de ce même mouvement ouvrier, perduraient encore les traces perceptibles d'une communauté humaine d'avant la généralisation du travail. Une partie des révolutionnaires anarchistes la fit valoir dans les quartiers de Barcelone et dans les communes aragonaises, et commença en même temps à imaginer une existence débordant le cadre des rapports strictement économiques »
Extrait de Giménologues, A Zaragoza o al Charco ! Aragon 1936-1938. Récits de protagonistes libertaires, L'insomniaque/Giménologues, 2016, pp. 308-309.